Interview de Birgit Ulher
Née en 1961 à Nuremberg, Birgit Ulher est une trompettiste allemande qui a acquis ces dernières années une excellente réputation dans le domaine de l’improvisation. Organisatrice du festival Real Time Music durant de nombreuses saisons, elle a mené des recherches esthétiques qui se sont traduites notamment par la réalisation de polaroids retravaillés à l’aide de techniques mixtes. Que ce soit en solo ou en groupe (le quartet Nordzucker, ses duos avec Ute Wasserman ou encore Gino Robair), les principaux aspects de son travail résident dans sa quête de nouveaux sons et procédés. L’usage du silence et l’écoute réflexive prennent dans son œuvre tout leur sens. Ses deux derniers albums Blips and Ifs (en duo avec Gino Robair, Rastatscan, 2009) et Radio Silence No More (en solo, Olof Bright, 2009) constituent une excellente introduction à un univers riche et poétique. Le 24 octobre prochain, elle jouera en compagnie du saxophoniste Heddy Boubaker lors du Festival Densités.
Quel a été ton apprentissage musical et quelles sont tes premières influences ? Plus jeune, j'ai commencé deux fois à prendre des cours de guitare, mais à chaque fois, je n'ai pas persévéré plus d'une année. En ce qui concerne la trompette, j'ai pris quelques cours, mais je suis essentiellement autodidacte. Je me suis lancée dans l'improvisation en jouant du free jazz dans un groupe pendant un certain temps. Je me suis d'abord intéressée principalement au free jazz, avant de me plonger dans l'improvisation et les nouvelles musiques européennes. Les artistes qui m'ont le plus influencée alors sont, entre d'autres, Paul Lovens, Manfred Schoof, Günter Christmann, Alexander von Schlippenbach, Derek Bailey, Roger Turner, John Stevens, Phil Minton, Joëlle Léandre, Annemarie Roelofs et Peter Kowald.
L'approche que tu partages avec des artistes comme Mazen Kerbaj ou Axel Dörner se distingue de l'improvisation européenne des années 60 et 70. Certains ont désigné ce renouvellement du langage musical de réductionnisme. Quelle est ton opinion par rapport à cette désignation et quelles sont les caractéristiques de ta musique qui s'en rapprochent le plus ? Je pense que l'utilisation de termes comme celui de réductionnisme est toujours simplificatrice. A mon avis, le réductionnisme consiste à se concentrer sur certains aspects de la musique, les sons peu élevés et le silence par exemple, une approche que je peux partager. Je n'aime pas beaucoup le fait qu'il sous-entende qu'il manque quelque chose à la musique, qui aurait été « réduite », ce qui n'est pas le cas. Ou dans un certain sens, c'est toujours le cas, puisque tout genre musical réside dans une focalisation sur certains aspects sonores. Beaucoup de musiciens sont à mon sens injustement réduits à ce terme. Cependant, il y a de nombreuses caractéristiques de ma musique que l'on pourrait associer au réductionnisme, bien que je ne me sois jamais sentie inféodée à cette étiquette. Depuis que je suis installée à Hambourg, je n'ai pas entretenu beaucoup de relation avec les musiciens qui ont commencé à travailler dans cette voie à Berlin, bien que je sois au courant de leurs recherches. Ce type d'approche repose trop souvent sur des règles strictes qui peuvent conduire à un certain formatage. J'ai toujours préféré travailler selon une approche individuelle plutôt que suivre des règles conceptuelles précises. J'apprécie beaucoup le travail de réductionnistes « originaux » comme Axel Dörner ou Andrea Neumann, qui ont développé quelque chose de vraiment neuf à un moment crucial. Mais, comme avec beaucoup de genres musicaux, certains musiciens le font d'une manière forte et convaincante et puis d'autres suivent et ne sont pas vraiment à la hauteur. C'est ainsi qu'il y a quelques années, le réductionnisme en est arrivé au point mort à Berlin, probablement parce que trop dogmatique. Les musiciens sont alors allés dans d'autres directions.
Favorises-tu parfois un travail de composition. Si oui, comment peux-tu le décrire ? Comme la composition a une bien meilleure réputation dans notre société, certains improvisateurs ont défini leur travail comme des compositions instantanées. Je ne peux pas dire que je favorise un travail de composition. Disons qu'il s'agit d'une autre approche avec des résultats différents. Par moments, il n'y a pas de grande différence entre la composition et l'improvisation, surtout lorsque tu travailles en solo. Il y a plus de flexibilité dans l'improvisation, tu n'as pas le contrôle sur les musiciens avec qui tu joues, ce qui est pour moi « plus un défi ». De toute façon, peu importe que la musique soit composée ou improvisée, du moment qu'elle est de qualité. J'ai été influencée par des compositeurs comme John Cage bien sûr, mais aussi Christian Wolf, Morton Feldman, Helmut Lachenmann, pour n’en citer que quelques-uns. J'aime beaucoup le travail de composition de Michael Maierhof : très précis, avec de beaux sons durs et beaucoup de silence. Il utilise des sons divisés, comme on peut l’entendre dans le quartet Nordzucker (avec Lars Scherzberg, Chris Heenan et moi-même). Ce que j'apprécie également dans l'improvisation, c'est l'égalité qui existe entre les musiciens. Tu n'as pas de hiérarchie avec le compositeur d'un côté et les interprètes de l'autre. Un autre avantage de la musique improvisée est que tu peux, par la pratique, approfondir la connaissance que tu as de ton instrument. Cela permet de développer de nouveaux sons et langages musicaux. Ces raisons me conduisent à penser que pas mal de musique improvisée actuelle sont beaucoup plus intéressantes que certaines musiques composées.
Y a-t-il des échanges entre ta pratique de la musique et celle des arts visuels ? J'ai toujours aimé le travail de nombreux artistes visuels qui se concentrent sur certaines problématiques bien précises. L'usage de bonnes proportions ainsi que le type de matériel employé sont très importants dans les deux disciplines. Comme j'ai cette formation en arts plastiques, je sais comme il est important de placer les sons exactement au bon endroit. Ensuite, certaines des plus intéressantes idées usitées dans la musique improvisée sont issues des arts plastiques, comme jouer de la guitare sur une table par exemple. Keith Rowe a en effet eu l'idée de Jackson Pollock, qui peignait ses toiles sur le sol. Autre analogie de la musique avec les arts plastiques, je considère le silence et le son comme les aspects négatif et positif d'une même chose, comme une sculpture et l'espace autour d'elle. Pour moi, les passages entre les sons sont aussi importants que les sons eux-mêmes. Quelque part, ils forment les sons. Une des meilleures choses qui puissent arriver dans n’importe quelle pratique artistique, musique comprise, c’est le changement de ta perception. Cela survient parfois après un bon concert, lorsque tu perçois ton environnement sonore différemment qu’avant. Une perception très proche de celle que l’on peut avoir de murs que l’on croyait connaître et qui paraissent différents après un travail de décollage. Les influences d’autres media peuvent être variées. Parfois, tu as l’idée d’enregistrer des sons de la vie quotidienne après avoir vu un spectacle de Sigmar Polke qui a documenté sa vie et celle d’autres artistes en utilisant la photographie. Ou, à d’autres moments, tu t’inspires d’idées conceptuelles, comme jouer chaque jour à un moment précis pour une durée déterminée. Les influences résident également dans le choix de ton matériel, dans la façon dont tu l’utilises, dans ton type de jeu et dans la façon dont l’interaction avec d’autres musiciens se déroule.
Peux-tu citer quelques-uns de tes disques favoris ?
Astro Twin / Cosmos (Ami Yoshida et Utah Kawasaki), Astro Twin + Cosmos (F.M.N. Sound Factory, 2004)
Tears (Ami Yoshida et Sachiko M), Cosmos (Erstwhile Records, 2002)
Nmperign (Bhob Rhainey et Greg Kelley), Nmperign (Selektion, 2001)
Hiss (Pat Thomas, Ivar Grydeland, Tonny Kluften et Ingar Zach), Zahir (Rossbin Records, 2003)
Greg Kelley et Jason Lescallet, Forlorn Green (Erstwhile Records, 2001)
Michael Maierhof, Collection 1 (Durian, 2006)
Agnès Palier et Olivier Toulemonde, Rocca (Creative Sources Recordings, 2005)
Birgit Ulher, propos recueillis en juillet 2009.
Jean Dezert © Le son du grisli