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Le son du grisli
michael esposito
1 mai 2013

Interview de Michael Esposito

michael esposito interview sur le son du grisli

Qu’il enregistre seul sous le nom de Phantom Airwaves Project ou échange avec Michael Muennich, Leif Elggren, Jana Winderen, Kevin Drumm…, Michael Esposito interroge la place à faire à la voix des disparus dans le domaine de la musique expérimentale – qu’elle soit concrète, abstraite, ambient, noise… Explications ?

... Mes tous premiers souvenirs de musique remontent à ma petite enfance… C’est d’abord le bruit des semi-remorques qui hurlaient sur l’Autoroute 20, au bout de ma rue. Allongé sur mon lit, je les écoutais arriver de nulle part, en provenance des ténèbres, vers l’Est. J’imaginais leurs conducteurs, seuls dans leur cabine, le visage éclairé par les lumières rouges du tableau de bord. J’ai souvent rêvé les prendre en chasse, en pleine nuit... Un autre souvenir est celui du bruit sourd que faisait le four, qui m’arrivait à travers le plancher. C’était un bruit très lent et très long. J’imaginais que chacun de ses coups marquait le pas de mon grand-père mort, en route de Portage jusqu’à notre ferme d’Effingham. Je n’avais pas vraiment peur de lui mais j’avais le sentiment qu’il se passerait quelque chose de mauvais lorsqu'il arriverait enfin là-bas. Pour me rassurer, j’imaginais qu’à chaque fois que nous passions par cette ferme, il lui fallait repartir de zéro. Pour ce qui est des chansons, j’ai attendu l’âge de sept ans pour m’y mettre : ma préférée était Uncle Albert/Admiral Halset de Paul et Linda McCartney. J’aimais sa composition irrégulière et ses changements. Je l’ai entendu pour la première fois dans une confiserie de Chicago, jouée par un juke-box. Mon père m’a alors acheté le quarante-cinq tours dans la boutique de disques d’à côté. Une fois rentré à la maison, je l’ai doucement déposé sur la platine. C’était mon premier disque.

On peut entendre un orage sur cette chanson… Peut-être le premier d’une longue série de field recordings ? Oui, en effet ! Quand j’étais jeune – cela dit, ça m’arrive encore – je laissais la fenêtre de ma chambre assez ouverte pour entendre le vent siffler. A l'époque, j’avais l’habitude de regarder Mutual of Omahas Wild Kingdom et je fermais les yeux pour me concentrer sur les sons. J’ai une collection assez imposante de field recordings et je continue à les collectionner, en fait, surtout des enregistrements historiques. On peut encore trouver de jolies choses, comme sur YouTube : par exemple le clairon qui a sonné la charge de la brigade légère, conservé sur des cylindres phonographiques. Aujourd’hui, j’écoute un peu Chris Watson ou Jana Winderen. J’ai d’ailleurs enregistré une fois avec Jana, dans les profondeurs d'un lac gelé à la recherche de monstres lacustres.

Quand avez-vous commencé à faire de la musique, et dans quel contexte ? J’ai appris à jouer de la basse, de la guitare et de la mandoline. Ma grand-mère m’avait acheté trois disques pour noël : Apostrophe de Frank Zappa, Relayer de Yes et Aqualung de Jethro Tull. Mon souhait était alors de devenir Chris Squire !!! (rires) Les chefs-d’œuvre de Yes étaient étonnement expérimentaux. Sur le chemin du home-studio de Squire, Jon Andreson et Patrick Moraz s’arrêtaient chez des ferrailleurs pour glaner des bouts de métal sur lesquels ils battraient pendant l’enregistrement de Relayer. Mon premier groupe préféré a été Pink Floyd… J’avais quelques morceaux sur une cassette. Je me souviens d’Ummagumma et d’Atom Heart Mother, mes disques préférés, et des enregistrements de Syd Barrett bien sûr. J’ai eu la réédition de The Apples and Oranges à mon entrée au lycée. C’est là que je me suis mis à l’art expérimental, dans le sillon creusé par Duchamp. Musicalement, j’aimais bien John Lennon et Yoko Ono, Pink Floyd, Yes, Kraftwerk, Focus, ce genre de trucs bizarres. Avec mon frère, on a même campé pour obtenir Animals de Pink Floyd en cassette le jour même de sa sortie. A l’occasion de ma première exposition personnelle, toujours au lycée, des amis et moi avons enregistré des cassettes dans ce genre. Et puis, après le lycée, je me suis tourné vers la musique industrielle et les disques du label Wax Trax! Parmi les premiers concerts auxquels j’ai assisté, il y eut Einstürzende Neubauten et Ministry. J’ai eu pas mal de chance de pouvoir travailler avec quelques-unes de mes idoles de jeunesse…

Notamment FM Einheit et Chris Connelly  Oui… J’ai passé la fin de mon adolescence à écouter Chris et Mufti, et d’autres encore avec lesquels j’ai enregistré depuis.

Jouez-vous toujours de la guitare ? Oui. Sur The Icy Echoer, tout le monde pense que c’est Kevin Drumm qui joue de la guitare ; ça semble évident… mais en fait, c’est bien moi ! (rires)

Quels disques ont eu une influence sur votre travail ? J'écoute encore Relayer de Yes. Ensuite, il y a Olias of Sunhillow de Jon Anderson, un album vraiment sous-évalué. Il y a aussi Halber Mench des Neubaten et Autobahn de Kraftwerk, les disques de Revolting Cocks et de Clock DVA sont aussi fantastiques… Et puis le Second Annual Report de Throbbing Gristle, que j’ai acheté la même année que Zoot Allures de Zappa. Il me faut aussi citer les musiciens et explorateurs avec lesquels j’ai travaillé, comme Leif Elggren, Michael Muennich, John Duncan, GX-Jupitter Larsen... Je regrette vraiment que Farmers Manual a cessé de jouer. Ils étaient fantastiques !

Quels ont été les débuts du Phantom Airwaves Project ? Phantom Airwaves était en fait une sorte de couverture pour mes travaux d’EVP. J’ai toujours imaginé un genre d’organisation institutionnelle qui, cachée dans un bunker en temps de guerre, collecterait des documents pour la postérité (rires). Protégée par cette couverture, ma merveilleuse armée d’explorateurs pouvait se mettre au travail… Pour tout dire, j'ai travaillé dans l’armée, section des affaires civiles et des opérations psychologiques. Bon, je n’étais pas un fou furieux, mais j’aimais la structure de l’organisation et la manière dont la libre pensée pouvait influer un peu sur une organisation aussi rigide. C’était une contradiction intéressante. Les gens ne se rendent pas compte de la beauté de la chose... Je crois que c’est un peu comme la façon de penser qui régit la musique industrielle !

Comment est né alors votre intérêt pour l’EVP ? Faut-il forcément croire aux fantômes pour que naisse ce genre d'intérêt ? Voilà : je construisais des ordinateurs à partir de rien – vous savez, ce genre d’appareils modifiés… Je m’étais mis à construire un studio trente-deux pistes avec une tour midi reliée à une platine cassette et je travaillais sur la possibilité d’élargir des fréquences quand j’ai découvert l’EVP et les travaux de Konstantin Raudive. A sa suite, j’ai essayé de capturer quelques voix et depuis je n’ai jamais décroché. Pour ce qui est d’y croire, non, ce n’est pas nécessaire : les fantômes parlent à tout le monde ! Mais il est vrai qu’être sceptique peut affecter l’opinion que vous pourrez vous faire de leur discours…

Vous avez étudié la communication. Votre pratique de l’EVP a-t-elle aussi à voir avec ce domaine ? Absolument. L’EVP, c’est de la communication. En fait, c’est bien plus encore de la nécromancie. Les méthodes de communication sont très utiles à l’identification d’EVP. J’ai étudié l’orthophonie et l’identification vocale en criminalistique, et, à un moment ou un autre, ces spécialités m’ont toutes deux été utiles.

Comment les fantômes qui chercheraient à donner de la voix pourraient-ils envisager votre activité, c’est-à-dire transformer ces tentatives de communication en musique ? J’aime à croire que mon activité donne justement voix aux fantômes ou aux énergies désincarnées. J’envisage mes travaux non pas seulement comme des documents, mais comme un pont qui aiderait à la compréhension entre vivants et morts, et vice-versa.

Parfois, à l’écoute de musiciens comme Keiji Haino, Merzbow, pour ne prendre que deux exemples, on peut avoir l’impression d’entendre des « voix » de fantômes, comme faisant partie du propos musical – même si l’idée que chacun se fait d’une « voix de fantôme » diffère, si elle n'a été pour beaucoup forgée par le cinéma. Croyez-vous au pouvoir de ces traces de fantômes artificielles ? En tant qu’outil, oui bien sûr ! L’une des choses principales qui relie la musique expérimentale et les recherches en EVP sont les gammes de fréquences avec lesquelles on travaille. J’ai plusieurs fois utilisé de la musique expérimentale dans le but d’infuser une chambre dans laquelle je m'apprêtais à enregistrer. J’utilise pour ce faire un disque très spécial, créé par Achim Monche. La musique expérimentale est sœur des recherches en EVP.

Quel genre d’objet est ce disque d’Achim Monche ? C’est un vinyle, dont les sillons sont « vides ». Je possède, je crois, l’un des trois exemplaires qui existe au monde. Cet enregistrement change selon l’endroit dans lequel il est joué, selon les poussières et les particules en suspension qu’il y trouve et qu'il intègre dans ses sillons…

Les musiciens avec lesquels vous avez récemment enregistrés (Francisco Meirino, Kommissar Hjuler, John Duncan, Z’ev…) ont-ils le même intérêt que vous pour ce genre de recherches ? Comment les avez-vous rencontrés ?  J’ai rencontré certains d’entre eux à l’occasion de concerts ou de festivals. D’autres m’ont directement contacté, quand ce n’est pas moi qui les ai contactés. Le déclic s’est fait lorsque je faisais mes premières recherches et que je n’arrivais pas à mettre la main sur une copie de The Ghost Orchid ; j’ai alors appelé Mike Harding. J’ai fini par devenir le producteur de la troisième édition de cette anthologie afin de pouvoir enfin mettre la main sur une de ses copies ! (rires) A partir de là, il m’a présenté Leif Elggren et Leif m’a présenté à Micky von Hausswolff, et mon travail a alors pu commencer. Ca a été comme arriver à la maison après des années d’absence.

esposito

Enregistrez-vous dans une même optique, que vous soyez seul ou accompagné sur disque ? Oui, je crois. Les voix sont là. Elles ont toujours été là. Certaines personnes les ont trouvées (la plus ancienne d'entre elles étant Waldemar Bogoras, en 1902), d’autres sont sceptiques ou tout simplement pas au fait de la chose. Ce qui est à la fois intéressant et merveilleux, c’est de prendre en compte l’interprétation que d’autres ont fait de ces voix, aussi bien littéralement que musicalement ou en tant qu'objet sonore. Quant à l’interprétation que j'en fais moi-même, je ne pourrais pas en dire grand-chose, ce serait vite redondant. Pour ce qui est de mes collaborations, ce n’est pas qu’elles valident mon travail, mais je ressens que je grandis à chacune d’entre elles. Elles n’agrandissent pas seulement mon champ de recherches mais agissent comme autant de catalyseurs de mon propre changement et m’aident à me développer en tant que chercheur et artiste. Je crois fermement que l’art véritable est aussi une science et que la véritable science est aussi un art. Je ne serais que la moitié de ce que je suis aujourd’hui si je n’avais pas travaillé avec toutes ces personnes fantastiques qui ont accepté d’explorer à mes côtés.

Faîtes-vous une différence entre enregistrer des « atmosphères » et utiliser ces enregistrements à l’occasion de ces collaborations ? L’enregistrement d’atmosphères est une activité passionnante en soi. Là, je cherche des sons intéressants et des anomalies sonores que l’on ne devrait normalement pas entendre ou même remarquer en tendant simplement l’oreille. Je garde souvent ce genre de documents afin de les utiliser comme je le fais avec les EVP. Ce que l’on ne devrait pas entendre est toujours fantastique.

Comment choisissez-vous les endroits que vous enregistrez ? Certains, même prometteurs, se révèlent-ils décevants ? J'ai parfois un lien personnel avec ces lieux, d'autres fois je les découvre au hasard et d'autres fois encore je les cherche lorsqu'il m'arrive de travailler sur un thème bien précis. Je situe toujours ces endroits dans mes documents : d'un point de vue scientifique, je trouve important de ne pas faire de mystère sur le lieu d'où provient un EVP. Tout doit être envisagé en tant que document, et tenir la route aussi bien en tant que document qu'en tant que composition musicale. Je peux m'estimer assez chanceux de n'avoir que très très rarement enregistré un lieu sans capturer le moindre EVP. Troublant, n'est-ce pas ?

Michael Esposito, propos recueillis en avril et mai 2013.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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