Anthony Barnett : Unnatural Music: John Lennon & Yoko Ono in Cambridge 1969 (ABP, 2016)
L’histoire pourrait être anecdotique si elle n’était – notamment depuis la parution du livre Rencontres avec John & Yoko de Jonathan Cott – l’objet de (différents) fantasmes : elle est celle du concert donné par John Lennon et Yoko Ono à Cambridge le 2 mars 1969, que raconte aujourd’hui (ici, les premières pages) son organisateur, Anthony Barnett – percussionniste aussi, qui se fera par exemple entendre dans le Cadentia Nova Danica de John Tchicai. Pour revenir sur la première apparition « sur scène » d’un Lennon post-Beatles, Barnett s’appuie sur ses souvenirs, qu’il augmente d’extraits d’interviews données par le couple, de comptes-rendus du concert en question et, pour ce qui est des images, de photos et de documents concrets (lettres, affiche et ticket de concert…).
En 1968, Yoko Ono donnait de la voix auprès d’Ornette Coleman au Royal Albert Hall : pour la connaître un peu, Barnett lui propose de se joindre l’année suivante aux musiciens de (free) jazz qu’il projette de faire jouer à Cambridge. Elle accepte et, le jour dit, arrive sur place en compagnie de John Lennon. « Natural Music », dit l’affiche, pour une rencontre qui le sera moins : celle du couple et de John Tchicai & John Stevens – les « two Johns » cités au dos de la pochette d’Unfinished Music No. 2: Life With the Lions –, mais aussi Willem Breuker, Johnny Dyani, Chris McGregor, Maggie Nicols, Barre Phillips, Dudu Pukwana, Trevor Watts…
De cet étonnant aéropage Derek Bailey et John McLaughlin auraient dû être aussi. Leur présence aurait-elle empêché les micros du naissant label Zapple de recueillir presque exclusivement les notes à sortir de la guitare de Lennon, accroupi dos au public, convaincu de participer à une expérimentation dont sa seule présence assurait la qualité – Garnett raconte ainsi que l'endormi du Dakota Building (attention, il ne s’agit pas là de prendre parti) considéra ses partenaires d’un jour comme des poseurs d’une nouvelle espèce et son public comme une association d’intellos. Suivront d’autres bassesses et d’autres mégotages, qu’Anthony Barnett raconte avec autant d’humour que de précision : merci alors, pour la belle histoire.
Anthony Barnett : Unnatural Music: John Lennon & Yoko Ono in Cambridge 1969
Allardyce Barnett Publishers
Edition : 2016.
Livre : 64 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Matthieu Saladin : Esthétique de l’improvisation libre (Les Presses du Réel, 2014) / De l'espace sonore (Tacet, 2014)
Au printemps 2010, Matthieu Saladin soutenait, à la Sorbonne, une thèse dont le titre, « Esthétique de l’improvisation libre », cachait un sujet passionnant : la naissance de l’improvisation européenne sous l’impulsion de trois ensembles de taille : AMM, Spontaneous Music Ensemble et Musica Elettronica Viva. Si elle respecte un « cahier des charges » universitaire – emploi de la première personne s’adressant à une audience, implication de cette même personne à persuader, démontrer… –, la thèse en question est aujourd’hui un livre tout aussi passionnant que son sujet.
Dans laquelle on trouve une citation d’Eddie Prévost (l’autre penseur de l’improvisation, avec Derek Bailey, dont le livre fait aussi grand cas) qui avoue que l’intention d’AMM était, à l’origine, « dégagée de toute théorie, s’effectuant d’elle-même à travers un processus où semblaient se mêler radicalité esthétique et tâtonnement ». Mais les choses changent, dont Saladin expose alors les grands principes. Ainsi, quand AMM s’adonne à une self-invention – nécessité que Keith Rowe met en parallèle avec la démarche des plasticiens qui ne peuvent imaginer créer « à la manière » d’un autre artiste – mue par une recherche d’individualisation dans le son et même une certaine esthétique de l’échec (there is no guarantee that the ultimate realisations can exist, AMMmusic 1966), John Stevens impose, à la tête du SME, une improvisation collective plus volontaire et MEV affranchit ses membres (Alvin Curran, Frederic Rzewski, Richard Teitelbaum…) des convenances « du » composer.
Si les différents enjeux et les différentes méthodes permettent aux groupes de se distinguer, ils n’en démontrent pas moins quelques intérêts communs que Saladin examine dans le détail : nouveau rapport de la libre création musicale au collectif, au règlement, à l’expérimentation, à son environnement social et politique, même, auquel elle oppose bientôt ses propres vérités. Ainsi, depuis le début des années 1970 qui circonscrit cette étude, l’improvisation libre, obligée au constant renouvellement, se trouve-t-elle assurée d’actualité.
Matthieu Saladin
Esthétique de l'improvisation (Introduction)
Matthieu Saladin : Esthétique de l’improvisation libre. Expérimentation musicale et politique (Les Presses du Réel)
Edition : 2014.
Livre, 13X17 cm, 400 pages, ISBN : 978-2-84066-471-0
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Dans l’introduction qu’il signe au troisième numéro de Tacet, Matthieu Saladin, qui dirige la revue (et a coordonné son troisième numéro en collaboration avec Yvan Etienne et Bertrand Gauguet), explique que les textes d’auteurs et d’époques différents qu’on y trouve permettront au lecteur « d’arpenter l’espace sonore » « par l’étude ».
Ce sont alors, dissertant ou documentés, Alvin Lucier, Michael Asher, Seth Cluett, Eric La Casa et Jean-Luc Guionnet, Maryanne Amacher, Paul Panhuysen, Christian Wolff… qui, chacun à leur manière, fragmentent pour mieux le détailler un territoire qu’on prend en effet plaisir à arpenter. Afin de ne pas égarer le lecteur, Saladin a pris soin de glisser dans l’épais volume une carte étonnante, Sound Space Timeline 1877-2014, qu’il a élaborée avec Yvan Etienne et Brice Jeannin. Dépliée, celle-ci confirme que le territoire est vaste, qui va des terres de Thomas Edison à cette ancienne cuve de pétrole à la réverbération exceptionnelle récemment découverte dans les Highlands.
Tacet N°3 : De l’espace sonore / From Sound Space (HEAR / Les Presses du Réel)
Edition : 2014.
Livre / Revue, 429 pages, ISBN : 978-2-84066-717-9
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Spontaneous Music Ensemble : Oliv & Familie (Emanem, 2014)
Enfermant désormais ses rééditions en élégants digipacks à volets, Martin Davidson n’oublie jamais d’y coucher quelques notes qui remettent la référence rééditée dans son contexte (musical, social, historique même). Ainsi, explique-t-il ici qu’Oliv & Familie (jadis sorti sur Maramalade, soit Polydor) est le troisième disque du Spontaneous Music Ensemble à avoir été édité, et aussi le premier à exposer un SME de cette taille.
Dix musiciens – dont Trevor Watts, Evan Parker, Derek Bailey et Dave Holland –, auprès de John Stevens, pour l’enregistrement de Familie (deux versions) en janvier 1968. Sous influence japonaise (Davidson attire d’ailleurs notre attention sur le mouvement lent du gagaku), le groupe suit une partition dont les longues notes (voix de Pepi Lemer et Norma Winstone, flûte de Brian Smith) mettent à mal les lignes parallèles jusqu’à ce que le piano de Peter Lemer provoque les perturbations qui engageront les musiciens à abandonner la semi-composition pour une improvisation libre – qu'expressions concentrées, chutes de tension et éclats individuels, éloigneront peu à peu du bourdon qui composait sa trame.
C’est à neuf qu’a été enregistrée la première des deux variations d’Olive datant de l’année suivante. Aux voix, Pepi Lemer, Carolann Nicholls et Maggie Nicols, installent un autre bourdon, aux strates oscillantes, sur lequel Kenny Wheeler et Derek Bailey s’accordent bientôt avant de suivre les intérêts communs de Peter Lemer et Johnny Dyani : et le jazz gagne l’improvisation. Du même thème, Stevens fera tout autre chose encore en compagnie de Nicols, Watts et Dyani. Oliv II est ce quart d’heure que la voix et le saxophone alto s’approprient en douce. Leur dialogue, découpé, paraît écrit sous le coup de surprises. La composition instantanée que peut, parfois, être l'improvisation a-t-elle jamais aussi bien porté son nom ?
Spontaneous Music Ensemble : Oliv & Familie (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1968-1969. Réédition : 2014.
CD : 01/ Familie 02/ Oliv I 03/ Oliv II 04/ Familie (alternative ending)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Stevens, Paul Rutherford, Evan Parker, Barry Guy : One Four and Two Twos (Emanem, 2012)
Après View et Konnex, c’est au tour d’Emanem d'éditer (et d’augmenter) ce 4.4.4., disque qu’improvisa un quartette de musiciens rares : John Stevens, Paul Rutherford, Evan Parker et Barry Guy.
One Four : la réunion se tint à Londres, le 31 août 1978. On sait les méthodes mises en place par Stevens pour mener à la baguette toutes sortes de formation : l’envergure de ses partenaires – qu’il recruta plus tôt dans son Spontaneous Music Ensemble (Withdrawal) – n’y changera rien. Rutherford au trombone intérieur et Parker aux ténor et soprano extérieurs, Guy de pizzicatos en électronique minimale, signent quand même : l’urgence n’interdisant pas la cohérence, la cohérence n’évitant pas les bousculades. L’improvisation à quatre est leste et même enlevée. Two Twos : ce sont-là deux duos : Rutherford et Guy enregistrés en 1979 – inédit et loin d’être anecdotique, l’enregistrement donne à entendre le premier passer le second en machine électronique, et vice-versa, le temps de perles électroacoustiques surprenantes ; Stevens et Parker, enregistrés en 1992 – inédit lui aussi, l’enregistrement documente la relation fantasque d’un soprano démonstratif et de baguettes remontées.
Dans les notes de pochette, Martin Davidson cite Evan Parker : « These pieces were the sound check for a recording that never happened. We went to the pub and never got back. » S’il fallait encore une preuve – ainsi l’alcool rendrait lucide ? – pour attester que certaines balances ou répétitions valent davantage que les concerts ou enregistrements qui les avaient commandées, One Four and Two Twos serait celle-là, définitive.
John Stevens, Paul Rutherford, Evan Parker, Barry Guy : One Four and Two Twos (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1978, 1979, 1992. Edition : 2012.
01/ 1.4.4 02/ 2.4.4 03/ 3.4.4. 04/ 4.4.4. 05/ 5.4.4. 06/ 1.3.2. 07/ 2.3.2. 08/ 3.3.2 09/ 1.2.2. 02/ 2.2.2.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bobby Bradford : With John Stevens and the Spontaneous Music Ensemble (Freedom, 1971)
Ce texte est extrait du quatrième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
C’est à Londres, en 1971, que Bobby Bradford enregistra en compagnie du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens. A l’intérieur de celui-ci, on trouvait l’incontournable saxophoniste Trevor Watts et puis la vocaliste Julie Tippetts, le tromboniste Bob Norden et le contrebassiste Ron Herman. Watts se souvient des circonstances : « Celui qui a suggéré à Bobby que John Stevens et moi étions les musiciens anglais qui pourraient faire honneur à sa musique, c’est le journaliste Richard Williams, qui travaillait à l’époque au Melody Maker. Il a, en quelque sorte, joué les agents de liaison… »
Dans les notes du livret accompagnant la réédition sur deux CD de ces séances – sous étiquette Nessa, label qui les réédita une première fois sur vinyle au début des années 1980 –, Bobby Bradford confirme : « A l’été 1971, j’appartenais à un groupe de professeurs de l’enseignement public qui avait organisé un séjour en Angleterre pour peu cher. A cette époque, je n’avais pas le moindre contact à Londres, mais en Californie, on m’avait donné un nom : Richard Williams. Quand j’ai appelé Richard, il m’a dit qu’il aimerait que je rencontre quelqu’un. Quelques heures après, John, Trevor et moi jouions ensemble, et le jour d’après Bob Norden, Julie Tippetts et Ron Herman, se sont fait une place sur la photo. Nous avons donné quelques concerts dans des pubs de Londres et ses environs puis nous sommes entrés en studio. Ce fut un événement magnifique : totalement spontané, enivrant, fou… Pour John, Trevor et moi, ça a été le début d’une longue et fructueuse collaboration. »
Depuis le milieu des années 1960, le Spontaneous Music Ensemble travaille à son adaptation du free jazz. Né au Little Theatre Club de la cuisse du quintette que Trevor Watts et le tromboniste Paul Rutherford menaient de concert et dont John Stevens tenait la batterie, le groupe appliqua à ses improvisations les processus compositionnels élaborés par ce-dernier – qui voudra en apprendre davantage sur les click et sustained pieces devra aller lire l’ouvrage, récemment réédité par Rockschool, Search and Reflect : Concepts and Pieces by John Stevens.
A l’origine du double disque né des efforts de Nessa, il y a un disque unique, édité en 1974 par le label Freedom. Faisant fi des compositions de Bradford – « Room 408 », « His Majesty Louis », en hommage à Armstrong –, il consigne une improvisation et deux compositions de Stevens capables de permettre la rencontre du jazz inventif et de l’improvisation telle qu’on l’applique alors en Angleterre. A en croire Watts encore, malgré l’enjeu, l’atmosphère est accommodante : « Bobby était sans arrêt disposé au mieux. Après chaque concert (à l’époque, je fumais encore), nous partagions d’excellents cigares cubains qu’il avait apportés. C’était sa façon à lui de célébrer les moments que nous passions ensemble. Côté musique, il a toujours été très ouvert… »
Côté musique, pour s’en tenir au contenu du disque Freedom, Bobby Bradford With John Stevens and the Spontaneous Music Ensemble est un enregistrement remarquable. En ouverture, trouver trois pièces de Stevens assemblées : « Trane Ride », « Ornette-Ment » et « Doo Dee », qui déploient une dramaturgie sonore aux multiples confrontations. Stevens y tient le rythme, les souffleurs y bataillent avant de se tourner le dos pour s’exprimer en individualistes : replis dans le free jazz, Watts sifflant lorsque Bradford claironne. Une improvisation, ensuite : « Bridget’s Mother ». De l’autre côté du miroir, l’association déroule le fil ténu qui sort de la bouche de Tippetts : l’indolence suit un principe de réflexion, trompette et alto font œuvre d’artifices quand Stevens tient le silence en respect entre deux baguettes. La batterie réapparaît sur l’autre face : « Tolerance / To Bob » est d’abord une marche désespérée qui respecte l’allure d’une valse perdue ; « Tolerance / To Bob » est ensuite un aveu de mordant retrouvé : Stevens y commande : Watts évoquant Archie Shepp à l’alto, Bradford comblant son free de lyrisme hautain, Tippetts brillant en épileptique inspirée. Le dosage est précis et la formule intense : on y trouve une véhémence doublée de mystère ; un chant unique élevé en brumes océanes.
Otherways and Free Space : Life Amid the Artefacts (Emanem, 2011)
Peu à peu, grâce à Martin Davidson, se dévoile la grande histoire de l’improvisation made in England. En parallèle au Spontaneous Music Orchestra, John Stevens avait mis en place Free Space, groupe d’improvisateurs à géométrie variable (de six à douze musiciens). Outre le fidèle Trevor Watts (noter par ailleurs la présence de John Russell), s’y distinguait l’altiste de la « seconde génération » Herman Hauge, lequel allait créer Otherways autour d’un trio saxophone, contrebasse et batterie (Herman Hauge, Marc Meggido, Dave Solomon) + invités (ici Simon Mortimer, Nigel Coombes).
Ce sont ces deux formations que nous découvrons ici. Sérieuse et impliquée était la recherche de tous ces improvisateurs. Le jazz est absent de Free Space mais retrouve quelques-uns de ses arômes avec Otherways (Unamoured) ; la démarche radicale et collective des premiers s’opposant à celle, plus identifiable (un soliste et des accompagnants), des seconds. Ainsi l’alto d’Hauge brillait de mille feux, à mi-chemin des brûlants souffleurs de la new thing et d’un certain Evan Parker. Mais tout ceci était réversible et d’autres enregistrements le confirmeront sans doute. A suivre donc…
Otherways & Free Space : Life Amid The Artefacts (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1973 & 1984. Edition : 2011.
CD : 01/ Intermediate 02/ Altitudes 03/ Unamoured 04/ Gesture 05/ Aranata 06/ Lucid 07/ Zeal
Luc Bouquet © Le son du grisli
Splinters : Split The Difference (Reel, 2009)
A l’instar de Coleman Hawkins aux Etats-Unis, le saxophoniste et flûtiste Edward “Tubby” Hayes et le batteur Phil Seamen purent, en Angleterre, estimer le potentiel du dialogue intergénérationnel entre créateurs curieux.
Ancien partenaire de Ronnie Scott, Hayes s'oppose à tout clivage en se rendant en 1972 au 100 Club de Londres histoire d’échanger avec quelques représentants d’un art musical forcément plus novateur : Trevor Watts (saxophone alto), Kenny Wheeler (trompette et bugle), Stan Tracey (piano), Jeff Clyne (basse) et John Stevens (batterie). Propulsée par une section rythmique renforcée, la rencontre prend d’abord l’allure d’un swing capable de recueillir toutes interventions fantasques : archets de contrebasse rivalisant d’invention avec les entrelacs que dessinent les instruments à vents. La longue pièce, d’imposer ensuite ses allures : bop favorable aux déviations, et puis ballade écartée afin que sonne l’heure des scansions libertaires, grands écarts qui rappellent à Londres les fameux usages de Mingus.
Deux pièces seulement, sur lesquelles les individualités s’accordent sur une concession grandiose, le respect et la confiance en guise de langage commun. L’année suivante, Hayes disparaissait, laissant jouer sans lui les grands représentants d’un autre jazz britannique.
Splinters, Two in One Hundred (extrait). Courtesy of Reel Recordings.
Splinters : Split The Difference (Reel / Orkhêstra)
Enregistrement : 1972. Edition : 2009.
CD : 01/ One in One Hundred 02/ Two in One Hundred
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Spontaneous Music Ensemble: Frameworks (Emanem - 2007)
En 1968, 1971 et 1973, le percussionniste John Stevens menait à Londres trois versions différentes de son Spontaneous Music Ensemble.
La première année, Norma Winstone dépose ses vocalises descendantes sur le bourdon étrange que forment Kenny Wheeler au bugle et Paul Rutherford au trombone. Notes longues portées haut par chacun des instruments (ajouter la basse clarinette de Trevor Watts), qui simulent chutes et rétablissements, tirant des dissonances de leurs confrontations. De plus en plus présent, Stevens finit par convaincre son ensemble des charmes d’une cacophonie libératrice (Familie Sequence).
Deux ans plus tard, le batteur retrouve Watts et invite Julie Tippett et le contrebassiste Ron Herman. Compulsif, mais aussi plus mélodique, Quartet Sequence donne à entendre le duel interne auquel se livre Tippett, posant sa voix sur les arpèges clairsemés de sa guitare, parmi les frasques rythmiques montées par Stevens et Herman, et les chastes interventions du saxophone soprano.
A peine une dizaine de minutes, enfin, pour Flower, sur lequel Stevens et Watts (toujours au soprano) improvisent et interrogent la possibilité d’une simultanéité d’exécution, pour mieux jouer, ensuite, avec le décalage de leurs interventions. Histoire de conclure l’exposition de trois pièces improvisées soumises à grands principes, qui éclairent sous un autre angle l'éloquent répertoire du Spontaneous Music Ensemble.
CD: 01/ Familie Sequence 02/ Quartet Sequence 03/ Flower
Spontaneous Music Ensemble - Frameworks - 2007 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.
Spontaneous Music Ensemble : Quintessence (Emanem, 2007)
Résumé de trois concerts donnés en 1973 et 1974 par le Spontaneous Music Ensemble, Quintessence donne à entendre John Stevens aux côtés du saxophoniste Trevor Watts et du contrebassiste Kent Carter, trio accueillant, la deuxième année, Derek Bailey et Evan Parker.
1974. Intimant d’abord à son improvisation des airs de plaintes aigues et lentes, amassées sur le décorum sombre mis sur pied par l’archet de Carter, le quintette ne tarde pas à libérer les tensions (in)novatrices – harmoniques de Bailey et arpèges étouffés, invectives des deux saxophonistes à qui Stevens conseille, tambour battant, d’en découdre sans relâche (Forty Minutes). Sortie aussi des lamentos premiers, Thirty-Five Minutes conciliera les différents efforts – soubresauts des sopranos et de la guitare – sur le jeu emporté de Stevens, avant que Ten Minutes draine les interventions jusqu'à mettre au jour plus nettement encore l’entente exceptionnelle des musiciens.
Un an plus tôt, Stevens, Watts et Carter improvisaient ensemble Rambunctious et Daam-Oom. Là, le percussionniste adopte une posture plus radicale et répond au soprano au son de sa voix – litanie perturbée jusqu’à s’obliger le cri, ou incantation maltraité par ses curieuses méthodes de chant. Passé au cornet, Stevens élabore plus tard en duo avec Watts une pièce multipliant autant les charges compulsives qu’elle se réserve des plages mesurées aux frontières, parfois, de l’ultime discrétion (Corsop). De quoi, donc, en apprendre encore sur la pratique et les interrogations de cinq pionniers de l'improvisation européenne faisant aujourd'hui figures de prophètes.
Spontaneous Music Ensemble : Quintessence (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1973-1974. Edition : 2007.
CD1 : 01/ Forty Minutes (part 1) 02/ Forty Minutes (part 2) 03/ Thirty-Five Minutes (part 1) 04/ Thirty-Five Minutes (part 2) - CD2: 01/ Ten Minutes 02/ Rambunctious 1 03/ Rambunctious 2 04/ Daa-Oom (Trio Version) 05/ Corsop 06/ Daa-Oom (Duo Version)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Fast Colour: Antwerp 1988 (Loose Torque - 2005)
Quintette emmené par le batteur John Stevens, Fast Colour accueillait en 1988 à Anvers la chanteuse Pinise Saul et le saxophoniste Evan Parker. Dans le seul but de parfaire l’hommage délicat adressé par Stevens à l’un de ses partenaires favoris: le contrebassiste Johnny Dyani, disparu 2 ans plus tôt.
Sur un gimmick de contrebasse et la divergence amusée des instruments à vent (trompette d’Harry Beckett, saxophones de Dudu Pukwana et Parker), l’ensemble investit avec Now Time le champ des rengaines délurées dont Sun Ra s’était fait le chantre - imité bientôt par Eddie Gale -, pour ne plus les lâcher: qu’elles prennent l’allure d’une marche funèbre traînante accueillant les expérimentations légères de la tromboniste Annie Whitehead (Johnny Dyani’s Gone), d’une fanfaronnade gonflée par la surenchère à laquelle se livrent les deux saxophonistes (Mbizo), ou d’une construction baroque hésitant entre free jazz et swing (Way It Goes).
Toujours plus expansifs, les musiciens refusent de penser l’hommage comme célébration terne, redisent la circularité de l’existence sur Don’t Throw It Away (répétitions de la trompette bientôt reprises par Pinise Saul) avant de conclure leur set dans l’opulence altière capable de consoler de Way It Goes / Now Time. Boucle bouclée, œillade à un éternel retour qui pourrait faire passer les membres de Fast Colour du nombre de 7 à celui de 8.
CD: 01/ Now Time 02/ Way It Goes 03/ John Dyani’s Gone 04/ Don’t Throw It Away 05/ Mbizo 06/ Way It Goes / Now Time
Fast Colour - Antwerp 1988 - 2005 - Loose Torque.