Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Ivo Perelman Expéditives : The Art of the Improv Trio (Leo, 2016)

ivo perelman the art of the improv trio

Après les récentes Expéditives, suite de la saga Ivo Perelman / Leo Records. Cette fois-ci et en six volumes l’art de l’improvisation en trio.

1

Ivo Perelman, Karl Berger, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 1 (Leo Records / Orkhêstra International)
En neuf parties, laisser la quiétude envahir Ivo Perelman, Karl Berger (piano) et Gerald Cleaver. Ne pas s’en étonner tout en espérant les montagnes rusées. Ici, préférer le velouté à l’orage, le méditatif à la césure, le rêve au viscéral, la lamentation à l’ébullition. Et c’est précisément au cœur de cette matière sépia – et parce que peu entendue chez le brésilien – que l’art de Perelman trouve intensité et relief. La saga ne pouvait pas mieux commencer.

2

Ivo Perelman, Mat Maneri, Whit Dickey : The Art of the Improv Trio Volume 2 (Leo Records / Orkhêstra International)
En treize parties, entendre Ivo Perelman ferrailler du côté des aigus de Mat Maneri pendant que Whit Dickey semble ne pas pouvoir s’extraire de son rôle de témoin avisé. Plus loin, les deux premiers gratteront les fréquences graves, batifoleront sans trop de conséquences. Et toujours rechercheront une proximité complice, entraînant ici une inexplicable et regrettable distance.

3

Ivo Perelman, Matthew Shipp, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio volume 3 (Leo Records / Orkhêstra International)
En neuf parties, retrouver les vieux amis Ivo Perelman, Matthew Shipp, Gerald Cleaver et se dire que rien ne pourra les changer. Tout juste souligner la pertinence du projet et remarquer le drumming prégnant du batteur (changements de tons, fausses claudications, souplesse des feintes). Et, bien plus qu’hier, ne plus taire le chuchotement anxieux, détrousser l’harmonie de son miel au profit des parasites pénétrants. Et de conclure ainsi : ils ne changent rien et tout est différent.

4

Ivo Perelman, William Parker, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 4 (Leo Records / Orkhêstra International)
En trois parties, signaler à qui veut l’entendre que ce trio (Ivo Perelman, William Parker, Gerald Cleaver) est une belle chose. Que l’on pourrait arrêter là tout commentaire. Ecrire que l’évidence de la formule rejoint l’évidence de leurs complicités, que le groove de William Parker (souvent inaudible ces derniers temps) invite Gerald Cleaver à hausser le pavillon du continu. Quant au saxophoniste, pénétrant et indéracinable, il porte très haut l’art d’improviser sans contrainte.

5

Ivo Perelman, Joe Morris, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 5 (Leo Records / Orkhêstra International)
En neuf parties, s’étonner du détachement de Joe Morris (guitare) et de Gerald Cleaver face à l’ouragan Ivo Perelman. Puis, suivre le trio se souder et déraciner quelques habitudes. Maintenant, un vagabondage luxurieux aux lignes superposées, bruissantes, ondulantes. Et ce jusqu’à la fin de cet enregistrement.

6

Ivo Perelman, Joe Morris, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 6 (Leo Records / Orkhêstra International)
En deux parties (le seconde, courte et comptant pour le bis d’un concert donné au Manhattan Inn en juillet 2016), retrouver l’urgence du free jazz ; celle des Shepp, Barbieri, Trane, Cyrille, Garrison, Grimes… Puis, se dire que tout cela est bien actuel. S’amouracher maintenant de ce ténor zélé et électrisant (Perelman), de cette contrebasse autonome  et affranchie (Morris) et de ces tambours libres comme l’air de l’Estonie (Cleaver). Et enfin, admirer la constance du trio, son art des reliefs escarpés et son lyrisme abrasif.



Ivo Perelman Expéditives : Corpo, The Hitchhiker, Breaking Point, Blue, Soul (Leo, 2016)

ivo perelman expéditives 2016

Stakhanoviste, Ivo Perelman ? Assurément. Joignons-y également son producteur, Leo Feigin, à l’origine de ces cinq nouveaux enregistrements, lesquels risquent d’être suivis par beaucoup d’autres. Assurément…

corpo

Ivo Perelman, Matthew Shipp : Corpo (Leo / Orkhêstra, 2016)
En douze pièces, se confirme l’entente idéale entre Ivo Perelman et Matthew Shipp. Petits poisons sucrés, effeuillage de l’inquiétude, romantisme perverti, aspérités retenues, menace déclamée avec autorité : peu de montagnes russes ou de virées en ultra-aigus mais deux voix se lovant dans l’étrange épicentre de l’instant.

 hitchikierIvo Perelman, Karl Berger : The Hitchhiker (Leo / Orkhêstra, 2016)
En onze improvisations (certaines en solo), on retrouve la complicité déjà remarquée / appréciée entre Ivo Perelman et Karl Berger. Cette fois au vibraphone, ce dernier fait corps avec le ténor du brésilien : déambulations étirées ou resserrées mais toujours répétées sur fond de lignes cabossées à minima dans lesquelles s’exprime une intimité longtemps retardée chez le saxophoniste. La pépite de cette sélection.

breaking point

Ivo Perelman, Mat Maneri, Joe Morris, Gerald Cleaver : Breaking Point (Leo / Orkhêstra, 2016)
En sept vignettes se reproduisent les hybridations passées. Comme si, (r)assurés de n’avoir rien à renouveler, Ivo Perelman, Mat Maneri, Joe Morris (contrebasse) et Gerald Cleaver n’avaient plus qu’à fureter dans les lits intranquilles de fleuves souvent empruntés. Etreintes resserrées entre le saxophoniste et l’altiste, détachement du contrebassiste, imaginaire fertile du batteur (Cleaver, pardi !), la violence s’énonce et se signe ondulante, plus rarement égosillée. Mais toujours digne d’intérêt.

blue

Ivo Perelman, Joe Morris : Blue (Leo / Orkhêstra, 2016)
En neuf tentatives se dévoile ici un bleu périlleux seulement entaché de minces percées carmins. L’intimité qu’entretiennent Ivo Perelman et Joe Morris (guitare acoustique) boude le solennel, teste leurs culots respectifs, frappe par le danger qu’ils s’imposent. Abrupts, militant plus pour la sécheresse que pour la rondeur, ne sollicitant jamais facilité ou clin d’œil, tous deux cheminent vers un inconnu qu’ils tentent d’appréhender et de rendre ductile. Soyons justes : ils y parviennent parfois.

soul

Ivo Perelman, Matthew Shipp, Michael Bisio, Whit Dickey : Soul (Leo / Orkhêstra, 2016)
En neuf plages, Ivo Perelman, Matthew Shipp, Michael Bisio et Whit Dickey n’altèrent en rien la confiance et l’admiration que l’on porte à leur musique. Mieux : confirment que le cri n’est pas toujours d’exubérance et de stridences. Maîtres du tourbillon (Shipp-Dickey, ou l’art du couple parfait), pourfendeurs des hiérarchies, experts en désaxements, constants dans l’imaginaire, ils cerclent les reliefs d’une sensualité affirmée. A suivre…Assurément…



Luc Bouquet © Le son du grisli


Karl Berger : Gently Unfamiliar (Tzadik, 2014)

karl berger gently unfamiliar

Prenant place dans une même errance, les sept mouvements de Gently Unfamiliar (suite logique de Strangely Familiar) pourraient engendrer ennui et épuisement d’écoute. Le talent et l’à-propos de Karl Berger, Joe Fonda et Harvey Sorgen tiennent  précisément à ne pas dévier de l’idée originelle et, bien plus encore, à nourrir cet espace ouvert d’un suspense-suspension mûrement réfléchi puis intensément consenti. Parfois, de petits soubresauts placés ici et là, pour mieux démontrer leur futilité, opèrent de momentanés virages. Mais chassez le naturel et le calme reviendra très vite au bercail.

De la souplesse de Karl Berger, on écrira peu de choses sinon qu’il évite brillamment litanie et déambulation gratuite pour s’emparer d’une sensuelle et continuelle épure. De Joe Fonda, on retiendra une discrétion à la limite de l'effacement, inhabituel chez lui. D'Harvey Sorgen, on appréciera la science infinie du jeu de balais, un des plus inventifs et surprenants du moment. Soit une errance jamais tarie, toujours recommencée.

Karl Berger : Gently Unfamiliar (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Movement 1 02/ Movement 2 03/ Movement 3 04/ Movement 4 05/ Movement 5 06/ Movement 6 07/ Movement 7
Luc Bouquet © Le son du grisli


Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! (Intakt, 2014)

aki takase alexander von schlippenbach so long eric

L’heure (décembre avancé) est encore à l’hommage, obligé presque par un anniversaire – il y  a cinquante ans, disparut Eric Dolphy. Celui adressé par le couple de pianistes (et arrangeurs pour l’occasion) Aki Takase / Alexander von Schlippenbach a été enregistré plus tôt (19 et 20 juin 2014), en public, à Berlin – où disparut Dolphy.

Les comparses sont plus ou moins anciens – Han Bennink et Karl Berger, jadis recrues du Globe Unity, le saxophoniste alto Henrik Walsdorff ou encore Axel Dörner et Rudi Mahall, moitié de Die Enttäuschung avec laquelle Schlippenbach interprétait encore récemment l’entier répertoire de Thelonious Monk (Monk’s Casino) – qui interviennent sur des relectures que l’audace de Dolphy aurait peut-être pu inspirer davantage.

Ainsi, si de courts solos déstabilisent encore Les, si les dissonances courent d’un bout à l’autre du disque (pianos en désaccord d’Hat and Beard ou embrouillés en introduction d’Out There) et si l’on assomme le motif mélodique à force de décalages rythmiques (Hat and Beard) ou de langueur distante (The Prophet), les forces en présence font avec un manque d’allant jamais contrarié et se satisfont souvent d’évocations entendues. Après être revenu à Dolphy par l’hommage, l’heure (décembre avancé toujours) est désormais à l’envie d'aller l'entendre, lui.

écoute le son du grisliAki Takase, Alexander von Schlippenbach
So Long, Eric! (extraits)

Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! Homage to Eric Dolphy (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 et 20 juin 2014. Edition : 2014.  
CD : 01/ Les 02/ Hat and Beard 03/ The Prophet 04/ 17 West 05/ Serene 06/ Miss Ann 07/ Something Sweet, Something Tender 08/ Out There 09/ Out to Lunch
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

le son du grisli

Image of A paraître : Eric Dolphy de Guillaume Belhomme


Steve Lacy : The Sun (Emanem, 2012)

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Sous le nom de The Sun, Emanem réédite des disques Roaratorio (LP01) et Quark (LP 9998) puis Emanem (CD 4004) augmentés d’inédits datant de 1967 et 1968. Ce faisant, le label élabore un recueil d’importance, qui consigne de charismatiques engagements mis en musique par Steve Lacy sur des « paroles » de Buckminster Fuller, Lao Tseu ou Guillevic. Pour cible de cette salve d’autres shots : la guerre du Vietnam, les massacres faits éléments de civilisation.

Puisqu’il faut nuancer à l’aune des grands textes les définitions simplistes de notions qui en imposent, comme celle, surpassant toutes autres, de « civilisation », reprendre Les transformations de l’homme de Lewis Mumford : « Le comble de l’irrationalité de la civilisation fut d’inventer l’art de la guerre, de le perfectionner et d’en faire une composante structurelle de la vie civilisée (…) La guerre a été l’invention spécifique de la civilisation : son drame fondamental. L’ultime négation de la vie, qui justifiait tragiquement toutes celles qui avaient précédé. » Qui se passionnera pour le sujet pourra aller lire aussi Requiem des innocents, de Louis Calaferte.

Retour au disque. Pour donner d’autres couleurs au monde tel qu’il va, The Sun, première des pièces inédites datées de février 1968, se lève en optimiste sur une exhortation à l’humanité signée Fuller : Irène Aebi en récitante accompagnée de Lacy, Karl Berger (omniprésent au vibraphone), Enrico Rava (trompette) et Aldo Romano (batterie), y défend un théâtre de l’absurde que The Gap changera en morceaux de clameurs retentissants. Enregistrée l’année précédente, Chinese Food (Cantata Polemica) est une protest song qui dirige les mots de Lao Tseu contre la guerre du Vietnam : Lacy, Aebi et Richard Teitelbaum, qui improvise ici pour la première fois aux synthétiseurs, y évoluent en personnages d’un virulent cabaret électroacoustique. Son chant contraste avec deux prises de The Way et deux improvisations enregistrées à Rome quelques mois plus tard par le même trio, inspiré par le même penseur. Cette fois, l’allure est lente : la voie est celle d’un morceau d’atmosphère énigmatique : les longs rubans et galons perturbés d’un Teitelbaum obnubilé par le son du theremin enveloppent les adjurations d’un soprano-ciselet et les conseils lus par Aebi : « The way to do is to be ».

Pour finir, entendre, enregistré à Zurich en 1973, ce Steve Lacy Quintet dans lequel on trouva longtemps, aux côtés de Lacy et Aebi (au violoncelle aussi), Steve Potts (saxophone alto), Kent Carter (contrebasse) et Oliver Johnson (batterie). En quatre temps (inspirés par Anthony Braxton, Buster Bailey, Alban Berg et Lawrence Brown), The Woe rend hommage à Hô Chi Minh au son d’un exercice de poésie et de musique mêlées : un jazz qui clopine lorsqu’il n’est pas anéanti par les combats que les instruments et la mitraille saisissent à même les sons. Une dernière fois, Aebi scande : des mots d’Eugène Guillevic, tirés de Massacres, qui racontent, épaulés par le soprano et sur le tambour de Johnson, ce qu’on gagne à jouer avec les inventions de la civilisation au point de la changer, pour citer Mumford encore, en « long affront à la dignité humaine. »

On a pris ceux-là
Qui se trouvaient là.

On les a mis là
Pour en faire un tas.

On les a mis là
Et maintenant voir

Comme ils font le cri,
Comme ils font la gueule.

Massacres, Eugène Guillevic.

Steve Lacy : The Sun (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1967-1973. Edition : 2012.
CD : 01/ The Sun 02/ The Gap 03/ The Way (introduction) 04/ The Way (Take 5?) 05/ Improvisation (Numero Uno) 06/ The Way (Take 6) 07/ Improvisation (Numero Due) 08/ Chinese Food (Cantata Polemica) 09-12/ The Woe : The Wax (09) The Wage (10) The Wane (11) The Wake (12)
Guillaume Belhomme © le son du grisli


Don Cherry: Live at Café Montmartre, vol. 2 (ESP - 2008)

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Suite et fin du Live at Café Montmartre, qui donne à entendre Don Cherry enregistré en 1966 aux côtés de Gato Barbieri, Karl Berger, Bo Stief et Aldo Romano.

Avec la même fougue et sur les quasi mêmes plaintes, le quintette sert la suite du répertoire qui servit à l’enregistrement, l’année précédente, de Complete Communion et Symphony for Improvisers, références produites par le label Blue Note. Comme pour diversifier l’exposé, Cherry adresse là un hommage à Ayler, son ancien camarade, et atteste de son intérêt croissant pour les musiques du monde : notamment brésilienne, sur l’interprétation, quand même bouleversée, d’Insensatez. Vingt ans plus tard, Don Cherry y reviendra avec Nana Vasconcelos au sein de Codona.

CD: 01/ Intro 02/ Orfeu Negro (Insensatez) 03/ Suite for Albert Ayler 04/ Spring is Here 05/ Remembrance 06/ Elephantasy 07/ Complete Communion >>> Don Cherry - Live at Café Montmartre, vol. 2 - 2008 (réédition) - ESP. Distribution Orkhêstra International.



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