Frank Lowe : OUT LOUD (Triple Point, 2014)
Quarante ans après leur enregistrement, ce sont là des bandes dans lesquelles Frank Lowe aurait aimé puiser pour composer son second album personnel (Logical Extensions). Or, après Black Beings, ce sera Fresh qui, au son de compositions personnelles et de reprises de Thelonious Monk, fera la deuxième référence de sa discographie. Enregistrées en 1974 en studio (Survival Studio) et en concert (Studio Rivbea), ces séances de « rattrapage » sont aujourd’hui publiées par l’exigeant label Triple Point.
Dans un grand cahier rouge (Inside OUT LOUD), Ed Hazell – qui signa jadis les notes de quelques documents de choix : The Jimmy Lyons Box Set, Centering ou Muntu Recordings – explique qu’OUT LOUD présente tout ce que le « nouveau quartette » de Lowe, pensé pour l’enregistrement de son Logical Extensions, a pu enregistrer. Après quoi, l’écrivain retrace le parcours du saxophoniste : naissance à Memphis, arrivée à New York, collaboration avec Sun Ra, Alice Coltrane, Rashied Ali, Don Cherry…, enregistrement de Black Beings et formation du quartette à entendre sur ce double-vinyle : Lowe associé à Joseph Bowie, William Parker et Steve Reid – sur la quatrième face, le quartette est augmenté du trompettiste Ahmed Abdullah –, soit : trois partenaires que l’on retrouve à ses côtés sur Black Beings, The Fresh ou The Flam.
Loin de la retenue de Fresh, Lowe en appelle ici à un nouvel « Act of Freedom » au son de phrases rentrées – parfois, il semble en lutte contre sa propre identité sonore – et de franches exclamations. Afin de les exalter encore, la paire rythmique presse souvent le saxophoniste quand Bowie multiplie les interjections parallèles (Listen). Mais le jeu du quartette n’est pas que de tensions et de frictions, puisqu’il lui arrive souvent de servir un expressionnisme minimalisme qui flotte entre les combinaisons réduites de l’Art Ensemble et l’Inside Story de Prince Lasha.
Au Rivbea, les micros se rapprochent – l’œil de l’auditeur aussi, puisqu’un code permet à l’acquéreur de la référence Triple Point de visionner le film de ce passage chez Bea et Sam Rivers. Sortis de l’interprétation des trois temps de l’ « Act of Freedom » composé pour Logical Extensions, les musiciens lâchent la bride d’une inspiration plus fervente encore : l’archet de Parker ose la répétition, et la répétition intensifie son jeu ; la batterie de Reid multiplie rebonds et soubresauts qui agissent sur les souffleurs comme autant d’électrochocs ; le saxophone (ténor, soprano, et aussi sifflets, harmonica…) et le trombone n’en finissent plus d’entrer en collision. Et puis, puisqu’on ne se refait pas – animateur des concerts donnés en lofts new-yorkais, Lowe n’aimait pas tant le free jazz que la musique de Coltrane et la tradition d’où elle avait jailli –, c’est avec des airs de formation Nouvelle-Orléans que le quartette tire sa révérence. Voilà donc, entre Black Beings et Fresh, le trait d’union qu’il faudra aller chercher.
Frank Lowe Quartet
OUT LOUD (extrait)
Frank Lowe : OUT LOUD (Triple Point)
Enregistrés : 1er mai 1974 (A/B) / (sans doute) printemps / été 1974. Edition : 2014.
2 LP : A1/ Untitled 1 A2 Vivid Description – B1/ Listen B2/ Untitled 2 B3/ Logical Extensions – C1/ Whew! – D1/ Untitled 3 D2/ Closing Announcement
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Frank Lowe : The Loweski (ESP, 2012)
On savait qu’il restait des inédits aux séances Black Beings. Les jugeant trop collectives, le saxophoniste les avaient rejetées à l’époque. On ne sait s’il serait heureux de les voir publiées aujourd’hui malgré un résultat sans appel : ces trente-sept minutes de musique sont bouleversantes, époustouflantes.
Tout commence par le ténor solitaire de Frank Lowe. Le souffle, entre douceur et furias, s’élève et ne lâche plus les cimes d’une convulsion enflammée. Le cri est viscéral et redouble quand la section rythmique entre en piste. S’imposent maintenant deux autres solos : celui, spasmodique, du violoniste Raymond Lee Cheng (on jurerait entendre la guitare saturante de Sonny Sharrock ici) puis celui, radical et perforant, d’un Joseph Jarman déchaîné. Les deux saxophonistes vont alors croiser leurs souffles, confronter leurs libres visions de l’ultra-aigu avant de laisser William Parker (ici, son tout premier témoignage discographique) et Rashied Sinan, réintégrer la civilisation. Et le CD de s’arrêter brusquement, nous laissant orphelins d’une musique que l’on ne peut qu’imaginer poignante.
Frank Lowe : The Loweski (ESP / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1973. Edition : 2012.
CD : 01/ Pt. 1 02/ Pt. 2 03/ Pt. 03 04/ Pt. 04 05/ Pt. 5
Luc Bouquet © Le son du grisli
Frank Lowe : The Flam (Black Saint, 1975)
Ce texte est extrait du premier volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
Sur la couverture de The Flam, Frank Lowe a le visage symboliste. On pense au sphinx de Boleslas Biegas, dont aurait été corrigée la moue défaite. Le regard est interrogateur, de musique sans doute est-il encore question – Val Wilmer n’insiste-t-elle pas, dans As Serious As Your Life, sur cette vie faite de musique et presque que de cela (jeu, écoute et palabre) ?
En The Flam, Frank Lowe compose en effet au gré de ses interrogations. Hier, de beaux échanges avec Rashied Ali ou l’éventualité d’un monde à mettre en musique en compagnie de Don Cherry (Brown Rice, borderline). 20 et 21 octobre 1975, l’heure est aux réponses à apporter et le disque qui les consignera prendra le nom de la composition du saxophoniste qu’on y trouve : « The Flam » – définition rapportée : drumbeat consisting of two almost simultaneous strokes of which the first is a very rapid grace note.
Elle est une pièce de free teintée d’un exotisme amusé. Sa direction est folle et semble avoir été attribuée à Alex Blake, bassiste qui dépose un solo avant d’engager les autres musiciens en présence à dire en belles échappées : Lowe premier de tous et puis Leo Smith (trompette, bugle, flûte), le tromboniste Joseph Bowie et le batteur Charles ‘’Bobo’’ Shaw. Un quartette, donc, dont le tromboniste et le batteur étaient déjà, quelques semaines plus tôt, de l’enregistrement de The Fresh. Un quartette, surtout, dont le raffinement est à entendre sur trois compositions et deux improvisations – la dernière, un solo de Smith, n’atteint pas la minute.
Déjà sur Black Beings, premier disque personnel publié par ESP-Disk, Lowe avait délégué un peu de ses devoirs de compositeur – c’était alors à Joseph Jarman. Sur The Flam, c’est à Joseph Bowie – dont le « Sun Voyage » est un grand-ouvrage sur lequel Lowe et Smith rivalisent de découpes hardies – et Charles Shaw – sur le « Be-Bo-Bo-Be » duquel le ténor épaissit le trait ou vocalise pour que vole en éclats sa virulence multiforme.
Morceau d’archéologie personnelle : « Si le jazz rock a jamais existé, Frank Lowe en a donné ici l’épreuve la plus convaincante » (Way Ahead, Le Mot et le reste, 2011) : « Third St. Stomp »est une improvisation collective aux éléments de rythme longtemps étouffés. Blake à la basse électrique y apparaît en guitariste dément qui insère des vociférations de 45 (voire de 78) tours au creux du 33 pourtant fabriqué. Un free électrique que les interrogations sensées, les doutes inquiets et les subterfuges fantastiques que l’on trouve partout ailleurs sur The Flam, rehaussent de leur inédite harmonie.
Denniz Gonzalez : Live in Washington, D.C. (Daagnim, 2009)
Vingt ans après son enregistrement, ce concert donné à Washington par le Band of Sorcerers met au jour l’accord de membres faits pour s’entendre : Dennis Gonzalez (trompette), Carter Mitchell (contrebasse), Reggie Nicholson (batterie) et, en invité de choix, Frank Lowe (saxophone ténor).
S’il n’est pas d’une netteté remarquable, le son de cet enregistrement ne peut altérer beaucoup la qualité de l’échange : qui va et vient entre free pugnace, soul et swing. Mitchell et Nicholson se chargeant d’affranchir les solistes de toutes obligations, Gonzalez et Lowe ne tardent pas à tirer de leurs verves respectives de grands dialogues inspirés par les figures d’Alvin Fielder, John Carter et Julius Hemphill.
En hommage à ce-dernier, le quartette fomente d’ailleurs une conclusion précieuse : développement lent tiré de sa torpeur par les références au blues de Lowe et les airs de Mexicana inventés sur l’instant par Gonzalez, derniers moments finissant au creux d’un tumulte réjoui.
Dennis Gonzalez Band of Sorcerers : Live in Wahington, D.C. (Daagnim)
Enregistrement : 1989. Edition : 2009.
CD-R : 01/ Hymn for John Carter 02/ Living on the Edge 03/ Hymn for Julius Hemphill
Guillaume Belhomme © Le son du grisli