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Le son du grisli
20 mars 2017

La bonne chanson : Nurse With Wound

nurse with wound la bonne chanson

A l'occasion du concert que Nurse With Wound donnera demain, mardi 21 mars, à Paris dans le cadre du festival Sonic Protest, nous publions un extrait du premier numéro papier du son du grisli - dont le sommaire et l'affiche de la soirée ont deux musiciens en commun : Nurse With Wound, donc, et Sven-Åke Johansson

Et si la bonne chanson était faite de plusieurs, de centaines, de milliers de chansons mêlées ? Au petit bonheur la chance : Nature Boy et Tonada de luna llena, Lonely Woman et La noyée, Balderrama et Alone Together… Autour, tout autour, des bouts d’expérimentations ou des morceaux de bruits signés – s’il faut extirper encore quelques noms de la Nurse With Wound List – AMM, Henri Chopin, Stockhausen, PIL, New Phonic Art… approchent en satellites que Steven Stapleton fait tourner. Quelqu’un a-t-il d’ailleurs jamais compté le nombre de conseils donnés en cette liste que l’homme a glissé dans la pochette du premier disque de son groupe, Chance Meeting on a Dissecting Table of a Sewing Machine and an Umbrella ? Et en cette autre, qui l’allongeait, dans To the Quiet Men from a Tiny Girl dédié à l’actionniste Rudolf Schwarzkogler ?

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Quel rôle cette somme d’inspirations a-t-elle pu jouer sur l’aspiration de Steven Stapleton, et puis sur son aura ? Dès les origines de Nurse With Wound, l’amateur éclairé qu’il est les arrange et en joue dans un sanctuaire qu’il a élevé à cet effet : un Jardin des Délices qu’il explore d’un panneau à l’autre sous la surveillance de convives de tailles gigantesques. Chance Meeting on a Dissecting Table of a Sewing Machine and an Umbrella, et c’est (avec John Fothergill et Heman Pathak) déjà Lautréamont : « beau (…) comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l'animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ! » Descendant de ces tafouilleux, ou chiffonniers de la Seine, qui, selon les mots de Maxime du Camp, « envisagent dans le sillon leur prochaine prise ; tout leur est bon, tout leur est une proie, et un profit », Stapleton dépose sur la table ses trouvailles de la journée : ce ne sont plus alors ni parapluie ni machine à coudre, mais des sons de toutes provenances que des bouches minuscules ramassées avec précaution chantent sans avoir pris le temps de s’être consultées.

Curieux travail de catéchisation – d’autant qu’on a cru apercevoir à l’instant Stapleton se « promenader » sur le panneau de droite : … vos yeux habitués à la pénombre s’ouvriront bientôt à de plus radieuses visions de clarté ; est-il déjà parti voir de quoi retourne l’envers du décor ? Le temps peut-être, pour nous, de feuilleter un livre ou deux : Journal occulte de Strindberg ou Billy & Betty de Twiggs Jameson dont Stapleton fit l’acquisition un jour de 1973 sur un marché d’Amsterdam, roman drolatique dans lequel il a pêché quelques titres de morceaux et qu’il pensa même, avec Geoff Cox et David Tibet, rééditer augmenté d’illustrations de sa main. Au son de Sister Ray du Velvet Underground, écoutons Sister Susie s’épancher à nouveau : « Nombreux étaient les coups que je tirais avec des hommes célèbres mais, dans ce domaine, je ne jouais pas à la difficile. Je dirais même que je préférais l’homme de la rue aux stars avec des noms comme ça, car la plupart sont pédés comme – » … N’y voyez aucune allusion, pas plus de raccourci, mais voilà qui nous amène quand même à évoquer cet autre ouvrage dans lequel David Tibet expose une partie de sa collection de cuirs (et en dit long sur la fascination qu’exerce sur lui le personnage de Oui-Oui).

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Hommage aux chansons branlantes de Coil, Current 93 et – dans une moindre mesure – Nurse With Wound, ce livre l’est aussi : England’s Hidden Reverse, sous-titré A Secret History of the Esoteric Underground, écrit à la fin des années 1990, publié au début des années 2000 et récemment traduit en français – une postface permet à son auteur, David Keenan, d’aborder un peu l’ « actualité » de ses sujets, désormais hommes célèbres mais jadis trublions confinés en caves après que le punk eut perdu de sa morgue (l’affaire a vite été réglée). Si la lecture de ce livre a laissé plus d’un de ses protagonistes circonspect, il n’en reste pas moins qu’il renferme de précieuses informations. Sagement, le journaliste raconte l’histoire de formations qui se côtoient et même se mélangent malgré quelques divergences d’idées et d’intérêts. C’est que les bases communes sont solides : lectures de Joe Orton, Arthur Machen ou Aleister Crowley, écoutes diverses et même variées, goût pour le contact – ainsi Tibet rejoindra-t-il Psychic TV sur un simple coup de téléphone passé à Genesis P-Orridge – et culture de l’idiosyncrasie – qui poussa par exemple John Balance à s’extraire du même Psychic TV pour former Coil, que rejoindra rapidement Peter Sleazy Christopherson. Voilà pour ces « hommes célèbres » qu’en approcheront d’autres : William Bennett (Whitehouse), Karl Blake et Danielle Dax (Lemon Kittens), Graeme Revell (SPK)… On pourrait croire la scène indus (celle des années 1980 à 1985, que Bennett qualifie de « géniales et passionnantes ») attachée au concept d’exclusivité – par simple jeu de domination –, or ces personnalités là (pour combien d’embrigadés volontaires ?) parviennent à s’y exprimer chacun à sa façon. Comme à distance, Stapleton – il faut le lire : « Tout ce truc industriel, c’était de la merde. » – fait donc avec ses premières influences (le krautrock de Guru Guru et Amon Düül, première des toutes) et son goût pour la musique dépaysante – la question de l’origine du son que l’on entend se posera d’ailleurs souvent à l’écoute des disques de Nurse With Wound. C’est d’ailleurs l’expérience qu’il faudra faire : tout reprendre un jour, et dans l’ordre, depuis Chance Meeting on a Dissecting Table of a Sewing Machine and an Umbrella jusqu’aux récentes collaborations avec Colin Potter, Andrew Liles et MS Waldron en passant par Homotopy to Marie, que Stapleton considère comme son premier « vrai » disque parce qu’il est celui par lequel il a découvert « comment mettre en forme la dynamique ». … Les ombres que nous peindrons seront plus lumineuses que les pleines lumières de nos prédécesseurs…

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Avant la dynamique, c’est par exemple Insect and Individual Silenced : une salle des pas perdus (mais toujours une voix qui traîne) improvisée salon de danse macabre. Dans la dynamique, s’engouffreront ensuite autant d’expressions disparates que de mutilations nécessaires : alchimiste patenté, Stapleton arrange le tout en dada nostalgique, démonstrateur en fabuloserie (Creakiness), guitariste incertain (The 6 Buttons of Sex Appeal), chasseur de fantômes sur pellicule (Poeme Sequence), organiste panique (Santoor Lena Bicycle)… Bien sûr, la tête vous tourne, et c’est voulu – d’autant qu’il faut ajouter aux éditions originales des disques NWW leurs multiples rééditions, certaines compilées ou réassemblées pour ne pas dire « collées à l’arrache. » C’est Echo, non plus punie mais cette fois gratifiée par le sort : devenu labyrinthe, le sanctuaire élevé par Stapleton nous renvoie par un subtil jeu de miroirs les clichés de chacune des étapes de sa construction. C’est parfois hors-sujet, la plupart du temps terriblement impressionnant ; autant que l’est l’envergure de l’entreprise, qui ne doit jamais nous faire renoncer à cette idée de tout – tout, c’est à dire Nurse With Wound jusqu’à sa liste – reprendre un jour, et dans l’ordre encore.

le son du grisli

Au sommaire du premier numéro papier de la revue Le son du grisli : Nurse With Wound & Sven-Åke Johansson, et puis Jason Kahn,Zbigniew Karkowski et La Monte Young. Informations et précommande sur le site des éditions Lenka lente.

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