Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Mark Trayle : Goldstripe / Toshimaru Nakamura, Mark Trayle : Stationary (Creative Sources, 2015)

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Entendu souvent en compagnie de Jason Kahn (Five Lines, Fronts, Timeline Los Angeles) mais aussi auprès de Vinny Golia (Music for Electronics & Woodwinds), voici Mark Trayle improvisant, en 2006 et 2007, dans d’autres conditions : seul (Goldstripe) ou en duo avec Toshimaru Nakamura (Stationary).

Sur Goldstripe, Trayle  interroge le potentiel sonore des pistes magnétiques de cartes bancaires. Si elle peut, au son, rappeler les Dataphonics de Ryoji Ikeda, l’épreuve est moins dogmatique, et même : plus poétique. Ainsi extrait-il – certes pour les étouffer, mais en se gardant toujours de les faire taire – les éléments d’une électronique de contenu généralement enfoui. A son imagination, maintenant, de décider : ici, les renverser ; là, les obliger à un rythme ou à une danse ; ailleurs, les déformer à loisir – les pièces peuvent alors rappeler les expériences sur platines d’Otomo Yoshihide ou les plus étranges instrumentaux de Throbbing Gristle.

Avec Toshimaru Nakamura, c’est presque une autre histoire. Ordinateur contre no-input mixing board à trois reprises : malgré les velléités, de part et d’autre, les gestes sont mesurés. A tel point qu’on soupçonne l’électronique de s’être rapidement fondue dans le décor pour mieux sourdre ensuite… à travers les plaintes, fragiles toutes : sifflements, oscillations, crépitements, saturations… La mesure et la précision du duo soignent là une électronique rare, d’un expressionnisme moléculaire plus remarquable encore que celui de Goldstripe.



Mark Trayle : Goldstripe (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2006-2007. Edition : 2015.
CD : 01-07/ Goldstripe

Toshimaru Nakamura, Mark Trayle : Stationary (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : Janvier 2007. Edition : 2015.
CD : 01/ 10’16’’ 02/ 27’59’’ 03/ 6’45’’
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



MKM, Casey Anderson, Mark Trayle : Five Lines (Mikroton, 2014)

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Si elles ne bouleverseront pas l’œuvre ni les manières des membres de MKMGünter Müller (ipods et électronique), Jason Kahn (synthétiseur analogique, radio et mixeur), Norbert Möslang (cracked everyday-electronics) –, ces Five Lines enregistrées en 2010 au California Institute of the Arts démontrent que le machicotage électronique est capable d’invention.

En compagnie de Casey Anderson (ordinateur, objets et radio) et le regretté Mark Trayle (ordinateur et guitare), le trio dessine, comme l’illustre la couverture du disque, cinq lignes en pointillés aux redirections nombreuses qui composeront sous l’effet de manipulations mesurées, voire inquiètes. Ainsi, de brouillages qui se télescopent en larsen insinuants, de sifflements renversés en perturbations parasites et de battements fins en craquements étouffés, l’électronique en partage cherche une autre abstraction. Une abstraction dont les interférences sont le lieu où prolifèrent cinq aspirations renouvelées.  

MKM, Casey Anderson, Mark Trayle : Five Lines (Mikroton / Metamkine)
Enregistrement : 5 septembre 2010. Edition : 2015.
CD : 01/ Five Lines
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Jason Kahn : In Place / Broken Place / Fronts (Winds Measure / CFYR / Khalija, 2013)

jason kahn in place daitoku broken place frontsDu flot régulier des publications (de l'album à télécharger jusqu'au vinyle) de Jason Kahn, et entre les disques compacts que publie Herbal International (Things Fall Apart, un étonnant solo) ou promet Cathnor (Untitled for Four, une longue partition graphique – avec Patrick Farmer, Sarah Hughes et Dominic Lash), il est plaisant d'extraire ces trois récents enregistrements pensés pour le format de la cassette.

Jason Kahn : In place: Daitoku-ji and Shibuya Crossing (Winds Measure Recordings, 2013)
S'inscrivant de façon critique dans le champ du field recording, la série de travaux menée par Kahn depuis 2011 sous l'intitulé In place (d'abord à Zurich) substitue au micro et à l'enregistrement de terrain une immersion attentive de plusieurs heures in situ, dont un texte rend ensuite compte ; cet objet littéraire qui pourrait s'apparenter à une « tentative d'épuisement d'un lieu » (et par l'ouïe et par la vue) à la Perec est ensuite enregistré par l'artiste, de sa voix blanche, posée, dans le silence du studio. Cette intelligente extension du domaine de la pratique sonore porte d'autant plus que la lecture, assez monotone, est évocatrice et sobrement musicale, « produisant de l'espace » (Henri Lefebvre est d'ailleurs une influence assumée) là où il n'en reste pas même un son : le complexe bouddhiste du Daitoku-ji de Kyoto et le carrefour central de Shibuya à Tokyo, dans leur absence même, se réinventent et sonnent en chaque auditeur, par les mots. Une réussite très originale !

EN ECOUTE >>> Daitoku-ji and Shibuya Crossing

Jason Kahn : Broken place (Copy For Your Records, 2013)
Le contexte, fort différent pour cette grosse heure de musique, replace Kahn devant l'équipement que nous lui connaissons : synthétiseur analogique, table de mixage, voix, radio et sons captés à l'extérieur sont convoqués pour une performance, depuis son appartement de Zurich, diffusée en direct au festival Audioblast, fin novembre 2012. Le flux, généralement lourd d'interférences et de grésillements, s'épaissit par adjonction de fragments radiophoniques, de vocalises, de bruits et débris, se fissure et s'affaiblit à l'occasion ; ces creux et failles, structurant une pièce chargée, confèrent son intérêt à cet enregistrement bien fracassé.

Jason Kahn, Mark Trayle : Fronts (Khalija, 2013)
Chacune des faces de cette cassette reproduit une improvisation saisie lors de concerts (d'abord à Zurich, ensuite à Genève, en mars 2012) donnés par Kahn (synthé analogique, table de mixage, radio) avec Mark Trayle (electronics, guitare). Le duo semble avoir d'emblée trouvé un pouls et une aire de collaboration stimulante, communicative (pour l'auditeur dont l'immersion est rapidement acquise) : l'énergie circule dans un beau jeu de contrastes entre textures – bouffées de blizzard à échardes contre escadrilles aux fuselages polis – au profit d'une fort efficace propulsion par frottement. Un enregistrement à comparer avec ce que JK a récemment donné avec Bryan Eubanks ou en compagnie de Bruce Russell & Richard Francis (Dunedin).

EN ECOUTE >>> Fronts (extrait)


Jason Kahn : Timelines Los Angeles (Creative Sources, 2010)

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Particulièrement riche ces dernières années, la production phonographique qui documente le travail de Jason Kahn (percussion, synthétiseur analogique) multiplie les angles et contextes d’appréhension d’une esthétique finalement homogène, mais n’aide guère – et c’est bien ainsi ! – à mieux comprendre ce que l’on peut trouver de si fascinant à cet univers délicat, tout en jeux de nuances, qui n’offre que peu d’aspérités, au bord parfois de l’évanouissement…

Curiosité et plaisir donc, sont vivement renouvelés à l’audition de cet enregistrement d’avril 2008 à Los Angeles, d’autant que Kahn ne s’y retrouve pas en compagnie de membres de son cercle habituel et que l’instrumentarium convoqué s’ouvre aux sources acoustiques du piano – préparé par Olivia Block – et des saxophones alto & sopranino d’Ulrich Krieger (+ live-electronics). Le quatuor, complété par Mark Trayle (laptop, guitare), joue une composition graphique du percussionniste, dans la veine d’autres Timelines remarquables, comme la version zurichoise de 2004 publiée par le label Cut, ou l’édition new-yorkaise téléchargeable ici.

De cette partition en tant que telle il ne faut pas attendre qu’elle recèle l’explication de la réussite de son « interprétation » (par improvisation) : consignant sommairement (mais pour chacun, spécifiquement) des durées, textures et densités, elle est à peine une façon de scénariser, pas même d’encadrer, peut-être de laisser planer l’idée d’une forme ou d’une tension sous-jacente… mais elle n’en aboutit pas moins, entre les mains de ces quatre musiciens, à une création vivante de la plus belle eau, qui captive par l’élégance de sa mise en son, la finesse de ses entremêlements et la puissance qu’elle peut dégager, ses moments de suspension et d’étirement, l’impression d’espace géographique et mental qu’elle procure. Cliquetis, ondes et auras, en vibrionnant doucement, résonnent chez l’auditeur, longuement.

Jason Kahn : Timelines Los Angeles (Creative Sources / Metamkine)
Edition : 2010.
CD : 01/ Timelines Los Angeles
Guillaume tarche © Le son du grisli



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