Feedback: Order from Noise (Mikroton, 2014)
L’ordre venu du bruit (le bruit mis en ordre ?) – parfois au plus proche du silence (là où les acouphènes peuvent faire œuvre, elles aussi) – que cette compilation nous propose n’est pas nouveau. Son esprit l’est encore moins. C’est (déjà) qu’elle est le fruit d’une tournée organisée en 2004, au Royaume-Uni. C’est (ensuite) que ses participants (Knut Aufermann, qui a pensé le projet et cette compilation, et puis Xentos Fray Bentos, Nicolas Collins, Alvin Lucier, Toshimaru Nakamura, Billy Roisz, Sarah Washington et Otomo Yoshihide) ont une réputation à entretenir, si ce n’est à défendre.
Alvin Lucier, bien sûr, qui, avec Bird and Person Dyning, n’en compose pas moins une pièce qui convoque chants d’oiseaux et aigus de synthèse qui interrogent la résistance de l'oreille ; Otomo Yoshihide, aussi, qui, à force de vrombissements de guitares et de soubresauts de platines, organise un bel ouvrage de feedbacks (DDDD) ; Toshimaru Nakamura, encore, qui commande des déferlantes électroniques sur un silence capable de les avaler les unes après les autres (nimb 24/06/04) ; Nicolas Collins, enfin, qui, grâce à des machines de son invention, maîtrise de longs larsens et même d’impressionnantes oscillations (Pea Soup + Mortal Coil).
Et puis il y a cet Order from Noise Ensemble, c’est-à-dire tous les musiciens (si ce n’est Lucier) chantant ensemble : qui se mettent à distance de tout bruit excessif (Lullaby), travaillent à un crescendo de noise définitivement sage (Block 3) ou étouffent le thème imposé (le feedback, rappelons-le) sous un coffre de graves (Block 2). Cette dernière prise est, comme quatre autres, illustrée par Roisz sur un DVD : si ses vidéos « péritel » n’apportent pas grand-chose au propos des musiciens – ni à l’œil de l’auditeur –, elles n’empêchent pas qu’on les entende : d’autant qu’au son de son duo avec Nakamura (CNS), la voici toute excusée.
Feedback: Order from Noise (Mikroton)
Enregistrement : juin-juillet 2004. Edition : 2015.
2 CD + 1 DVD : Feedback: Order from Noise
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Roger Turner, Otomo Yoshihide : The Last Train (Fataka, 2015)
S’ils avaient déjà improvisé ensemble (Screen), Otomo Yoshihide et Roger Turner n’étaient plus que deux – même si enregistrés par Taku Unami – ce 17 février 2013 au Hara Museum de Tokyo.
Après avoir dompté et même enfoui un premier feedback, le guitariste informe son partenaire qu’il prendra son parti : ce sont deux percussionnistes qui, l’un à l’aiguille, l’autre au poing, se cherchent entre deux silences, et finissent par se trouver : l’accord n’étant pas d’impatience mais d’attente (The Wait) intelligemment transformée. Silence encore au moment de faire signe, les coups sont maintenant donnés et deux pratiques (désormais dissociées) s’affrontent. Le métal tinte et tonne bientôt sur les cordes qui crissent : quelques minutes seulement, avant que les relents de guitare fassent leur œuvre d’une batterie en morceaux.
Dans la collection de guitaristes que s’est constituée Turner (Bailey, Russell, Akchoté, Munthe), Otomo Yoshihide est un spécimen rare – du genre de ceux que l’on connaît, certes, mais dont on attend à chaque fois beaucoup de la mue prochaine. La capture est à sa hauteur.
Roger Turner, Otomo Yoshihide : The Last Train (Fataka)
Enregistrement : 17 février 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ The Wait 02/ The Sign 03/ Crack 04/ Run
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Peter Brötzmann Chicago Tentet : Concert for Fukushima (Pan Rec / Trost, 2013)
Assez solides, les planches du Stadttheater de Wels, Autriche, pour accueillir, le 6 novembre 2011 à l'occasion d'un hommage aux victimes de la catastrophe de Fukushima, le Chicago Tentet de Peter Brötzmann augmenté de quatre Japonais de poids (Toshinori Kondo, Michihiyo Yagi, Otomo Yoshihide et Akira Sakata).
Les caméras de Pavel Borodin montrent tout de même qu'un invité chasse l'autre auprès de l'épaisse formation : Kondo, d'abord, se ralliant sur l'instant à la fougue qui emporte un hymne que l'on croirait illustratif ; Yagi, dont les kotos encouragent les vents à redoubler d'ardeur, et qui se recueillera seule sur les deux notes d'une berceuse, parenthèse refermée par un Tentet alarmant ; Yoshihide, cinglant d'abord à la guitare, puis occupé à de patientes recherches sur l'harmonie des lignes à l'invitation de Brötzmann, Vandermark et Gustafsson – un motif de trois notes qu'il mettra au jour et fera tourner relancera la furieuse machine ; Sakata, pour conclure, sur une pièce qui double souvent tel instrument privilégié : course d'alto entamée avec Brötzmann à laquelle feront écho Bishop et Bauer, puis clarinette couplée à celle de Vandermark, combinaison qui attirera tous les musiciens à elle.
Ce sont-là quatre paysages jouant d'éléments différents mais d'une force partagée, et de caractéristiques nées de leur rencontre : méditative, habile, espiègle, ardente.
Peter Brötzmann Chicago Tentet : Concert for Fukushima, Wels 2011 (PanRec / Trost / Metamkine)
Enregistrement : 6 novembre 2011. Edition : 2013.
DVD : 01-04/ Japanese Landscapes 1-4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Madame Luckerniddle (Vandoeuvre, 2012)
De ce concert-labyrinthe, il faut connaître la genèse : Sainte Jeanne des Abattoirs est créé en 1929 par le jeune Bertolt Brecht. En 1998, Marie-Noël Rio avec l’aide de seize acteurs-musiciens met en scène la pièce de Brecht. Tom Cora en compose la musique. Parallèlement, Tom Cora, Zeena Parkins, Luc Ex et Michael Vatcher créent Madame Luckerniddle du nom d’un des personnages de la pièce. Quelques semaines avant le concert du quartet au Musique Action de Vandoeuvre, Tom Cora disparait. Ses amis (Catherine Jauniaux, Phil Minton, Zeena Parkins, Christian Marclay, Otomo Yoshihide, Luc Ex, Michael Vatcher, Veryan Weston) décident alors de lui rendre hommage.
De ce concert-labyrinthe, il faut reconnaître l’éclat, l’intensité. La révolte brechtienne est là qui trouve son écho dans les compositions du violoncelliste : harmonie minimale interrompue par des improvisations vocales emportées, modulations ouvrant la porte à toutes les euphories-utopies. Le chant se porte haut et fort : césures perçantes, rigoureuses et bouleversantes de Catherine Jauniaux (Chut) ; sensibilité du couple Weston-Minton (Helliphant). Le concert s’achève avec The Anarchist’s Anthem : n’en doutons point, les quatre murs sont déjà là.
Madame Luckerniddle : Madame Luckerniddle (Vandoeuvre / Allumés du jazz)
Enregistrement : 1998. Edition : 2012.
CD : 01/ Madame Luckerniddle, Part 1 02/ Madame Luckerniddle, Part 2 03/ Madame Luckerniddle, Part 3 04/ Helliphant 05/ Indicible 06/ A nous ! 07/ Madame Luckerniddle, Part 4 08/ Madame Luckerniddle, Part 5 09/ On the Other Side 10/ Him 11/ Chut 12/ The Anarchist’s Anthem
Luc Bouquet © Le son du grisli
Satoko Fujii, Otomo Yoshihide : Perpetual Motion (Ayler, 2023)
Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir.
C’est la première fois que Satoko Fujii et Otomo Yoshihide enregistrent ensemble. C’était le 10 janvier 2022, en terrains connus : Pitt In, à Tokyo, et improvisation.
Fujii décoche quelques flèches qu’Otomo évite pour se tenir dans l’ombre : c’est le premier des quatre Perpetual Motion à entendre sur le disque. Le piano soulève des tapis de notes qui gonflent puis disparaissent ou offre quelques-unes de ses cordes aux pincements ; la guitare embrasse ou embrase et les uns et les autres.
Le mouvement perpétuel, c’est celui qui fait effet et, par cet effet, dispense qu’on le relance. Un léger ralentissement fit craindre une interruption, or la musique continue : Perpetual Motion II profite de l’osmose entre piano et guitare, arrangeant leurs notes éparses (graves de l’un, grippages de l’autre) en un implacable environnement.
Si la suite (III) envisage un retranchement dans une improvisation plus entendue, elle n’est que l’affaire de quelques minutes et amorce surtout la conclusion de l’échange (IV). Un quart d’heure, alors, d’une abstraction que se disputent arpèges et sifflements. Après quoi... Repeat est cette touche activée de la platine qui, une fois le disque terminé, dispense qu’on le relance.
Satoko Fujii, Otomo Yoshihide : Perpetual Motion
Ayler Records
Enregistrement : 10 janvier 2022. Edition : 2023.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Clare Cooper, Chris Abrahams : Germ Studies (Splitrec, 2011)
Un poster livré avec Germ Studies fait apparaître un tableau de « germes » dessinés qui ont inspiré Clare Cooper (à la cithare / guzheng) et Chris Abrahams de The Necks (au synthétiseur DX7). Sur 5 ans, le duo a donné voix (et donc bruits) à ces monstres inventés sous le crayon de ses connaissances (allons-y : Oren Ambarchi, Lawrence English, Axel Dörner, Otomo Yoshihide, Xavier Charles, Tony Buck, Clayton Thomas, Robbie Avenaim, Jim Denley, Tetuzi Akiyama, Sean Baxter, Mazen Kerbaj, C Spencer Yeh, Robin Fox, Anthea Caddy, Annette Krebs, Andy Moore, Andrea Neumann, Stephen O’Malley, Robin Hayward, Kai Fagaschinski, Keith Rowe, Werner Dafeldecker, Jean-Philippe Gross, Mike Pride…).
Leurs études d’entomologie imaginaire auront pris cinq ans à Cooper et Abrahams. Leur mémoire de fin d’étude tient en deux CD. Une collection de miniatures sonores qui partent dans tous les sens. Cela peut être abstrait, électronique, concret, rythmé ou non, ou tout cela à la fois. Sous le microscope, les microsystèmes, pour qu’on les laisse tranquilles, lâchent un son ou deux ; Abrahams et Cooper peuvent passer au suivant. A la fin, une germination folle a donné un projet surréaliste et méritant. Locality & Reproduction?
Chris Abrahams, Clare Cooper : Germ Studies (Splitrec / Metamkine)
Enregistrement : 2003-2005. Edition : 2011.
2 CD + 1 Affiche : Germ Studies
Pierre Cécile © Le son du grisli
Otomo Yoshihide, Axel Dörner, Sachiko M, Martin Brandlmayr : Allurements of the Ellipsoid (NEOS, 2010)
Ces allurements, autrement dit attirances, concerneraient des musiques expérimentales envisagées à Berlin pour l’une, à Vienne pour l’autre, à Tokyo pour les dernières. Non pas nationales, mais géographiques, réunies en 2005, et trois jours durant, à Donaueschingen (latitude : 47.9594, longitude : 8.4989).
Sorte de jumelage concrétisé en terrain d’entente, ces Allurements of the Ellipsoid sont quatre qui célébrèrent autant de pratiques instrumentales délicates – si l’on compte pour une et une seule celle d’Otomo Yoshihide qui manie ici électronique, platines et guitare, et à qui le présent quartette aurait dû emprunter le nom. Ses trois autres éléments : Sachiko M (ondes sinus), Axel Dörner (trompette) et Martin Brandlmayr (batteries et percussions).
Tous engins de pressions intiment à l’instant de former sa musique à partir de souffles blancs, de frottements sur caisse claire ou de métal en résonance, de ronflements et d’aigus courts ou longs. Parmi l’ensemble et tout en l’augmentant sans cesse, les musiciens parviennent à faire œuvre de cohésion. Les éléments les plus concrets – la frappe régulée de Brandlmayr, les cordes lasses dans lesquelles bute Yoshihide – n’affaiblissent pas l’abstraction du propos mais l’encadrent et l’ennoblissent, la parachèvent.
Dörner, en débiteur de courant d’air ou en soliste monomaniaque, et Sachiko M, en projeteuse d’aigus et de microcontacts, agissent davantage en perturbateurs nécessaires : il faut que sonne l’heure des luttes pour provoquer l’invention et faire que ses formes varient. La fin sera d’ailleurs ténébreuse : la guitare s’y lèvera pour geindre avant que le calme l’emporte : sa trajectoire est une dernière ellipse.
Otomo Yoshihide, Axel Dörner, Sachiko M, Martin Brandlmayr : Allurements of the Ellipsoid (NEOS / Codaex)
Enregistrement : 10-12 octobre 2005. Edition : 2010.
CD1 : 01/ Allurement 1 02/ Allurement 2 – CD2 : 01/ Allurement 3 02/ Allurement 4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Zai Kuning, Otomo Yoshihide, Dickson Dee : Boof from Hell (Doubt, 2010)
Souvenir d’un concert organisé par Zai Kuning (Singapour, 18 septembre 2008), Book From Hell donne à entendre le guitariste et vocaliste improviser en compagnie d’Otomo Yoshihide (guitare, platines, percussions) et Dickson Dee (électronique).
Une longue pièce mise en place sur chuintements d’éléments de percussions métalliques. Une incantation, ensuite, qu’ose Kuning en ouverture : la voix invoque et fait se lever un bataillon de chocs et de sifflements, de larsens et de grondements. Mais l’invective de Book from Hell sera aussi – presque davantage, même – de rétentions.
Souvent, en effet, le trio trouve refuge en discrétions et en silences. Longs, ceux-là. A bien y écouter, le silence semble non plus être envisagé comme référent ou recours, mais comme retraite anticipée, qui sera prolongée d’autant que l’invective à le précéder fut véhémente. Alors, d’un silence à l’autre, le trio compose avec intelligence, qu’il en appelle à un rythme régulier ou refuse à ses interventions tout rapport au temps qui passe. S’il joue des contrastes, Book from Hell les arrange surtout avec un à-propos musical prodigieux et un troublant art de la mesure.
Zai Kuning, Otomo Yoshihide, Dickson Dee : Book from Hell (Doubt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 septembre 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Boof From Hell
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Cette chronique n'est pas tirée du deuxième hors-série papier du son du grisli, sept guitares. Elle n'illustre donc pas le portrait d'Otomo Yoshihide.
Emergency! : Live in Copenhagen (Jvtlandt, 2010)
Fin 2006, Emergency! – Otomo Yoshihide et Ryoichi Saito (guitares), Hiroaki Mizutani (basse) et Yasuhiro Yoshigaki (batterie) – donnait en concert à Copenhague ses lectures de compositions d’origines éparses : Re-Baptizum (Yasuhiro Yoshigaki), Sing Sing Sing (Louis Prima), Fables of Faubus (Charles Mingus) et The Inflated Tear (Roland Kirk).
La composition du batteur est une pièce d’atmosphère longue et un mélange brouillon de rock et de jazz où les musiciens se contentent assez bien de lentement tourner à vide. Mieux : le titre de Prima revêt les atours d’une danse amusée qui croulera bientôt sous les guitares.
Mieux encore – au point que le disque commence ici à intéresser enfin –, cette lecture des Fables of Faubus : le rythme est ralenti, les graves abondent et déstabilisent l’installation du thème avant que les guitares s’emmêlent joliment sur un gimmick que Mizutani tient par la gorge. Dans le sillage, The Inflated Tear ira à son rythme et en flottant, distribuant larsens et bourdons avec un art grandiloquent de la provocation. Aux amateurs de guitare et d’électricité, l’heureux soulagement en standards de jazz réanimés.
Emergency! : Live in Copenhagen (Jvtlandt)
Enregistrement : 12 juillet 2006. Edition : 2010.
CD : 01/ Re-Baptizum 02/ Sing Sing Sing 03/ Fables of Faubus 04/ The Inflated Tear
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Otomo Yoshihide : Bells (Doubt, 2010)
Dans le même temps qu’il servait son obsession pour Lonely Woman, Otomo Yoshihide prenait la tête du même New Jazz Trio et du même New Jazz Trio augmenté – Sachiko M et Jim O’Rourke – le temps d’investir deux fois Bells d’Albert Ayler.
En quintette : la relecture est fauve, qui compose d’abord avec les agressions des ondes sinusoïdales et les vociférations de la guitare électrique ; la dérive est faite de multiples déviations instrumentales, parmi lesquelles Yoshihide parviendra à glisser les notes arrêtées de l’hymne inspirant. En trio : la guitare électrique désormais sans effets mais déformée par un vibrato obséquieux en appelle à une autre évocation. Qui fera pourtant elle aussi avec la multiplication de bruits que chance et opportunités transporteront autant que le transport roulant de la section rythmique. Dernières inspections des tirants et Yoshihide termine sous l’archet d’Hiroaki. Si la préférence ira à Lonely Woman, ces deux versions de Bells seront conseillées quand même.
Otomo Yoshihide’s New Jazz Trio : Bells (Doubt / Metamkine)
Enregistrement : 5 août 2010. Edition : 2010.
CD : 01/ Bells 02/ Bells
Guillaume Belhomme © Le son du grisli