P16.D4 : Passagen (Monotype, 2012)
C’est à un projet complètement fou (donc nécessaire) que s’est attelé le label Monotype : la réédition de la discographie de P16.D4, groupe allemand qui sévit dans les années 1980 et fit grand bruit quels que furent la nature (électronique, électriques, cassettes, bandes) de ses instruments. Si l’on craint pour Monotype la catastrophe industrielle, on se réjouit d’une telle entreprise !
Car elle nous permet de mettre l’oreille sur des enregistrements labellisés Selektion qui étaient devenus rares et qui nous font un effet d’une rare modernité… Ralf Wehowsky (RLW), membre le plus endurant (si je puis m’exprimer ainsi), et ses comparses Roger Schönauer (RS), Ewald Weber (EW) et bientôt Stefan E. Schmidt (SES), pourraient en effet faire passer Throbbing Gristle pour un gentil groupe de hit parade. Dès Kühe in ½ Trauer, leur premier disque enregistré entre 1982 et 1983, tout est dit (ou presque) : instruments traditionnels (piano, guitares, synthétiseurs, orgues, voix…), loops rutilantes, cassettes réemployées à vau-l’eau, arrangent des atmosphères étouffantes : dans un blockhaus fermé à double tour, vous voilà spectateur des frasques des plus cinglés fantômes Dada. Malgré tout, les musiciens respectent encore un format court de chanson estampillé punk.
Après ce coup de maître, le groupe signe Distruct en retouchant des bandes de Merzbow (qui collaborera souvent avec le groupe), Smegma, De Fabriek, The Haters, Nurse with Wound ou encore du guitariste et saxophoniste Yoshiaki Kinno. P16.D4 y donne dans une sorte d’indus pour ensuite casser tous les codes, mis à part peut-être ceux de la musique concrète (il n’y a qu’à entendre le disque suivant, Nichts Niemans Nirgends Nie, et Bruitiste avec Alchim Wollscheid, l’un des Three Projects publiés par RRRecords et Selektion entre 1988 et 1990). Au diable les punks, donc, voici le temps venu des ingénieurs « studio » farfelus.
Comme pour faire le pont, mais a-posteriori, le gruppe concocte en 1987 Acrid Acme [Of] qui regorge de réutilisations d’enregistrements qui datent, eux, de 1981. On reprend des chansons punks et on les taille au cutter comme s’il s’agissait de vieux jean. Et les bouts qui tombent, on se les arrache aux cris de collages de bouts de chants de guitares ou de cymbales,, de déformations de sons d’orgues, de constructions tranchantes … La pratique est la même pour les morceaux que P16.D4 distribuera sur des compilations k7 publiées aux quatre coins du monde, morceaux compilés sur le disque Tionchor.
Pour terminer en beauté, le grand coffret contient un DVD (neuf vidéos de Markus Caspers et Horst Maus diffusés sur scène pendant les prestations du groupe + quatre films tiré des archives de Caspers qui montrent des inscription ou le tapage fait par des musiciens armés de marteaux ou chatouillant un piano ou les murs d’un studio…), un livret (qui reprend une histoire de P16.D4 publiée signée Dan Warburton pour Wire en 2005 et renferme des photos, des chroniques et les discographies de P16.D4 et RLW) et enfin 4 cartes cartonnées (à jouer puisqu’elles pourraient bien être des non-partitions, qui sait ?). Bref, de quoi tenir quelques mois en bonne et bruyante compagnie !
P16.D4 : Passagen (Monotype)
Enregistrement : 1982-1991. Edition : 2012.
5 CD + 1 DVD : CD1/ Kühe in ½ Trauer CD2/ Distruct CD3/ Nichts Niemand Nirgends Nie CD4/ Tionchor LP CD5/ Acrid Acme – DVD / Ethereal Ephemera
Pierre Cécile © Le son du grisli
Strotter Inst. : Miszellen (Hallow Ground, 2017)
Depuis la fin des années 1990, Christoph Hess fait tourner ses platines sous pseudo Strotter Inst. La particularité est qu’il ne prend même plus la peine de déposer de vinyles sur ses machines tournantes et donc qu’il compose dans le vide. C’est d’ailleurs là que réside le mystère de sa techno minimaliste ou de sa rotobik envoûtante.
Maintenant, la particularité de Miszellen est de prouver que Strotter Inst. ne respecte rien, même par la particularité dont je viens de parler. Sur ce double LP, il puise en effet dans ses influences musicales pour s’en servir de matériau brut (de défrocage). C’est ce qui explique que ce nouveau Strotter Inst., eh bien, ne sonne pas tellement Strotter Inst. Il n’en est pas moins recommandable, car Hess y ouvre des boîtes qui cachent des boîtes qui cachent des boîtes…
Et c’est à force d’ouvrir tout ça qu’il habille ses structures élastiques, jonglant avec des samples qui donnent à ses atmosphères de nouvelles couleurs. Si ce n’est pas toujours convaincant (je pense au violoncelle qui a du mal à faire bon ménage avec l’électronique sur la plage Asmus Tietchens ou à la relecture de Darsombra) on trouve quelques perles sur ce disque, que ce soit dans le genre d’une strange ambient inspirée par Nurse With Wound ou Ultra ou quand il joue à la roulette sous les encouragements de RLW. L’autre grand intérêt de Miszellen est qu’il permet de dénicher des morceaux d’indus sur lesquels on ne serait peut-être jamais tombé sans les conseils avisés de Strotter Inst.
Strotter Inst. : Miszellen
Hallow Ground
Edition : 2017.
2 LP : A1. AAADSTY : Spassreiz beim Polen (a miscellany about TASADAY) A2. ABDMORRS : Yaeh-Namp (a miscellany about DARSOMBRA) A3. ACEEH IMNSSSTTU : Artigst nach Gutem changiert (a miscellany about ASMUS TIETCHENS) – B1. BEEEENQU : Snijdende Tests (a miscellany about BEEQUEEN) B2. DEHIN NOR STUUWW : 105 Humorous Print Diseases (a miscellany about NURSE WITH WOUND) B3. GIILLMSS U : Juli enteist Jute (a miscellany about SIGILLUM S) – C1. 146DP : typisch CH-Hofpresse (a miscellany about P16D4) C2. AHMNOT : Ahnenreihe O.T. (a miscellany about MATHON) C3. EFOSTU : Acid Hang (a miscellany about FOETUS) - D1. LRW : Keilhirnrinde... (a miscellany about RLW) D2. ÄDEKL : Seismic Sofa Gang 44 (a miscellany about DÄLEK) D3. ALRTU : Mysterious Flowershirts (a miscellany about ULTRA)
Pierre Cécile © Le son du grisli
RLW, Srmeixner : Just Like a Flower When Winter Begins (Monotype, 2013)
Au départ, c’était un grand morceau sorti de deux plus petits de Ralf Wehowsky (P16.D4 et donc RLW) et Stephen Meixner (Contrastate et donc Srmeixner). Mais aujourd’hui, ce ne sont pas moins de dix morceaux différents, que les deux hommes ont fabriqué en rapprochant leur approche expérimentale de la plus grossière des musiques populaires.
Trois années à manipuler de balourdes chansons, à tricoter des sons bruts, à arranger des samples d’orchestres, des bouts de conversations & des incrustations de mille espèces… Dit comme ça, on pourrait se méfier de Just Like a Flower When Winter Begins. Or, les emprunts discographiques sont assez finement travaillés pour, dans les micro tubes de RLW et Srmeixner, donner naissance à une sorte de space ambient distrayante, parfois étonnante, en tout cas qu’on n’attendait pas là.
RLW & Srmeixner
Just Like a Flower When Winter Begins (extraits)
RLW & Srmeixner : Just Like a Flower When Winter Begins (Monotype)
Enregistrement : 2010-2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Blumen für den Prachtjungen 02/ Old Hearts Rejuvenated 03/ Gummidorf (Simply Happiness) 04/ The Man with the Sunglasses 05/ Alle (Everyone) 06/ Wishing to be Entertained 07/ Definition (Konsumation) 08/ Gummidorf 09/ Seligkeit 10/ Spaßbremse 11/ Definition (Degustation)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Anla Courtis : The Torrid (Porter, 2011)
Anla Courtis a déjà fait du bruit avec beaucoup de monde. Et sur The Torrid, il continue.
S’il persiste et signe, c’est que la collaboration l’inspire ! Il n’y a qu’à entendre l’avalanche qu’il déclencha en concert en 2005 avec Rick Potts (guitare, effets) et Joseph Hammer (enregistreur, microcontact, loops et guitare) : cataclysmique, et nous n’en sommes qu’au premier titre.
Avec RLW (kalimba, shaker), V/VM (sound source) ou MSBR et KK Null (electronics), il peaufine une noise asphyxiante d’une tout autre teneur, sournoise. Il revient avec le guitariste Bill Horist à un folk expé pour revenir au solo de guitare sous les tombereaux de batterie d’ARMPIT.
Et le meilleur, c’est que Courtis a gardé le meilleur pour la fin. En offrant des sons d’harmonica qu’il a collectionné à Daniel Menche ou en jouant les guitare-héros fatigués à côté de l’orgue à drones de Campbell Kneale. A ceux qui ne connaîtrait pas Anla Courtis, je répète qu’il a déjà fait du bruit avec beaucoup de monde. Et je conseille l’écoute de ce CD pour que commence leur exploration.
EN ECOUTE >>> Newsnight & Go-Fi sur le site de Porter Records.
Anla Courtis : The Torrid (Porter Records)
Enregistrement : 2003-2008. Edition : 2011.
CD : 01/ LA Noodles (avec Rick Potts & Joseph Hammer) 02/ Stone Returns (avec RLW) 03/ Go-Fi (Bill Horist) 04/ 20.000 Volts (avec MSBR & KK Null) 05/ Newsight 365 (avec V/Vm) 06/ Pocket Gallows (avec Armpit) 07/ Harmful Rainstorm (avec Daniel Menche) 08/ A Garden (avec Campbell Kneale)
Pierre Cécile © Le son du grisli
John Watermann: Epitaph for John (Korm Plastics - 2005)
Une collaboration entamée par l’artiste John Watermann et Frans de Waard, du label Korm Plastics, transformée en hommage. Le 2 Avril 2002, jour de la mort de Watermann, les travaux en commun ont investi le champ de l’attente. Le temps pour Waard de réfléchir à la poursuite encore possible du travail, mais pas sans quelques soutiens.
Appelés, Asmus Tietchens, Ralf Wehomsky (RLW), Masami Akita (Merzbow) et Freiband. Le cahier des charges invitant chacun d’eux à traiter les enregistrements de Watermann, matériaux naturels en quête de continuité artificielle. Offerte, si possible, par ceux-là, qui ont tous collaboré un jour avec le personnage à regretter.
Alors, Tietchens fait des dernières bandes de son complice une ode aux souffles divers - qu’ils affichent une exclusivité dérangeante (JWAT 3) ou se trouvent une place au creux d’une ambient industrielle (JWAT 1). Dans la même optique, Ralf Wehowsky invite l’auditeur à s’adapter à des larsens bientôt chassés par les bourdonnements (Seeking Perfection).
Plus loin, la discrétion abstraite de Freiband sur Threnody contraste avec la progression d’Untitled for John Watermann de Merzbau : à force de tintements et d’inserts parasites, une mini rythmique s’installe et rend convaincante cette nouvelle expérience sonique. Plus brut, l’exposé fait par Frans de Waard d’un dernier enregistrement de Watermann rend une zoologie mise en boîte, incarnée ou factice (Toowong Cemetary).
La collaboration achevée enfin pour avoir su accueillir les effets d’artistes non programmés mais tous redevables, d’une façon ou d’une autre, à John Watermann. Qui ont élevé ensemble un monument élégant, et évoqué si bien Watermann sur Epitaph for John que ce disque devra renoncer à ses qualités de compilation pour venir compléter et conclure la discographie personnelle du disparu.
CD: 01/ Asmus Tietchens - JWAT 1 02/ Asmus Tietchens - JWAT 2 03/ Asmus Tietchens - JWAT 3 04/ Asmus Tietchens - JWAT 4 05/ RLW: Seeking Perfection - Somewhere Else 06/ Merzbow - Untitled For John 07/ Freiband - Threnody 08/ John Watermann - Toowong Cemetary
John Watermann - Epitaph for John - 2005 - Korm Plastics. Distribution Metamkine.