Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

LDP 2015 : Carnet de route #13

ldp 13 10 mai

La route est longue, qui mène du Mans à Hofheim, en Allemagne. Commandée par Listening, les trois musiciens du trio LDP l'ont pourtant faite, en compagnie de Thelonious Monk, notamment.

10 mai, Hofheim, Allemagne
Jazz:yl Freiklang Freunde e. V. in der Stadthalle

The spiral – On the road. Having spent a lot of time on the road, on this trip, on previous similar ones throughout  50 years of concertizing, I've come to realize that the act of the concert becomes THE moment of truth in our (the travelers') lives. The concert in Hofheim was a good example.
Third day in a row to play for the public. Get up early (that's no big deal) and off to the first of 3 trains which left Le Mans around 9:30. Two trains and 7 hours later arriving in Frankfurt where our hosts are awaiting us (with enthusiasm and good humor) and whisk us off to Hofheim and its townhall. We didn't play in their jazz club. Apparently their upright piano would not have been worthy of us so they rented a room in city hall which does have a sort of grand piano. It's the pacing of the days that are like this – Sleep as you can with the bit of hotel night you have, do the traveling, sleeping as much as possible, do the loadings and unloadings, go to the wonderful meal that the organizers wives have prepared for you but which you can't really enjoy because there's only 45 minutes to eat before you have to slowly dash up to the hotel to put on a clean shirt and back downtown for the concert. And it works. Your body, mind and spirit have learned to get the pacing just right so that you are in top form with that first downbeat which is the start of the concert. The performing musician's handicap is that each concert is the last one ever. It's never going to get any better than it is  today. The concert is "do or die" time. This moment is your truth and the groups truth. Yes, of course their are better days, when the piano is fantastic or the acoustic of the venue very rich and rewarding. Days when my bass just seems to play itself, etc. etc. But that doesn't change the fact  that today is it. That's all you get.
Anecdote –
1966 – I worked for awhile in a trio accompanying Gloria Lynn, Grassela Oliphant on drums and Roland Hanna on piano. We were out in Cleveland for Labor Day weekend, playing in a big supper club. There were two bands on the show – Monk's quartet (Ben Riley, Butch Warren, Charley Rouse) followed by Gloria Lynn. The last night, the last show over, I was crossing the room, bass in tow, when here comes Mr. Monk, on his way to the stage. He stopped me and said "Bass, you played good ...(pause) tonight". I'm almost positive that he hadn't listened to the two previous nights. But then again I hadn't seen him on this 3d night either, except when he was performing. Wow, Thelonious Monk spoke to me. But what did it mean? Why the pause before and special sound on "tonight". I made my own story from there.
B.Ph.

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Um 9:27 geht unser Zug von Le Mans Richtung Paris. Heute ist Sonntag, wenig Verkehr.
Die Taxifahrt vom Gare de Montparnasse zum Gare de l’Est dauert 20 Minuten.
Es reicht gut für einen Kaffee an der Baguette Bar. Dann geht’s mit dem TGV weiter nach Karlsruhe. Plötzlich steht unser Zug still. Die Durchsage meldet eine Signalstörung.
Die Weiterfahrt verzögert ich auf unbestimmte Zeit. Plötzlich fährt der Zug weiter. Wir erreichen Karlsruhe mit einer Verspätung von 20 Minuten. Da sich unser Anschlusszug ebenfalls um 20 Minuten verspätet, erreichen wir ihn zeitgerecht. Das timing stimmt.
In Frankfurt Hbf werden wir von Roland und Arno, zwei Mitgliedern der Vereinigung Freiklang e.V. abgeholt und mit dem Auto nach Hofheim gefahren. Verspätet treffen wir in der Stadthalle zum Soundcheck ein. Nun geht es Schlag auf Schlag. Wir positionieren uns und spielen ein paar Töne. That’s is it. Um 18:00 sind wir bei Esther Arvay und den Freiklang Mitgliedern zum Nachtessen eingeladen. Wir werden mit einem mehrheitlich vegetarisch und vitaminhaltigen Essen im Eiltempo verköstigt. Dazu wird roter Spätburgunder serviert. Wir fahren kurz zum Hotel, um uns zu erfrischen und das Hemd zu wechseln. Um fünf nach acht Uhr treffen wir in der Stadthalle ein.
Kurz darauf beginnt das Konzert nach einem intensiven Reisetag. In der ersten Reihe sitzen zahlreiche Fotografen mit ihren Kameras. Sie nehmen uns sofort mit ihren Objektiven ins Visier. Wir lassen uns nicht irritieren. Die Musik nimmt seinen Lauf. Dennoch ist es schade und störend, dass während wir Musiker spielen sich die Fotografen auf ihre Kameras konzentrieren, als mit den Ohren der Musik zu folgen. Und sie stören dabei vorallem die andern Zuhörer. Beim ersten Unterbruch fordert Barre sie auf das Fotografieren einzustellen. Die betreffenden Fotografen sind erstaunt und ein bisschen schockiert, die Zuhörer sind erleichtert und froh, dass sich nun endlich alle auf die gespielte Musik einlassen. Das Konzert nimmt seinen Höhepunkt mit einem sich langsam aufbauenden Crescendo mit explosiven Strecken im Fortissimo und längerem, nachhaltigem Ausklang. Während dem Applaus laden wir die Fotografen zum photo shooting ein. What a busy day?
U.L.

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Ce soir-là, même avec un piano aussi peu engageant que le K. Kawai, GS-30, 1484335 P, c'est à l'entame du premier son du concert – comme une bascule vers un état de possession provoqué par le son d'un tambour – que j'ai senti une nouvelle fois le lien qui me relie non seulement aux amis musiciens présents, mais aussi, comme par effet de diffusion ondulatoire dans l'espace et le temps, à la nature et au monde. Aussitôt la musique attaquée, une forme d'intuition prend la place occupée par la pensée rationnelle. Une intuition qui est intelligence perceptive, un état modifié de conscience qui me permet de travailler avec des éléments sonores que je croyais ne pas connaître, mais que je reconnais à ce niveau de perception comme me constituant. Je me rends compte de cette transformation, je l'observe, mais je ne veux rien y faire, car cela me la ferait perdre. L'idéal étant de maintenir cet état modifié, de le contrôler sans l'influencer, de le laisser tracer pour moi ma propre connaissance perceptive. Souvent je n'ai presque aucun souvenir précis de ce que j'ai joué – un peu comme un rêve éveillé dont j'aurais immédiatement oublié le contenu – mais le contact avec le réel qui a été vécu ne fait intérieurement aucun doute. La composition improvisée me pousse à me séparer de moi-même, à abandonner la représentation que je me fais de moi-même jouant. Pratiquer les sons improvisés consiste peut-être essentiellement à augmenter nos capacités à rejoindre des espaces sonores autrement cachés par la représentation rationnelle que nous pourrions en avoir. Question ouverte. Quoi qu'il en soit, ce fut une chance de retrouver cette confiance perceptive évoquée, à l'écoute du premier son sortant de ce piano Kawai, un crapaud aux pieds en trèfle à quatre feuilles.
J.D.

Photos : Jacques Demierre

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Gary Carner : Pepper Adams' Joy Road (Scarecrow Press, 2013)

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Pour convaincre de la singularité du saxophoniste Pepper Adams, quelques notes souvent suffisent, enregistrées en compagnie de Charles Mingus en 1959…

Qui voudra en entendre davantage, c’est-à-dire aller voir ailleurs qu’en Moanin’, pourra désormais se perdre dans cette discographie commentée par Gary Carner : Pepper Adams’ Joy Road, soit 550 pages le long desquelles défilent chronologiquement – première apparition dans l’orchestre d’Oliver Shearer en 1947, dernière apparition captée à la radio quarante ans plus tard – les enregistrements sur lesquels entendre le baryton.

Nom(s) du ou des meneurs, référence du disque, date(s) et conditions d’enregistrement, personnel et instruments, liste, enfin, des titres consignés sur bande : le travail est précis et l’outil pratique. Souvent, la fiche technique est augmentée de précisions supplémentaires, extraits d’interviews ou anecdotes rapportées. C’est, dans le détail, la mise au jour de l’hétérogénéité du parcours d’un musicien qu’on aurait tort de résumer à quelques notes seulement,  même d’exception, pour ne plus omettre l’importance de celles placées auprès de Thad Jones, Thelonious Monk, Donald Byrd (1958-1961), John Coltrane, Oliver Nelson

Gary Carner : Pepper Adams’ Joy Road. An Annotated Discography (Scarecrow Press)
Edition : 2013.
Livre (anglais) : Pepper Adams’ Joy Road. An Annotated Discography
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Alexander von Schlippenbach : Plays Monk (Intakt, 2012)

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S'il a rendu un immense hommage au pianiste sur Monk's Casino, Alexander von Schlippenbach n'en a pas fini avec Thelonious Monk : au son d’un Bösendorfer (dont il aime l’empreinte autant peut-être qu’Aki Takase, autre grande admiratrice de Monk) et sur une sélection de classiques dans laquelle il glisse huit interludes de sa composition, il y revient donc.

Enregistré les 22 et 23 novembre 2011, Plays Monk convoque Reverence, Epistrophy, Brilliant Corners ou Pannonica. S’il est impossible de rivaliser avec Monk sur son propre terrain – c'est-à-dire sur son répertoire –, Schlippenbach soigne ses variations au gré de caprices évasifs, subits, accrocheurs voire accidentés, ou même vicieux (le vice en question poussé jusqu’à charger par exemple l’allure défaite de Reflections). Schlippenbach s’en tire d’ailleurs le mieux lorsqu’il s’inspire du tempérament de Monk davantage qu’il n’interprète ses partitions : sur Coming on the Hudson ou Introspection, allant là jusqu’à garder du thème la peau seule et les os pour s’en faire un habit – costume et chapeau noir – sur mesure.

Alexander von Schlippenbach : Plays Monk (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 22 et 23 novembre 2011. Edition : 2012
CD : 01/ Reverence 02/ Work 03/ Interlude I 04/ Locomotive 05/ Introspection I 06/ Introspection II 07/ Coming On The Hudson 08/ Interlude 2 09/ Epistrophy 10/ Interlude 3 11/ Reflections 12/ Interlude 4 13/ Interlude 5 14/ Brilliant Corners 15/ Interlude 6 16/ Interlude 7 17/ Pannonica 18/ Interlude 8 19/ Played Twice 20/ Epilogue
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Thelonious Monk : Inédit (à paraître)

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Il nous l’avait promis, il avait dit qu’il le ferait, il n’en aura pas eu le temps. Mais aussi, que de temps perdu en concerts, des semaines au Five Spot et autres lieux, le monde entier visité, et pas qu’une fois, plusieurs, excusez ! Et composer des trucs bancals, qui parfois n’ont pas le bon compte, les 32 mesures réglementaires, mais un pont de 6 ou 6 et demi voire 7 mesures… Comment s’y retrouver ? Et rester assis à rêvasser en regardant la télé avec la cigarette au bec chez la Baronne, c’est une vie, ça ?

Je sais bien qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut, que la vie réserve des surprises, blah-blah-blah, mais alors là… manquer à ce point de parole, c’est impensable… Ce type n’est pas fiable, vraiment, il ne sait pas jouer du piano, il joue au fou, il tournicote sur la scène, il disparaît en coulisse pour se précipiter à l’abordage du clavier, état d’extrême urgence ; il porte un nom comme un accoutrement, comme il porte un chapeau. Pas un seul modèle de toute la chapellerie européenne, américaine, chinoise ou exotique qu’il n’ait posé sur son crâne. Et ses mains ? Vous les avez vues, ses mains ? Avec ces bagouses improbables qu’on dirait volées à Liberace, ce mouchoir – est-ce toujours le même qu’il trimballe du Birdland à la Salle Pleyel ?

Non, décidément, Monk ce n’est plus ce que c’était…

C’est à ce moment-là que je me réveille de ce cauchemar insistant. Voyons… Ah oui, c’est bien sûr, ça évoque naturellement le nombre de CD encore sous cellophane que je n’ai pas écoutés, sagement rangés sur leur étagère, et les vidéos parcourues mais jamais complètement, me les réservant « pour plus tard », quand viendra l’heure d’une improbable retraite. Que de trésors nous réservez-vous encore, Thelonious Monk ? Plein ? Chic, je m’y mets demain !

Jacques Ponzio © Le son du grisli

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Jacques Ponzio est musicien, et même pianiste. Il est l'auteur de l'Abécédaire Monk, publié au printemps dernier aux éditions Lenka lente.

 


Aki Takase, Han Bennink : 2 for 2 (Intakt, 2011)

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Est-ce un hasard si ballade et ragtime, après exemplaires exposés, se voient détournés de leur essence au profit d’éclatements free avant retour aux sources ? Monk,  souvent évoqué ici (Locomotive, Raise Four) échappe à ce procédé et retrouve toujours son blues originel. Dire qu’il hante de joyeuses façon (A Chotto Matte) ce disque n’est pas peu dire : il déborde de ses harmonies saillantes la quasi-totalité de ses seize plages.

Aki Takase est donc cette pianiste qui compose, improvise, projette passé et futur. Mordante avec Monk, ample avec les ballades (un peu de Bill Evans avec Knut), précise et rigoureuse avec ses propres compositions (Rolled Up), elle arme d’amour son compagnon, ici le grand Han Bennink. Lequel Bennink, retrouve dans sa caisse claire le swing éternel des Cozy Cole et autre Papa Jo Jones. Moins tonitruant qu’à l’ordinaire, totalement à l’écoute de sa partenaire, il furète et distille l’évidence avec gourmandise et générosité. Beau duo donc.

Aki Takase, Han Bennink : 2 for 2 (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD : 01/ Two for Two 02/ My Tokyo 03/ Locomotive 04/ Zankapel 05/ Knut 06/ Baumkuchen 07/ Monochrome 08/ Raise Four 09/ Do You What It Means to Miss New Orleans? 10/ A Chotto Matte 11/ Hat & Beard 12/ Ohana Han 13/ Rolled Up 14/ Hell und Dunkel 15/ Hommage to Thelonious Monk 16/ Two for Two
Luc Bouquet © Le son du grisli



Steve Lacy : School Days (Emanem, 2011)

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Rétrospectivement, on est amusé de penser qu'un prudent délai d'une douzaine d'années avait été respecté par « l'industrie phonographique » avant la première mise en circulation de cet enregistrement historique de 1963 : Steve Lacy (saxophone soprano), Roswell Rudd (trombone), Henry Grimes (contrebasse) et Denis Charles (batterie), à force de distillation, y trouvaient leur passage dans le répertoire monkien...

C'est Martin Davidson qui s'était chargé d'assurer la disponibilité du disque au fil des années 70, avant que la maison Hat ne prenne le relais, sous format compact (en 1994 et 2002) ; aujourd'hui, le disque revient chez Emanem, dans une soigneuse édition revue et augmentée de deux morceaux live présentant Lacy aux côtés de Thelonious Monk (piano), Charlie Rouse (saxophone ténor), John Ore (contrebasse) et Roy Haynes (batterie) en 1960 – si leur intérêt intrinsèque est évident, l'éclairage qu'ils apportent au disque en tant que tel n'est pas déterminant mais permet néanmoins une bonne contextualisation.

Au long des sept pièces que le micro a réussi à sauver, c'est tout un monde qui est convoqué : l'art géométrique, harmonique et chorégraphique de Monk étant porté à une « température qui rende les choses malléables », le miroir étant traversé, les quatre tisserands peuvent rivaliser, dans la danse et le contrepoint, de verve et d'invention. Effectivement collective, l'improvisation confine au transport euphorique !

Toujours également enthousiasmé au fil des écoutes, j'ai voulu demander à trois des meilleurs connaisseurs de l'univers lacyen leur avis sur cet extraordinaire disque...

D'après Jason Weiss (auquel on doit le livre Steve Lacy : Conversations, chez Duke University Press, ou le disque Early and Late, du quartet de Lacy & Rudd, pour Cuneiform), « School Days est important non seulement en tant que témoignage (comme enregistrement de concert, au lieu d’être sorti en son temps sur un label, comme un disque-projet) du premier groupe consacré à la musique de Monk, mais plus spécifiquement en tant qu'exemple d’un vrai lancement out sur sa musique. Pour Steve comme pour Roswell, c’était une façon de poursuivre et de concentrer dans une seule pratique leurs expériences du Dixieland et de l’avant-garde. Monk était le langage parfait pour eux, surtout à cette étape dans leurs trajets musicaux. Ce disque marque aussi, pour Monk, les débuts d'un nouveau jeu à partir de son œuvre, un rajeunissement de son esprit et également une sorte de légitimation par l'hommage de jeunes musiciens qui le comprennent. Pour les auditeurs d’aujourd’hui, School Days est remarquable par son profond swing en même temps que son audace, sa liberté ; la musique ne me semble pas avoir vieilli. Bien que je ne l'aie pas écouté depuis deux ou trois ans, le disque reste frais dans ma mémoire, vivifiant. »

Pour Gilles Laheurte (musicien new-yorkais, ami intime de Lacy), « en 1963, le jeune Steve avait 29 ans. A peine connu, sinon de quelques oreilles averties. Qui donc se donnait vraiment la peine d’aller l’écouter dans ces petits clubs new-yorkais sans prestige ni visibilité ? Mais Georges Braque l’avait bien dit : c’est le fortuit qui nous révèle l’existence au jour le jour – aphorisme que Steve avait bien noté et repris dans son album Tips, seize ans plus tard. Et ainsi, un soir, le fortuit était là : un amateur accro dans le public, l'impulsion soudaine d’enregistrer le concert, un micro comme par hasard (?) disponible, une communion entre quatre âmes totalement dévouées à la musique (et pas n’importe laquelle !)… Oui, il fallait oser les jouer, ces compositions de Monk souvent considérées comme « bancales » à l’époque, et ces quatre intrépides complices ont osé. La Chance sourit aux audacieux. Un Moment éphémère mais précieux a été capturé pour toujours. Un événement, ce disque, pour Steve, pour Monk, mais aussi pour nous tous qui aimons les créations spontanées de l’âme, sans complaisance, hors des sentiers (commerciaux) battus. Près de cinquante ans plus tard, c’est une musique qui continue de nous prendre aux tripes dès les premières notes et qui étonne toujours autant qu’à la première écoute. C’est une éternelle exubérante fraîcheur, une énergie contagieuse, un « trip » dans un univers aux couleurs soniques d’une grande lumière. Un album qu’on ne se lasse pas d’écouter. »

Selon, Patrice Roussel (éminent discographe, producteur), « c'est le privilège de chaque époque de commenter les faits et gestes des générations passées avec une certaine condescendance. Mais essayons l'inverse, à savoir, dans le cas qui nous occupe, de nous replonger au début des années 60, en tentant d'ignorer ce qui s'est passé ensuite. Nous sommes donc assis à quelques chaises de Paul Haines, dans un café de Greenwich Village. Il y a un quartette qui joue exclusivement le répertoire de Monk, indiquant qu'aucun des quatre musiciens n'est passé par une école de commerce. Quelle idée ! Une musique pratiquement injouable, taillée sur mesure, réputée n'allant à personne d'autre, et ce dans un lieu fréquenté par des touristes plus habitués au prêt-à-porter du jazz. Et que dire du choix des instruments des deux solistes ? Un trombone et un soprano, ce saxophone tombé en désuétude. Du Monk sans piano ni ténor ?! On pourrait presque parler d'hérésie, si ce n'est que Monk et sa musique tenaient plus de la secte occulte que d'une religion établie. Quel culot, ou quelle insouciance fallait-il pour deviner une combinaison gagnante dans une telle entreprise ! Mais pour le reste des mortels, il a fallu quelques décennies pour transformer l'incongru en nécessité. »

Steve Lacy : School Days (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1963. Réédition : 2011.
CD : 01/ Bye-Ya 02/ Pannonica 03/ Monk's Dream 04/ Brilliant Corners 05/ Monk's Mood 06/ Ba-lue Bolivar Ba-lues-are 07/ Skippy + 08/ Evidence + 09/ Straight no Chaser
Guillaume Tarche © Le son du grisli


Howard Riley : Solo in Vilnius (NoBusiness, 2010)

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L’acoustique réverbérante de l’église Sainte-Catherine à Vilnius possède sans doute quelque importance quant à la belle réussite de ce concert de septembre 2009. Jouer du son, de sa prolongation, de son écho et de la possibilité de resserrer ou d’espacer la résonance du piano ; toutes choses qui sont, ici, pleinement exploitées par le pianiste Howard Riley.

L’approche monkienne est là qui hante tout le concert et qui s’extériorise au détour d’un phrasé, d’une harmonie, d’une rupture (Round Midnight & Misterioso sont d’ailleurs présents pour en témoigner). Ici, Riley s’offre la liberté de n’offrir que l’effluve des thèmes de Monk, d’intervertir les mélodies, de déplacer à sa guise les blocs harmoniques en autant de séquences aléatoires étendues, et ce, sans jamais s’engluer dans une joliesse ou un lamento de prisunic. Privilégiant le registre grave du piano, jouant d’un continuum jamais rompu (le deuxième CD est de ce point de vue exemplaire), frôlant la dissymétrie sans jamais s’y abandonner totalement, Howard Riley signe, ici, un solo – me semble-t-il – magnifique.

Howard Riley : Solo in Vilnius (NoBusiness Records / Instant Jazz)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010   
CD1 : 01/Starting Up  02/Six with Five  03/Proof  04/There & Back  05/Round Midnight  06/Secret Moves - CD2 : 01/Hello Again  02/Space Cadets  03/Formely  04/New Walkway  05/Yesterdays  06/Misterioso  07/Encore
Luc Bouquet © Le son du grisli


Trio X : Live in Vilnius (No Business, 2008)

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Enregistré en mars 2006, voici Live in Vilnius transposé sur deux trente-trois tours allant à la vitesse de quarante-cinq. La rareté de la chose épouse ainsi l’entente intacte de Joe McPhee, Dominic Duval et Jay Rosen.

Au gré d’improvisations, de compositions que les membres du trio se partagent, et d’airs de diverses natures (puisque signés Ornette Coleman, Thelonious Monk, Billie Holiday, Richard Rodgers ou Anton Dvorak), Trio X déploie d’autres preuves d’un jeu intense mis au service de grandes relectures (My Funny Valentine aux sources de Valentines in a Fog of War, God Bless The Child), donc, et de passion dévorant le corps même des instruments (exaltations de McPhee sur Lonely Woman et Law Years, archet décadent de Duval sur Memories of the Dream Book).

Après avoir donné déjà une convaincante lecture d’Evidence, les musiciens en reviennent à Monk : Blue Monk éraillé mais en démontrant en guise de conclusion d’un concert d’exception aujourd’hui retenu sur les cinq cents exemplaires de Live in Vilnius.

Trio X : Live in Vilnius (No Business)
Enregistrement : 27 mars 2006. Edition : 2008.
LP : A.01/ Visions of War, Valentines in a Fog of War A.02/ Going Home B.01/ Dance of Our Fathers, Lonely Woman, Law years C.01/ Smiles for Samuel, The Basic Principles, God Bless The Child D.01/ For Don Cherry, Memories of the Dream Book, In Our Sweet Way D.02/ My Soul Cries Out, Blue Monk
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Dominic Duval, Jimmy Halperin: Monk Dreams (NoBusiness - 2009)

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Enregistré à la même époque que Monkinus, Monk Dreams retient d’autres versions de compositions de Thelonious Monk signées Jimmy Halperin et Dominic Duval.

Avec toujours la même subtilité, le saxophoniste et le contrebassiste se réapproprient les thèmes choisis, qui, selon leurs humeurs changeantes, diffèrent : unissons à la progression larvée de Brilliant Corners ou Evidence (Halperin, préférant là le soprano au ténor, évoquant forcément Steve Lacy en introduction), mélodies dissoutes de concert (Monk’s Dream) ou rendues plutôt avec délicatesse (Ruby, My Dear), improvisations licencieuses après la déposition du thème (Off Minor, Blue Monk).

Sans jamais jouer la redite, Monk Dreams gagne le statut d’ouvrage complémentaire à Monkinus, et, sur certains points (la qualité de l’enregistrement, notamment), le surpasse effrontément.

CD: 01/ Brilliant Corners 02/ Off Minor 03/ Epistrophy 04/ Monk's Dream 05/ Trinkle, Tinkle 06/ Evidence 07/ Bye-Ya 08/ Criss Cross 09/ Blue Monk 10/ Ruby, My Dear 11/ Brilliant Corners (alternative track) >>> Dominic Duval, Jimmy Halperin - Monk Dreams - 2009 - NoBusiness. Distribution T. Verstraete.

Dominic Duval déjà sur grisli
Songs for Krakow (Not Two - 2007)
Monkinus (Cimp - 2006)
Rules of Engagement, Vol. 2 (Drimala - 2003)
Interview


Gabriel Solis: Monk’s Music (University of California Press - 2007)

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Si le musicologue Gabriel Solis se penche sur le cas déjà pas mal commenté de Thelonious Monk, c’est sous l’angle intéressant d’une interrogation concernant les processus d’évolution d’un jazz en mouvement perpétuel.

Ainsi, après être revenu sur la carrière du pianiste – retour sur les principes fondamentaux d’une légende en construction – et avoir élaboré une liste d’ingrédients entrant dans la composition du phénomène (développements singuliers des thèmes, notion toute personnelle du temps, humour et angoisse mêlés), l’auteur brasse quelques souvenirs pour mieux définir encore la musique de son sujet : écoutes attentives en solitaire ; œuvres de Monk interprétées par Don Cherry, Steve Lacy et Roswell Rudd, en 1981 ; par Danilo Perez, aussi, pianiste et héritier que Solis rapproche de Fred Hersch et Jessica Williams dans un chapitre qu’il consacre à l’héritage monkien.

Parce qu’après Monk, justement, le piano dans le jazz partagé entre néoconservateurs et avant-gardistes. A Solis, alors, d’envisager quelques tributes, notamment celui cité plus haut (1981), qu’il juge comme étant la dernier hommage monumental fait au pianiste. Ecrit récemment, c’est donc oublier le Monk’s Casino d’Alexander Von Schlippenbach, peut-être pour asseoir encore davantage un propos qui redit la singularité de Monk, musicien passé du statut de mauvais élève à celui de grand classique du jazz, et aimerait qu’il échappe à toute récupération.

Livre: Acknowledgments - Introduction - PART ONE. MONK AND HIS MUSIC : 1. Prelude: A Biographical Sketch 2. Hearing Monk: History, Memory, and the Making of a Jazz Giant - PART TWO. MONK, MEMORY, AND THE MOMENT OF PERFORMANCE : 3. The Question of Voice 4. Three Pianists and the Monk Legacy: Fred Hersch, Danilo Perez, and Jessica Williams - PART THREE. INSIDE AND OUTSIDE: MONK'S LEGACY, NEOCONSERVATISM, AND THE AVANT-GARDE : 5. Defining a Genre: Monk and the Struggle to Authenticate Jazz at the End of the Twentieth Century 6. "Classicism" and Performance 7. Monk and Avant-Garde Positions 8. Loving Care: Steve Lacy, Roswell Rudd, and Randy Weston - Afterword - Notes - Bibliography - Index

Gabriel Solis - Monk’s Music : Thelonious Monk and Jazz in the Making - 2007 - University of California Press.



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