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Le son du grisli
16 mai 2024

Tokyo Jazz Joints de Philip Arneill et James Catchpole

 

As-tu trouvé une ville natale invisible à Tōkyō ? Dans les mouchoirs américains ? Dans les cafés-jazz de Shinjuku ?

 

Ces mots de Mikami Kan (traduits par Benjamin Mouliets) fantasmeraient l’existence, pour le voyageur étourdi voire égaré à Tokyo, d’endroits capables de l’accueillir et de l’apaiser. Le temps d’une pause qui s’étire en musique, le jazz kissa – monde parallèle en pays étranger – le retire de la course, le fait renouer un peu avec son chez soi tout en lui permettant de vivre une expérience qui n’est possible qu’au Japon : boire (de tout) et entendre (du jazz, principalement), disait-on pour évoquer les premiers volumes de Gateway to Jazz Kissa.

 

Sur le même thème paraît aujourd’hui un autre livre : Tokyo Jazz Joints de Philip Arneill et James Catchpole – le premier est photographe, le second l’animateur du foisonnant Tokyo Jazz Site. L’un et l’autre ont longtemps habité le pays avant de visiter ensemble le maximum de ses jazz kissas et jazz bars : entre 2015 et 2018, pendant que Catchpole s’entretenait verre à la main avec le propriétaire de l’endroit, Arneill le prenait ainsi en photo.

 

Comment ces endroits peuvent-ils encore être ouverts de nos jours ? se demandent les deux hommes. De partage et d’intérêt, le jazz kissa est en effet aussi un lieu de désintéressement : on y tombe la veste – voilà pour les cintres aperçus sur plusieurs clichés – et on se laisse aller de Jim Beam en Jim Hall – même si les figures que l’on y trouve le plus souvent au mur sont celles de Coltrane, Dolphy, Mingus, Evans ou Miles. Sans chercher à répondre à la question posée, parcourons les photos d’Arneill : d’abord les alentours (escaliers et portes du Dug, de l’Eagle, du Rindo, du Corner Pocket…), ensuite les repaires…

 

 

Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

 

Si les photos sont belles, l’œil du photographe est aussi capable de poésie. Ainsi Arneill saisit-il ce wabi-sabi difficile à définir avec des mots : sous un éclairage brun et or, ce sont bien sûr des rangées de vinyles usés (au Charmant, au Samurai, au Billie’s Bar) ou des comptoirs que se disputent le bois des tabourets et le plastique des CD (Old Blind Cat, Corner Pocket, Shiramuren) ; ailleurs, le wabi-sabi se glisse entre deux reliques (autographes, images punaisées, tickets de concerts, mot laissé derrière lui par un client qui jamais ne reviendra) ou anime les silhouettes de ces « jazz joints masters » figés entre écoute et sommeil.

 

Au Goodman de Kobe, un rayon de soleil projette l’ombre d’un contrebassiste sur un disque encadré de Dizzy et Bird : si le musicien en question avait été Charlie Haden, Arneill se serait-il contenté de photographier son ombre ? Peut-être bien. Sorti de ces « jazz joints », ne les photographiait-il pas encore, à distance et parfois de jour (soit à contre-nuit) ? Noise de Tokyo, Naima d’Ota ou Octet de Yamagata : comment, pourquoi y entre-t-on ? Voilà une autre question posée par le livre et voilà un autre mystère. Contre le mur extérieur du York, à Kanazawa, une enseigne lumineuse épouse en rouge et gris le profil de Thelonious Monk : Well, you needn’t. Alors vous y entrez..

 

 

 

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