Ivo Perelman Expéditives : The Art of the Improv Trio (Leo, 2016)
Après les récentes Expéditives, suite de la saga Ivo Perelman / Leo Records. Cette fois-ci et en six volumes l’art de l’improvisation en trio.
Ivo Perelman, Karl Berger, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 1 (Leo Records / Orkhêstra International)
En neuf parties, laisser la quiétude envahir Ivo Perelman, Karl Berger (piano) et Gerald Cleaver. Ne pas s’en étonner tout en espérant les montagnes rusées. Ici, préférer le velouté à l’orage, le méditatif à la césure, le rêve au viscéral, la lamentation à l’ébullition. Et c’est précisément au cœur de cette matière sépia – et parce que peu entendue chez le brésilien – que l’art de Perelman trouve intensité et relief. La saga ne pouvait pas mieux commencer.
Ivo Perelman, Mat Maneri, Whit Dickey : The Art of the Improv Trio Volume 2 (Leo Records / Orkhêstra International)
En treize parties, entendre Ivo Perelman ferrailler du côté des aigus de Mat Maneri pendant que Whit Dickey semble ne pas pouvoir s’extraire de son rôle de témoin avisé. Plus loin, les deux premiers gratteront les fréquences graves, batifoleront sans trop de conséquences. Et toujours rechercheront une proximité complice, entraînant ici une inexplicable et regrettable distance.
Ivo Perelman, Matthew Shipp, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio volume 3 (Leo Records / Orkhêstra International)
En neuf parties, retrouver les vieux amis Ivo Perelman, Matthew Shipp, Gerald Cleaver et se dire que rien ne pourra les changer. Tout juste souligner la pertinence du projet et remarquer le drumming prégnant du batteur (changements de tons, fausses claudications, souplesse des feintes). Et, bien plus qu’hier, ne plus taire le chuchotement anxieux, détrousser l’harmonie de son miel au profit des parasites pénétrants. Et de conclure ainsi : ils ne changent rien et tout est différent.
Ivo Perelman, William Parker, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 4 (Leo Records / Orkhêstra International)
En trois parties, signaler à qui veut l’entendre que ce trio (Ivo Perelman, William Parker, Gerald Cleaver) est une belle chose. Que l’on pourrait arrêter là tout commentaire. Ecrire que l’évidence de la formule rejoint l’évidence de leurs complicités, que le groove de William Parker (souvent inaudible ces derniers temps) invite Gerald Cleaver à hausser le pavillon du continu. Quant au saxophoniste, pénétrant et indéracinable, il porte très haut l’art d’improviser sans contrainte.
Ivo Perelman, Joe Morris, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 5 (Leo Records / Orkhêstra International)
En neuf parties, s’étonner du détachement de Joe Morris (guitare) et de Gerald Cleaver face à l’ouragan Ivo Perelman. Puis, suivre le trio se souder et déraciner quelques habitudes. Maintenant, un vagabondage luxurieux aux lignes superposées, bruissantes, ondulantes. Et ce jusqu’à la fin de cet enregistrement.
Ivo Perelman, Joe Morris, Gerald Cleaver : The Art of the Improv Trio Volume 6 (Leo Records / Orkhêstra International)
En deux parties (le seconde, courte et comptant pour le bis d’un concert donné au Manhattan Inn en juillet 2016), retrouver l’urgence du free jazz ; celle des Shepp, Barbieri, Trane, Cyrille, Garrison, Grimes… Puis, se dire que tout cela est bien actuel. S’amouracher maintenant de ce ténor zélé et électrisant (Perelman), de cette contrebasse autonome et affranchie (Morris) et de ces tambours libres comme l’air de l’Estonie (Cleaver). Et enfin, admirer la constance du trio, son art des reliefs escarpés et son lyrisme abrasif.
Ivo Perelman Expéditives : Corpo, The Hitchhiker, Breaking Point, Blue, Soul (Leo, 2016)
Stakhanoviste, Ivo Perelman ? Assurément. Joignons-y également son producteur, Leo Feigin, à l’origine de ces cinq nouveaux enregistrements, lesquels risquent d’être suivis par beaucoup d’autres. Assurément…
Ivo Perelman, Matthew Shipp : Corpo (Leo / Orkhêstra, 2016)
En douze pièces, se confirme l’entente idéale entre Ivo Perelman et Matthew Shipp. Petits poisons sucrés, effeuillage de l’inquiétude, romantisme perverti, aspérités retenues, menace déclamée avec autorité : peu de montagnes russes ou de virées en ultra-aigus mais deux voix se lovant dans l’étrange épicentre de l’instant.
Ivo Perelman, Karl Berger : The Hitchhiker (Leo / Orkhêstra, 2016)
En onze improvisations (certaines en solo), on retrouve la complicité déjà remarquée / appréciée entre Ivo Perelman et Karl Berger. Cette fois au vibraphone, ce dernier fait corps avec le ténor du brésilien : déambulations étirées ou resserrées mais toujours répétées sur fond de lignes cabossées à minima dans lesquelles s’exprime une intimité longtemps retardée chez le saxophoniste. La pépite de cette sélection.
Ivo Perelman, Mat Maneri, Joe Morris, Gerald Cleaver : Breaking Point (Leo / Orkhêstra, 2016)
En sept vignettes se reproduisent les hybridations passées. Comme si, (r)assurés de n’avoir rien à renouveler, Ivo Perelman, Mat Maneri, Joe Morris (contrebasse) et Gerald Cleaver n’avaient plus qu’à fureter dans les lits intranquilles de fleuves souvent empruntés. Etreintes resserrées entre le saxophoniste et l’altiste, détachement du contrebassiste, imaginaire fertile du batteur (Cleaver, pardi !), la violence s’énonce et se signe ondulante, plus rarement égosillée. Mais toujours digne d’intérêt.
Ivo Perelman, Joe Morris : Blue (Leo / Orkhêstra, 2016)
En neuf tentatives se dévoile ici un bleu périlleux seulement entaché de minces percées carmins. L’intimité qu’entretiennent Ivo Perelman et Joe Morris (guitare acoustique) boude le solennel, teste leurs culots respectifs, frappe par le danger qu’ils s’imposent. Abrupts, militant plus pour la sécheresse que pour la rondeur, ne sollicitant jamais facilité ou clin d’œil, tous deux cheminent vers un inconnu qu’ils tentent d’appréhender et de rendre ductile. Soyons justes : ils y parviennent parfois.
Ivo Perelman, Matthew Shipp, Michael Bisio, Whit Dickey : Soul (Leo / Orkhêstra, 2016)
En neuf plages, Ivo Perelman, Matthew Shipp, Michael Bisio et Whit Dickey n’altèrent en rien la confiance et l’admiration que l’on porte à leur musique. Mieux : confirment que le cri n’est pas toujours d’exubérance et de stridences. Maîtres du tourbillon (Shipp-Dickey, ou l’art du couple parfait), pourfendeurs des hiérarchies, experts en désaxements, constants dans l’imaginaire, ils cerclent les reliefs d’une sensualité affirmée. A suivre…Assurément…
Luc Bouquet © Le son du grisli
Slobber Pup : Pole Axe (RareNoise, 2015)
Ça frappe fort (Balázs Pándi à la batterie), on ne s’en étonnera pas. Et ça chante dru (d’ailleurs, même la guitare de Joe Morris vocalise), et le saxophone (Mats Gustafsson) couine… peut-on dire pour autant que Slobber Pup, dont c’est le second enregistrement après Black Aces, donne dans le free rock ?
Pas sûr, parce que la guitare jouée au médiator est un peu facile et ne fait pas grand-chose de sa liberté ; pas sûr, parce que le sax baryton ronronne en fait et lasse plus que rapidement… Et voilà maintenant des synthés (Jamie Saft) ennuyeux à rire mou pour couronner le tout (ou plutôt le presque rien). Après UberPop et les taxis de contrebande voici donc Slobber Pup et l’improgonflette !
Slobber Pup : Pole Axe
RareNoise Records
Edition : 2015.
CD / 2 LP : 01/ Incendiary Axe 02/ Pole of Combustible Memory 03/ Bring Me My Desire And Arrows To Shoot
Pierre Cécile © Le son du grisli
Joe McPhee, Jamie Saft, Joe Morris, Charles Downs : Ticonderoga (Clean Feed, 2015)
C’est à d’autres indiens que Joe McPhee, Jamie Saft (piano), Joe Morris (contrebasse) et Charles Downs (batterie) ont emprunté le titre du disque qu’ils ont enregistré en septembre 2014 sur proposition de Morris.
Ticonderoga est le nom d’une cité de l’état de New York et évoque aussi l’endroit précis où « deux courants se croisent ». Le disque pourrait-il personnifier ceux-là ? Sur l’instable et inspirant tic-tac de Downs, McPhee se familiarise avec divers obstacles avant d’avoir à renvoyer un pianiste un rien bavard dans ses cordes – Saft serait donc ce second courant, que le saxophoniste emportera bientôt.
La verve de Saft était heureuse, mais déroutante aussi pour le quartette. Non pas au ténor mais au soprano, McPhee finit donc par l’avaler avec le consentement (euphémisme) de Morris et de Downs. Etouffant les ribambelles de notes sorties du grand piano, le saxophoniste s’en nourrit pour renforcer la vigueur avec laquelle la formation remplit son heure de jeu. Un courant ayant emporté l’autre, c’est une cavalcade autrement saisissante qui laisse loin derrière elle Ticonderoga.
Joe McPhee, Jamie Saft, Joe Morris, Charles Downs : Ticonderoga (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 27 décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Beynd Days 02/ Simplicity of Man 03/ Leaves of Certain 04/ A Backward King
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Joe McPhee emmènera ce jeudi soir à Brest, dans le cadre de l'Atlantique Jazz Festival, son Survival Unit III.
Evan Parker, Joe Morris, Nate Wooley : Ninth Square (Clean Feed, 2015)
C’est à la guitare, et seul, que Joe Morris ouvre ce concert enregistré au Firehouse 12 en septembre 2014. Après lui, arriveront Nate Wooley puis Evan Parker – l’association est inédite, à plus d’un titre. C’est ainsi, sur la première plage de Ninth Square, un solo, un duo, un trio puis un autre solo (de ténor), un autre duo (Wooley toujours second), et un autre trio encore.
Quand ce n’est pas à une improvisation commune dont le volume ménage l’auditeur, si ce n’est met au défi son attention, c’est à un jeu d’apparition et de disparition que se livrent les trois musiciens. Dans un cas comme dans l’autre, ils composent sur l’instant avec un intérêt pour une recherche sonore toujours vive, si possible d’une musicalité renouvelée. C’est dans ces notes de guitare timides mais expressives pourtant ou dans ces slides étouffés qu’on trouvera d’ailleurs celle-ci.
Dans ces nouvelles salves de soprano, aussi : et les façons qu’elles ont d’en imposer encore (Grove State) ou la manière avec laquelle elles prennent en compte les interventions de la trompette, qui, d’ailleurs, souvent surprennent (Grove State encore, soit l’instrument changé en cor des Alpes). Enfin, dans ces retournements de situation et autres accompagnements fabuleux (guitare caverneuse sur High Center, trompette verticale sur Green…, en guise d'exemples) dont se chargent, tour à tour, et les uns et les autres.
Evan Parker, Joe Morris, Nate Wooley : Ninth Square (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 septembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Temple Elm 02/ Orange George 03/ Wall Crown 04/ Grove State 05/ High Center 06/ Green
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Evan Parker apparaîtra deux fois cette année au festival Météo : le 27 août en compagnie de Peter Evans, Paul Lytton et Barry Guy ; le 28 août à la tête d’un Electroacoustic Nonet.
Joe Morris Quartet : Balance (Clean Feed, 2014)
Les cordes s’éveillent, tâtonnent, s’effondrent (Thought). Les tempos sont mouvants, la caisse claire est lourde d’une solitude lointaine, les cordes fredonnent une élasticité brumeuse. Violon et guitares tondent le contrechant. La contrebasse bourdonne. Le matériau est flasque, amolli (Effort).
La microtonalité perdue se retrouve. La ballade ricane de son peu de tendresse. Le royaume est étendu, relâché, flottant (Trust). La contrebasse retrouve marques et racines. Tous croisent le véloce. Ça tangue, ça fourmille. Le violon strie on ne sait quel horizon (Purpose). Bienveillants, les musiciens donnent une dernière chance à la ballade. L’apesanteur aura raison d’elle (Substance). Et l’on bavarde, on soliloque, on s’ouvre à l’autre. La batterie explose (Meaning).
Ainsi s’invitèrent Joe Morris, Mat Maneri, Chris Lightcap et Gerald Cleaver en un studio new-yorkais, le 13 décembre 2013. Ce n’était pas la première fois, ce ne sera pas la dernière.
Joe Morris Quartet : Balance (Clean Feed / Orkhêstra International)
Energistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Thought 02/ Effort 03/ Trust 04/ Purpose 05/ Substance 06/ Meaning
Luc Bouquet © Le son du grisli
Ivo Perelman : The Edge, Serendipity, The Art of the Duet, The Gift, Living Jelly, The Clairvoyant (Leo, 2012-2013)
Ivo Perelman, Matthew Shipp, Michael Bisio : The Edge (Leo Records, 2013)
Sur The Edge, Ivo Perelman, Matthew Shipp et Michael Bisio invitent Whit Dickey (toujours une bonne idée que d’inviter Whit Dickey). Ensemble, entre soupirs et exultations, ils marquent d’un rouge vif des improvisations sans préavis. Soufflent le feu et la braise (magnifique duo ténor-batterie in Fatal Thorns) et alimentent en continu de hautes fièvres. Et gardent au cœur du sujet, le partage et le désir de plonger dans un free brûlant et profondément intemporel.
Ivo Perelman, Matthew Shipp, William Parker, Gerald Cleaver : Serendipity (Leo Records, 2013)
Où il faut se méfier de leurs fausses errances, de leur fausse décontraction et de leurs habitudes trop bien respectées-répétées-huilées. Car c’est au moment où l’on s’y attend le moins qu’Ivo Perelman, Matthew Shipp, William Parker et Gerald Cleaver trouvent quelque salvatrice sortie. Et là, creusant la matière et inspectant sa portée, ils dévoilent leur âme, oublient la convulsion facile, interceptent le cri, en désossent le cliché. Oui, free jazz dans le sens où la liberté ne peut leur échapper.
Ivo Perelman, Matthew Shipp : The Art of the Duet (Leo Records, 2013)
Si l’art du duo pouvait être celui de l’éloignement et du rejet des connivences (Duet #06 et Duet #07 pour me faire mentir), ce disque ferait école. Pour Ivo Perelman : le sens inné du lié et du détaché, l’alternance des harmoniques et des ultra-aigus. Pour Matthew Shipp : de noires harmonies et un curieux absentéisme de l’écoute. Et pourtant, à l’arrivée, une incompressible impression de réconciliation et de fraternité. Volume 1 nous dit la jaquette ; ceci nous laissant espérer de nouvelles pistes pour les autres volumes.
Ivo Perelman, Matthew Shipp, Michael Bisio : The Gift (Leo Records, 2012)
Sur The Gift, Ivo Perelman vagabonde. Désagrège un motif. Met en veilleuse la convulsion pour mieux la chouchouter quelques minutes plus tard. Sur The Gift, Perelman se remémore quelques souffles de jazz. Pleure des larmes de fiel. Insiste sur la périphérie. Sur The Gift, Matthew Shipp et Michael Bisio puisent dans leurs forces et talents de quoi argumenter le souffle épique du prolifique Brésilien.
Ivo Perelman, Joe Morris, Gerald Cleaver : Living Jelly (Leo Records, 2012)
Ici, le saxophoniste donne raison aux spasmes de son ténor. Ici, Joe Morris guitariste curieux et vindicatif, dérange l’harmonie, caresse les contrepoints fédérateurs de son saxophoniste. Ici, Gerald Cleaver envisage chaque plage comme un nouvel envol, choisit la sensibilité la plus juste et la plus appropriée aux errances de ses partenaires inspirés.
Ivo Perelman, Matthew Shipp, Whit Dickey : The Clairvoyant (Leo Records, 2012)
Ne laissant à Matthew Shipp qu’un rôle d’accompagnateur zélé – et néanmoins indispensable –, nous retrouvons dans cet enregistrement, intacte et démultipliée, la scintillante verve du saxophoniste. Modulant une poésie presque microtonale ou retrouvant les blessures du free, Ivo Perelman résolutionne le chaos, enrobe la ritournelle de ses visions toxiques. Quant à Whit Dickey, il confirme ce que l’on avait déjà pressenti dans le quartet de David Spencer Ware : il est le batteur idéal pour que se hissent au sommet les plus convulsives clameurs de ses enthousiastes coéquipiers.
Didier Petit, Alexandre Pierrepont : Passages (Rogue Art, 2012)
En 2011, dans les pas de Peter Kowald (entendre et voir Off the Road, sur le même label), Didier Petit a parcouru les Etats-Unis d’une côte à l’autre pour y jouer en différentes compagnies. Dans ses bagages, Alexandre Pierrepont, qui put lui conseiller quelques noms parmi ceux de Marilyn Crispell, Gerald Cleaver, Matt Bauder et Joe Morris, Jim Baker, Nicole Mitchell, Hal Rammel, Hamid Drake et Michael Zerang, François Houle, Michael Dessen, Larry Ochs et Kamau Daáoud. C’est de ce voyage et de ces rencontres qu’est né Passages.
Le livre-disque – dans le livre : des photos et un long texte de Pierrepont (où notre poète, en proie encore à l’influence de la négritude, cherche les mots pour dire les « secrets » que lui révélèrent chacune des rencontres en question) – est un journal de bord dans lequel les duos et trios enregistrés s’intègrent dans la trame redessinée du périple. Entre deux improvisations, des field recordings attrapés en gare, aéroport, ou près de l’océan… et des extraits que Pierrepont lit de son poème peinent à bien se fondre dans le souvenir musical.
Woodstock, New York, Chicago, Los Angeles : voilà pour les étapes qui conduiront Didier Petit d'un partenaire à l'autre. Entrelacs souffrant de politesse avec Crispell, expérimentations tièdes avec Parkins ou Baker, échange confortables avec Cleaver ou Mitchell, préciosités même avec Ochs ou Dessen... D'un dialogue à l'autre, voilà la science instrumentale et l'inspiration que l'on connaît à Petit dissoutes en bagatelles. Heureusement, quelques prises disent que le violoncelliste a bien fait quand même de faire le voyage : jusqu'à Houle, clarinettiste avec lequel il se montre à la fois plus réfléchi et plus sensible ; jusqu'à Bauder et Morris, qui forment avec Petit ce trio glissant avec superbe de répétitions en sonorités instables ; jusqu'à Hal Rammel, qui accorde par deux fois la voix rare des instruments qu'il invente à un archet qui trouve dans l'ombre sa profondeur. A tel point qu'il n'est peut-être pas insensé de poser la question : un nouveau départ pour Chicago et New York – Rammel, Bauder et Morris en tête et tout projet de concept-album oublié – serait-il envisageable ?
Didier Petit, Alexandre Pierrepont : Passages (Rogue Art)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Passage (with M. Crispell) 02/ La Reine Rêve Rouge (with A. Parkins) 03/ Les ciseaux de l'air et de l'eau (with G. Cleaver) 04/ L'alphabet de leur rayures (with M. Bauder & J. Morris) 05/ Sous l'arbre en pleine mer (with J. Baker) 06/ Déesse-Allégresse (with N. Mitchell) 07/ Des griffes, des racines, des pierres (with H. Rammel) 08/ Vendanges (with H. Drake & M. Zerang) 09/ Il faut descendre plus au Sud (with H. Rammel) 10/ Ecluse (with F. Houle) 11/ Le gîte et le couvert (with M. Dessen) 12/ Crâne-Sablier (with L. Ochs) 13/ Je lis sur toutes les lèvres (with K. Daaood & L. Ochs)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ingebrigt Håker Flaten : Now Is (Clean Feed, 2012) / Paul Giallorenzo 3 (Not Two, 2012)
Trente-neuf petites minutes seulement pour inspecter le New York Quartet d’Ingebrigt Håker Flaten (Joe McPhee, Nate Wooley, Joe Morris). Trente-neuf petites minutes inquiétant l’harmonie (Times) et se glissant dans une pénombre sonique assumée (Pent).
Ici, faire se dresser la mélodie ; ailleurs, faire appel au free sans y convier cris et fureurs. Et ne pas s’interdire les solos (solo cabré de Joe Morris in As If) pas plus que la douceur des souffles (McPhee in Post). Et surtout : faire accroc au jazz tout en se l’appropriant. Ne pas rejeter ses zones d’inquiétudes et de turbulences (McPhee, toujours lui, in Giants). Puis, sans recourir à la violence, se dégager de la pénombre inaugurale. Tout cela pour faire de Now Is, un disque passionnant si ce n’est passionné.
Ingebrigt Håker Flaten New York Quartet : Now Is (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 12 juillet 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Port 02/ Times 03/ Pent 04/ Knicks 05/ Giants 06/ As If 07/ Rangers 08/ Post
Luc Bouquet © Le son du grisli 2013
Transformé en imparable contrebassiste de hard bop, voici Ingebrigt Håker Flaten en 2007, portant avec Tim Daisy All Together Now, première composition d’un lot de cinq signées du pianiste Paul Giallorenzo. Quelques libertés prises sur des pièces oubliant soudain toutes structures ne peuvent malheureusement faire de ce Paul Giallorenzo 3 autre chose qu’un disque de jazz acceptable à défaut d’être renversant – l’improvisation « tordue » qu’est Tremens n’y pourra rien, elle non plus.
Paul Giallorenzo : Paul Giallorenzo 3 (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 21 et 22 août 2007. Edition : 2012.
CD : 01/ All Together Now 02/ Across the Pond 03/ Sea Slish 04/ interlockin 05/ tremens 06/ The Sun’s Always Shining
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Joe Morris : Graffiti in Two Parts (Rogue Art, 2012) / Altitude (AUM Fidelity, 2012)
Joe Morris raconta ici sa rencontre, en 1981, avec Lowell Davidson : « Lowell donnait un concert solo au Stone Soup Gallery. Le patron de l’endroit, Jack Powers, m’avait invité à venir l’écouter, en me disant que Lowell était un pianiste qui avait joué avec Ornette, ce qui était un argument suffisant pour moi. Le concert a été fantastique. Je suis allé lui parler et il ne faisait aucun doute pour moi qu’il était un musicien brillant. Je lui ai demandé s’il accepterait que je joue avec lui et il a répondu oui. »
Récemment, Morris rendit hommage à Davidson sur MVP LSD. Aujourd’hui, le label Rogue Art nous permet d’entendre les deux hommes en quartette enregistré au Cambridge (USA) Dance Center le 11 mai 1985. A leurs côtés, Malcolm Goldstein et Lawrence ‘Butch’ Morris, que le guitariste et contrebassiste convia aussi à improviser après leur avoir expliqué deux idées de principe : « blocs de sons en lent mouvement » dans lesquelles Morris – écrit-il dans le texte qu’il signe pour l'occasion – croit voir de quoi est faite la musique de Davidson et subversion créative qui trouverait dans l’art du graffiti un parallèle inspirant.
Graffiti, Part I. Au banjouke (sorte d’ukulele qui ne peut nier avoir quelques sonorités en commun avec le banjo) et aux percussions, Morris et Davidson entament le concert : le quartette dérive au gré d’une improvisation d’atmosphère qui change l’endroit dont elle prend possession en carré de terre ocre où l’animisme règne. Un ruban de sonorités quiètes y forme un route divisée bientôt en quatre chemins qui convergent tout en affichant des couleurs différentes : répétitif souvent dans ses arpèges, le banjouke répond par exemple à distance au cornet économe mais dense et à ce violon dont la délicatesse a pour quête l’insondable.
Graffiti, Part II. Morris retourne à la guitare et Davidson à sa contrebasse d’aluminium. Aussi profonde et mesurée que celle de la première partie du concert, la musique est affaire d’imbrications et compte davantage sur le rapport des quatre musiciens : retenue toujours de mise, mais cornet et archets plus insistants dans leurs manières de dire ce qui doit sur l’instant être révélé. Un rappel, de cinquante-trois secondes, clôt l’enregistrement superbe et le document d’importance – dans ses notes encore, Morris insiste : Graffiti in Two Parts n’est que le deuxième disque de Lowell Davidson paru à ce jour.
Joe Morris Quartet : Graffiti in Two Parts (Rogue Art / Souffle Continu)
Enregistrement : 11 mai 1985. Edition : 2012.
CD : 01/ Graffiti, Part I 02/ Graffiti, Part II 03/ Tag
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
The Stone, New York, le 17 juin 2011 : Joe Morris, William Parker et Gerald Cleaver, improvisèrent en quatre temps (Exosphere, Thermosphere, Troposphere et Mesosphere) cet Altitude où il n’est plus question de « blocs de sons en lent mouvement ». A la place, un jazz certes acceptable mais sur lequel Morris, à la guitare, se montre souvent bavard (pour ne pas dire verbeux), tandis que sa section rythmique pêche presque aussi régulièrement par excès d’artifices. Voilà qui conseille aussi, et à sa manière, qu’on se consacre à Graffiti in Two Parts.
Joe Morris, William Parker, Gerald Cleaver : Altitude (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 17 juin 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Exosphere 02/ Thermosphere 03/ Troposphere 04/ Mesosphere
Guillaume Belhomme © le son du grisli