Marco Eneidi (1956-2016) : portrait, expéditives, autoportrait
En hommage à Marco Eneidi, saxophoniste américain disparu le 24 mai dernier, nous reproduisons ici son portrait, paru dans l'ouvrage Way Ahead, Jazz en 100 autres figures (Le Mot & Le Reste, 2011), et les cinq évocations de disques qui y furent rattachées. En conclusion, on pourra lire, signé de lui à l'époque de l'écriture dudit portrait, un résumé de son singulier parcours de musicien.
Après avoir servi le dixieland à la clarinette, Marco Eneidi passe au saxophone alto : s'entraînant beaucoup, il en apprend encore de musiciens – pour la plupart venus de New York où ils soignent en lofts leur intérêt commun pour l'avant-garde – qu'il va entendre au Keystone Korner de San Francisco. S'il adhère à une esthétique virulente, Eneidi n'en intègre pas moins en 1978 une formation dans laquelle il s'applique à rendre en écoles ou en hôpitaux de grands thèmes du swing jusqu'à ce que lui soit reprochée sa sonorité peu orthodoxe. Ayant peaufiné celle-ci au contact de Sonny Simmons, le jeune homme s'installe en 1981 à New York : là, il prend des leçons de Jimmy Lyons – saxophoniste qu'il entendit à San Francisco dans l'Unit de Cecil Taylor – et intègre à l’occasion de concerts la Secret Music Society de Jackson Krall ou le Sound Unity Festival de Don Cherry. En 1984, Bill Dixon l’accueille à la Black Music Division qu’il dirige au Bennington College : avec le trompettiste, Eneidi se fait entendre en Black Music Ensemble et enregistre Thougts. En trio avec William Parker et Denis Charles, le saxophoniste donne l’année suivante un concert bientôt consigné sur Vermont, Spring, 1986, premier disque autoproduit qui sera suivi d’autres, sur lesquels interviendront à l’occasion Karen Borca, Raphé Malik ou Glenn Spearman. Dans les années 1990, après s’être fait remarquer en compagnie de Cecil Taylor et de premières fois dans le Little Huey Creative Music Orchestra de William Parker, Eneidi anime en association avec Spearman un (autre) Creative Music Orchestra. Pour s’être installé en Autriche en 2004, il pensa ensuite le Neu New York / Vienna Institute of Improvised Music, projet qu’il emmène régulièrement au Celeste Jazz Keller de Vienne.
En compagnie de Karen Borca – bassoniste pour toujours associée à Jimmy Lyons qu’il fréquenta au sein d’un Associated Big Band dans lequel intervenaient aussi Rob Brown ou Daniel Carter –, Marco Eneidi retrouvait trois partenaires fidèles : les contrebassistes William Parker et Wilber Morris et le batteur Jackson Krall. Hanté par le souvenir d’une tournée faite en Espagne avec Cecil Taylor – le pianiste ayant composé pour Eneidi l’atmosphérique « Untitled » –, l’alto passe sur Final Disconnect Notice de pièces de free bop en ombreuses plages de déconstructions. Surtout, contrarie sans cesse son invention mélodique en faisant usage d’une passion vive et décimant.
Peu après avoir défendu Free Worlds en sextette emmené par le pianiste Glenn Spearman, Eneidi retrouvait celui-ci à l’occasion de l’enregistrement de Creative Music Orchestra, premier disque du grand ensemble éponyme que les deux hommes fomentèrent en associés. Là, une suite en six mouvements profite des conceptions rythmiques singulières auxquelles Bill Dixon ouvrit Eneidi – qui signe l’essentiel des compositions à entendre ici et aussi arrangé pour l’occasion « Naked Mirror » de Cecil Taylor. De valses instables en cacophonies superbes, Eneidi et Spearman conduisent de main de maître un orchestre rebaptisé ensuite American Jungle Orchestra.
A l’occasion d’un concert donné à Oakland où il a passé une partie de son enfance, Eneidi retrouvait William Parker en trio. Au poste que Denis Charles occupait sur Vermont, Spring, 1986, trouver sur Cherry Box Donald Robinson, batteur souvent associé à Glenn Spearman et qui démontre là une science presque aussi discrète qu’hautement efficace. Porté par ses partenaires, l’alto déploie en six autres moments un discours instrumental qui doit autant à l’écoute de l’intense ténor de John Coltrane qu’à celle – combinée ? – des altos aériens de Charlie Parker et Ornette Coleman.
Pour le bien de Ghetto Calypso, Eneidi convoquait une autre fois à ses côtés deux contrebassistes : Peter Kowald – qu’il côtoya dans le Sound Unity Festival Orchestra de Don Cherry – et Damon Smith – membre appliqué de l’American Jungle Orchestra. Avec Spirit aux percussions, l’association improvise là des vignettes sur lesquelles l’alto démontre une verve remarquable. Si la paire de contrebassistes de Final Disconnect Notice put faire référence à Olé Coltrane, celle-ci détermine davantage le jeu anguleux d’un saxophoniste fulminant en structures de cordes tendues.
A l’occasion d’un Live at Spruce Street Forum, Marco Eneidi et Peter Brötzmann – autre musicien entendu dans le Sound Unity Festival Orchestra – composèrent un quartette à initiales dans lequel intervenaient aussi Lisle Ellis (contrebasse) et Jackson Krall (batterie). B.E.E.K., de rendre là cinq pièces improvisées : Brötzmann passant de saxophones en clarinette pour mieux défendre en adéquation avec l’alto un free jazz fait de charges héroïques autant que de débandades relativisées par la superbe avec laquelle les musiciens accueillent chaque moment de flottement. Une virulence d’une autre époque peut être, mais incendiaire encore.
Born 1956, November 1st Portland, Oregon; moved to Oakland, california age 5; after high school age 17, went to italy 1974 music conservatory Venice then 1975-76 Portland Oregon Mt. Hood Community College, 1976-1979 Sonoma State University California; was in C.E.T.A. Band 1979-80, moved to NYC 1981. Started playing clarinet age 9, got serious about music and the alto saxophone age 20. First influences in music was soul music, San Francisco blues which led to Missisipee Delta blues, played guitar as teenager. First influence on saxophone was John Coltrane Plays the Blues, then Cannonbal Adderley, Bird, Orrnette, Dolphy etc. First experiences performing outside of school bands was playing clarinet in a dixieland band at the pizza parlour and at old folks homes during high school. Later at age 20-21 played in a restaurant weekly as a duo with a piano player playing standards. Then came the C.E.T.A. Band which we performed every day twice a day for one year in schools and old folks homes/nursing homes. 1978-80 much time was spent in San Francisco going to the Keystone Korner club and hearing all the groups coming thru town, much of which was coming from the NY loft scene. 1981 – NYC lessons w/ Jimmy Lyons, meeting and working with Denis Charles, William Parker, Earl Cross, Don Cherry, Sunny Murray, Jim Pepper. 1984 – started working with Bill Dixon. 1992 – started working with Cecil Taylor. 2005 – formed the Neu New York/Vienna Institute of Improvised Music. Lliving in Wien since November 2004. Marco Eneidi, 12 décembre 2011.
Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint (Cam Jazz, 2014)
Les cinq références Black Saint de ce coffret de rééditions – enregistrements datant de 1979 à 1985 – reviennent avant tout sur l’entente de Jimmy Lyons et de deux de ses plus fidèles partenaires : Karen Borca et Andrew Cyrille.
Ainsi retrouve-t-on l’altiste et le batteur sur trois disques dont deux furent déjà réédités l’année passée en Andrew Cyrille The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note – il faudra donc aller y voir pour se souvenir de Nuba (enregistré avec Jeanne Lee) et Something In Return (composé en duo). Aux doubles, on aura pris soin d’ajouter Burnt Offering, duo enregistré en concert en 1982 – publié une dizaine d’années plus tard et « oublié » dans le coffret Cyrille. De taille, le disque enferme trois pièces démontrant l’intensité du jeu de l’altiste et la stimulante invention du batteur : Popp-A, Exotique et Burnt Offering, qui toutes contraignent le swing à la fronde d’une imagination vertigineuse, double qui plus est.
Lyons aux-côtés de Karen Borca, l’association rappellera une autre boîte. Aux enregistrements de concerts jadis publiés par Ayler Records, font donc écho Wee Sneezawee et Give It Up. Avec le soutien de William Parker et Paul Murphy sur le premier disque, de Jay Oliver et du même Murphy sur le second, le saxophoniste et la bassoniste mêlent leurs voix à deux trompettistes différents : Raphé Malik (autre partenaire fidèle de Lyons) et Enrico Rava. L’épreuve est à chaque fois d’un free altier mais pas toujours de même hauteur : avec Malik, ce sont des courses instrumentales individuelles qui n’interdisent pas d’impeccables relais ; avec Rava, des cavalcades plus empruntées – exception faite de Ballada, merveilleuse conclusion au disque. Voilà donc pour Lyons chez Black Saint. Bientôt, peut-être, une autre réapparition en boîte ?
Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CamJazz)
Enregistrement : 1979-1985. Réédition : 2014.
5 CD : Wee Sneezawee / Give It Up / Burnt Offering / Nuba / Something In Return
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz, 2013)
C’est sur Metamusicians’ Stomp (dont on pourra lire ici une évocation publiée en Free Fight) que l’on tombe en ouvrant The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, coffret enfermant sept enregistrements d’Andrew Cyrille jadis publiés par les deux labels italiens annoncés.
Si Metamusicians’ Stomp célèbre l’association du batteur, de David S. Ware et de Ted Daniel, c’est auprès d’un autre souffleur qu’on le retrouve sur Nuba et Something In Return : Jimmy Lyons. Vibrionnant, au fluet magistral, le saxophoniste alto tisse en compagnie de Cyrille, sur peaux souvent lâches, le cadre dans lequel s’épanouira la poésie écrite et chantée de Jeanne Lee (Nuba, enregistré en 1979). Sans elle, c’est à un exercice plus conventionnel mais néanmoins bouleversant que s’adonnent Cyrille et Lyons : en duo, ils découpent Take the ‘’A’’ Train, y aménageant plusieurs aires de solos avant de s’opposer sur des compositions personnelles (Lorry, J.L., Nuba) qui recèlent d’interventions courtes et d’intentions diverses (Something In Return, 1981). Indispensable, cette réédition nous fait regretter l’absence (l’oubli ?) dans le coffret de Burnt Offering, autre duo que Cyrille et Lyons enregistrèrent pour Black Saint en 1982.
Datant de 1980, Special People est la première des quatre références Soul Note ici rééditées. Cyrille y retrouve Maono (Daniel, Ware et le contrebassiste Nick DiGeronimo) le temps de l’interprétation de trois titres de sa composition et de deux autres signés Ornette Coleman (A Girl Named Rainbow) et John Stubblefield (Baby Man). Ne parvenant déjà pas à remettre la main sur l’harmonie qui fit de Metamusicians’ Stomp ce si bel ouvrage, le batteur se plie en plus aux codes naissant d’une ingénierie sonore adepte de lissage, glaçage et vernis – dont The Navigator (1982) pâtira encore davantage (impossible son – et même jeu – de piano de Sonelius Smith).
La décennie suivante, Andrew Cyrille accompagnera sur références Soul Note le pianiste Borah Bergman ou le violoniste Billy Bang. Dans la boîte, on le retrouve en meneur d’un quartette (X Man, 1993) et d’un trio (Good to Go, 1995) dont le souffleur est flûtiste : James Newton. Clinquant, encore, et un répertoire fait pour beaucoup de morceaux signés de ses partenaires (Newton, Anthony Cox, Alix Pascal, Lisle Atkinson) qui nous incite à retourner aux disques que Cyrille enregistra à la même époque en d’autres formations – avec Oliver Lake et Reggie Workman en Trio 3, notamment : Live in Willisau, par exemple.
C’est dire la puissance des notes emmêlées d’Andrew Cyrille et de Jimmy Lyons : dès les premières, voici relativisées la qualité toute relative des références Soul Note et les quelques impasses de l’anthologie – David Murray voyant paraître ces jours-ci un second volume de ses Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, peut-être est-il réservé à Cyrille le même et enviable sort.
Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz)
Réédition : 2013.
7 CD : CD1 : Metamusicians’ Stomp CD2 : Nuba CD3 : Something In Return CD4 : Special People CD5 : The Navigator CD6 : X Man CD7 : Good to Go, with A Tribute to Bu
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Andrew Cyrille : Metamusicians' Stomp (Black Saint, 1978)
Ce texte est extrait du premier volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
Au gré de nombreuses métamorphoses, le free jazz s’est réinventé. Les meneurs n’étant pas toujours souffleurs, quelques percussionnistes portèrent des coups implacables à la stagnation du genre – malgré tout, d’autres s’y seront enfermés et de plus jeunes s’y enferment encore. Réguliers ou non, tous ces coups furent ad hoc. Ceux d’Andrew Cyrille seraient-ils plus ad hoc encore que les autres, si la chose était seulement envisageable ?
Chaque référence, ou presque, de la discographie de meneur d’Andrew Cyrille répète « les recherches progressent ». Après un Dialogue of the Drums entamé avec Milford Graves, ce sera une poignée de disques enregistrés avec Maono (formation qui ne peut se passer de David S. Ware au saxophone ténor et de Ted Daniel au bugle) : Celebration (présence de Jeanne Lee dont Cyrille célèbrera la poésie l’année suivante sur Nuba en compagnie de Jimmy Lyons), Junction et Metamusicians’ Stomp auxquels on peut ajouter Special People (et même The Navigator, si un original affirmait un jour qu’en fait Maono peut bien se passer de Ware).
Plusieurs fois affichée, l’exceptionnelle nature des forces en présences garantit l’ouvrage signé Maono. Sur Metamusicians’ Stomp, ce sont quatre (le bassiste Nick DiGeronimo est le quatrième) musiciens doués de métalangage sinon ces quatre « métamusiciens » promis, dont le nec plus ultra est cet art qu’ils ont de transmettre avec une facilité déroutante. Sur des compositions de Cyrille dont l’exotisme est un ailleurs où trouver l’inspiration et non pas cette simple promesse de dépaysement musical ; sur une autre de Kurt Weill : slow de salon au cours duquel les danseurs s’emmêleront immanquablement en peaux et pavillons.
A coup de gestes vifs, Cyrille attise donc en acharné quand Ware, à gauche, y va de sa nonchalance écorchée et que Daniel, à droite, découpe de rares fantaisies. Le free annoncé est bien du domaine des souffles, mais ceux-là ne sauraient être sans l’impulsion qui commande partout ici, entretenue par les motifs que DiGeronimo est en charge de faire tourner. Ainsi « Metamusicians’ Stomp » est un jeu de courts schémas imbriqués dont l’accès est libre mais la sortie aléatoire, voire interdite. Sur une face entière, la seconde, « Spiegelgasse » compose en trois temps (Reflections + Restaurants / The Park / Flight) dans les reflets de miroirs disposés près des musiciens : le dit est redit et renvoyé plus loin ; le fait est réverbéré au point que Maono tente en guise de conclusion le rapprochement de deux jazz que tout semblait opposer : cool et free, donc. Etait-il possible que, jusqu’alors, ces deux-là aillent l’un sans l’autre ? « Les recherches progressent », clamait Metamusicians’ Stomp. Et le clame aujourd’hui encore.
Cecil Taylor : The Eighth (HatOLOGY, 2006)
Enregistré le 8 novembre 1981 à Fribourg, The Eighth présente un Cecil Taylor Unit supérieur - quartette comprenant Jimmy Lyons (saxophone alto), William Parker(contrebasse) et Rashid Bakr (batterie), dont le savoir-faire imposera toujours toute réédition.
D’abord invocation mêlée aux attaques percussives raisonnées, Calling It The 8th – découpé ici en trois parties – se met en place sûrement, Lyons et Taylor tissant un curieux contrepoint avant de profiter ensemble des permissions distribuées par le free à la source qu’a toujours défendu le pianiste. Fiévreux, lui plaque ses accords ou déploie des arpèges emphatiques jusqu’à l’étourdissement. Au plus haut, le duo Taylor / Lyons choisit l’éclipse et offre toute la place à la section rythmique. Une voix filtre, à nouveau, avant la nouvelle salve décidée par l’entier quartette. Sarcastique, Bakr peut bien rappeler au temps, la machine, lancée, décide d’elle-même, impose son free acharné, qui s’emparera de la même manière, si ce n’est plus rapidement encore, de Calling It The 9th. Roulant mais aussi plus instable, le morceau permet au saxophoniste de distribuer les plaintes d’une sirène compulsive au beau milieu de la progression torrentielle de Taylor. Annoncée, la frénésie est à son paroxysme, et comble les impasses de clusters sans appel. Qui closent 70 minutes de session rageuse et implacable.
Cecil Taylor Unit : The Eighth (HatOLOGY).
Enregistrement : 8 novembre 1981. Réédition : 2006.
CD : 01/ Calling It The 8th 02/ Calling It The 8th 03/ Calling It The 8th 04/ Calling It The 9th
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
WildFlowers: Loft Jazz New York 1976 (Douglas - 2006)
Mai 1976, New York. 10 nuits durant, se tient le Wildfowers Festival, marathon organisé dans le loft du saxophoniste Sam Rivers, auquel participent une soixantaine de musiciens parmi les plus emblématiques de ceux issus des deux premières générations du free jazz. Wildflowers, aujourd’hui réédité, rend compte de cette décade précise, au son d’une sélection de 22 titres établie par le producteur Alan Douglas.
Alors s’y glissent forcément quelques perles. Parmi elles, l’intervention de l’hôte en personne (Rainbows) et d’un fidèle qui ne manque jamais d’investir un endroit qu'il connaît par coeur, Jimmy Lyons (Push Pull). Plus ramassé, le solo du saxophoniste Marion Brown qui conduit son trio sur And Then They Danced, pièce impeccable.
Sacrifiant tout, parfois, à l’image que le public s’est fait d’une musique de la revendication, les musiciens donnent dans la rage exacerbée, tels Henry Threadgill (Uso Dance), Leo Smith et Oliver Lake (Locomotif N°6), Andrew Cyrille et David S. Ware (Short Short), Sunny Murray (Something’s Cookin’) ou Don Moye accompagnant Roscoe Mitchell (Chant).
Mais la New Thing ne peut se contenter de redire ad vitam sa vindicte, aussi convaincante soit-elle. Elle prend alors d’autres tournures, tisse des parallèles avec la soul (Maurice McIntyre sur Jays), le blues (Hamiet Bluiett fantasque sur Tranquil Beauty), ou même l’Afro beat (Byard Lancaster et Olu Dara sur The Need To Smile), avant qu'Anthony Braxton, Charles Brackeen et Ahmed Abdullah, ou Julius Hemphill, ne fomentent un free plus réflexif (73°-S Kelvin, Blue Phase, Pensive).
Intelligente, la sélection proposée par Wildflowers tient de l’anthologie, quand elle témoigne aussi des possibilités d’une seule et unique salve de concerts donnés par quelques musiciens de choix. Qui évoquent, voire résument, ici, l’époque des Lofts Sessions.
CD1: 01/ Kalaparusha : Jays 02/ Ken McIntyre : New Times 03/ Sunny Murray : Over The Rainbow 04/ Sam Rivers : Rainbows 05/ Henry Threadgill : USO Dance 06/ Harold Smith : The Need To Smile 07/ Ken McIntyre : Naomi 08/ Anthony Braxton : 73°-S Kelvin 09/ Marion Brown : And Then They Danced - CD2: 01/ Leo Smith : Locomotif N°6 02/ Randy Weston : Portrait of Frank Edward Weston 03/ Michael Jackson : Clarity 2 04/ Dave Burrell : Black Robert 05/ Charles Brackeen : Blue Phase 06/ Andrew Cyrille : Short Short 07/ Hamiet Bluiett : Tranquil Beauty 08/ Julius Hemphill : Pensive - CD3: 01/ Jimmy Lyons : Push Pull 02/ Oliver Lake : Zaki 03/ David Murray / Shout Song 04/ Sunny Murray : Something’s Cookin’ 05/ Roscoe Mitchell : Chant
Wildflowers: Loft Jazz New York 1976 - 2006 (réédition) - Douglas Records. Distribution DG Diffusion.
Jimmy Lyons: The Box Set (Ayler - 2003)
Obnubilé par le jeu de Charlie Parker, le saxophoniste Jimmy Lyons excella sous licence hard bop avant d’être repéré, en 1960, par Cecil Taylor. Intégrant dans la minute l’Unit du pianiste, il servira plus que n’importe quel autre sideman cette formation à géométrie variable, profitant de quelques permissions pour mener en parallèle des projets plus personnels. C’est une sélection de ceux-là que The Box Set a choisi de présenter, le long de 5 CD regroupant des séances enregistrées entre 1972 et 1985.
Septembre 1972, d’abord. Lyons mène son quartette dans le studio d’un autre saxophoniste, emblème de l’époque des Loft sessions new-yorkaises : Sam Rivers. Devant public, il engage son discours sur la voie d’un post bop altier, peu à peu conquis par les envolées iconoclastes du saxophone. Capables d’impulsions en lien direct avec celles appréciées de Monk (Round Midnight), Lyons s’autorise la dérive, et s’inscrit ailleurs dans une avant-garde proche de celle défendue par Coleman (Mr. 1-2-5 Street), ou dans une autre, plus personnelle – qui confronte un savoir-faire ancien et une déconstruction audacieuse (Ballad One).
Epris de dialogue, le saxophoniste tisse un lien privilégié avec le trompettiste Raphé Malik ; les deux hommes se partagent les solos avant de confectionner ensemble des imbrications délicates (Ballad One) ou un contrepoint furieux (Gossip). Echange impeccable, auquel Jimmy Lyons s’interdira le recours en juin 1975, au même endroit, lorsqu’il interprètera en trio trois de ses compositions personnelles.
Là, le saxophoniste se trouve seul auprès d’une section rythmique composée du bassiste Hayes Burnett (déjà là en 1972) et du batteur Henry Letcher. Assuré, son alto brave le schéma complexe de Family, embrasse les trente dernières années de l’histoire du jazz, évoquant ici l’agile phrasé de Parker, là, la mutinerie orchestrée d’Ayler. Sur ballast sombre, le saxophoniste développe son propos : faisant se succéder notes brèves et enchaînements déliés sur les pizzicatos affirmés de Burnett (Heritage I), ou préférant prendre la mesure d’une tension allant crescendo (Heritage II).
Attestant des dispositions de Lyons à endosser le rôle de leader, ces deux premières sessions révèlent l’identité saisissante du saxophoniste. Qu’il n’aura cessé de mettre en pratique, et selon d’autres façons encore. Ce 9 avril 1981, par exemple. Où, en solo, il improvise et cite quelques standards en variant à chaque fois ses intentions (Clutter), réconcilie la chute des graves et les accents aigus de son alto (Never), ou défend des impulsions contre-nature avec un tact souverain (Repertoire Riffin’).
Lorsque le saxophoniste renoue, trois ans plus tard, avec une compagnie, c’est pour l’initier à un free exalté et à un jazz savant. Assurés de tenir en place par la précision du batteur Paul Murphy, Lyons et Karen Borca (au basson) installent alors un contrepoint syncopé (Shakin’Back) ou vacillant (Wee Sneezawee) avant de se permettre l’incartade de virulences éclatées (Theme).
Qui vireront, en 1985, à l’acharnement. Sur scène, les mêmes, et le contrebassiste William Parker. Free fortifié, plus que persistant, sur un autre Shakin’Back, un autre Wee Sneezawee ; déconstruction plus tempérée, sur After You Left, plus proche encore de l’inédit à découvrir ; ou construction libre et complexe, sur le rythme sophistiqué de Tortuga.
En guise de conclusion au quatrième disque, un journaliste interroge Jimmy Lyons sur la difficulté de défendre sa propre musique quand on est le sideman attitré d’un musicien tel que Taylor. La réponse, forcément difficile, laisse peu de chance au verbe. Qui préfère trouver ses arguments dans les enregistrements de The Box Set, recueil averti de concerts sans failles.
Jimmy Lyons : The Box Set (Ayler Records / Orkhêstra International)
Edition : 2003.
CD1 : 01/ Jump-Up 02/ Gossip 03/ Ballad One 04/ Mr. 1-2-5 Street 08/ Jump-Up #2 06/ 'Round Midnight - CD2 : 01/ Family 02/ Heritage I - CD3 : 01/ Heritage II 02/ Clutter 03/ Mary Mary Intro 04/ Never 05/ Configuration C 06/ Repertoire Riffin' 07/ Impro Scream & Clutter II - CD4 : 01/ Wee Sneezawee 02/ After You Left 03/ Theme 04/ Shakin' Back 05/ Good News Blues 06/ Itw - CD5 : 01/ Wee Sneezawee 02/ After You Left 03/ Tortuga 04/ Gossip 05/ Shakin' Back 06/ Driads 07/ Jump Up
Guillaume Belhomme © Le son du grisli