Le son du grisli

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Matthieu Saladin : Esthétique de l’improvisation libre (Les Presses du Réel, 2014) / De l'espace sonore (Tacet, 2014)

matthieu saladin esthétique de l'improvisation libre

Au printemps 2010, Matthieu Saladin soutenait, à la Sorbonne, une thèse dont le titre, « Esthétique de l’improvisation libre », cachait un sujet passionnant : la naissance de l’improvisation européenne sous l’impulsion de trois ensembles de taille : AMM, Spontaneous Music Ensemble et Musica Elettronica Viva. Si elle respecte un « cahier des charges » universitaire – emploi de la première personne s’adressant à une audience, implication de cette même personne à persuader, démontrer… –, la thèse en question est aujourd’hui un livre tout aussi passionnant que son sujet.

Dans laquelle on trouve une citation d’Eddie Prévost (l’autre penseur de l’improvisation, avec Derek Bailey, dont le livre fait aussi grand cas) qui avoue que l’intention d’AMM était, à l’origine,  « dégagée de toute théorie, s’effectuant d’elle-même à travers un processus où semblaient se mêler radicalité esthétique et tâtonnement ». Mais les choses changent, dont Saladin expose alors les grands principes. Ainsi, quand AMM s’adonne à une self-invention – nécessité que Keith Rowe met en parallèle avec la démarche des plasticiens qui ne peuvent imaginer créer « à la manière » d’un autre artiste – mue par une recherche d’individualisation dans le son et même une certaine esthétique de l’échec (there is no guarantee that the ultimate realisations can exist, AMMmusic 1966), John Stevens impose, à la tête du SME, une improvisation collective plus volontaire et MEV affranchit ses membres (Alvin Curran, Frederic Rzewski, Richard Teitelbaum…) des convenances « du » composer.

Si les différents enjeux et les différentes méthodes permettent aux groupes de se distinguer, ils n’en démontrent pas moins quelques intérêts communs que Saladin examine dans le détail : nouveau rapport de la libre création musicale au collectif, au règlement, à l’expérimentation, à son environnement social et politique, même, auquel elle oppose bientôt ses propres vérités. Ainsi, depuis le début des années 1970 qui circonscrit cette étude, l’improvisation libre, obligée au constant renouvellement, se trouve-t-elle assurée d’actualité.

écoute le son du grisliMatthieu Saladin
Esthétique de l'improvisation (Introduction)

Matthieu Saladin : Esthétique de l’improvisation libre. Expérimentation musicale et politique (Les Presses du Réel)
Edition : 2014.
Livre, 13X17 cm, 400 pages, ISBN : 978-2-84066-471-0
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



tacet 03 de l'espace sonore

Dans l’introduction qu’il signe au troisième numéro de Tacet, Matthieu Saladin, qui dirige la revue (et a coordonné son troisième numéro en collaboration avec Yvan Etienne et Bertrand Gauguet), explique que les textes d’auteurs et d’époques différents qu’on y trouve permettront au lecteur « d’arpenter l’espace sonore » « par l’étude ».

Ce sont alors, dissertant ou documentés, Alvin Lucier, Michael Asher, Seth Cluett, Eric La Casa et Jean-Luc Guionnet, Maryanne Amacher, Paul Panhuysen, Christian Wolff… qui, chacun à leur manière, fragmentent pour mieux le détailler un territoire qu’on prend en effet plaisir à arpenter. Afin de ne pas égarer le lecteur, Saladin a pris soin de glisser dans l’épais volume une carte étonnante, Sound Space Timeline 1877-2014, qu’il a élaborée avec Yvan Etienne et Brice Jeannin. Dépliée, celle-ci confirme que le territoire est vaste, qui va des terres de Thomas Edison à cette ancienne cuve de pétrole à la réverbération exceptionnelle récemment découverte dans les Highlands.

Tacet N°3 : De l’espace sonore / From Sound Space (HEAR / Les Presses du Réel)
Edition : 2014.
Livre / Revue, 429 pages, ISBN : 978-2-84066-717-9
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Spontaneous Music Ensemble : Oliv & Familie (Emanem, 2014)

spontaneous music ensemble oliv & familie

Enfermant désormais ses rééditions en élégants digipacks à volets, Martin Davidson n’oublie jamais d’y coucher quelques notes qui remettent la référence rééditée dans son contexte (musical, social, historique même). Ainsi, explique-t-il ici qu’Oliv & Familie (jadis sorti sur Maramalade, soit Polydor) est le troisième disque du Spontaneous Music Ensemble à avoir été édité, et aussi le premier à exposer un SME de cette taille.  

Dix musiciens – dont Trevor Watts, Evan Parker, Derek Bailey et Dave Holland –, auprès de John Stevens, pour l’enregistrement de Familie (deux versions) en janvier 1968. Sous influence japonaise (Davidson attire d’ailleurs notre attention sur le mouvement lent du gagaku), le groupe suit une partition dont les longues notes (voix de Pepi Lemer et Norma Winstone, flûte de Brian Smith) mettent à mal les lignes parallèles jusqu’à ce que le piano de Peter Lemer provoque les perturbations qui engageront les musiciens à abandonner la semi-composition pour une improvisation libre – qu'expressions concentrées, chutes de tension et éclats individuels, éloigneront peu à peu du bourdon qui composait sa trame.

C’est à neuf qu’a été enregistrée la première des deux variations d’Olive datant de l’année suivante. Aux voix, Pepi Lemer, Carolann Nicholls et Maggie Nicols, installent un autre bourdon, aux strates oscillantes, sur lequel Kenny Wheeler et Derek Bailey s’accordent bientôt avant de suivre les intérêts communs de Peter Lemer et Johnny Dyani : et le jazz gagne l’improvisation. Du même thème, Stevens fera tout autre chose encore en compagnie de Nicols, Watts et Dyani. Oliv II est ce quart d’heure que la voix et le saxophone alto s’approprient en douce. Leur dialogue, découpé, paraît écrit sous le coup de surprises. La composition instantanée que peut, parfois, être l'improvisation a-t-elle jamais aussi bien porté son nom ?

Spontaneous Music Ensemble : Oliv & Familie (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1968-1969. Réédition : 2014.
CD : 01/ Familie 02/ Oliv I 03/ Oliv II 04/ Familie (alternative ending)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Bobby Bradford : With John Stevens and the Spontaneous Music Ensemble (Freedom, 1971)

bobby bradford john stevens

Ce texte est extrait du quatrième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

C’est à Londres, en 1971, que Bobby Bradford enregistra en compagnie du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens. A l’intérieur de celui-ci, on trouvait l’incontournable saxophoniste Trevor Watts et puis la vocaliste Julie Tippetts, le tromboniste Bob Norden et le contrebassiste Ron Herman. Watts se souvient des circonstances : « Celui qui a suggéré à Bobby que John Stevens et moi étions les musiciens anglais qui pourraient faire honneur à sa musique, c’est le journaliste Richard Williams, qui travaillait à l’époque au Melody Maker. Il a, en quelque sorte, joué les agents de liaison… »

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Dans les notes du livret accompagnant la réédition sur deux CD de ces séances – sous étiquette Nessa, label qui les réédita une première fois sur vinyle au début des années 1980 –, Bobby Bradford confirme : « A l’été 1971, j’appartenais à un groupe de professeurs de l’enseignement public qui avait organisé un séjour en Angleterre pour peu cher. A cette époque, je n’avais pas le moindre contact à Londres, mais en Californie, on m’avait donné un nom : Richard Williams. Quand j’ai appelé Richard, il m’a dit qu’il aimerait que je rencontre quelqu’un. Quelques heures après, John, Trevor et moi jouions ensemble, et le jour d’après Bob Norden, Julie Tippetts et Ron Herman, se sont fait une place sur la photo. Nous avons donné quelques concerts dans des pubs de Londres et ses environs puis nous sommes entrés en studio. Ce fut un événement magnifique : totalement spontané, enivrant, fou… Pour John, Trevor et moi, ça a été le début d’une longue et fructueuse collaboration. »

Depuis le milieu des années 1960, le Spontaneous Music Ensemble travaille à son adaptation du free jazz. Né au Little Theatre Club de la cuisse du quintette que Trevor Watts et le tromboniste Paul Rutherford menaient de concert et dont John Stevens tenait la batterie, le groupe appliqua à ses improvisations les processus compositionnels élaborés par ce-dernier – qui voudra en apprendre davantage sur les click et sustained pieces devra aller lire l’ouvrage, récemment réédité par Rockschool, Search and Reflect : Concepts and Pieces by John Stevens.

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A l’origine du double disque né des efforts de Nessa, il y a un disque unique, édité en 1974 par le label Freedom. Faisant fi des compositions de Bradford – « Room 408 », « His Majesty Louis », en hommage à Armstrong –, il consigne une improvisation et deux compositions de Stevens capables de permettre la rencontre du jazz inventif et de l’improvisation telle qu’on l’applique alors en Angleterre. A en croire Watts encore, malgré l’enjeu, l’atmosphère est accommodante : « Bobby était sans arrêt disposé au mieux. Après chaque concert (à l’époque, je fumais encore), nous partagions d’excellents cigares cubains qu’il avait apportés. C’était sa façon à lui de célébrer les moments que nous passions ensemble. Côté musique, il a toujours été très ouvert… »

Côté musique, pour s’en tenir au contenu du disque Freedom, Bobby Bradford With John Stevens and the Spontaneous Music Ensemble est un enregistrement remarquable. En ouverture, trouver trois pièces de Stevens assemblées : « Trane Ride », « Ornette-Ment » et « Doo Dee », qui déploient une dramaturgie sonore aux multiples confrontations. Stevens y tient le rythme, les souffleurs y bataillent avant de se tourner le dos pour s’exprimer en individualistes : replis dans le free jazz, Watts sifflant lorsque Bradford claironne. Une improvisation, ensuite : « Bridget’s Mother ». De l’autre côté du miroir, l’association déroule le fil ténu qui sort de la bouche de Tippetts : l’indolence suit un principe de réflexion, trompette et alto font œuvre d’artifices quand Stevens tient le silence en respect entre deux baguettes. La batterie réapparaît sur l’autre face : « Tolerance / To Bob » est d’abord une marche désespérée qui respecte l’allure d’une valse perdue ; « Tolerance / To Bob » est ensuite un aveu de mordant retrouvé : Stevens y commande : Watts évoquant Archie Shepp à l’alto, Bradford comblant son free de lyrisme hautain, Tippetts brillant en épileptique inspirée. Le dosage est précis et la formule intense : on y trouve une véhémence doublée de mystère ; un chant unique élevé en brumes océanes.

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Spontaneous Music Ensemble : Bare Essentials 1972-3 (Emanem, 2008)

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D’enregistrements qu’il possédait sur cassettes, le saxophoniste Trevor Watts a composé Bare Essentials, compilation d’improvisations nées de sa collaboration en duo avec John Stevens entre 1972 et 1973.

Deux disques reviennent sur les efforts à mettre du compte au Spontaneous Music Ensemble, qui donnent à entendre Stevens passant de la batterie au cornet pour répondre aux injonctions de Watts. Dialogues décousus, élans pseudo-rythmiques et déferlements baroques, ou duo d’instruments à vents amassant leurs plaintes pour évoluer ailleurs en parallèles susceptibles de dévier, tout célèbre l’improvisation sauvage : tourmentes européennes envoûtées par une expression altière.

Spontaneous Music Ensemble : Bare Essentials 1972-3 (Emane / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1972-1973. Edition : 2008.
2 CD : CD1 : 01/ In The Midlands 02/ In The Middle 03/ Three Extracts 04/ Por Phil - CD2: 01/ Newcastle 72A 02/ Newcastle 72B 03/ Open Flower 1 04/ Open Flower 2 05/ Open Flower 3 06/ Open Flower 4 07/ Open Flower 5 08/ Open Flower 6 09/ Open Flower 7 10/ Opening The Set 11/ Beyond Limitation 12/ Lowering The Case
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Spontaneous Music Ensemble: Frameworks (Emanem - 2007)

spontgrisliEn 1968, 1971 et 1973, le percussionniste John Stevens menait à Londres trois versions différentes de son Spontaneous Music Ensemble.

La première année, Norma Winstone dépose ses vocalises descendantes sur le bourdon étrange que forment Kenny Wheeler au bugle et Paul Rutherford au trombone. Notes longues portées haut par chacun des instruments (ajouter la basse clarinette de Trevor Watts), qui simulent chutes et rétablissements, tirant des dissonances de leurs confrontations. De plus en plus présent, Stevens finit par convaincre son ensemble des charmes d’une cacophonie libératrice (
Familie Sequence
).

Deux ans plus tard, le batteur retrouve Watts et invite Julie Tippett et le contrebassiste Ron Herman. Compulsif, mais aussi plus mélodique, Quartet Sequence
donne à entendre le duel interne auquel se livre Tippett, posant sa voix sur les arpèges clairsemés de sa guitare, parmi les frasques rythmiques montées par Stevens et Herman, et les chastes interventions du saxophone soprano.

A peine une dizaine de minutes, enfin, pour Flower
, sur lequel Stevens et Watts (toujours au soprano) improvisent et interrogent la possibilité d’une simultanéité d’exécution, pour mieux jouer, ensuite, avec le décalage de leurs interventions. Histoire de conclure l’exposition de trois pièces improvisées soumises à grands principes, qui éclairent sous un autre angle l'éloquent répertoire du Spontaneous Music Ensemble.

CD: 01/ Familie Sequence 02/ Quartet Sequence 03/ Flower

Spontaneous Music Ensemble - Frameworks - 2007 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.



Spontaneous Music Ensemble : Quintessence (Emanem, 2007)

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Résumé de trois concerts donnés en 1973 et 1974 par le Spontaneous Music Ensemble, Quintessence donne à entendre John Stevens aux côtés du saxophoniste Trevor Watts et du contrebassiste Kent Carter, trio accueillant, la deuxième année, Derek Bailey et Evan Parker.

1974. Intimant d’abord à son improvisation des airs de plaintes aigues et lentes, amassées sur le décorum sombre mis sur pied par l’archet de Carter, le quintette ne tarde pas à libérer les tensions (in)novatrices – harmoniques de Bailey et arpèges étouffés, invectives des deux saxophonistes à qui Stevens conseille, tambour battant, d’en découdre sans relâche (Forty Minutes). Sortie aussi des lamentos premiers, Thirty-Five Minutes conciliera les différents efforts – soubresauts des sopranos et de la guitare – sur le jeu emporté de Stevens, avant que Ten Minutes draine les interventions jusqu'à mettre au jour plus nettement encore l’entente exceptionnelle des musiciens.

Un an plus tôt, Stevens, Watts et Carter improvisaient ensemble Rambunctious et Daam-Oom. Là, le percussionniste adopte une posture plus radicale  et répond au soprano au son de sa voix – litanie perturbée jusqu’à s’obliger le cri, ou incantation maltraité par ses curieuses méthodes de chant. Passé au cornet, Stevens élabore plus tard en duo avec Watts une pièce multipliant autant les charges compulsives qu’elle se réserve des plages mesurées aux frontières, parfois, de l’ultime discrétion (Corsop). De quoi, donc, en apprendre encore sur la pratique et les interrogations de cinq pionniers de l'improvisation européenne faisant aujourd'hui figures de prophètes.

Spontaneous Music Ensemble : Quintessence (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1973-1974. Edition : 2007.

CD1 : 01/ Forty Minutes (part 1) 02/ Forty Minutes (part 2) 03/ Thirty-Five Minutes (part 1) 04/ Thirty-Five Minutes (part 2) - CD2: 01/ Ten Minutes 02/ Rambunctious 1 03/ Rambunctious 2 04/ Daa-Oom (Trio Version) 05/ Corsop 06/ Daa-Oom (Duo Version)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Spontaneous Music Ensemble: Biosystem (Psi - 2006)

spontsliEmmené par John Stevens jusqu’en 1992, le Spontaneous Music Ensemble version cordes – composé aussi de Nigel Coombes (violon), Roger Smith (guitare) et Colin Wood (violoncelle) – enregistra en 1977 pour le label Incus d’Evan Parker et Derek Bailey. Aujourd’hui, Parker réédite Biosystem sur Psi.

Virulent, Biosystem l’est à/sur plus d’un titre. Au jeu éclaté de Stevens, jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de renouveler ses façons d’attaquer cymbales ou toms, Coombes oppose un archet grinçant (Biosystem) ou quelques dissonances (Mystery), Smith des arpèges secs et effrénés (Back To The Beginning for the First Time), Wood, enfin, des pizzicatos tortueux (Mystery).

Augmentée de 4 inédits, la réédition offre des chutes d’époque : morceau entièrement emporté par la fougue du violoncelle et de la guitare (Another Beginning), petite pièce répétitive élaborée à partir de pizzicatos bondissants (Saved by The Bell), ou véritable hymne au service d’un folk d’aliénés (Restored).

Ainsi complété, Biosystem gagne encore en valeur. Et vient grossir le paquet de preuves révélant  la majesté du Spontaneous Music Ensemble, projet aussi singulier qu’incontournable pour qui décide de passer un jour par le champ des musiques improvisées.

CD: 01/ Biosystem 02/ Mystery 03/ Replanted 04/ Back To The Beginning for the First Time 05/ Another Beginning 06/ Restored 07/ Saved by the Bell 08/ The Bell and Beyond

Spontaneous Music Ensemble - Biosystem - 2006 (réédition) - Psi. Distribution Orkhêstra International.


John Stevens : New Cool (Emanem, 2005)

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Ayant déjà beaucoup donné au sein de son Spontaneous Music Ensemble, le batteur John Stevens trouvait encore le temps d'encourager quelques jeunes musiciens à la persévérance. Au Crawley Jazz Festival de 1992, par exemple, où il mena en quartette un set remarquable bientôt transformé par The Jazz Label en disque de référence. La réédition qu'en propose aujourd'hui Emanem valant confirmation.

A l'ouverture comme à la fermeture, Dudu's Gone est une sorte de cool frénétique sur lequel le trompettiste Byron Wallen se démarque par sa maîtrise. Incorporant quelques citations choisies à son phrasé, il joue aussi calmement des dissonances, avant de laisser tout l'espace au ténor d'Ed Jones, qui tirera son épingle du jeu un peu plus tard. Hanté par le Ramblin d'Ornette Coleman, Stevens a imaginé Do Be Up, exploitation tonale d'un thème fait de trois notes que trompette et saxophone imposent à l'unisson. La contrebasse de Gary Crosby s'occupant de maintenir les fondations du thème, les musiciens restant se permettent quelques fantaisies de qualité : incartades free de Jones, effluves orientalistes de Wallen, ou progressions à étages de Stevens, débouchant bientôt sur un solo raffiné.

Tirant sa substance des arrangements de Lonnie's Lament de Coltrane, You're Life est un hommage appuyé au maître (le son du ténor de Jones y faisant d'ailleurs plus que référence). Envoûtante, la section rythmique répète à l'envi un schéma sur lequel Jones et Wallen rivalisent de tentatives effrontées. Comme sur 2 Free 1, d'ailleurs, composition interrogeant les possibilités rythmiques : répétitions, coupes sèches ou accélérations. Plus dense, sous une tension qui bientôt défendra un chaos conclusif, elle tranche, malicieuse, avec la musique donnée jusqu'ici. Jubilatoire, celle-ci aura su fantasmer un Chet Baker assez malin pour s'en sortir sur les élucubrations d'un Rashied Ali, comme confirmer l'irréprochable talent de leader de John Stevens. Guidant ses partenaires sans jamais les contraindre. Les révélant enfin.

John Stevens Quartet : New Cool (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1992. Réédition : 2005.

CD : 01/ Dudu's Gone 02/ Do Be Up 03/ You're Life 04/ 2 Free 1 05/ Dudu's Gone
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Spontaneous Music Ensemble: A New Distance (Emanem - 2005)

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Fondateur, avec Trevor Watts, du Spontaneous Music Ensemble, John Stevens est celui des deux qui animera toujours, jusqu’à son décès en 1994, ce groupe aux formations multiples. Après avoir accueilli des personnalités comme Derek Bailey, Evan Parker ou Peter Kowald, l’ensemble s’était enfin consolidé autour du trio responsable du présent enregistrement.

A New Distance offre des extraits de deux concerts et d’une séance studio. Dans les deux cas, sur une batterie réduite au strict minimum, l’amateur de Sunny Murray qu’est Stevens s’en donne à cœur joie. Assauts frénétiques insatiables, pluies de coups qu’il n’arrive pas à retenir – et qui nous prouve qu’on peut y gagner à frapper sur plus petit que soi -, le batteur s’offre de temps à autre des pauses, pendant lesquelles il souffle dans une trompette de poche.

Alors, il dessine des parallèles avec le ténor de John Butcher, qui, d’aigus angoissés (Uneasy Options) en harmoniques chancelantes (Stig), démontre que l’improvisation inspirée n’interdit pas l’écoute. C’est d’ailleurs elle qui permet au trio de trouver A Certain Elegance, tout à la fois phantasme et morceau emblématique adoptant la retenue pour mieux canaliser les efforts.

Ceux de Roger Smith, par exemple, qui paraît en proie à des souvenirs partiels d’études laborieuses (arpèges brefs, accords plaqués, schémas de basse) mis à mal par des comportements sauvages (attaques de tirants, cordes étouffées, graves impromptus). Discret, il a parfois besoin d’indiscipline – comme sur Peripheral Vision – pour se faire une place, ou de ressources convaincantes – la guitare comme élément de percussions sur With Hindsight - pour que l’on retienne sa présence.

En studio, le trio est rejoint par le flûtiste Neil Metcalfe, qui investit sans faillir l’expérience multipliant les entrelacs de trompette et de saxophone. Afin de l’y aider, John Stevens devait le rassurer, comme il l'explique sur Spoken Interlude : "Il ne s’agit pas d’incorporer une composition, mais une discipline." Celle du Spontaneous Music Ensemble a toujours été l’improvisation soignée, qui trouve dans A New Distance un représentant de choix.

CD: 01/ Spoken Introduction 02/ Stig 03/ So This Is Official 04/ Tape Delight 05/ Uneasy Options 06/ A Certain Elegance 07/ Spoken Introduction 08/ Peripheral Vision 09/ Spoken Interlude 10/ With Hindsight 11/ Spoken Conclusion

Spontaneous Music Ensemble - A New Distance - 2005 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.


Roger Smith, Louis Moholo-Moholo: The Butterfly And The Bee (Emanem - 2005)

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Différentes, et pourtant proches, les sphères musicales que sont le free jazz et la musique improvisée européenne. S’il leur arrive parfois de se croiser, deux mondes confrontent alors leurs points de vue, et donnent ensemble des couleurs changeantes à l’improvisation. L’année dernière encore, au Festival Freedom Of The City de Londres, où le guitariste Roger Smith, figure du Spontaneous Music Ensemble, rencontrait le batteur sud-africain Louis Moholo-Moholo.

Dès le départ, la rencontre mène au foisonnement d’idées fraîches. Motivé par les attaques abruptes de Moholo, Smith cisaille ses suites d’arpèges à grands coups d’accords compulsifs. Assaillies, toujours à propos, les cordes accueillent aussi bien les délires percussifs du batteur que l’inspiration d’une ritournelle répétitive, bientôt transformée en invocation rituelle par l’imposant effet de grosse caisse (The Butterfly And the Bee).

L’expérience de Moholo l’a depuis longtemps convaincu : accompagner subtilement le déroulement de schémas instantanés, ou emmener à lui seul le morceau tout entier, quelle différence ? Ici (Enclosed Sun), le second plan n’empêche pas les trouvailles. Là (Events That Rhyme), la joie est tout autre, issue d’une liberté d’expression dense et chaotique.

Souvent tirées à l’emporte-pièce, les cordes de guitare frisent, dessinent des glissandi, ou étouffent sous les coups. Leurs propositions sont rêches, certes, mais rien ne les empêche de servir un ostinato aussi studieux que de plus anciens, auxquels ont fait allusion (Webern in Africa). Les accès de mélodies se développent sur des rythmes hypnotiques, exclusifs, et décidés à toujours refuser l’installation des possibles bavardages (Letters To Insects).

Ailleurs, on fait tourner une poupée musicale, tout à la fois clin d’œil ironique à l’interprétation des thèmes, et moyen lénifiant d’ôter un peu de sérieux au discours (Involuntary Sculpture). Sagace, celui-ci aura tenu l’assemblée en haleine pendant plus d’une heure, et bousculé un peu la tiédeur d’un dimanche d’août à Londres.

CD: 01/ The Butterfly And The Bee 02/ Enclosed Sun 03/ Webern In Africa 04/ Letters To Insects 05/ Involontary Sculptures 06/ Events That Rhyme 07/ Uncancelled

Roger Smith, Louis Moholo-Moholo - The Butterfly And The Bee - 2005 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.



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