Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Marco Eneidi (1956-2016) : portrait, expéditives, autoportrait

marco eneidi portrait

En hommage à Marco Eneidi, saxophoniste américain disparu le 24 mai dernier, nous reproduisons ici son portrait, paru dans l'ouvrage Way Ahead, Jazz en 100 autres figures (Le Mot & Le Reste, 2011), et les cinq évocations de disques qui y furent rattachées. En conclusion, on pourra lire, signé de lui à l'époque de l'écriture dudit portrait, un résumé de son singulier parcours de musicien.

Après avoir servi le dixieland à la clarinette, Marco Eneidi passe au saxophone alto : s'entraînant beaucoup, il en apprend encore de musiciens – pour la plupart venus de New York où ils soignent en lofts leur intérêt commun pour l'avant-garde – qu'il va entendre au Keystone Korner de San Francisco. S'il adhère à une esthétique virulente, Eneidi n'en intègre pas moins en 1978 une formation dans laquelle il s'applique à rendre en écoles ou en hôpitaux de grands thèmes du swing jusqu'à ce que lui soit reprochée sa sonorité peu orthodoxe. Ayant peaufiné celle-ci au contact de Sonny Simmons, le jeune homme s'installe en 1981 à New York : là, il prend des leçons de Jimmy Lyons – saxophoniste qu'il entendit à San Francisco dans l'Unit de Cecil Taylor – et intègre à l’occasion de concerts la Secret Music Society de Jackson Krall ou le Sound Unity Festival de Don Cherry. En 1984, Bill Dixon l’accueille à la Black Music Division qu’il dirige au Bennington College : avec le trompettiste, Eneidi se fait entendre en Black Music Ensemble et enregistre Thougts. En trio avec William Parker et Denis Charles, le saxophoniste donne l’année suivante un concert bientôt consigné sur Vermont, Spring, 1986, premier disque autoproduit qui sera suivi d’autres, sur lesquels interviendront à l’occasion Karen Borca, Raphé Malik ou Glenn Spearman. Dans les années 1990, après s’être fait remarquer en compagnie de Cecil Taylor et de premières fois dans le Little Huey Creative Music Orchestra de William Parker, Eneidi anime en association avec Spearman un (autre) Creative Music Orchestra. Pour s’être installé en Autriche en 2004, il pensa ensuite le Neu New York / Vienna Institute of Improvised Music, projet qu’il emmène régulièrement au Celeste Jazz Keller de Vienne. 

marco eneidi expéditives copy

final disconnect eneidi

En compagnie de Karen Borca – bassoniste pour toujours associée à Jimmy Lyons qu’il fréquenta au sein d’un Associated Big Band dans lequel intervenaient aussi Rob Brown ou Daniel Carter –, Marco Eneidi retrouvait trois partenaires fidèles : les contrebassistes William Parker et Wilber Morris et le batteur Jackson Krall. Hanté par le souvenir d’une tournée faite en Espagne avec Cecil Taylor – le pianiste ayant composé pour Eneidi l’atmosphérique « Untitled » –, l’alto passe sur Final Disconnect Notice de pièces de free bop en ombreuses plages de déconstructions. Surtout, contrarie sans cesse son invention mélodique en faisant usage d’une passion vive et décimant.

creative music orchestra eneidi

Peu après avoir défendu Free Worlds en sextette emmené par le pianiste Glenn Spearman, Eneidi retrouvait celui-ci à l’occasion de l’enregistrement de Creative Music Orchestra, premier disque du grand ensemble éponyme que les deux hommes fomentèrent en associés. Là, une suite en six mouvements profite des conceptions rythmiques singulières auxquelles Bill Dixon ouvrit Eneidi – qui signe l’essentiel des compositions à entendre ici et aussi arrangé pour l’occasion « Naked Mirror » de Cecil Taylor. De valses instables en cacophonies superbes, Eneidi et Spearman conduisent de main de maître un orchestre rebaptisé ensuite American Jungle Orchestra.

cherry box eneidi

A l’occasion d’un concert donné à Oakland où il a passé une partie de son enfance, Eneidi retrouvait William Parker en trio. Au poste que Denis Charles occupait sur Vermont, Spring, 1986, trouver sur Cherry Box Donald Robinson, batteur souvent associé à Glenn Spearman et qui démontre là une science presque aussi discrète qu’hautement efficace. Porté par ses partenaires, l’alto déploie en six autres moments un discours instrumental qui doit autant à l’écoute de l’intense ténor de John Coltrane qu’à celle – combinée ? – des altos aériens de Charlie Parker et Ornette Coleman.

ghetto calypso eneidi

Pour le bien de Ghetto Calypso, Eneidi convoquait une autre fois à ses côtés deux contrebassistes : Peter Kowald – qu’il côtoya dans le Sound Unity Festival Orchestra de Don Cherry – et Damon Smith – membre appliqué de l’American Jungle Orchestra. Avec Spirit aux percussions, l’association improvise là des vignettes sur lesquelles l’alto démontre une verve remarquable. Si la paire de contrebassistes de Final Disconnect Notice put faire référence à Olé Coltrane, celle-ci détermine davantage le jeu anguleux d’un saxophoniste fulminant en structures de cordes tendues.

beek eneidi

A l’occasion d’un Live at Spruce Street Forum, Marco Eneidi et Peter Brötzmann – autre musicien entendu dans le Sound Unity Festival Orchestra – composèrent un quartette à initiales dans lequel intervenaient aussi Lisle Ellis (contrebasse) et Jackson Krall (batterie). B.E.E.K., de rendre là cinq pièces improvisées : Brötzmann passant de saxophones en clarinette pour mieux défendre en adéquation avec l’alto un free jazz fait de charges héroïques autant que de débandades relativisées par la superbe avec laquelle les musiciens accueillent chaque moment de flottement. Une virulence d’une autre époque peut être, mais incendiaire encore.

marco eneidi autoportrait

Born 1956, November 1st Portland, Oregon; moved to Oakland, california age 5; after high school age 17, went to italy 1974 music conservatory Venice then 1975-76 Portland Oregon Mt. Hood Community College, 1976-1979 Sonoma State University California; was in C.E.T.A. Band 1979-80, moved to NYC 1981. Started playing clarinet age 9, got serious about music and the alto saxophone age 20. First influences in music was soul music, San Francisco blues which led to Missisipee Delta blues, played guitar as teenager. First influence on saxophone was John Coltrane Plays the Blues, then Cannonbal Adderley, Bird, Orrnette, Dolphy etc. First experiences performing outside of school bands was playing clarinet in a dixieland band at the pizza parlour and at old folks homes during high school. Later at age 20-21 played in a restaurant weekly as a duo with a piano player playing standards. Then came the C.E.T.A. Band which we performed every day twice a day for one year in schools and old folks homes/nursing homes. 1978-80 much time was spent in San Francisco going to the Keystone Korner club and hearing all the groups coming thru town, much of which was coming from the NY loft scene. 1981 – NYC lessons w/ Jimmy Lyons, meeting and working with Denis Charles, William Parker, Earl Cross, Don Cherry, Sunny Murray, Jim Pepper. 1984 – started working with Bill Dixon. 1992 – started working with Cecil Taylor. 2005 – formed the Neu New York/Vienna Institute of Improvised Music. Lliving in Wien since November 2004. Marco Eneidi, 12 décembre 2011.



Thomas Borgmann, Wilber Morris, Reggie Nicholson : Nasty & Sweet (NoBusiness, 2013)

thomas borgmann wilber morris reggie nicholson nasty & sweet

Aux côtés de Sirone à la fin des années 1980 puis à la tête de l’Orkestra Kith’N Kin – présences de John Tchicai, Lol Coxhill ou Pat Thomas – ou encore associé à Peter Brötzmann, Thomas Borgmann dévoila ses fiévreuses intentions musicales. Des dispositions pour le trio l’incitèrent à fréquenter plus régulièrement encore Wilber Morris et Denis Charles de 1995 à 1998 (BMC Trio, dont Silkheart publiera The Last Concert). A la disparition de Charles, Reggie Nicholson prit place derrière la batterie : BMN Trio donnera des concerts jusqu’en 2002.

En 1999 – soit quelques mois après s’être produit à la Spirit Room de Rossie (disque CIMP You See What We’re Sayin’?) –, Borgmann, Morris et Nicholson étaient du Tempere Jazz Festival. La mise en place prend son temps, celui nécessaire à la déposition d’une texture qui démontre déjà la cohérence de la formation. Selon qu’il intervient au ténor ou au soprano, Borgmann instille ensuite – Sweet puis Nasty, alors – une improvisation aux reliefs abrupts ou verse dans un free autrement précipité. Morris modifiant avec subtilité les couleurs du décorum et Nicholson battant la mesure en hachant toutes secondes, voilà que les quatre faces ont passé avec force et rapidité. En supplément, trouver deux autres pièces improvisées le 25 avril 1998 : Wilber’s Mood et autre Nasty & Sweet. L’idée est la même, qui persiste et signe : il est temps de faire plus ample connaissance avec l’art de Thomas Borgmann



Thomas Borgmann, Wilber Morris, Reggie Nicholson (BMN Trio) : Nasty & Sweet (NoBusiness)
Enregistrement : 7 novembre 1999. Edition : 2012.
2 LP : A1/ Nasty & Sweet Part I B1/ Nasty & Sweet Part II C1/ We Went That Away C2/ Wilber’s Mood D1/ Nasty & Sweet
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Thomas Borgmann, Wilber Morris, Denis Charles : Live in Poland (Not Two, 2013)

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Réédition sur CD d’un double vinyle produit par Sagittarius A-Star en 2010, Live in Poland revient sur un concert donné par Thomas Borgmann, Wilber Morris et Denis Charles en 1998 au Pinokio Club de Szczecin. Avec le batteur de Cecil Taylor, Steve Lacy ou Jemeel Moondoc, la paire Borgmann / Morris interrogeait là un « art du trio » qu’elle servait à la même époque avec Reggie Nicholson.

Au Nasty & Sweet du BMN Trio, on pourra comparer le Nasty & Sweet du BMC – dans une version légèrement plus courte que celle consignée plus tôt sur vinyle. Là, c’est une demi-heure qu’ouvre un archet funambule, concentré et tendu, dont le saxophone ténor empruntera l’intensité : sombre, ramassé, c’est un jazz de texture que rehausse l’ardente frappe de Charles. Plus tôt, le trio passa de jazz en folk comme en souvenir des belles heures FMP : avec plus de décontraction, les musiciens élaborent une musique qui ne craint pas les ruptures, voire les moments de flottement. Heureusement, la progression est ascensionnelle, qu’emportera Borgmann au soprano. Evoquer, enfin, ces solos – disséminés sur les deux premières pièces ou subtilement imbriquées sur One by One – auxquels le public s’empresse toujours de réagir.

Thomas Borgmann, Wilber Morris, Denis Charles : Live in Poland (Not Two)
Enregistrement : 9 mars 1998. Réédition : 2013.
CD : 01/ Bird Bath 02/ Nasty & Sweet 03/ One by One
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Lou Grassi Po Band, Marshall Allen : Live at the Knitting Factory Vol. 1 (Porter, 2010)

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En 2000, le Po Band de Lou Grassi invitait Marshall Allen à jouer à la Knitting Factory. Aujourd’hui, une première partie du concert se trouve consignée sur disque. 

Sur lequel on peut entendre deux improvisations et une composition de Paul Smoker – trompettiste apaisant d’un Po Band au free désabusé, qui touche par ses déroutes et les façons qu’il a de chercher à accorder ses tensions vives : le trombone de Steve Swell et la clarinette de Perry Robinson, la contrebasse de Wilber Morris et la batterie de Grassi.

Au saxophone alto et à la flûte, Allen intervient avec justesse : emboîtant le pas au trombone sur l’ascension du mont Marshalling Our Spirits avant d’en commander la descente facétieuse ; plaçant ensuite RePoZest sous le signe de la nonchalance et puis le déplaçant sous le coup d’incartades nerveuses, quelques fois héroïques. Hommage à l’organiste des sphères, LouRa lève enfin une armée de vents mal embouchés qui s’entendra sur un unisson avant de démontrer d’élans individuels tous singuliers. Roulant sur toms, Grassi en appelle pour conclure à un exercice de free plus affirmé. La voix d’Allen de redoubler alors de présence et de plaider avec majesté en faveur du second volume promis.

Lou Grassi Po Band, Marshall Allen : Live at the Knitting Factory Volume 1 (Porter / Orkhêstra International)
CD : 01/ Marshalling Our Spirits 02/ RePoZest 03/ LouRa
Enregistrement : 26 septembre 2000. Edition : 2010.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Trio Viriditas: Live at Vision Festival IV (Clean Feed - 2008)

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Lors de la quatrième édition du Vision Festival, Trio ViriditasAlfred Harth (saxophones, clarinettes, trompette), Wilber Morris (contrebasse) et Kevin Norton (vibraphone, percussions) – redisait l’implication acharnée de ses membres, et leur savoir-faire discret.

Malgré l’enjeu, qui consistait à évoquer l’époque d’un free jazz historique : Harth aux faux airs de Jimmy Lyons avant qu’il passe à la clarinette basse, puis insistant, faisant toute confiance à l’assurance d’un emportement qu’il a de facile. Ensuite, l’association se fait plus mesurée : fantôme de Coltrane planant sur Hiranyagarbha, swing délicat de Viriditas Waltz, ballade forte de ses lassitudes de Fuer die Katz’s deli(ght) et, en guise de conclusion, une irréprochable reprise de Peace, d’Horace Silver. Pas de plus bel hommage, donc, que cette dernière évocation de Wilbur Morris.

CD: 01/ Wind at the ear says June 02/ And loudspeakers loyal to the sea's deep bass say June 03/ Hiranyagarbha 04/ Melancholy 05/ A wind reads ruts saluting the blue silk beyond pain 06/ Viriditas Waltz 07/ Braggadocio 08/ Fuer die Katz's deli(ght)+Starbucks 09/ Peace >>> Trio Viriditas - Live at Vision Festival IV - 2008 - Clean Feed. Distribution Orkhêstra International.


Frode Gjerstad: A Sound Sight (Ayler Records - 2007)

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Enregistré voici dix ans à la Knitting Factory, A Sound Sight revient sur  l’une des deux rencontres sur scène du saxophoniste Frode Gjerstad et du contrebassiste Wilber Morris. Larrons inspirés forcément en compagnie d’un troisième : le percussionniste Rashid Bakr.

Ancien sideman de Charles Gayle disparu en 2002, Morris dispense ici sa faculté d’écoute impressionnante, validant les propositions rocailleuses de Gjerstad au son de glissandos ou de mouvements d’archet sur lesquels s’accorde le trio malgré la déconstruction mise en place sur Sound. Plus loin, les deux hommes ouvrent ensemble Sight, titre qui recueillera les invectives échappées de l’alto avant d’exposer des égards traînants auxquels les tambours de Bakr opposeront tous les mérites de l’ardeur.

D’abstractions en preuves irréfutables d’une entente immédiate, A Sound Sight diversifie les arguments, et rend irrésistible l’obligation faite aujourd’hui qu’on le télécharge.

CD: 01/ Sound 02/ Sound Sight 03/ Sight

Frode Gjerstad Trio - A Sound Sight - 2007 - Ayler Records. Téléchargement.


Charles Tyler Ensemble: Live at Sweet Basil (Bleu Regard - 2006)

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Ancien partenaire d’Albert Ayler, Sun Ra ou Steve Lacy, et après avoir enregistré sous son nom pour ESP ou Silkheart, le saxophoniste Charles Tyler redonnait en concert (1984) les preuves de sa capacité à mener un ensemble. Auprès de Roy Campbell (trompette), Richard Dunbar (cor), Curtis Clark (piano), Wilber Morris (contrebasse) et John Betsch (batterie).

Malgré le passif free du saxophoniste, c’est l’ombre de Monk qui plane sur cet enregistrement – phénomène dû aux interventions de Clark, souvent, et aux trois standards signés Thelonious que le second disque donne à entendre -, qui sert, dans la plupart des cas, un swing toujours impeccable et jamais clinquant (Bemsha Swing, Life Can Be So Beautiful, Honey Dripper).

Ailleurs, c’est vers d’autres influences que Tyler revient: menant de son saxophone baryton une marche déviante ou un blues qui rappellent les postures facétieuses de l’A.A.C.M. (Surf Ravin, Lucifer Got Uptight), sonnant l’heure d’un hommage angoissé et allant crescendo qu’il adresse à un ancien partenaire (Cecil Taylor Motion), ou dérivant jusqu’à obtenir un cool jazz extirpé d’un amas de dissonances (Reflections).

En deux volumes, Live at Sweet Basil rend compte de l'adresse avec laquelle Tyler savait fondre sa pratique avant-gardiste dans une exigence d’accessibilité tenant du leitmotiv. Sans jamais transiger pour autant.

CD1: 01/ Life Can Be So Beautiful 02/ Cecil Taylor Motion 03/ Surf Ravin 04/ Lucifer Got Uptight 05/ Honeydripper - CD2: 01/Round Midnight 02/ Reflections 03/ Bemsha Swing

Charles Tyler Ensemble - Live at Sweet Basil - 2006 - Bleu Regard. Distribution Orkhêstra International.



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