Merzbow, Keiji Haino, Balázs Pándi : An Untroublesome Defencelessness (RareNoise, 2016)
Quand on est fatigué des trios guitare / basse / batterie, pourquoi ne pas essayer les trios guitare / électronique / batterie ? Et l’un des plus engageants (sur le papier tout du moins) en plus ? Alors BIM Keiji Haino / Merzbow / Balázs Pándi, captés l’année dernière à Tokyo.
Depuis ses débuts on a l’habitude d’entendre le batteur hongrois avec Merzbow en duo ou avec Merzbow et Mats Gustafsson en trio. S’il s’est déjà frotté à la guitare avec Joe Morris & Thurston Moore, il gravissait tout de même un échelon en imaginant la rencontre de son duo avec Merzbow et de Keiji Haino. Maintenant, puisqu’il était particulièrement attendu, An Untroublesome Defencelessness s’avère d’autant plus décevant.
D’abord parce que la batterie recouvre lourdement la guitare et l’électronique qui sont parfois poussifs de la première à la troisième partie du premier titre, Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters… Et si c’est bien mieux sur le deuxième morceau (en quatre parties), entre grosse batterie, ronronnements de guitare et cris gutturaux, c’est encore pas à la hauteur de nos attentes. Du réchauffé qui marche toujours, mais du réchauffé qui tourne en rond, donc du réchauffé malheureusement.
Merzbow, Keiji Haino, Balázs Pándi : An Untroublesome Defencelessness
RareNoise
Enregistrement : 15 avril 2015. Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters... (Part I) 02/ Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters... (Part II) 03/ Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters... (Part III) 04/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part I) 05/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part II) 06/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part III) 07/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part IV)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Merzbow, Mats Gustafsson, Balázs Pándi : Live in Tabačka 13/04/12 (Tabačka)
La veille de l’enregistrement de Cuts – disque qui consigna le premier la collaboration de Mats Gustafsson avec le duo Merzbow / Balázs Pándi –, les mêmes donnaient un concert à Košice, en Slovaquie. C’est ce concert que le vinyle estampillé Tabačka rapporte aujourd’hui.
Il faudra d’abord reconnaître à Pándi une oreille alerte : au creux de la déferlante électronique que Merzbow et Gustafsson polissent à force d’orage et de convulsions, ne parvient-il pas à décerner un pouls sur lequel calquer ses pulsations ? Affirmées, celles-ci, qui décident de frappes sèches et renforcent bientôt le tumulte. Sur la fin de la première face, quelques sifflements ; sur le début de la seconde, Gustafsson passe au saxophone baryton. Graves répétés, ripages et même un solo déposé sur les roulements de batterie, comblent l’improvisation bruyante d’une façon différente. Pas rare, ni inattendue, mais efficiente encore.
Merzbow, Mats Gustafsson, Balázs Pándi : Live in Tabačka 13/04/12 (Tabačka)
Enregistrement : 13 avril 2012. Edition : 2015.
LP : A-B/ Live in Tabačka
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Richard Pinhas, Oren Ambarchi : Tikkun / Richard Pinhas, Yoshida Tatsuya : Welcome in the Void (Cuneiform, 2014)
Sur des loops electro-kraut et le soutien de renforts (Joe Talia & Eric Borelva à la batterie, Merzbow aux electronics ou Duncan Pinhas au séquenceur), Richard Pinhas et Oren Ambarchi se sont amusés à croiser leurs six cordes. C’était dans le studio de l’ancien Heldon en 2013 à Paris même si les titres nous expédient à Washington, Tokyo et San Francisco.
Géographiquement donc, on plane un peu (d’ailleurs d'où viendront les pistes des invités ?) jusqu’à ce que le duo propulse la navette dans une nouvelle contrée RanXeroxienne. L’air y est fort respirable et nos guitare-héros (francisons pour l’occasion) y vont de leurs effets psychénervés / bruts de rock avec la batterie enfoncée de Talia pour finir dans la retenue. Arrivés à San Francisco, les allers-retours de médiators ne nous parviennent plus, ils sont cachés derrière de nappes de synthé et des drones faméliques. C’est d’ailleurs là que réside tout l’intérêt de l’enregistrement, dans l’offre d’un voyage ébouriffant suivi d’une phase de décompression. A peine remis on se rue sur le DVD du concert que Pinhas et Ambarchi ont donné le 29 octobre 2013 aux Instants Chavirés... histoire de mettre des figures sur des affections !
Richard Pinhas, Oren Ambarchi : Tikkun (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Washington D.C. – T4V1 02/ Tokyo – T4V2 03/ San Francisco – T2V2 – DVD : Concert du 29 octobre 2013 aux Instants Chavirés.
Pierre Cécile © Le son du grisli
Roulement de tambour, c’est un autre duo qui commence : Richard Pinhas / Yoshida Tatsuya. Le batteur des Ruins a de la poigne, on sait ça, & le médiator qui arrache toujours le même accord à la guitare électrique lui dit qu’il faut creuser. Mais creuser quoi ? Eh bien un trou noir. Mais pourquoi ? Eh bien pour le remplir de couleurs ! Pendant plus d’une heure, ce'est ce qui se passe, et le délire répétitif accouchera d’un nouveau ballet cosmique.
Richard Pinhas, Yoshida Tatsuya : Welcome in the Void (Cuneiform / Orkhêstra International)
Edition : 2014.
CD : 01/ Welcome in the Void Part 1 02/ Welcome in the Void Part 2
Pierre Cécile © Le son du grisli
Masami Akita, John Duncan : The Black Album (Tourette, 2014)
The Black Album est… vert, sa pochette est rose rose et sa couverture noire, certes, mais complètement perforée (ça c’est le Texas, où crèchent les gars de Tourette Records. Qu'ils aient la gachette facile n'est pas une raison pour être grossier, d’autant que la décharge que j’ai reçue à l'écoute du LP est suffisante… en tout cas me suffit, à moi.
Alors quoi ? Une fois ma main glissée parmi les trous de balles (j’y peux rien), j’attrapai le vinyle, le posai sur la platine et y mis dessus le diamant et là… C’est comme un objet métallique (qui serait ma tête) que l’on appuierait sur un tour de pierre : ça crisse, larsenne et crache (pour tout dire : agresse d’une force !). Mais (et il ne faut pas l’oublier) on peut quand même se raccrocher à un rythme : et oui, voilà, ce rythme est celui de ce tour de pierre qui tourne à la régulière…
Heureusement, conciliante, l’agression se fait après plus douce, presque câline, avec un grand rétropédalage dont profitent les bruits de bandes (vrais ? de synthèse ?) et les parasites en tous genres, avant que les hostilités (les « austérités », dirait ma coiffeuse) ne reprennent : aïe, je m’ai écorché ; ouf, c’j'aime le goût du sang ! Vous ai-je dit au moins qu’il s’agissait là d’une brillante collaboration entre Masami Merzbow Akita et John Duncan ? (et que j’ai oublié de fermer la parenthèse en ligne 2 ?)…
Masami Akita, John Duncan : The Black Album (Tourette / Souffle Continu)
Edition : 2014.
LP : AB/ The Black Album
Pierre Cécile © Le son du grisli
P16.D4 : Passagen (Monotype, 2012)
C’est à un projet complètement fou (donc nécessaire) que s’est attelé le label Monotype : la réédition de la discographie de P16.D4, groupe allemand qui sévit dans les années 1980 et fit grand bruit quels que furent la nature (électronique, électriques, cassettes, bandes) de ses instruments. Si l’on craint pour Monotype la catastrophe industrielle, on se réjouit d’une telle entreprise !
Car elle nous permet de mettre l’oreille sur des enregistrements labellisés Selektion qui étaient devenus rares et qui nous font un effet d’une rare modernité… Ralf Wehowsky (RLW), membre le plus endurant (si je puis m’exprimer ainsi), et ses comparses Roger Schönauer (RS), Ewald Weber (EW) et bientôt Stefan E. Schmidt (SES), pourraient en effet faire passer Throbbing Gristle pour un gentil groupe de hit parade. Dès Kühe in ½ Trauer, leur premier disque enregistré entre 1982 et 1983, tout est dit (ou presque) : instruments traditionnels (piano, guitares, synthétiseurs, orgues, voix…), loops rutilantes, cassettes réemployées à vau-l’eau, arrangent des atmosphères étouffantes : dans un blockhaus fermé à double tour, vous voilà spectateur des frasques des plus cinglés fantômes Dada. Malgré tout, les musiciens respectent encore un format court de chanson estampillé punk.
Après ce coup de maître, le groupe signe Distruct en retouchant des bandes de Merzbow (qui collaborera souvent avec le groupe), Smegma, De Fabriek, The Haters, Nurse with Wound ou encore du guitariste et saxophoniste Yoshiaki Kinno. P16.D4 y donne dans une sorte d’indus pour ensuite casser tous les codes, mis à part peut-être ceux de la musique concrète (il n’y a qu’à entendre le disque suivant, Nichts Niemans Nirgends Nie, et Bruitiste avec Alchim Wollscheid, l’un des Three Projects publiés par RRRecords et Selektion entre 1988 et 1990). Au diable les punks, donc, voici le temps venu des ingénieurs « studio » farfelus.
Comme pour faire le pont, mais a-posteriori, le gruppe concocte en 1987 Acrid Acme [Of] qui regorge de réutilisations d’enregistrements qui datent, eux, de 1981. On reprend des chansons punks et on les taille au cutter comme s’il s’agissait de vieux jean. Et les bouts qui tombent, on se les arrache aux cris de collages de bouts de chants de guitares ou de cymbales,, de déformations de sons d’orgues, de constructions tranchantes … La pratique est la même pour les morceaux que P16.D4 distribuera sur des compilations k7 publiées aux quatre coins du monde, morceaux compilés sur le disque Tionchor.
Pour terminer en beauté, le grand coffret contient un DVD (neuf vidéos de Markus Caspers et Horst Maus diffusés sur scène pendant les prestations du groupe + quatre films tiré des archives de Caspers qui montrent des inscription ou le tapage fait par des musiciens armés de marteaux ou chatouillant un piano ou les murs d’un studio…), un livret (qui reprend une histoire de P16.D4 publiée signée Dan Warburton pour Wire en 2005 et renferme des photos, des chroniques et les discographies de P16.D4 et RLW) et enfin 4 cartes cartonnées (à jouer puisqu’elles pourraient bien être des non-partitions, qui sait ?). Bref, de quoi tenir quelques mois en bonne et bruyante compagnie !
P16.D4 : Passagen (Monotype)
Enregistrement : 1982-1991. Edition : 2012.
5 CD + 1 DVD : CD1/ Kühe in ½ Trauer CD2/ Distruct CD3/ Nichts Niemand Nirgends Nie CD4/ Tionchor LP CD5/ Acrid Acme – DVD / Ethereal Ephemera
Pierre Cécile © Le son du grisli
Richard Pinhas, Merzbow, Wolf Eyes : Victoriaville Mai 2011 (Victo, 2012)
Merzbow & Wolf Eyes & Pinhas (bon certes bon déjà réunis sur Metal/Cristal) enregistrés au festival de Victoriaville en 2011 ? Quels beaux (je ne dirais pas doux) bruits n’attendons-nous pas de cette affiche !
Pas de raison d’être déçu : des salves de guitares arrivèrent de loin pour déferler sur un public paralysé. Qu’importe, on ajoute quelques basses qui gonflent le tout et passé le quart d’heure, voilà que l’amalgame noise commence à faire craquer le bloc compact que forment les spectateurs. Un peu de Wolf Eyes vocals (comprendre : des chants de torture), des saxophones criards, des boucles de laptops, des guitares sous chorus et delay, l’amas est impressionnant et évite la bêtise souvent faite du branle-bas de combat boursouflé.
Car si ce concert étonne c’est par sa force de frappe bien sûr, mais encore plus par la bride enfoncée profond dans la bouche du noise… Puissant et presque pondéré. Enfin, avant que ne débute la seconde plage du disque (un rappel de dix minutes) : la foudre s’abat cette fois sur le public qui n’en réchappera pas… Puissant et volcanique. Tout parfait !
Richard Pinhas, Merzbow, Wolf Eyes : Victoriaville Mai 2011 (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 20 mai 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Victoriaville Mai 2011 02/ Victoriaville Mai 2011 – Encore
Pierre Cécile © Le son du grisli
Interview de Nate Wooley
Lorsqu’il tourne le dos au jazz qu’il peut servir – et même interroger – aux côtés de Daniel Levin, Harris Eisenstadt ou Matt Bauder, Nate Wooley s’adonne à une pratique expérimentale en faveur de laquelle plaident aujourd’hui deux références de taille (The Almond et Trumpet/Amplifier). Sinon, c’est l’improvisation qui l'anime encore, comme l’atteste le non moins indispensable Six Feet Under enregistré avec Paul Lytton et Christian Weber. Ce qui fait trois raisons valables de passer aujourd’hui le trompettiste à la question.
... Mon père est musicien – saxophoniste. Je pense que mes premiers vrais souvenirs de musique viennent des musiciens qui passaient à la maison. Je ne suis pas sûr qu’ils jouaient ou répétaient… Je me souviens juste de leur présence chez nous, d’eux traînant, buvant un verre et discutant. Je pense que cette impression de communauté est ce qui m’a amené à la musique. Je sentais qu’un lien très fort les unissait et que cela venait justement de cette activité qu’ils partageaient.
La trompette a été ton premier instrument ? Ca a été le piano, en fait. A vrai dire, ça a été assez dur,et je pense que mon professeur et mes parents ont pensé plus d'une fois que ce n’était pas fait pour moi. Je ne pense pas que j’avais décidé de moi-même de faire de la musique, et mon professeur de piano – après que j’ai commencé la trompette, pour être précis – s'est mise à chercher une musique qui pourrait me convenir ; elle m'a alors amené les « petites pièce pour piano » de Schoenberg. Ca a été la première fois que je me suis senti vivant en musique, et elle a su le remarquer : alors elle m’a apporté un jour un CD de ces pièces interprétées par Maurizio Pollini, et ça a été la clef de tout pour moi. A partir de là, je me suis intéressé au jazz et à la musique contemporaine…
Quels sont les musiciens de jazz qui t’ont influencé ? Mon père, bien sûr, et puis j’ai connu des moments où j’étais obsédé par tel ou tel musicien sans vraiment ressentir leur influence sur le long terme… Ca a été Booker Little, Woody Shaw, Charlie Shavers… Dolphy ?
Et des trompettistes comme Bill Dixon, Alan Shorter, Charles Tolliver, Jacques Coursil… ? J’ai écouté ces musiciens bien après, souvent parce qu’on me conseillait des les écouter, c’est pourquoi je n’ai jamais vraiment senti que mon jeu de trompette tenait des leurs… Avec le temps, je serais, je pense, forcément arrivé jusqu’à eux, mais je crois que j’avais une idée bien précise de la manière dont je voulais sonner, de ce qu’était mon langage, et de ce que j’entendais. En conséquence, quand on me conseillait d’écouter quelqu’un comme Coursil, c’est parce qu’on jugeait qu’il y avait des similarités entre son jeu et le mien, et ce n’est pas si intéressant d’aller entendre un travail qui se rapproche du vôtre ; écouter un musicien vraiment différent aura davantage d’informations nouvelles à vous apporter… Ce qui n’empêche : leur travail est fantastique, je n’y suis tout simplement pas assez entré, celui de Dixon mis à part, même s’il n’a pas été de ces musiciens qui ont pu m’obséder un temps. J’ai pu lui parlé, à deux reprises, et j’y ai puisé beaucoup de choses, ça c’est indéniable…
Tu touches aujourd’hui autant au jazz qu’à une improvisation abstraite, pour dire les choses rapidement… Fais-tu une différence entre ces deux pans de ta pratique musicale ? Consciemment, je ne change pas ma façon de penser selon que je joue dans l’un ou l’autre de ces domaines. Il y a certaines choses qu’il me faut cependant prendre en compte : qu’elles soient techniques lorsque je joue avec ampli, ou encore dans le cas où j’interprète de la musique écrite, définir quel est mon rôle dans le groupe ou ce dont la musique a besoin… Si je me concentre là-dessus, habituellement le reste suit de lui-même. Les mélanges, les fusions de telle ou telle chose avec telle autre, ne m’intéressent pas. Je joue le jazz tel que je l’entends et ses variations peuvent m’amener à y mettre des plages bruyantes ou à décider de faire disparaître une mélodie sous des tombereaux d’électronique. Ma musique vient simplement de ma façon d’entendre les choses et je fais de mon mieux pour qu’elle puisse s’accorder à celle de chacun de mes partenaires.
A ce sujet, peux-tu revenir sur ton arrivée à New York ? De quelle manière celle-ci a-t-elle été décisive ? J’y suis arrivé en 2001. La chance a provoqué les premières vraies choses que j’y ai faites : je débarrassais les tables dans un restaurant quand j’ai reconnu ce saxophoniste, Assif Tsahar, que j’avais beaucoup écouté sur les disques de William Parker quand j’étais encore au lycée. Je le salue et une semaine plus tard il m’appelle et me propose de jouer dans un de ses orchestres. Ca a été incroyable, pendant les répétitions et les concerts, j’ai rencontré beaucoup de musiciens avec lesquels je continue de jouer, comme Okkyung Lee, Steve Swell… Cette expérience a été fantastique, nous improvisions tous ensemble et sans cela m’aurait pris des années pour me faire entendre de toutes ces personnes.
Penses-tu faire partie d’une génération de musiciens qui ont eu la possibilité d’écouter du fre jazz, de la musique contemporaine, du rock indépendant, etc. et qui profiterait aujourd’hui de ces différentes sources d’inspiration ? Je crois que cela existe en effet, mais pour ma part je n’ai jamais vraiment écouté de rock… Je ne pense pas avoir entendu Led Zeppelin avant d’avoir dépassé la vingtaine, et il y a beaucoup de groupes que je connais simplement parce que j’ai pu partager une date avec eux ou que je connais quelqu’un qui a joué avec eux. Ce n’est pas quelque chose que je recherche, en conséquence on ne peut pas dire que cela influe sur ma musique. Il y a toutefois le noise, avec des gens comme Spencer Yeh et John Wiese, mais peut-on dire que cela soit du rock indépendant ?
Comment es-tu tombé sur les travaux de Wiese ou de Spencer Yeh, dans ce cas ? J’ai découvert leur musique pour avoir joué avec Graveyards et Melee, et en discutant avec Ben Hall et John Olson… A cette époque, je m’intéressais beaucoup aux bandes et aux drones, mais davantage au travers de gens comme Eliane Radigue et William Basinski, Tudor, Mumma, Oliveros… Ces types ont attiré mon attention sur le fait qu’il y avait, parmi mes pairs, des jeunes qui travaillaient à une nouvelle version de cette musique, vivante et davantage basée sur la performance, à laquelle j’ai tout de suite souscrit.
Qu’écoutes-tu ces jours-ci ? J’écoute beaucoup de choses en lien avec mes travaux, comme la League of Automatic Music Composers, Doron Sadja, Mario Diaz de Leon, BSC… A la maison, c’est surtout Messiaen et 13 Japanese Birds de Merzbow…
Ton approche expérimentale de la musique pourrait être qualifiée de constructiviste et/ou minimaliste – prenons par exemple ta collaboration avec Gustafsson sur Bridges ou évidemment sur Almond et Trumpet/Amplifier. Quand as-tu commencé à enregistrer ce genre de choses et quels sont les musiciens que tu écoutes qui peuvent s’en approcher ? J’ai toujours été intéressé par ce genre de musique mais je ne pense pas avoir commencé à travailler sur bande avant 2003 ou 2004 quand je fabriquais des CD-R que j’emmenais avec moi en tournée. C’est là-dessus que sont apparues pour la première fois mes premières pièces construites, bruyantes, parfois bancales ; ensuite, j’ai conçu The Boxer pour EMR, qui doit être ma première pièce dérangée vraiment réfléchie et le début de cette sorte de langage que je développe aujourd’hui dans ce genre. J’adore écouter n’importe quelle musique pour bande. J’ai longtemps été un grand fan des travaux sonores de Walter Marchetti, des pièces d’Ablinger (celles pour enceintes), Phil Niblock, Eliane Radigue, John Wiese, Lasse Marhaug, et des tonnes d’autres personnes… C’est ce genre de choses que j’écoute la plupart du temps, bien plus que n’importe quoi d’autre.
Les disques que tu signes dans ce genre sont-ils une façon de documenter tes recherches sur le son ? Disent-ils la même chose de toi que les enregistrements qui ont davantage à voir avec le jazz ? Tous mes disques participent de la même chose. Ce n’est pas tant mes recherches que je documente là que mon évolution, mais sans doute parlais-tu de cela… En fait, écouter un de mes disques doit me mettre dans un état totalement différent de celui dans lequel j’étais lors de son enregistrement. Pas forcément confortable, d'ailleurs... J’aime les disques qui donnent une sensation d’inconfort autant que les disques joyeux, romantiques, héroïques – n’importe quoi, pourvu qu’ils aient un effet sur ma façon de sentir les choses. Il m’importe peu que ça puisse être qualifié d’expérimental, de jazz ou de je ne sais quoi, à partir du moment où mes poils se dressent sous l’effet de la musique ou si elle me laisse totalement désemparé après son passage – toute réaction viscérale est la bienvenue !
Les techniques dites étendues sont d’un apport indéniable… D’où est né ton intérêt pour elles ? Je me suis intéressé aux techniques étendues et à ce genre de choses lorsque j’ai commencé à m’interroger sur la provenance de chacun des sons que j’émettais en travaillant ma technique à la trompette. Je ne m’y suis jamais mis avec l’idée de développer d’éventuelles techniques étendues. C’était plutôt comme entendre un son étrange né d’un déséquilibre à l’embouchure, m’en souvenir et le garder à l’esprit pour le mêler à ma technique « traditionnelle », laisser ce son se développer en parallèle à cette technique et envisager l’ensemble comme un élément de mon langage…
Pour étoffer celui-ci, tu as trouvé un partenaire stimulant en la personne de Paul Lytton… Néanmoins, en écoutant Six Feet Under, il semblerait que tu fasses de plus en plus cas du silence… Le silence a toujours été important pour moi. C’était plus évident sans doute à entendre il y a encore cinq années de cela, lorsque j’ai dû faire face à pas mal de problèmes techniques à la trompette et ai ressenti le besoin de me pencher sur le silence pour façonner mon improvisation ; et puis, avec l’apport de la technique, je suis passé par une période davantage tournée vers la saturation et la densité parce que, tout à coup, j’en étais capable... et l’enfant qui était en moi s’est mis à me conseiller de jouer un million de notes… Cette phase est passée assez vite, et je pense que Six Feet Under a vraiment été le premier enregistrement qui attestait que j’étais sorti de cette phase et que je trouvais de nouveau du plaisir à phraser.
La musique contemporaine (de Cage à Feldman en passant pas Scelsi) comme l’improvisation récente ont montré que le silence pouvait être aussi dérangeant qu’un beau bruit… Silence et bruit sont liés… Je pense que se concentrer sur le silence lorsque l’on pense à la musique de Feldman, Cage ou à celle des compositeurs du Wandelweiser, et une solution de facilité. Bien sûr que ces musiques sont pleines de silence mais si elles n’étaient faites que de cela alors elles ne seraient que des pièces conceptuelles qui feraient effet une fois (4’33'’) et une fois seulement. La raison pour laquelle nous continuons de parler de Feldman (dont l’œuvre ne fait d’ailleurs pas tant que ça de place au silence) est qu’il arrange à sa manière et en silence le monde sonore qu’il habite. Même chose pour le bruit : il n’est puissant que pris dans un contexte plus large. Quatre-vingt-dix minutes de bruit, c’est stupide, tout comme quatre-vingt-dix minutes de silence est stupide, et pourtant nous ressentons encore le besoin de parler de l’un ou de l’autre séparément, de les comparer en tant qu’éléments imposés… Quand tu obliges des éléments musicaux à une hiérarchie, alors cela devient de la théorie, du concept, et cela cesse d’être de la musique...
Nate Wooley, propos recueillis mi-juin 2012.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Merzbow : Yaho-Niwa (Nuun, 2011)
En ces temps critiques, la musique de Merzbow est une valeur-refuge. C’est que Merzbow se moque des apparences : ni déflation ni inflation, toujours il donne dans la déflagration, quoi qu’il lui en coûte et qu’il en coûte aux autres…
« Je suis le bruit et la fureur », proclame-t-il encore sur Yaho-Niwa, « le tumulte et le fracas » – le fracas ou le chaos, je ne sais plus ; je ne sais même pas si Merzbow aurait osé dire un truc pareil... Il faut avouer que les temps sont troubles et que les bruits, eux, les sifflets, les hurlements et les alarmes, en profitent. Je choisis donc le chaos pour décrire Yaho-Niwa : un chaos turbulent, fiévreux, empêtré dans ses interjections mais aussi léger, sarcastique et malin.
A ce point que ce chaos ne cherche pas que noise. Il peut prendre des airs de chanson explosive (il n’y a qu’à entendre le morceau qui donne son titre à l’album) ou rire de ses confusions : parce que la confusion, aujourd’hui, il n’y a que ça de vrai !
Merzbow : Yaho-Niwa (Nuun Records)
Edition : 2011.
CD : 01/ Glowing 02/ Yaho-Niwa 03/ Venis 04/ Metal 22
Pierre Cécile © Le son du grisli
Richard Pinhas, Merzbow : Rhizome (Cuneiform, 2011)
Ce duo Pinhas / Merzbow, le troisième enregistré, remonte à septembre 2010. Connaissant les personnages (le premier à la guitare, le deuxième au laptop), il faut bien sûr s’attendre à être bousculé. Mais n’est-ce pas ce qu’on était venu chercher ?
C’est au théâtre que Pinhas et Merzbow nous emmènent avec Rhizome. Le décor est sculpté dans un kitsch noise romantique remplis de grands solos de guitare hurlante et de boucles coupantes. Pour ce qui est de l’action, les inserts de premier plan s’en chargent (l’accélération perpétuelle du battement d’un cœur, des hélices qui tournent au-dessus de nos têtes, la défense laptop sous la mitraille guitare, etc.). Ce sont autant de petits tableaux baroques qui s’nscrivent dans le décor. Avec l'art de la provocation qu'on leur connaît, Pinhas et Merzbow ont une fois encore mis le feu aux planches.
Richard Pinhas, Merzbow : Rhizome (Cuneiforme / Orkhêstra International)
Enregistrement : 24 septembre 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Rhizome 1 – 010011010011011 02/ Rhizome 2 – 100101000111010 03/ Rhizome 3 – 001101010011001 04/ Rhizome 4 – 110100100010000 05/ Rhizome Encore – 0110101011
Pierre Cécile © Le son du grisli
Richard Pinhas : Metal/Crystal (Cuneiform, 2010)
La musique de Richard Pinhas, au moins depuis quelques années, fait ressentir le même frisson qu'une musique celtique jouée par un ensemble de cornemuses. La comparaison peut paraître incongrue, mais on retrouve bien dans les deux un puissant bourdon, un puissant son continu qui vient perturber votre rythme biologique.
En fait, non pas qu'il le perturbe, mais il demande bien une adaptation de l'oreille, du corps, de l'esprit, pour apprécier pleinement les textures sonores produites. Ce n'est d'ailleurs pas plus incongru que de dire que Richard Pinhas joue de la « guitare électrique ». Ou alors il faut penser à Jimi Hendrix cramant sa guitare pendant un bon quart d'heure voire une demi-heure, les durées de chacun des morceaux du double album Metal/Crystal. Et il ne cramerait pas sa guitare avec un peu d'essence et une allumette, mais avec un chalumeau finement réglé et ajusté pour faire varier les vibrations de chaque corde, tout en se souciant de ne pas les rompre. Autant dire que Richard Pinhas joue « de l'électricité ».
Tout comme son compère Didier Batard, vieille connaissance de l'époque d'Heldon, qui fait vibrer des cordes de basse semblant être de la taille d'un câble d'alimentation de TGV. Heldon est pour ainsi dire au complet avec Patrick Gauthier au mini-moog. D'autres experts en mégawatts sont présents sur ce double-album : Merzbow et Wolf Eyes. Il faut donc s'attendre à des bruits de fraiseuse soigneusement contrôlés et de mécanismes d'horloge astronomique, à de l'industrieux consciencieux et à de l'électronique arithmétique. Le deuxième disque de l'album fait d'ailleurs une large place à tout cela, Richard Pinhas laissant sa « guitare électrique » au repos pendant de longs moments. Ainsi, Metal/Crystal est peut-être bien son album le plus expérimental à ce jour, et pourtant les précédents n'ont pas tellement eu l'honneur d'être programmés sur FIP.
Richard Pinhas : Metal/Crystal (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrements : 2009-2010. Edition : 2010.
Avec : Merzbow (electronics), Wolf Eyes (electronics), Antoine Paganotti (drums), Didier Batard (bass), Patrick Gauthier (mini-Moog), Duncan Pinhas (electronics), Jerome Schmidt (electronics), Richard Pinhas (guitars and electronics).
CD 1 : 01/ Bi-Polarity (Gold) 02/ Paranoia (Iridium) 03/ Depression (Loukoum) - CD 2 : 01/ Hysteria (Palladium) 02/ Schizophrenia (Silver) 03/ Extra Track : Legend.