Johannes Frisch, Ralf Welhowsky : Which Head You’re Dancing In? (Monotype, 2014)
Quelques saillies (il faut le reconnaître) mais bon moyen-moyen. Voilà pour résumer en six mot (je ne compte jamais les parenthèses) cette nouvelle rencontre Johannes Frisch (bassiste repéré dans le Kammerflimmer Kollektief ou avec Mia Zabelka) / Ralf Wehowsky (RLW & concept-groupe qui a déjà enregistré avec Bruce Russell, Kevin Drumm, Anla Courtis etc.).
Parce que c’est en fait un mezzé bien foutraque que ce Which Head You Re-Dancing In? Du digital d’outre-tombe, des beats crachant sur basse qui drone (la plage 4 qui donne son titre au disque c’est alva noto qui ferraille avec Veliotis), de la derbouka qui rebondit dans un piano droit… Bref, des expériences d’accord mais concrètement ?
Eh bien parfois (quand même) des beats assaillants ralentis / accélérés contre un vokalKlavier retournant avec Theme for a Skyscraper ou un sax-aphone qui vole dans les plumes d’une contrebasse (à plumes donc) avec Crisis In Space. Maintenant, quand on remarque que sur ce disque un titre s’appelle Let’s Now Interrupt for a Commercial…, on se dit que c’est vraiment l’effet que ça donne entre deux bons expérimorceaux.
Johannes Frisch, Ralf Welhowsky : Which Head You’re Dancing In? (Monotype / Metamkine)
Edition : 2014.
CD : 01/ Stutter Train Stoppage 02/ Theme for a Skyscraper 03/ Crisis in Space 04/ Which Cloud You Are Coming From? 05/ Skies of Guantanamo 06/ Let’s Now Interrupt for a Commercial 07/ Dub Clap Move 08/ Acid Breakdown
Pierre Cécile © Le son du grisli
P16.D4 : Passagen (Monotype, 2012)
C’est à un projet complètement fou (donc nécessaire) que s’est attelé le label Monotype : la réédition de la discographie de P16.D4, groupe allemand qui sévit dans les années 1980 et fit grand bruit quels que furent la nature (électronique, électriques, cassettes, bandes) de ses instruments. Si l’on craint pour Monotype la catastrophe industrielle, on se réjouit d’une telle entreprise !
Car elle nous permet de mettre l’oreille sur des enregistrements labellisés Selektion qui étaient devenus rares et qui nous font un effet d’une rare modernité… Ralf Wehowsky (RLW), membre le plus endurant (si je puis m’exprimer ainsi), et ses comparses Roger Schönauer (RS), Ewald Weber (EW) et bientôt Stefan E. Schmidt (SES), pourraient en effet faire passer Throbbing Gristle pour un gentil groupe de hit parade. Dès Kühe in ½ Trauer, leur premier disque enregistré entre 1982 et 1983, tout est dit (ou presque) : instruments traditionnels (piano, guitares, synthétiseurs, orgues, voix…), loops rutilantes, cassettes réemployées à vau-l’eau, arrangent des atmosphères étouffantes : dans un blockhaus fermé à double tour, vous voilà spectateur des frasques des plus cinglés fantômes Dada. Malgré tout, les musiciens respectent encore un format court de chanson estampillé punk.
Après ce coup de maître, le groupe signe Distruct en retouchant des bandes de Merzbow (qui collaborera souvent avec le groupe), Smegma, De Fabriek, The Haters, Nurse with Wound ou encore du guitariste et saxophoniste Yoshiaki Kinno. P16.D4 y donne dans une sorte d’indus pour ensuite casser tous les codes, mis à part peut-être ceux de la musique concrète (il n’y a qu’à entendre le disque suivant, Nichts Niemans Nirgends Nie, et Bruitiste avec Alchim Wollscheid, l’un des Three Projects publiés par RRRecords et Selektion entre 1988 et 1990). Au diable les punks, donc, voici le temps venu des ingénieurs « studio » farfelus.
Comme pour faire le pont, mais a-posteriori, le gruppe concocte en 1987 Acrid Acme [Of] qui regorge de réutilisations d’enregistrements qui datent, eux, de 1981. On reprend des chansons punks et on les taille au cutter comme s’il s’agissait de vieux jean. Et les bouts qui tombent, on se les arrache aux cris de collages de bouts de chants de guitares ou de cymbales,, de déformations de sons d’orgues, de constructions tranchantes … La pratique est la même pour les morceaux que P16.D4 distribuera sur des compilations k7 publiées aux quatre coins du monde, morceaux compilés sur le disque Tionchor.
Pour terminer en beauté, le grand coffret contient un DVD (neuf vidéos de Markus Caspers et Horst Maus diffusés sur scène pendant les prestations du groupe + quatre films tiré des archives de Caspers qui montrent des inscription ou le tapage fait par des musiciens armés de marteaux ou chatouillant un piano ou les murs d’un studio…), un livret (qui reprend une histoire de P16.D4 publiée signée Dan Warburton pour Wire en 2005 et renferme des photos, des chroniques et les discographies de P16.D4 et RLW) et enfin 4 cartes cartonnées (à jouer puisqu’elles pourraient bien être des non-partitions, qui sait ?). Bref, de quoi tenir quelques mois en bonne et bruyante compagnie !
P16.D4 : Passagen (Monotype)
Enregistrement : 1982-1991. Edition : 2012.
5 CD + 1 DVD : CD1/ Kühe in ½ Trauer CD2/ Distruct CD3/ Nichts Niemand Nirgends Nie CD4/ Tionchor LP CD5/ Acrid Acme – DVD / Ethereal Ephemera
Pierre Cécile © Le son du grisli
RLW, Srmeixner : Just Like a Flower When Winter Begins (Monotype, 2013)
Au départ, c’était un grand morceau sorti de deux plus petits de Ralf Wehowsky (P16.D4 et donc RLW) et Stephen Meixner (Contrastate et donc Srmeixner). Mais aujourd’hui, ce ne sont pas moins de dix morceaux différents, que les deux hommes ont fabriqué en rapprochant leur approche expérimentale de la plus grossière des musiques populaires.
Trois années à manipuler de balourdes chansons, à tricoter des sons bruts, à arranger des samples d’orchestres, des bouts de conversations & des incrustations de mille espèces… Dit comme ça, on pourrait se méfier de Just Like a Flower When Winter Begins. Or, les emprunts discographiques sont assez finement travaillés pour, dans les micro tubes de RLW et Srmeixner, donner naissance à une sorte de space ambient distrayante, parfois étonnante, en tout cas qu’on n’attendait pas là.
RLW & Srmeixner
Just Like a Flower When Winter Begins (extraits)
RLW & Srmeixner : Just Like a Flower When Winter Begins (Monotype)
Enregistrement : 2010-2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Blumen für den Prachtjungen 02/ Old Hearts Rejuvenated 03/ Gummidorf (Simply Happiness) 04/ The Man with the Sunglasses 05/ Alle (Everyone) 06/ Wishing to be Entertained 07/ Definition (Konsumation) 08/ Gummidorf 09/ Seligkeit 10/ Spaßbremse 11/ Definition (Degustation)
Pierre Cécile © Le son du grisli
John Watermann: Epitaph for John (Korm Plastics - 2005)
Une collaboration entamée par l’artiste John Watermann et Frans de Waard, du label Korm Plastics, transformée en hommage. Le 2 Avril 2002, jour de la mort de Watermann, les travaux en commun ont investi le champ de l’attente. Le temps pour Waard de réfléchir à la poursuite encore possible du travail, mais pas sans quelques soutiens.
Appelés, Asmus Tietchens, Ralf Wehomsky (RLW), Masami Akita (Merzbow) et Freiband. Le cahier des charges invitant chacun d’eux à traiter les enregistrements de Watermann, matériaux naturels en quête de continuité artificielle. Offerte, si possible, par ceux-là, qui ont tous collaboré un jour avec le personnage à regretter.
Alors, Tietchens fait des dernières bandes de son complice une ode aux souffles divers - qu’ils affichent une exclusivité dérangeante (JWAT 3) ou se trouvent une place au creux d’une ambient industrielle (JWAT 1). Dans la même optique, Ralf Wehowsky invite l’auditeur à s’adapter à des larsens bientôt chassés par les bourdonnements (Seeking Perfection).
Plus loin, la discrétion abstraite de Freiband sur Threnody contraste avec la progression d’Untitled for John Watermann de Merzbau : à force de tintements et d’inserts parasites, une mini rythmique s’installe et rend convaincante cette nouvelle expérience sonique. Plus brut, l’exposé fait par Frans de Waard d’un dernier enregistrement de Watermann rend une zoologie mise en boîte, incarnée ou factice (Toowong Cemetary).
La collaboration achevée enfin pour avoir su accueillir les effets d’artistes non programmés mais tous redevables, d’une façon ou d’une autre, à John Watermann. Qui ont élevé ensemble un monument élégant, et évoqué si bien Watermann sur Epitaph for John que ce disque devra renoncer à ses qualités de compilation pour venir compléter et conclure la discographie personnelle du disparu.
CD: 01/ Asmus Tietchens - JWAT 1 02/ Asmus Tietchens - JWAT 2 03/ Asmus Tietchens - JWAT 3 04/ Asmus Tietchens - JWAT 4 05/ RLW: Seeking Perfection - Somewhere Else 06/ Merzbow - Untitled For John 07/ Freiband - Threnody 08/ John Watermann - Toowong Cemetary
John Watermann - Epitaph for John - 2005 - Korm Plastics. Distribution Metamkine.