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Le son du grisli

2 mars 2017

Barney Wilen : Moshi (Souffle Continu, 2017)

A l’occasion de la parution d’Agitation Frite, livre de Philippe Robert consacré à l’underground musical français de 1968 à nos jours, le son du grisli publie cette semaine une poignée de chroniques en rapport avec quelques-uns des musiciens concernés en plus de deux entretiens inédits tirés de l’ouvrage...

barney wilen moshi souffle continu

On commencera par dire le soin apporté par le label Souffle Continu à la réédition (deux LP, un DVD et un livret de taille) de cette référence Saravah : Moshi de Barney Wilen. De ces figures rares qui ne purent se résoudre à « exploiter un filon » – suite à l’enregistrement de la bande-son d’Ascenseur pour l’échafaud auprès de Miles Davis, pour celle qui nous intéresse –, Wilen disait en 1966 dans les colonnes de Jazz Magazine avoir rapidement eu « le sentiment de piétiner dans le bop » : « Je me suis senti pris dans un engrenage. J’avais l’impression que tout sortait d’un même moule. Ça devenait une musique stéréotypée. »

Alors, le saxophoniste fraya avec Jacques Thollot et François Tusques avant de publier sous son nom quelques expériences de taille : Auto-Jazz en 1968 et puis Moshi cinq ans plus tard. Caroline de Bendern, compagne de voyage à la caméra, raconte dans les notes l’occasion (tournage d’un film et enregistrement de sa bande-son) qui a permis à une équipée de sillonner l’Afrique de l’Ouest – certes, l’objectif était de relier Tanger à Zanzibar, mais des raisons géopolitiques ont changé tous les plans. Elle raconte surtout les diverses rencontres qui ont jalonné le parcours, notamment celle avec les Bororogis, nomades que le Moshi, un état de transe, « débarrasse du blues ».

Pour Wilen et ses camarades, ce long voyage a pu faire office de Moshi – le disque qui nous intéresse n’est-il pas l’un de ses effets ? Ambitieux, l’œuvre mêle ou juxtapose des enregistrements de terrain (mélodie de passage ou simple conversation, c’est là un « folklore » mis au jour) à des airs et à des chansons que le saxophoniste enregistra à son retour à Paris – avec Michel Graillier (piano électrique), Pierre Chaze (guitare électrique), Simon Boissezon et Christian Tritsh (basse), Didier Léon (luth), Micheline Pelzer (batterie) et Caroline de Bendern, Babeth Lamy, Laurence Apithi et Marva Broome (voix).

Comme la musique qu’il dispense, les notes du disque l’attestent : les musiciens qui ne furent pas du voyage ont su saisir quand même « l’âme de l’Afrique ». Si ce n’est quelques combinaisons maladroites d’une fusion tenant du mirage (le morceau-titre, au son duquel les musiciens prennent précautionneusement place dans le paysage, ou encore Zombizar), Moshi recèle de trésors : témoignages attrapés au micro, empreinte de mélodie laissé par un balafon, courte expérimentation opposant un xylophone et une guitare électrique, morceau de saxophone s’invitant à la fête ou sur le chant d’une inconnue…  Surtout, Wilen parvient là à composer de grandes pièces de joie : Gardenia Devil, sur des paroles en anglais de Bendern, et Afrika Freak Out, qui rappelle The Creator Has A Master Plan de Pharoah Sanders et Leon Thomas.

Le disque finira d’ailleurs dans un grand éclat de rire, à l’image du film de Bendern, A l’intention de Mademoiselle Issoufou A Bilma, que le bel objet qu’est cette réédition donne à voir. Expérimental, lui aussi, celui-ci raconte autrement le voyage au gré de scènes de la vie quotidienne (repas, bain, concours de beauté…) et – entre Jean Rouch et Chris Marker – au plus près des corps et des gestes. Sa bande-son, en décalage, lui donne un charme particulier et documente la façon dont l’image utilise ces sons glanés ou inventés. Voilà de quelle manière ce Moshi qui fantasma l’Afrique dans le même temps qu’il la fit exister nous revient aujourd’hui.

preview_cover_Moshi

Barney Wilen : Moshi
Souffle Continu
Edition : 1972. Réédition : 2017.
2 LP + DVD : Moshi + A l’intention de Mademoiselle Issoufou A Bilma
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 

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