Michael Esposito : Voice Box (Spectral Electric, 2016)
Le sous-titre de cette Voice Box – en réalité : une clef usb de la forme d’une carte de crédit – dira ce qu’on y trouve : « A Collection of Oddities and Curiosities », issus de travaux signés du Phantom Air Waves de Michael Esposito. Une suite de raretés, à l’image d’In The Silence Of A Watery Grave dont une centaine d’exemplaires furent jadis glissés dans un petit livre et qu’il sera en conséquence impossible de commenter ici.
Rangées dans neuf dossiers qui renferment aussi images et parfois explications, les autres pièces sonores (MP3 et WAV) donnent à entendre Esposito arranger ses EVP seul ou en compagnie d’amis choisis. Certes inégale – le chasseur se contentant parfois d’évaluer sa collection au son d’une ou deux boucles simplistes –, la boîte renferme quelques traitements astucieux qui parviennent à égaler en intérêt les interventions de ses acolytes.
Ainsi, sous la voix de Bryan Lewis Saunders, Esposito dispose-t-il quelques basses profondes qui renferment déjà le code d’un langage singulier ; avec Kommissar Hjuler und Mama Bär, il déforme d’autres prises afin qu’elles épousent le propos d’une surprenante discussion en allemand ; avec Carl Michael von Hausswolff, il adapte ses manières à deux pièces d’une électronique jouant de couches multiples pour mieux rendre hommage à Friedrich Jürgenson, l’une des grandes figures du phénomène de voix électronique. Seul, Esposito peut donner dans un genre expérimental progressif auquel on préférera l’étrange atmosphère de Haunt Of The Athenaeum Codex ou les miaulements répétés de The Barn Witch Familiar, pièce qu’il ne faudra pas oublier de produire quand viendra l’heure du procès en sorcellerie qu'on devra bien lui faire un jour.
Michael Esposito : Voice Box: A Collection of Oddities and Curiosities
Spectral Electric
Edition : 2016.
MP3 / WAV : 01/ Byan Lewis Saunders & Michael Esposito : S.S. House 02/ Michael Esposito & Kommissar Hjuler und Frau : Der Geist Meiner Mutter 03/ CM von Hausswolff & Michael Esposito : The Ghosts of Effingham 04/ Michael Esposito & Rainier Lericolais : Perdus Et 05/ The Maladjusted of Manteno Asylum : Radical Matters 06/ The Shadow Of Roy Vail's Daughter Walks The Moonlit Harvest 07/ Haunt Of The Athenaeum Codex 08/ In The Silence Of A Watery Grave 09/ Demons Of Independance Day 10/ The Barn Witches' Familiar
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Phantom Plastics : Dreams of the Incorruptibles (Korm Plastics, 2015) / Chalkboard Dust / Stay Alive (Geräuschmanufaktur, 2015)
Sous le nom de Phantom Plastics, Michael Esposito a pris l’habitude de publier des quarante-cinq tours, flexibles et carrés, à surfaces déstabilisantes, élaborées avec des partenaires qui ont le même goût que lui pour les sons et mêmes les musiques parasites : Jochen Arbeit, Michael Muennich, Leif Elggren, Per Svensson, Chris Connelly, Scanner, John Duncan, CM von Hausswolff…
Avec Dreams of the Incorruptibles (une face seulement), Frans de Waard fait son entrée dans cette liste des collaborateurs. Pendant près de six minutes, il manipule ici une sélection d’EVP qu’Esposito a bien voulu lui confier, mettant en valeur ce qu’on soupçonne être une phrase – par qui prononcée ? –, canalisant les souffles et les « défauts » de l’enregistrement, donnant enfin une certaine destination (voire une cohésion) à des captations qui n’ont plus guère d’origine.
Sur Chalkboard Dust / Stay Alive (deux faces, cette fois), Esposito retrouve Michael Muennich puis laisse faire John Duncan. Avec le premier, il organise de nouvelles grisailles à l’énergie contenue, dont la somme mettra en branle un moteur minuscule. Après quoi Duncan entame sa chanson étrange : deux mots (Stay / Alive) qu’il répète d’une voix qui le montre prêt à rendre son dernier souffle. Autrement que le « recadrage » de Waard, l’association de l’abstraction et de la ritournelle renouvelle ainsi l’intérêt pour l’étrange projet qu’est Phantom Plastics.
Phantom Plastics : Dreams of the Incorruptibles (Korm Plastics)
Edition : 2015.
7’’ (flexi) : A/ Dreams of the Incorruptibles
Phantom Plastics : Chalkboard Dust / Stay Alive (Geräuschmanufaktur)
Edition : 2015.
7’’ (flexi) : A/ Michael Muennich & Michael Esposito : Chalkboard Dust – B/ John Duncan : Stay Alive
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Michael Esposito Expéditives
Phantom Airwaves : Unsure (PAW, 2006)
Le dos d’Unsure prévient : « These recordings on the CD contain voices of unknown origin. These voices may be of deceased persons and may be offensive to some listeners ». S’il souligne l’intérêt pour l’EVP (Electronic Voice Phenomenon / Phénomène de voix électronique) qui anime les travaux de Michael Esposito (Phantom Airwaves), la référence – nappes synthétiques en boucle et déclenchement d’appareils d’enregistrement – n’est pas la plus enthousiasmante de la discographie de l’artiste en question.
Phantom Airwaves : Perryville Battlefield (PAW, 2007)
Sur le champ de bataille de Perryville, Esposito enregistra le 10 mai 2007 : la guerre civile américaine évoquée au son d’une ambient en suspension qui accueille la voix de Thomas Edison consignée sur cylindre phonographique, une nuée de criquets ou des grisailles sonores d’origine inconnue. C’est ainsi que Perryville Battlefield se fait remarquer et impose avec autorité l’art qu’a Esposito de la transfiguration.
Michael Esposito, Leif Elggren, Emanuel Swedenborg : The Summerhouse (Firework Edition, 2007)
En sa compagnie (et celle de Leif Elggren), Esposito passa le 17 juillet 2007 dans la maison d’été d’Emanuel Swedenborg, à Stockholm. Le temps de mettre en boîte un peu de vent infiltré, le bruit de vibrations supposées, enfin des voix qui se bousculent : plaintes d’hommes et suppliques de femmes bouclées bientôt, mais aussi bruits de moteurs et craquements divers. Etonnant.
Michael Esposito, Leif Elggren : Fire Station 6 (Firework Edition, 2007)
Quelques semaines plus tard, avec Leif Elggren encore, Esposito enregistrait dans une caserne de pompiers de l’Indiana. C’est là une réflexion sur l’accident, la catastrophe et la mort, sur l’instant qui soudain vous dérobe au monde. Au son : des boucles de bruits minuscules, des questions adressées par les agents du feu à quelque victime, des échos de voix attrapés au passage. Des morceaux d’atmosphères graves où Esposito et Elggren envisagent le document en artistes qu’ils sont.
Michael Esposito, FM Einheit : The Sallie House (Firework Edition, 2008)
Avec FM Einheit (Einstürzende Neubauten), Esposito fit deux courts séjours, en 2005 et 2006, dans une maison hantée du Kansas : The Sallie House. Sur un drone, il semblerait que des présences se fassent déjà entendre : une rengaine de quelques notes va et vient, des dialogues de drame, une femme répétant « why ? », des sursauts de saut comme autant de flashs cinématographiques et le noir et blanc de saturations et de parasites. Ambiance.
Michael Esposito, Brent Gutzeit : Enemy (Firework Edition, 2008)
C’est avec Brent Gutzeit (TV Pow) qu’Esposito installa ses micros dans un club de Chicago consacré à la scène noise : Enemy – la charge énergétique de l’endroit n’aide-t-elle pas les défunts à établir le contact avec les vivants ? De l’expérience, naquit une demi-heure à peine de field recordings crachant des éclats de métal et de cordes à saturation ou, d’un concret plus rassurant, des bruits de pas ou la rumeur de la rue.
Fantom Auditory Operations : The Child Witch of Pilot’s Knob (Tapeworm, 2012)
Sous le nom de Fantom Auditory Operations, Esposito expose sur cassette Tapeworm le résultat de ses prospections en cimetière (Pilot’s Knob, Kentuky) où fut enterrée une jeune fille en son temps soupçonnée, comme sa mère, d’actes de sorcellerie – en conséquence : toutes deux, brûlées vives – et où roderait « The Watcher », spectre qui chercherait à récupérer son enfant. De son pèlerinage, Esposito retient l’impression et, à coups de crépitements (le feu), de cloches aux mouvements transformés (le glas), de hennissements et de voix d’un autre âge, reconstitue les actes du drame. Après quoi, il applique sur sa composition ses captations « vocales » – auxquelles le support cassette (la bande) ajoute encore un peu d’étrange.
Muennich, Esposito, Jupitter-Larsen : The Wraiths of Flying A / Lars Åkerlund : Xenon (Firework Edition, 2012/2011)
Après avoir édité sur son label, Fragment Factory, un court exposé de révolte incendiaire (Die Arbeiter von Wien), Michael Muennich invite Michael Esposito – en poche, des enregistrements empruntés à l’American Film Studio de Santa Barbara – à rejoindre le duo qu’il forme avec GX Jupitter-Larsen. Ceci n’empêchant pas The Wraiths of Flying A d’être fait de solos (dont six interludes signés Muennich ou Esposito), de duos et de trios – formations qui recherchent toutes la compagnie des spectres (les silhouettes ravie, impassibles ou défaite, du livret ne formulant que quelques propositions).
Sonores, ces spectres prennent voix avec lesquelles jouer (témoignages renversés ou bouclés, dialogue homme-femme en proie à quel bombardement, dédoublement de discours faiseur de scansions…) et doivent se prémunir des machineries bruyantes inventées pour les écraser : née d’une confrontation Muennich / Esposito, The Grenn Room charrie des présences à n’en plus pouvoir. Expérimentale dans ce cas, la musique peut se faire plus dérangeante encore.
Ainsi sur Heimsuschung, pensée à trois : ce sont-là d'autres voix que l’on maltraite – coupe, concasse ou étouffe – sur un drone décoré de samples et d’inserts percutants. L’ouvrage est noir bien sûr, imposant plus encore, autant que l’est Slithering, neuf minutes durant lesquelles Muennich, seul maintenant, fleurit un autre drone sur le tangage d’une fantastique bécane à ravages.
EN ECOUTE >>> The Wraiths of Flying A
Michael Muennich, Michael Esposito, GX Jupitter-Larsen : The Wraiths of Flying A (Firework Edition)
Edition : 2012.
CD : 01/ The Green Room 02/ Interlude 03/ Heimsuchung 04/ Interlude 05/ The Wraiths of Flying A 06/ Interlude 07/ The Haunting of Mary Miles Minter (Part One) 08/ Interlude 09/ Slithering 10/ Interlude 11/ The Haunting of Mary Miles (Part Two) 12/ Interlude 13/ Stage Left
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sur le même label, Lars Åkerlund faisait paraître l’année dernière Xenon. Ce sont-là d’autres déferlements pensés en termes de musique : boucles de notes grésillant, grouillements d’arthropodes zélés, élevage de parasites sous cloche électronique. Le bouillon de culture est aussi rare que le gaz dont il porte le nom.
Lars Åkerlund : Xenon (Firework Edition)
Edition : 2011.
CD : 01/ White Shade 02/ Slow, Horizontal 03/ Acoustic Minor 04/ No Room No Shadow 05/ Additive
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
30/4 (Fragment Factory, 2013)
La « fabrique » de compilation est chose difficile – comme l’attestent la plupart des compilations éditées – mais Fragment Factory s’y adonne généralement avec soin, et même art – comme l’atteste cette compilation-là, trentième sortie du label, sur laquelle on trouve, subtilement agencées, des pièces diverses mais bruitistes toutes, singulières mais supportant le voisinage.
A l’origine, retourner à Hugo Ball, dont Joachim Montessuis interprète le Karawane d’une voix qui crache – l’aura-t-elle fait sur les costumes du public de la Fondation Cartier où il a été enregistré en 2012 ? – et mitraille. Alors défilent quelques agitateurs notoires, beaucoup d’entre eux déjà présents au catalogue FF : AMK sur collages gonflés de field recordings, Michael Esposito (et son jeune fils) sur proto-indus tournant sous l’action d’EVP, Michael Barthel sur chants brillant ou pauvre mais l’un et l’autre travaillés, Aaron Dilloway sur parcours balisé de drones…
Déjà convaincante, la compilation gagne à en rajouter, sous l’effet de Michael Muennich, hôte qui vérifie si sa fantaisie noire est soluble dans l’eau. Au contact d’autres éléments, Krube entamera trop près du feu une courte symphonie pour instruments de bois quand Philip Marshall jouera de courants d’airs (en vérité, de vieilles cassettes trouvées) qui feront tourner des manèges à fantômes. Au contact d’autres spectres, Leif Elggren dictera à un alien qu’il retient le message qui rassurera ses proches. En conclusion – c’est-à-dire, au beau milieu de 30/4 –, GX Juppiter-Larsen brouillera tous les messages délivrés pour en exposer la substantifique moelle : noise créatif et intense fait de mille étrangetés.
COLLECTIF : 30/4 (Fragment Factory)
Edition : 2013.
CD : 01/ Joachim Montessuis: Karawane 02/ AMK : The Oxbow of Christ Night 03/ Aaron Dilloway : Final Date with Uss Urgo 04/ Philip Marshall : Mixtape 05/ KRUBE : Wenn ich die augen schliebe, sehe ich nichts mehr 06/ Michael Barthel : Unbekänntes (Klage 1) 07/ GX Jupitter-Larsen : Radio Abrasion 08/ Michael Muennich : Sekvenser (För Joel) 09/ Giuseppe Ielasi : Untitled. May 2013 10/ Michael Barthel : Die Diener 11/ Leif Elggren :Twenty One Twenty Two 12/ Michael & Basil Esposito : Witches in the Wheat
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Interview de Michael Esposito
Qu’il enregistre seul sous le nom de Phantom Airwaves Project ou échange avec Michael Muennich, Leif Elggren, Jana Winderen, Kevin Drumm…, Michael Esposito interroge la place à faire à la voix des disparus dans le domaine de la musique expérimentale – qu’elle soit concrète, abstraite, ambient, noise… Explications ?
... Mes tous premiers souvenirs de musique remontent à ma petite enfance… C’est d’abord le bruit des semi-remorques qui hurlaient sur l’Autoroute 20, au bout de ma rue. Allongé sur mon lit, je les écoutais arriver de nulle part, en provenance des ténèbres, vers l’Est. J’imaginais leurs conducteurs, seuls dans leur cabine, le visage éclairé par les lumières rouges du tableau de bord. J’ai souvent rêvé les prendre en chasse, en pleine nuit... Un autre souvenir est celui du bruit sourd que faisait le four, qui m’arrivait à travers le plancher. C’était un bruit très lent et très long. J’imaginais que chacun de ses coups marquait le pas de mon grand-père mort, en route de Portage jusqu’à notre ferme d’Effingham. Je n’avais pas vraiment peur de lui mais j’avais le sentiment qu’il se passerait quelque chose de mauvais lorsqu'il arriverait enfin là-bas. Pour me rassurer, j’imaginais qu’à chaque fois que nous passions par cette ferme, il lui fallait repartir de zéro. Pour ce qui est des chansons, j’ai attendu l’âge de sept ans pour m’y mettre : ma préférée était Uncle Albert/Admiral Halset de Paul et Linda McCartney. J’aimais sa composition irrégulière et ses changements. Je l’ai entendu pour la première fois dans une confiserie de Chicago, jouée par un juke-box. Mon père m’a alors acheté le quarante-cinq tours dans la boutique de disques d’à côté. Une fois rentré à la maison, je l’ai doucement déposé sur la platine. C’était mon premier disque.
On peut entendre un orage sur cette chanson… Peut-être le premier d’une longue série de field recordings ? Oui, en effet ! Quand j’étais jeune – cela dit, ça m’arrive encore – je laissais la fenêtre de ma chambre assez ouverte pour entendre le vent siffler. A l'époque, j’avais l’habitude de regarder Mutual of Omahas Wild Kingdom et je fermais les yeux pour me concentrer sur les sons. J’ai une collection assez imposante de field recordings et je continue à les collectionner, en fait, surtout des enregistrements historiques. On peut encore trouver de jolies choses, comme sur YouTube : par exemple le clairon qui a sonné la charge de la brigade légère, conservé sur des cylindres phonographiques. Aujourd’hui, j’écoute un peu Chris Watson ou Jana Winderen. J’ai d’ailleurs enregistré une fois avec Jana, dans les profondeurs d'un lac gelé à la recherche de monstres lacustres.
Quand avez-vous commencé à faire de la musique, et dans quel contexte ? J’ai appris à jouer de la basse, de la guitare et de la mandoline. Ma grand-mère m’avait acheté trois disques pour noël : Apostrophe de Frank Zappa, Relayer de Yes et Aqualung de Jethro Tull. Mon souhait était alors de devenir Chris Squire !!! (rires) Les chefs-d’œuvre de Yes étaient étonnement expérimentaux. Sur le chemin du home-studio de Squire, Jon Andreson et Patrick Moraz s’arrêtaient chez des ferrailleurs pour glaner des bouts de métal sur lesquels ils battraient pendant l’enregistrement de Relayer. Mon premier groupe préféré a été Pink Floyd… J’avais quelques morceaux sur une cassette. Je me souviens d’Ummagumma et d’Atom Heart Mother, mes disques préférés, et des enregistrements de Syd Barrett bien sûr. J’ai eu la réédition de The Apples and Oranges à mon entrée au lycée. C’est là que je me suis mis à l’art expérimental, dans le sillon creusé par Duchamp. Musicalement, j’aimais bien John Lennon et Yoko Ono, Pink Floyd, Yes, Kraftwerk, Focus, ce genre de trucs bizarres. Avec mon frère, on a même campé pour obtenir Animals de Pink Floyd en cassette le jour même de sa sortie. A l’occasion de ma première exposition personnelle, toujours au lycée, des amis et moi avons enregistré des cassettes dans ce genre. Et puis, après le lycée, je me suis tourné vers la musique industrielle et les disques du label Wax Trax! Parmi les premiers concerts auxquels j’ai assisté, il y eut Einstürzende Neubauten et Ministry. J’ai eu pas mal de chance de pouvoir travailler avec quelques-unes de mes idoles de jeunesse…
Notamment FM Einheit et Chris Connelly… Oui… J’ai passé la fin de mon adolescence à écouter Chris et Mufti, et d’autres encore avec lesquels j’ai enregistré depuis.
Jouez-vous toujours de la guitare ? Oui. Sur The Icy Echoer, tout le monde pense que c’est Kevin Drumm qui joue de la guitare ; ça semble évident… mais en fait, c’est bien moi ! (rires)
Quels disques ont eu une influence sur votre travail ? J'écoute encore Relayer de Yes. Ensuite, il y a Olias of Sunhillow de Jon Anderson, un album vraiment sous-évalué. Il y a aussi Halber Mench des Neubaten et Autobahn de Kraftwerk, les disques de Revolting Cocks et de Clock DVA sont aussi fantastiques… Et puis le Second Annual Report de Throbbing Gristle, que j’ai acheté la même année que Zoot Allures de Zappa. Il me faut aussi citer les musiciens et explorateurs avec lesquels j’ai travaillé, comme Leif Elggren, Michael Muennich, John Duncan, GX-Jupitter Larsen... Je regrette vraiment que Farmers Manual a cessé de jouer. Ils étaient fantastiques !
Quels ont été les débuts du Phantom Airwaves Project ? Phantom Airwaves était en fait une sorte de couverture pour mes travaux d’EVP. J’ai toujours imaginé un genre d’organisation institutionnelle qui, cachée dans un bunker en temps de guerre, collecterait des documents pour la postérité (rires). Protégée par cette couverture, ma merveilleuse armée d’explorateurs pouvait se mettre au travail… Pour tout dire, j'ai travaillé dans l’armée, section des affaires civiles et des opérations psychologiques. Bon, je n’étais pas un fou furieux, mais j’aimais la structure de l’organisation et la manière dont la libre pensée pouvait influer un peu sur une organisation aussi rigide. C’était une contradiction intéressante. Les gens ne se rendent pas compte de la beauté de la chose... Je crois que c’est un peu comme la façon de penser qui régit la musique industrielle !
Comment est né alors votre intérêt pour l’EVP ? Faut-il forcément croire aux fantômes pour que naisse ce genre d'intérêt ? Voilà : je construisais des ordinateurs à partir de rien – vous savez, ce genre d’appareils modifiés… Je m’étais mis à construire un studio trente-deux pistes avec une tour midi reliée à une platine cassette et je travaillais sur la possibilité d’élargir des fréquences quand j’ai découvert l’EVP et les travaux de Konstantin Raudive. A sa suite, j’ai essayé de capturer quelques voix et depuis je n’ai jamais décroché. Pour ce qui est d’y croire, non, ce n’est pas nécessaire : les fantômes parlent à tout le monde ! Mais il est vrai qu’être sceptique peut affecter l’opinion que vous pourrez vous faire de leur discours…
Vous avez étudié la communication. Votre pratique de l’EVP a-t-elle aussi à voir avec ce domaine ? Absolument. L’EVP, c’est de la communication. En fait, c’est bien plus encore de la nécromancie. Les méthodes de communication sont très utiles à l’identification d’EVP. J’ai étudié l’orthophonie et l’identification vocale en criminalistique, et, à un moment ou un autre, ces spécialités m’ont toutes deux été utiles.
Comment les fantômes qui chercheraient à donner de la voix pourraient-ils envisager votre activité, c’est-à-dire transformer ces tentatives de communication en musique ? J’aime à croire que mon activité donne justement voix aux fantômes ou aux énergies désincarnées. J’envisage mes travaux non pas seulement comme des documents, mais comme un pont qui aiderait à la compréhension entre vivants et morts, et vice-versa.
Parfois, à l’écoute de musiciens comme Keiji Haino, Merzbow, pour ne prendre que deux exemples, on peut avoir l’impression d’entendre des « voix » de fantômes, comme faisant partie du propos musical – même si l’idée que chacun se fait d’une « voix de fantôme » diffère, si elle n'a été pour beaucoup forgée par le cinéma. Croyez-vous au pouvoir de ces traces de fantômes artificielles ? En tant qu’outil, oui bien sûr ! L’une des choses principales qui relie la musique expérimentale et les recherches en EVP sont les gammes de fréquences avec lesquelles on travaille. J’ai plusieurs fois utilisé de la musique expérimentale dans le but d’infuser une chambre dans laquelle je m'apprêtais à enregistrer. J’utilise pour ce faire un disque très spécial, créé par Achim Monche. La musique expérimentale est sœur des recherches en EVP.
Quel genre d’objet est ce disque d’Achim Monche ? C’est un vinyle, dont les sillons sont « vides ». Je possède, je crois, l’un des trois exemplaires qui existe au monde. Cet enregistrement change selon l’endroit dans lequel il est joué, selon les poussières et les particules en suspension qu’il y trouve et qu'il intègre dans ses sillons…
Les musiciens avec lesquels vous avez récemment enregistrés (Francisco Meirino, Kommissar Hjuler, John Duncan, Z’ev…) ont-ils le même intérêt que vous pour ce genre de recherches ? Comment les avez-vous rencontrés ? J’ai rencontré certains d’entre eux à l’occasion de concerts ou de festivals. D’autres m’ont directement contacté, quand ce n’est pas moi qui les ai contactés. Le déclic s’est fait lorsque je faisais mes premières recherches et que je n’arrivais pas à mettre la main sur une copie de The Ghost Orchid ; j’ai alors appelé Mike Harding. J’ai fini par devenir le producteur de la troisième édition de cette anthologie afin de pouvoir enfin mettre la main sur une de ses copies ! (rires) A partir de là, il m’a présenté Leif Elggren et Leif m’a présenté à Micky von Hausswolff, et mon travail a alors pu commencer. Ca a été comme arriver à la maison après des années d’absence.
Enregistrez-vous dans une même optique, que vous soyez seul ou accompagné sur disque ? Oui, je crois. Les voix sont là. Elles ont toujours été là. Certaines personnes les ont trouvées (la plus ancienne d'entre elles étant Waldemar Bogoras, en 1902), d’autres sont sceptiques ou tout simplement pas au fait de la chose. Ce qui est à la fois intéressant et merveilleux, c’est de prendre en compte l’interprétation que d’autres ont fait de ces voix, aussi bien littéralement que musicalement ou en tant qu'objet sonore. Quant à l’interprétation que j'en fais moi-même, je ne pourrais pas en dire grand-chose, ce serait vite redondant. Pour ce qui est de mes collaborations, ce n’est pas qu’elles valident mon travail, mais je ressens que je grandis à chacune d’entre elles. Elles n’agrandissent pas seulement mon champ de recherches mais agissent comme autant de catalyseurs de mon propre changement et m’aident à me développer en tant que chercheur et artiste. Je crois fermement que l’art véritable est aussi une science et que la véritable science est aussi un art. Je ne serais que la moitié de ce que je suis aujourd’hui si je n’avais pas travaillé avec toutes ces personnes fantastiques qui ont accepté d’explorer à mes côtés.
Faîtes-vous une différence entre enregistrer des « atmosphères » et utiliser ces enregistrements à l’occasion de ces collaborations ? L’enregistrement d’atmosphères est une activité passionnante en soi. Là, je cherche des sons intéressants et des anomalies sonores que l’on ne devrait normalement pas entendre ou même remarquer en tendant simplement l’oreille. Je garde souvent ce genre de documents afin de les utiliser comme je le fais avec les EVP. Ce que l’on ne devrait pas entendre est toujours fantastique.
Comment choisissez-vous les endroits que vous enregistrez ? Certains, même prometteurs, se révèlent-ils décevants ? J'ai parfois un lien personnel avec ces lieux, d'autres fois je les découvre au hasard et d'autres fois encore je les cherche lorsqu'il m'arrive de travailler sur un thème bien précis. Je situe toujours ces endroits dans mes documents : d'un point de vue scientifique, je trouve important de ne pas faire de mystère sur le lieu d'où provient un EVP. Tout doit être envisagé en tant que document, et tenir la route aussi bien en tant que document qu'en tant que composition musicale. Je peux m'estimer assez chanceux de n'avoir que très très rarement enregistré un lieu sans capturer le moindre EVP. Troublant, n'est-ce pas ?
Michael Esposito, propos recueillis en avril et mai 2013.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Duncan, Michael Esposito, Z’ev : There Must Be A Way Across This River / The Abject (Fragment Factory, 2011)
Sur la première face, je suis invité par John Duncan en personne à passer une porte basse. Je le précède donc et emprunte un escalier qui descend. A chacun de nos pas, l’escalier répond par des sortes de grincements tandis qu’une voix murmure à mon oreille (peut-être cherche-t-elle à me prévenir ?). Je suis inquiet et en plus claustrophobe mais j’avance jusqu’en face B.
J’entre alors dans une pièce où sont assis d’autres invités et je m’assois. Z’ev est là, debout qui s’agite tandis qu’une autre voix raconte sa maison d’enfance, nous la fait visiter. Cette voix remue des souvenirs pendant que Z’ev mime le passage des fantômes soulevés à la machine à neutrons. La poésie est noire, mais moins que ce qu’on veut nous cacher. En effet, d’une porte qui doit être dérobée nous parviennent d’autres cris d'une souffrance presque aussi terrible que celle de ces « laissez moi mon triple A ! » que l'on entend partout.
Ce que laissent entendre ces deux collaborations de Michael Esposito (electronics, voix, enregistrements) sont peut-être moins impressionnantes que ce qu’elles nous cachent. Après la réunion, je reste assis quelques minutes au même endroit, la pièce est déserte et les voix se sont tues. Je rêve de ce qu’aurait pu m’apprendre une troisième face, et une quatrième, etc. Je suis rassuré mais pas apaisé. Il me faut reprendre cette porte basse.
EN ECOUTE >>> There Must Be A Way Across This River (extrait)
John Duncan, Michael Esposito, Z’ev : There Must Be A Way Across This River / The Abject (Fragment Factory)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
LP : A/ There Must Be A Way Across This River B/ The Abject
Pierre Cécile © Le son du grisli