Ryoji Ikeda : supersymmetry (Nantes, Lieu Unique, 2014)
On pourra aller s’informer ailleurs – sur le site du Yamaguchi Center for Arts and Media, notamment – des soucis et des objectifs de supersymmetry (parallèles, superposition, synergies…), des intentions et des motivations de Ryoji Ikeda (inspirante résidence au CERN, intérêts pour l’inconnu et le probable, pour la physique subatomique et la Matière noire, …) : au sol, la double-installation est faite de trois tables lumineuses et, à quelques pas de celles-ci, d’une salle de contrôle dans laquelle deux double-rangées d’écrans sont séparées par un long couloir.
La lumière sera celle, intermittente, que produiront les machines ; l’origine des sons restera, elle, inconnue. Les tables de verre – qu’une règle-partition peut scanner – recouvrent des boîtes carrées dans lesquelles des billes roulent sur un plateau en mouvement lent. L’inclinaison semble dictée par un signal sonore, à moins que le signal en question ne trahisse en fait le mouvement opérant. Même question de cause et d’effet pour la trajectoire des billes : réagit-elle aux flashs subits et stroboscopes ou les provoque-t-elle sournoisement ? Le ballet est de patience, c’est-à-dire : d’attente, de déclenchement, de révolution, de nouvelle attente enfin.
Dans la salle de contrôle, une quarantaine d’écrans se font face qui, en blanc, noir et rouge, font état – retranscrivent peut-être – d'une sérieuse recherche. Les graphiques y abondent, chassés bientôt par l’image reprise de ces billes en mouvement ou par un cliché de galaxie éclatée. Derrière les deux rangées d’écrans, en parallèle, d’autres écrans encore sur lesquels le Temps ne passe pas mais court, affolé, tant l’enjeu de l’expérience et la charge de travail qu’elle représente lui interdit tout loisir.
Sévère d’aspect, l’installation mêle à l’inquiétude de science et au numérique qui la domine une poésie que son (aux aigus qu’on lui connaît, Ryoji Ikeda a travaillé quelques graves qui impressionnent et forgé un langage inédit qu’il donne à entendre) et même images (transcriptions incompréhensibles de quelles recherches en cours, dans ce langage justement) lui confèrent. Ainsi ce qui échappe au poète (les preuves de vérité) et ce qui échappe au scientifique (la vérité prouvée) s’accordent, en supersymmetry, au son et à l’image d’un bel art installé.
Ryoji Ikeda, supersymmetry (installation), Nantes, Lieu Unique, du 27 juin au 21 septembre 2014.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ryoji Ikeda : Supercodex (Raster-Noton, 2013)
Ces derniers temps, nombre d’internautes se sont extasiés sur le dernier album Recur d’Emptyset, où l’electronica tordue et raffinée du duo de Bristol penchait vers une techno biscornue et parfois revêche. Nouvel effort de Ryoji Ikeda, Supercodex aurait tendance à ne garder que la fin de la proposition, si l’on s’était gardé d’en demeurer à la première écoute.
Passé l’effet de frayeur, les pulsations grinçantes et insectueuses (tels des grillons mabouls) du producteur japonais prennent une sacrée saveur digitale à la faveur du temps. Quelque part entre une abstraction eletronica pour insomniaques électrisés et un reste de techno d’après-Fukushima, les enchaînements du Nippon installé à Paris dépasse allègrement le stade de la curiosité pour branleurs intellos en mal de sensations à l’ouest de Carsten Nicolai. Même si on ne perçoit pas toujours un sens de l’esthétique propre à l’artiste, il l’est davantage dans le contexte élargi de la maison Raster-Noton, la neuvième déclinaison discographique de M. Ikeda vaut plus que mille voyages au pays d’Ikea.
Ryoji Ikeda : Supercodex (Raster-Noton)
Edition : 2013.
CD : 01/ Supercodex 01 02/ Supercodex 02 03/ Supercodex 03 04/ Supercodex 04 05/ Supercodex 05 06/ Supercodex 06 07/ Supercodex 07 08/ Supercodex 08 09/ Supercodex 09 10/ Supercodex 10 11/ Supercodex 11 12/ Supercodex 12 13/ Supercodex 13 14/ Supercodex 14 15/ Supercodex 15 16/ Supercodex 16 17/ Supercodex 17 18/ Supercodex 18 19/ Supercodex 19 20/ Supercodex 20
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Ryoji Ikeda : Dataphonics (Dis Voir, 2010)
Pour parler de Dataphonics le livre-disque, j’ai reçu l’autorisation de renvoyer à la chronique de Dataphonics le programme radio (parce que qu’il s’agit d’une seule et même chose). Ce qui rend ma chronique plus courte mais aussi interactive !
Charmé par l’œuvre sonore de Ryoji Ikeda, il me faut avouer que les transcriptions sur papier de ces travaux laissent plutôt dubitatifs : bandes de signes noirs et blancs que d’aucuns trouveront peut être émotionnellement chargés… Mis à part que l’objet Dataphonics s’en trouve complété, le visuel du sonore manque d’impact et sa nature n’est en plus que vaguement expliquée. Mais pour ceux qui manquèrent la diffusion du programme de l’Atelier de Création Radiophonique, il est indispensable d’ouvrir ce livre ... pour aller chercher le disque.
Ryoji Ikeda : Dataphonics (Dis Voir)
Edition : 2010.
Livre + CD : Dataphonics.
Pierre Cécile © Le son du grisli
Ryoji Ikeda: See You at Regis Debray (Syntax - 2008)
Bande-originale du film du même nom – qui a pour sujet un Andreas Baader à l’abri dans l’appartement de Regis Debray à Paris –, See You at Regis Debray donne à entendre Ryoji Ikeda se plier avec singularité aux codes de l’illustration sonore.
Sur deux disques, et donc sans images, se succèdent des propositions d’un minimalisme hésitant entre de timides constructions rythmiques et un bourdon insistant avant qu’un fantasme de mélodie empêche l’opposition de durer plus longtemps. Contre les bruits sortis du film – actions de Baader et effets sur son environnement –, Ikeda amasse des nappes électroniques mesurées, une note de guitare répétée puis d’autres bourdons encore. Plus lyrique, tourne le dos à ses penchants naturels et sert un mauvais rock progressif – quand aucune image n’est là pour l’assumer, en tout cas – avant d’en revenir au silence, ou à son à peu près. Et puis, intègre à son travail une autre musique de film ou un morceau de chanson de Leonard Cohen – autres effets de l’action en cours – avant qu’une série de déconstructions électro-bruitistes terminent un exercice à l’intérêt aléatoire, qui incite, ceci étant, à aller trouver les images (See You at Regis Debray, du réalisateur CS Leigh) pour se faire une idée plus concrète de la qualité de l’illustration.
CD1: 01/ See You at Regis Debray - CD2: 02/ MoRt >>> Ryoji Ikeda - See You at Regis Debray - 2008 - Syntax. Distribution Differ-ant.
Ryoji Ikeda: Test Pattern (Raster Noton - 2008)
Poursuivant ses travaux appliqués au data, Ryoji Ikeda élabore Test Pattern, ou 16 variations sur le même thème : autres transformations de données numériques faites matériau en constructions rythmiques douées de frénésie. Plus abordable que Dataphonics : Mix Final, Test Pattern confirme l'hospitalité du passage ayant mené Ikeda du minimalisme à un art sonore et élégant de l'infiniment petit. Changeant, aussi, et autrement passionnant.
CD: 01/ test pattern #0001 02/ test pattern #0010 03/ test pattern #0011 04/ test pattern #0100 05/ test pattern #0101 06/ test pattern #0110 07/ test pattern #0111 08/ test pattern #1000 09/ test pattern #1001 10/ test pattern #1010 11/ test pattern #1011 12/ test pattern #1100 13/ test pattern #1101 14/ test pattern #1110 15/ test pattern #1111 16/ test pattern #0000 >>> Ryoji Ikeda - Test Pattern - 2008 - Raster Noton. Distribution Metamkine.
Ryoji Ikeda: 1000 Fragments (Raster Noton - 2008)
Publié en 1995 par Ryoji Ikeda lui-même, 1000 Fragments est une compilation de premiers travaux faisant office d’album, que Raster Noton réédite aujourd’hui. Au programme, une première œuvre sans saveur – Channel X, qui met bout à bout diverses sources d’enregistrements sonores : films, brouillages radio, voix vraisemblablement venues de l’espace ou de plus simples usages du téléphone – et deux autres qui amorcent les travaux à venir : 5 Zones et Luxus, sur lesquels se mêlent larsens et bips sur nappes atmosphériques, avant le retour irrémédiable à la nature via l’exposé de field recordings. Oeuvre pas encore aboutie, mais document valable.
CD: 01-09/ Channel X (1985-1995) 10-14/ 5 Zones 15/ Luxus 1-3
Ryoji Ikeda - 1000 Fragments - 2008 (réédition) - Raster Noton. Distribution Metamkine.
Ryoji Ikeda : Dataphonics : Mix Final (France Culture / INA, 2006-2007)
Diffusée récemment, l’intégralité de Dataphonics, projet commandé par l’Atelier de Création Radiophonique et le Groupe Recherches Musicales de l’INA au compositeur Ryoji Ikeda. 10 pièces diffusées initialement d’octobre 2006 à juillet 2007, rassemblées ce 2 septembre sur France Culture.
Hommage au Solfège de l’objet sonore de Pierre Schaeffer, Dataphonics a dans l’idée de matérialiser, voire, de rendre visibles, les sons échappés des données numériques dans lesquelles plonge Ikeda. Bien sûr, l’univers est vaste, et les possibilités multiples, mais, comme sur son récent Dataplex, le compositeur prend soin de donner une allure présentable aux résultats de ses préoccupations sérieuses.
C’est pourquoi, d’une démarche qui pourrait rester purement expérimentale, Ikeda fait un prétexte ludique, combinant une série d'attributs minuscules que sa maîtrise du langage binaire lui a permis de capturer : cliquetis et effets de masse, aigus récurrents ou larsens, bourdons porteurs et impacts réguliers.
Sages ou précipitées, les 10 pièces s’empressent de respecter une régularité rythmique - voire, un propos répétitif - et servent un minimalisme électronique à tête chercheuse, inquiété autant par la malléabilité des possibilités d’un data fait instrument que par les formes dans lesquelles les enfermer. Un traité d’utilisation scientifique appliqué à l’édification de constructions légères.
Dataphonics: 01/ Principle 02/ Spectrum 03/ Transmission 04/ Transformation 05/ Rhythmics 06/ Automatic 07/ Quantization 08/ Harmonics 09/ Counterpoint 10/ Structure
Ryoji Ikeda - Dataphonics : Mix Final - 2006, 2007 - France Culture / INA. Ecoute et Podcast.