I Never Meta Guitar Too (Clean Feed, 2012)
Après un premier volume pas mal tourné vers le jazz ou assimilé (avec Jeff Parker, Mary Halvorson, Noël Akchoté, Jean-François Pauvros…), ce qui est en passe de devenir une série, I Never Metaguitar, parie sur des « guitarists for the 21st Century » un peu plus franc-tireur. Si on ne sait pas s’ils sont tous en mesure de réinventer le jeu à l’instrument, ils démontrent en tout cas d’une envie plutôt iconoclaste.
Toujours concoctée par Elliott Sharp, la sélection de solos est comme attendue éclectique : post-folk (Manuel Mota, Steve Cardenas), bruistisme électrique (Ava Mendoza,Yasuhiro Usui, Shouwang Zang), minimalisme (Ben Tyree à la guitare classique fait une forte impression), atmosphérique (Joel Harrison au bottleneck non moins intéressant), voilà pour les « meilleurs ». Enfin il y a les individualistes d’hier qui en ont encore sous la pédale, comme Alan Licht et David Grubbs. Audn l'un déploie un jeu à la structure claire bousculée par le feedback, l'autre s’empare d’une guitare classique pour en pincer les cordes et inventer un bel instrumental minimalow-fi. Bref, de quoi ne pas passer à côté d’une compilation qui nous fait espérer que la série ne s’arrête pas en si bon chemin.
I Never Metaguitar Too (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2012.
CD : 01/ Ava Mendoza : Mandible Moonwalk 02/ Ben Tyree : The Gatekeeper 03/ On Ka'a Davis : Ballet 04/ Shouwang Zhang : Guitar Song 05/ Joel Harrison : Loon 06/ Yasuhiro Usui : Headland 07/ Steve Cardenas : Aerial 08/ Marco Cappelli : Sits at the Other Side of the Table 09/ Alan Licht : The Servant 10/ David Grubbs : Weird Salutation 11/ Hans Tammen : Spiracles 12/ Zach Layton : Thus Gone 13/ Thomas Maos : The Day King Arthur Married On Cyprus 14/ Richard Carrick : A-KA 15/ Zachary Pruitt : For Electric Guitar #1 16/ Manuel Mota : Untitled
Pierre Cécile ® Le son du grisli
Alan Licht : Four Years Older (Editions Mego, 2013)
Passant à la guitare d'un effet à l'autre, tissant sa toile asymétrique, Alan Licht fait ici (deux) oeuvres de tourmente et de recherche autiste : le tonnerre y côtoie, à quatre ans de distance, une rengaine de huit notes, instables forcément, les crépitements et pépiements provoqués par la perforation soudaine de l'instrument, des bribes d'airs héroïques adeptes de conclusions gradiloquentes, des contradictions partout ailleurs...
Loin de la concentration hallucinante (et de l'effet à la hauteur que produisit son écoute) de YMCA, ce solo se trouve plutôt marqué du sceau Evan Dando of Noise? L'incision est même profonde, où trouvent refuge des bruits normalement confinés alliés à des bribes de mélodies sorties d'une guitare plusieurs fois retournée : y chutent des copeaux électriques, aigus voire hurlements saturant, parasites expectorant... Sur chant de ruines mais avec une distance qui ne s'interdit pas l'ironie, Alan Licht aura donc une autre fois joué de la guitare en courant à la perte de ses repères.
Alan Licht : Four Years Older (Editions Mego / Souffle Continu)
Enregistrement : 14 décembre 2012 (A) & 7 décembre 2008 (B). Edition : 2013.
LP : A/ Four Years Later B/ Four Years Earlier
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Phill Niblock : Working Title (Les Presses du Réel, 2012)
Si Phill Niblock a fait œuvre (voire vœu) de bourdons (ou de drones), le livre épais – que gonflent encore deux DVD de vidéos – qu’est Working Title n’en propose pas moins d’autres pistes de description, certaines balisées à peine. Sur enregistreur à bandes hier et Pro Tools aujourd’hui, l’homme travailla donc, au choix : musique microtonale, minimalisme fâché avec la répétition, interactions harmoniques, sons continus et overtones, ou encore : « musique multidimensionelle » et « partitions audio » (dit Ulrich Krieger) et « flux en constante ondulation » (dit Susan Stenger).
Ecrites avec l’aide de Tom Johnson, de Joseph Celli et de la même Stenger, les notes des pochettes (ici retranscrites) de Nothing to Look at Just a Record et Niblock for Celli / Celli Plays Niblock, édités par India Navigation au début des années 1980, en disaient pourtant déjà long. Avec certitude, y est expliqué de quoi retourne – et de quoi retournera désormais – le propos musical d’un compositeur qui refuse à se dire musicien. A la richesse de ces informations, le livre ajoute une poignée d’entretiens et d’articles publiés dans Paris Transatlantic, Positionen, FOARM (plume de Seth Nehil), Organized Sound… ainsi que des éclairages signés Krieger et Stenger, mais aussi Guy de Bièvre et Richard Lainhart, tous proches collaborateurs de Niblock.
Expliquant les tenants et aboutissants de l’art du compositeur, Krieger signe un texte intelligent que l’on pourra lire au son de Didgeridoos and Don’ts, première pièce écrite par un Niblock « sculpteur de son » pour un Krieger obligé d’abandonner ses saxophones (Walls of Sound, OODiscs). Avec l’idée d’en apprendre aux musiciens qui aimeraient un jour jouer Niblock sans forcément l’avoir rencontré – même si l’on sait que l’homme écrit à destination d’instrumentistes particuliers –, Krieger explique, conseille et met en garde : « leur défi, c’est de travailler en dehors des sentiers battus de la mémoire mécanique de leurs doigts. »
Plus loin, c’est de l’art cinématographique de Niblock qu’il s’agit : de The Magic Sun (présence de Sun Ra) et Max (présence de Max Neuhoff) au projet-fleuve The Movement of People Working, ce sont-là des « images de la réalité » dont on examine les origines – des entretiens avec Alan Licht révèlent ainsi l’importance du passage de Niblock par l’Open Theater de New York – et les rapports à la photographie et la musique. Voilà qui mènera l’ouvrage à aborder enfin, sous la plume de Bernard Gendron, le rôle joué par Niblock dans l’Experimental Intermedia Foundation d’Elaine Summers : là, d’autres musiciens concernés (Philip Corner, Joseph Celli, Peter Zummo, Malcolm Goldstein ou Rhys Chatham) guident le lecteur à une dernière proposition d’étiquetage : minimalisme radical ou radicalisme minimal ? L’art de Phill Niblock aura en tout cas créé des interférences jusque dans le domaine du langage.
Phill Niblock, Bob Gilmore, Guy De Bièvre, Johannes Knesl, Mathieu Copeland, Jens Brand, Rob Forman, Seth Nehil, Raphael Smarzoch, Richard Glover, Volker Straebel, Ulrich Krieger, Susan Stenger, Richard Lainhart, Juan Carlos Kase, Erica King, Rich Housh, Alan Licht, Bernard Gendron, Arthur Stidfole : Working Title (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Working Title
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Ulrich Krieger : Fathom (Sub Rosa, 2010)
Comme moi, beaucoup iront écouter Fathom pour entendre ce qu’y fait Lee Ranaldo. D’autres viendront pour Alan Licht (comparse de Loren Mazzacane Connors) ou pour Tim Barnes (invité hier par Sonic Youth sur Koncertas Stan Brakhage Prisiminimui). D’autres enfin pour le saxophoniste (baryton) Ulrich Krieger, que les plus pointilleux auront remarqué dans Zeitkratzer, avec Merzbow ou avec Jason Kahn (Timelines Los Angeles). Certains mêmes verront que le groupe d’Ulrich Krieger n’est autre que la mouture la plus récente de Text of Light…
Mais qu’importe les noms : Fathom est un disque splendide. On connaissait les atmosphères fin de siècle, fin d’empire, voici venue l’heure de l’atmosphère fin de rock / fin de jazz (attention : on ne parle pas ici de post-rock !). Les musiciens éreintés ont déposé leurs instruments à terre. Les instruments à terre vomissent vers le ciel des drones et des larsens. Le saxophone de Krieger crie le plus fort de tous au départ. Le saxophone de Krieger se fait avoir par les variations post-minimalistes des guitares : il succombe. Une suite de mini-tonnerres ayant fait changer de ton le saxophone, la pièce en est devenue hallucinante. Fathom est une composition d’Ulrich Krieger. Voilà qui explique tout. Voilà qui change tout !
Ulrich Krieger : Fathom (Sub Rosa / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2005. Edition : 2010.
CD : 01/ Fathom
Pierre Cécile © Le son du grisli