Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le son du grisli
14 février 2012

Steve Lacy : The Sun (Emanem, 2012)

steve_lacy_the_sun

Sous le nom de The Sun, Emanem réédite des disques Roaratorio (LP01) et Quark (LP 9998) puis Emanem (CD 4004) augmentés d’inédits datant de 1967 et 1968. Ce faisant, le label élabore un recueil d’importance, qui consigne de charismatiques engagements mis en musique par Steve Lacy sur des « paroles » de Buckminster Fuller, Lao Tseu ou Guillevic. Pour cible de cette salve d’autres shots : la guerre du Vietnam, les massacres faits éléments de civilisation.

Puisqu’il faut nuancer à l’aune des grands textes les définitions simplistes de notions qui en imposent, comme celle, surpassant toutes autres, de « civilisation », reprendre Les transformations de l’homme de Lewis Mumford : « Le comble de l’irrationalité de la civilisation fut d’inventer l’art de la guerre, de le perfectionner et d’en faire une composante structurelle de la vie civilisée (…) La guerre a été l’invention spécifique de la civilisation : son drame fondamental. L’ultime négation de la vie, qui justifiait tragiquement toutes celles qui avaient précédé. » Qui se passionnera pour le sujet pourra aller lire aussi Requiem des innocents, de Louis Calaferte.

Retour au disque. Pour donner d’autres couleurs au monde tel qu’il va, The Sun, première des pièces inédites datées de février 1968, se lève en optimiste sur une exhortation à l’humanité signée Fuller : Irène Aebi en récitante accompagnée de Lacy, Karl Berger (omniprésent au vibraphone), Enrico Rava (trompette) et Aldo Romano (batterie), y défend un théâtre de l’absurde que The Gap changera en morceaux de clameurs retentissants. Enregistrée l’année précédente, Chinese Food (Cantata Polemica) est une protest song qui dirige les mots de Lao Tseu contre la guerre du Vietnam : Lacy, Aebi et Richard Teitelbaum, qui improvise ici pour la première fois aux synthétiseurs, y évoluent en personnages d’un virulent cabaret électroacoustique. Son chant contraste avec deux prises de The Way et deux improvisations enregistrées à Rome quelques mois plus tard par le même trio, inspiré par le même penseur. Cette fois, l’allure est lente : la voie est celle d’un morceau d’atmosphère énigmatique : les longs rubans et galons perturbés d’un Teitelbaum obnubilé par le son du theremin enveloppent les adjurations d’un soprano-ciselet et les conseils lus par Aebi : « The way to do is to be ».

Pour finir, entendre, enregistré à Zurich en 1973, ce Steve Lacy Quintet dans lequel on trouva longtemps, aux côtés de Lacy et Aebi (au violoncelle aussi), Steve Potts (saxophone alto), Kent Carter (contrebasse) et Oliver Johnson (batterie). En quatre temps (inspirés par Anthony Braxton, Buster Bailey, Alban Berg et Lawrence Brown), The Woe rend hommage à Hô Chi Minh au son d’un exercice de poésie et de musique mêlées : un jazz qui clopine lorsqu’il n’est pas anéanti par les combats que les instruments et la mitraille saisissent à même les sons. Une dernière fois, Aebi scande : des mots d’Eugène Guillevic, tirés de Massacres, qui racontent, épaulés par le soprano et sur le tambour de Johnson, ce qu’on gagne à jouer avec les inventions de la civilisation au point de la changer, pour citer Mumford encore, en « long affront à la dignité humaine. »

On a pris ceux-là
Qui se trouvaient là.

On les a mis là
Pour en faire un tas.

On les a mis là
Et maintenant voir

Comme ils font le cri,
Comme ils font la gueule.

Massacres, Eugène Guillevic.

Steve Lacy : The Sun (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1967-1973. Edition : 2012.
CD : 01/ The Sun 02/ The Gap 03/ The Way (introduction) 04/ The Way (Take 5?) 05/ Improvisation (Numero Uno) 06/ The Way (Take 6) 07/ Improvisation (Numero Due) 08/ Chinese Food (Cantata Polemica) 09-12/ The Woe : The Wax (09) The Wage (10) The Wane (11) The Wake (12)
Guillaume Belhomme © le son du grisli

Commentaires
Newsletter