Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Otomo Yoshihide
A l’occasion de la parution du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
J'ai une tendresse infinie pour Otomo, c'est un être d'une bonté rare, et ça me touche avant tout, en fait. L'humain peut conduire à la musique, l'inverse plus rarement. Si je dis cela c'est parce que j'ai rencontré la personne avant sa musique, et c'est cette personne, sa manière d'être au monde, qui m'a guidé vers sa musique, et encore aujourd'hui je crois que c'est toujours le cas. C'est ce qui fait que quoi qu'il puisse faire (et sa pratique est large, multiple et diverse), je vais avoir envie d'aller plus loin.
C'est aussi quelqu'un que j'ai croisé à travers des histoires longues, je veux dire pris dans l'histoire, ce que je suis totalement, intégralement. Celle des filiations, des transmissions, des passages de témoin, avec Takayanagi, Luc Ferrari, le Jazz, la Guitare, le free, l'improvisation, Derek Bailey, Ornette Coleman, Albert Ayler, le Cinéma etc. si je détaille tout cela c'est parce que c'est à l'oeuvre en permanence chez lui. Jouer c'est jouer soi, mais jouer dans une lignée, on est toujours le fils de quelqu'un, le produit d'un époque, d'une société, de cultures et de fantasmes, de passions.
Si j'y repense, à chaque fois, j'ai croisé Otomo dans un contexte qui convoquait des histoires, comme à Kyoto lorsque nous avons joué des pièces de Luc Ferrari et qu'il a retrouvé Fumio Yasuda, qu'il n'avait pas revu depuis plus de 25 ans, à cette époque Fumio jouait avec Takayanagi, dans toute sortes de contextes (des musiques de pub au trio coltranien), et Otomo était son jeune disciple enregistrant tout au premier rang sur K7. Je ne parle pas de son jeu, puisque je viens de l'expliquer au fond. Noël Akchoté
C'est à travers le festival Musique Action que dirigeait Dominique Répécaud que je découvre Otomo avec son projet Ground Zero, grand ensemble qui tient plus de de l'action Fluxus que de l'orchestre. C'est donc d'abord comme platiniste que je l’entends, qu'il joue comme d'une guitare, à grands gestes brutaux comme la main droite d'un guitariste, scratchs qui tournent aux riffs. Il y aura ensuite ISO, cette façon iconoclaste de détourner les technologies de reproduction, de retourner leur usage dans un geste de production sonore. Et puis le duo de guitares avec Taku Sugimoto, et là, la claque.
Ces deux types qui font du silence une partition d'une rare beauté, plaçant quelques notes avec parcimonie, sans laisser leur ego dévorer le silence à travers une démonstration technique, narcissique. Il faut être d'une grande humilité pour arriver à ça, ou d'une grande humanité. Otomo m'avait parrainé pour ma résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto, m'avait accordé du temps pour des entretiens passionnants, m'avait introduit auprès d'autres musiciens japonais, passeur quoi.
Sa filiation avec Takayanagi est évidente - il joue d'ailleurs sur la vieille Gibson ES 175 de son maître - quand il reprend Coleman ou Charlie Haden, mais là où il va plus loin, c'est dans sa maitrise du feedback, sa façon de musicaliser le feedback, d'en faire un truc sensuel, son économie dans le jeu, c'est comme de la calligraphie sonore, une ligne tracé dans l'air de lui à nous. Michel Henritzi