Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Heddy Boubaker, Alexandre Kittel : Merci Merci (Un Rêve Nu, 2016)

heddy boubaker alexandre kittel merci merci

Souvenir de la Maison peinte ? En juin dernier, l’endroit de Labarthe-sur-Lèze fermait ses portes à l’improvisation qu’Heddy Boubaker y a longtemps soignée. Ni dernier message adressé de la maison ni chant (improvisé) du cygne, Merci Merci est le duo que forment désormais Boubaker et Alexandre Kittel (déjà remarqué au son du grisli pour son Micro_Pénis).

S’il semble avoir, depuis l’enregistrement, délaissé le synthétiseur modulaire pour les guitares, c’est à cet instrument que l’on trouve encore Boubaker – à l’intérieur, même, recherchant dans ses circuits des rumeurs capables de se glisser entre deux salves de cymbales et d’électronique propulsées par son partenaire.

Les premières secondes, c’est l’espoir d’entendre un Borbetomagus étouffé sous idiophone mais les crépitements et sifflements finissent par avoir raison de l’exercice. C’est alors pour le duo un repli effectué en souffles tressés et en signaux minuscules, les chocs métalliques agaçant l’abstraction de grisailles à laquelle travaille le matériel électronique. Pour être plus libres de leurs gestes, Boubaker et Kittel n’en mesurent pas moins leurs expressions, et c’est là tout le sel de ces deux belles pièces d’improvisation – auxquels font écho Conte et La Cula sur Bandcamp .  

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Merci Merci : Merci Merci
Un Rêve Nu
Edition : 2016.
LP : A/ Longemaison – B/ La grande Baraque
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Vortex, J-Kristoff Camps (Un rêve nu, 2015)

vortex jk camps le grand attracteur

Par grand vent, Vortex (Heddy Boubaker au synthétiseur modulaie & Sébastien Cirotteau à la trompette amplifiée, tubes et caisse claire) résiste. Par grand vent, Vortex tient le cap. Vortex mastique le chaos, l’agrippe à nos tympans, y ajoute quelque insecte vibrant. Vortex chasse des troupeaux rampants. Vortex soulage l’excès. Vortex fait du heurt un programme. Vortex entretient l’entresol. Vortex crache le souffle.

J-Kristoff Camps remixe Vortex. D’une voix monocorde, JKC parcourt les tristes rapports de tristes personnages. On épie, on espionne, on surveille, on consigne et l’insurrection tarde à venir. Coup de Jarnac à Tarnac, les esprits moisis tissent de bases œuvres. On pourchasse les soleils. Heureusement, le Comité Invisible s’invite. Eveille. Welcome.



le grand attracteur

Vortex, J-Kristoff Camps : Le grand attracteur
Un rêve nu

Enregistrement : 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ Sexy Sushi 02/ Cinq de mieux 03/ La minute 04/ A Dance Contest 05/ En douze lettres 06/ JP 07/ Mochitsuki 08/ ADN 09/ Valse nocturne en Moselle 10/ Contestation Dance 11/ Bella Vita en six lettres 12/ A nos amis
Luc Bouquet © Le son du grisli


Heddy Boubaker : Dig! (Petit Label, 2013)

heddy boubaker dig!

Sur Petit label où il est passé deux fois déjà en compagnie de Soizic Lebrat, Heddy Boubaker publie aujourd’hui Dig!, qu’il explique même : Entre le début de cet enregistrement en août 2010 et sa fin en février 2012 un dramatique évènement de santé a eu lieu, me clouant plusieurs semaines à l'hôpital et m'interdisant définitivement de rejouer  du saxophone ; mais, du coup, me laissant plusieurs mois « tranquille » pour travailler et réfléchir sur la partie saxophone de cet enregistrement et sur mon ex pratique de cet instrument... ainsi que pour défricher d'autres chemins d'expression sonore (Lazy Unicord Drips...). J'ai voulu faire de ce disque un témoignage de cette période, un document fragile (…) Dig! interroge ainsi la cohérence d’un ouvrage dont l’équilibre fut mis à mal par un subit changement de cap. Un synthétiseur analogique suppléera donc au saxophone dans la vie d’Heddy Boubaker ; ce synthétiseur supplée déjà au saxophone sur Dig!

Or, on trouve aussi sur le disque, au milieu des trajectoires de souffles, des niches encombrées d’objets – frottés, roulant ou tombant – et de minuscules chants nés de l’emboîtement de structures gigognes. Car malgré les expériences (en tubes ou modules), l’art musical de Boubaker retombe toujours sur un motif voire une mélodie ou un pas de danse ébauché. Au synthétiseur, son bruitisme discret ne déroge pas à la règle : un grave tient, tremble avant de disparaître pour réapparaître plus loin : le nouvel instrument de Boubaker sait déjà jouer de retraits : si tôt, il sait comment bien s’effacer et inventer avec d'autant plus de pertinence.

Heddy Boubaker : Dig! (Petit Label)
Enregistrement : 2010-2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Sitting on the Side of the Road 02/ The Real Sexlife of a Banana 03/ Indistringuishable 04/ The Fabulous Adventures of Emile Plateau 05/ De la salive naît la lumière 06/ Sex of Angels 07/ I Believe in Joy 08/ Light Water 09/ The Duration of One Moment 10/ Holy Glory 11/ Dissection 12/ Lazy Unicorn Drips
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Interview d'Heddy Boubaker

heddy boubaker interview

Dig! serait donc un disque-étape dans l'oeuvre d'Heddy Boubaker, saxophoniste désormais empêché mais musicien toujours inquiet de sonorités parallèles. Passé à la basse électrique et au synthétiseur modulaire, il envisage d'autres recherches qui décideront sans doute naturellement du devenir de chacun des nombreux projets qui l'animent (Myelin, Zed Trio, duo avec Soizic Lebrat...).   

Le fait d’avoir été obligé d’abandonner le saxophone pour des raisons de santé a-t-il ouvert d’autres voies / perspectives ? Qu’est-il resté de ton passé de saxophoniste improvisateur ? Y-a-t-il eu rupture, renouveau ? As-tu eu envie d’explorer d’autres instruments acoustiques ne passant pas par le souffle ? Quand j'ai été obligé d'arrêter le sax je me suis posé plein de questions (je vais en rester sur la partie musique car avec un tel événement c'est bien au-delà de ce simple domaine que les interrogations affluent). Les questions les plus basiques concernaient la façon de prendre ce virage tout en restant dans une pratique de l'improvisation et de la recherche sonore (en amont je m'étais déjà posé cette question de rester dans cette pratique ou pas, le pourquoi... là, il s'agit du comment...) sachant que tous les instruments à souffle m'étaient à priori interdits. J'ai tenté d'analyser les deux axes principaux de ma pratique improvisatoire : l'aspect plutôt « abstrait », disons, recherche sonore etc. que j'explorais avec des groupes comme Myelin, Vortex, WPB3... et mon autre coté plutôt free / énergique développé dans Zed, Rosa Luxemburg, PHAT... tout ça avec le même instrument sur lequel j'ai passé énormément de temps à peaufiner la technique instrumentale et à rechercher des modes de productions sonores originaux. Partant de zéro sur de nouveaux instruments il m'apparaissait impossible de pouvoir arriver en peu de temps (je n'avais pas envie non plus de végéter vingt ans dans mon studio à tout réapprendre) à retrouver une certaine maitrise de mes futurs nouveaux outils sonores quels qu'ils soient... J'ai donc recherché quels pourraient être ces dits outils sur la base de deux critères, au départ : qu'ils permettent d'explorer le son sans qu'il me faille vingt ans d'apprentissage avant d'en tirer quelque chose, et que physiquement, ils me soient abordables (pas de souffle, pas d'énorme truc lourd à trimbaler – batterie, contrebasse, etc.), pas facile... Mais j'avais un gros avantage, celui d'avoir déjà pratiqué la basse et la guitare pendant de nombreuses années (même si je n'avais pas envie de rejouer de la guitare pour des raisons que je n'étalerai pas ici mais sur lesquelles je suis maintenant revenu).

Tu es passé d’un instrument acoustique à des instruments électriques (basse électrique) et électronique (synthé modulaire) : le mode de fonctionnement est différent. Y-a-t-il un temps d’adaptation, de gestation, de réflexion ? Qu’est que cela change physiquement ? Le choix de la basse s'est fait assez vite même s'il ne satisfaisait pas à tous les critères : apprentissage pas si court (c'est pas si facile de *bien* jouer de la basse les amis, ce n'est pas qu'un instrument de fainéant ;-)), ampli lourd à trimbaler, etc. Mais vu mon passé et mon attirance pour les sons graves, le passage à la basse s'est fait relativement rapidement et après quelques tâtonnements je pense que j'arrive enfin à m'en servir à la fois dans mes projets free et dans des explorations plus sonores. L'intérêt de cet instrument, pour moi à l'époque, était qu'il y avait peu de références dans les styles de musique que je voulais aborder. Il y a très peu de bassistes électriques contrairement aux saxophonistes et autres guitaristes et même contrebassistes... et donc plus de liberté dans les chemins possibles, mais en contrepartie moins de branches auxquelles se raccrocher.
Ceci dit, au tout début, j'étais assez dubitatif sur le fait qu'avec la basse j'arrive à en tirer et à pratiquer une musique basée sur l'exploration sonore pure. Cet instrument me semblait assez limité pour ça (ça c'était avant, je ne le pense plus maintenant), j'ai donc continué à chercher un instrument ou une méthode pour satisfaire mon goût pour la manipulation du son pur. J'ai un moment failli partir sur le theremin (sur les conseils de feu Laurent Daillau) mais les aléas des commandes sur internet en ont décidé autrement... Un jour, je ne me rappelle plus comment, j'ai découvert le synthé modulaire analogique, je n'y connaissais alors absolument rien en synthé à l'époque, j'ai dû tout apprendre  (ce qu'est un vco, etc.) et n'avais pas plus d'attirance que ça pour la musique électronique en tant que telle, c'est-à-dire sur le fait qu'elle soit électronique et pas acoustique. Je m'en foutais royalement et m'en fout encore d'ailleurs. Mais j'ai acheté trois ou quatre modules très simples après avoir écumé les forums et les démos sur youtube et j’ai passé un temps fou à m'amuser avec. Si on ne veut pas se prendre la tête en respectant les bonnes pratiques des synthétiseurs (c’est à dire vraiment laisser de côté la technique pure des synthés – car on peut très bien avoir cette approche très technique –, on peut vraiment s'amuser beaucoup avec le son avec ces petits engins, et c'est ce que j'ai fait en rajoutant modules après modules et en faisant et défaisant mes instruments. Il était rapidement devenu assez clair pour moi que : 1. le synthé modulaire n'est pas un instrument mais une boîte à outils qui permet de créer ses propres instruments, ce qui correspond très bien à mon approche exploratoire de la musique & 2. si on ne devient pas un geek du synthé on peut très bien s'en sortir et faire une musique totalement organique qui ne sonne pas musique électronique.
Donc voilà comment j'en suis venu à ces deux instruments, j'ai entre temps rajouté le violon alto à cette panoplie, instrument dont je ne sais pas jouer deux notes mais qui a l'avantage d'être facilement transportable et avec lequel j'explore la matière sonore avec joie (ceci dit, je ne ferais pas un solo d'alto, du moins pas encore...) et je me suis aussi remis à la guitare...

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... Le passage sur ces deux instruments principaux (basse et synthé) à impliqué de nombreux changements dans ma pratique de la musique : tout d'abord physiquement, ce sont des approches totalement différentes entre elles mais aussi par rapport au sax. Pour faire simple, si après un concert au sax (même calme) j'étais en nage cela ne m'arrive jamais avec le synthé et très peu avec la basse, ce qui par rapport à mon état de santé actuel est parfait. Par contre, ça ne veut étrangement pas dire que la relation au son est si différente. Même avec le synthé j'ai une approche très physique de la manipulation du son, la « seule » différence est que ce n'est pas l'utilisateur (le souffle) qui génère le son de base sur lequel on travaille mais la machine (les oscillateurs), je ne vois ça que comme une grosse économie d'énergie ;-) bien entendu l'ergonomie de l'outil est aussi différente mais l'état mental de la manipulation aux adaptations à la dite ergonomie près n'est pas si différente, il y a plus de différences entre le sax et la basse qu'entre le sax et le synthé par exemple.
Un autre changement important c'est le contexte dans lequel je joue alors, une histoire purement pratique : avec le sax, une petite valise et hop on peut se promener partout et jouer partout quasi instantanément, il n’y a pas de souci logistique et une grande liberté sur le moment et le lieu du jeu, une souplesse qui lorsqu'on la perd manque énormément et influe sur la musique et le rapport au son que tu développes. Avec la basse ou le synthé il faut de l'électricité, du matos lourd et encombrant à trimballer, un temps d'installation non négligeable etc... impossible d'aller dans la forêt pratiquer avec les oiseaux, de jouer comme mon ami Katsura dans une rivière de montagne, l'eau jusqu'à la taille, impossible aussi de se promener dans un lieu et de le faire sonner différemment selon sa position... Ce qui amène aussi à un autre changement de base, peut-être le plus important musicalement, c'est le fait d'être dépendant du haut-parleur (et de tout le système d'amplification). J’avais déjà travaillé le sax amplifié avec Benjamin Maumus du GMEA pour Le Dispositif en particulier mais il s'agissait toujours d'une extension de l'instrument, une sorte de prothèse même si dans ce cas il s'agissait  plus que de l'amplification mais cela restait un dispositif à quatre mains. Avec ces nouveaux instruments le son n'est plus direct : il doit obligatoirement être électrifié, passer par tout un dispositif pour sortir sur des membranes en vibration, c'est étonnamment la chose qui me pose le plus de problèmes que ce soit d'ordre pratique autant que par mon rapport au son. Je ne sais pas encore très bien exprimer cette relation et il est très probable qu'après des années de travail acoustique sur la simple vibration de l'air il me faille juste être patient pour bien appréhender le passage à l'électricité ou peut-être qu'il va me falloir plus de réflexions là-dessus. En tout cas c'est une partie que je trouve très importante.

Tu sembles préférer le téléchargement au CD, pourquoi ? Les musiques que tu pratiques misent sur le travail du son ? Est-il possible de restituer ta notion-intention (ainsi que la qualité sonore) du son dans les formats MP3, Flac… ou quelque chose se perd-il ? Quelle est d’ailleurs ta conception du son et de l’espace dans lequel il doit exister voire se libérer ? Comment expliques-tu le retour du vinyle et de la cassette en ce moment ? Je pense simplement que le CD est mort, c'était un petit objet de diffusion sonore bien pratique mais très moche et en tout cas plus de son temps actuellement... Il y aura certainement un retour à un moment ou à un autre, comme il y a maintenant un retour du vinyle ou de la cassette, mais de toute façon l'avenir de la musique en boîte passe par le dématérialisé, il n'y a pas d'autres perspectives à cette heure, c'est juste une constatation, ni une envie, ni un reproche, juste un état de fait. Et si on utilise les bons formats de la bonne façon et du bon matériel il n'y a aucun problème de restitution sonore, aucune perte, la qualité est identique voire potentiellement meilleure.
Sinon personnellement, pour mes projets solo principalement, j'ai en effet décidé de ne plus publier de CD, ni tout autre méthode de diffusion matérielle et de me concentrer sur du téléchargement : que ce soit de manière personnelle via bandcamp ou soundcloud ou via des netlabels. Après, pour mes enregistrements avec d'autres partenaires, je ne suis pas le seul à décider, la plupart préfèrent encore la diffusion par l'objet avec une préférence pour le vinyle, je me plie donc aux choix démocratiques du groupe et puis le vinyle c'est plutôt sympa comme objet avec ses grosses pochettes. J'aime bien aussi la cassette mais là c'est de la simple nostalgie, ça me rappelle l'époque où je piratais la musique en cassette et refaisais les pochettes à la main ;-) Après je peux parfaitement comprendre la préférence d'écouter cette musique en live plutôt que sur CD, c'est une musique de scène et le CD demande une attention de l'écoute dont peu de gens ont l'habitude, l'énergie de la scène et le visuel sont souvent là pour « aider » à faire passer cette difficulté d'écoute, de plus il y a l'aspect performatif : on voit la chose s'élaborer sans filet, qui en rajoute dans le « spectacle » (oui j'utilise sciemment ce mot-là). Il y a eu récemment une étude très sérieuse qui prouve que le visuel en musique est prédominant sur l'écoute, ce qui ne m'étonne pas quand on voit – justement –ce qui marche sur scène, quel que soit le style.

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Il y a aussi la Maison Peinte dont j’aimerais que tu me dises quelques mots …A la Maison Peinte, il y a des hauts et des bas au niveau fréquentation et « implication » du public (je parle spécifiquement de la partie contribution au prix libre là), des périodes où la salle est remplie et d'autres (très rares heureusement) ou on se compte sur les doigts de la main ;-)... Je crois que ce lieu fonctionne surtout sur l'ambiance qu'on a su créer avec Zéhavite Cohen (surtout elle) et moi (impliqué seulement dans la programmation musicale). Il y a de très bonne propositions artistiques mais je ne crois pas que ce soit la seule raison, c'est tout un contexte.

Et enfin, ce big band d’improvisateurs qui te tiens à cœur. D’ailleurs peut-on parler de collectif ? Non, il ne s'agit, pour l'instant du moins, pas d'un collectif, juste d'une rencontre de nombreux improvisateurs de la région qui ont envie d'essayer d'improviser ensemble. Nous sommes théoriquement une quarantaine, mais dans la pratique on répète – deux fois par mois à quinze ou vingt et on fait des concerts à une trentaine ce qui est déjà un joli tour de force :) Tous ces musiciens sont des gens s'étant déjà frottés à l'improvisation libre avec plus ou moins d'expériences, cela va de « vieux briscards » de l'impro qui ont trente ans de pratique derrière eux au jeune n'ayant fait qu'un atelier en sortie d'école ; mais en tout cas, tous sont impliqués dans cette aventure collective. Car un autre choix pas facile que nous avons fait est celui de la totale démocratie, il n'y a pas de chef (contrairement à ce qu'on pourrait croire je ne suis pas le chef de cet orchestre, je ne le veux pas, je n'aime pas le pouvoir et n'en veux surtout pas, à un moment ou l'autre il pourrit ce qu'il touche immanquablement, je suis peut-être juste un coordinateur et un rassembleur, j'aime bien cette fonction en tout cas je fais mon possible pour rester dans ces clous), toutes les décisions sont prises collectivement que ce soit artistiquement ou au niveau du fonctionnement. Au niveau musical, le principe de base est l'improvisation libre et nous travaillons dans ce sens, c’est à dire que nous pratiquons des exercices pas libres afin d'essayer d'arriver à une pratique collective libre « ouverte » et non obstructive sans esthétique prédéfinie. A côté de ça, chacun peut aussi proposer des pièces plus ou moins écrites et nous les intégrons ou pas, selon un choix toujours collectif, à notre répertoire. Une des forces de cet orchestre est, je crois, l'ouverture et la diversité des participants, ce n'est bien entendu pas la façon la plus facile ni la plus rapide d'arriver à un résultat final impeccable s'il en est mais on a fait le pari que sur le temps, la maturité de cet orchestre « déchirera tout » dans le paysage des grands orchestre d'impro ;-) De toute façon, après une première année de préparation et de chauffe (on pourrait dire, un « round d'observation »), on a choisi de continuer et nos partenaires continuent à nous soutenir, ce qui est une bonne étape sur une bonne voie ...

Pourrais-tu nous présenter en quelques lignes tes formations actuelles, tes projets et désirs ? A part le grand ensemble d'impro, je me concentre sur quelques projets principaux cette année : le trio The End, les duos Wet et Vortex. Il y a aussi quelque chose de très intéressant en création : un projet de quintet avec Jean-Luc Cappozzo, Sébastien Cirotteau et Piero Pepin aux trompettes, Famoudou Don Moye aux percussions et à la batterie et moi à la basse et divers objets. Mes autres projets et partenariats sont un peu en stand-by pour diverses raisons mais ne demandent qu'à repartir de plus belle en fonction des opportunités de jeu. Je me suis aussi récemment remis au dessin, j'ai une série de trois cent soixante-cinq (un par jour pendant un an) qui va être publiée par une petite maison d'édition de Béziers, je ne sais pas encore quand et je tiens un blog ou je mets des dessins ; je dessine en ce moment plus que je ne fais de musique...

Heddy Boubaker, propos recueillis en octobre 2013.
Luc Bouquet © Le son du grisli


Myelin : Axon (Intonema, 2011)

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Sous le nom de Myelin, Birgit Ulher (trompette, radio, objets…) et Heddy Boubaker (saxophone alto, objets…) envisagent sept improvisations de mécaniques complexes aux jeux calculés avec une précision qui demande concentration.

Selon quelques déplacements, des souffles butent contre les micros ou se perdent pour avoir eu du mal à les atteindre : on les dira blancs ou étouffés, expressifs quand même. Car leur présence ne fait pas l’essentiel d’Axon tant les réacteurs qui les meuvent brillent par leur ingéniosité : ainsi des moteurs en souffrance, des sifflets aphones et des soubresauts de micromachines fatiguées, agissent en conducteurs, arrangeurs, et parfois même, en ordonnateurs.

Libres et peu inquiets d’être soupçonnés de quitter le champ de l’expérimentation, ils peuvent même déposer un rythme fragile au creux d’un dialogue de simples intentions et de timidités ou modifier la trajectoire de brises et de salives qui gagnent à se laisser faire par les répercussions des impulsions nombreuses. D’aspect, l’exercice est entendu ; à l’écoute, il devient singulier.

EN ECOUTE >>> Impulse 1

Myelin : Axon (Intonema)
Enregistrement : 9 juillet 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Impulse 1 02/ Impulse 2 03/ Impulse 3 04/ Impulse 4 05/ Impulse 5 06/ Impulse 6 07/ Impulse 7
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Heddy Boubaker, Ernesto Rodrigues, Abdul Moimême : Le beau déviant (Creative Sources, 2011)

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La pochette est sobre et les noms des morceaux (Le chant de la pluie, Singulier grain de sable, Tempête éteinte des passions…) sont des indices donnés par Heddy Boubaker (saxophones), Ernesto Rodrigues (violon) et Abdul Moimême (guitare électrique préparée) pour aborder leurs improvisations. L’écoute de leur disque confirme que ces indices étaient fiables.

Car leur « déviant » est « beau » ET attentionné. Les instruments sifflent & soufflent & chuintent, l‘improvisation balance deux notes de violon, ronronne près de l’oreille de l’auditeur ou se meut au loin. Ce qui était promis est donc tenu : la conversation dévie souvent. et est d'une très belle harmonie.  

Heddy Boubaker, Ernesto Rodrigues, Abdul Moimême : Le beau déviant (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 17 octobre 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Le chant de la pluie 02/ Singulier grain de sable 03/ L’arbre qui ne cache 04/ Tempête éteinte des passions 05/ L’échec des machinés formidables 06/ Un beau matin, la déchireure
Pierre Cécile © Le son du grisli


WPB3 : A Floating World (Mikroton, 2011) / Heddy Boubaker, Soizic Lebrat : Quasi souvenir (Petit label, 2011)

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La troisième des quatre pièces improvisées consignées sur A Floating World évoque l’interrogation incomplète qui occupa jadis Keith Rowe, Urs Leimgruber et Michel Doneda : No Difference Between a Fish, affirme ici WPB3 – soit : Nusch Werchowska (piano, objets), Mathias Pontevia (percussions) et Heddy Boubaker (saxophones alto et basse). La question serait donc celle, posée à nouveau, de l’affirmation d’une présence ou de plusieurs sur un exercice improvisé de genre délicat, voire discret. Y réussir tiendrait de l’adéquation mystère ; tout perdre serait le risque encouru à chaque intervention.

Les dosages du trio en question engendrent le plus souvent des morceaux de vaillance – écouter avec quelles façons il arrange les différents modules (rumeurs ombreuses, incertitudes inspirantes, dérives légères, répétitions étouffées, échappées mélodiques même) de Liquicy Rice – quand ce n’est pas, certes à de plus rares occasions, de tendres plages vaines – regretter cette fois l’échange virulent auquel se livrent, en fin de Deep South, White Heat, aigus de saxophone, emportements percussifs et accords impétueux.

Afin de trancher, retour à No Difference Between a Fish. Werchowska croulant sous les graves, Pontevia concédant à ses cymbales l’expression de clameurs animales, Boubaker, enfin, vrillant de cascades miniatures en dérapages ascensionnels. La pianiste à l’intérieur de son instrument, les rumeurs décideront dès lors du sort de l’improvisation : les dernières minutes d’A Floating World seront soufflantes. Après avoir affirmé leurs présences avec un art au final convaincant, les musiciens profitent d’un autre savoir qu’ils ont en commun : celui de bien disparaître.

WPB3 : A Floating World (Mikroton / Metamkine)
Enregistrement (par Benjamin Maumus) : 5, 6, 7 Novembre 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ Liquicy Rice 02/ Deep South, White Heat 03/ No Difference Between a Fish 04/ The Wrinkles of the System
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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En juin 2010, pour donner suite à Accumulation d'acariâtres acariens, Heddy Boubaker improvisait avec Soizic Lebrat (violoncelle) les sept pièces d’un Quasi souvenir enregistré par Benjamin Maumus et publié par Petit Label. Dissident du précédent, Berceuse vénéneuse ou Fièvre latente mutante : autant de titres à consonances donnés à des morceaux d’une toute autre inspiration. En effet, deux pratiques instrumentales assises s’y invectivent, l’une sifflant l’autre maugréant, lorsqu’elles n’adoptent pas une position de repli où fomenter de nouvelles et brillantes attaques (sur lignes grêles ou horizons abstraits). Lui aussi mal nommé, le disque est mémorable.


Rosa Luxembourg New Quintet : Night Asylum (Not Two, 2011)

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En ne s’interdisant rien, et surtout pas le hors-jeu ou le hors-piste, Rosa Luxembourg (Heddy Boubaker, Fabien Duscombs, Françoise Guerlin, Piero Pepin, Marc Perrenoud) fait trembler quelques postes-frontières. Aucun douanier zélé ici pour empêcher ces contrebandiers des sons de diffuser et d’honorer un aléatoire grisant.

Nerveuse et biliaire, leur musique l’est assurément. Mais elle sait aussi se fondre en des ambiances cotonneuses, souterraines. Elle sait aussi être mille autres choses : mal élevée, saturée, soutenue, circulaire, tourmentée, frappée, binaire, ondoyante, insistante, enrouée, berceuse-perceuse, piaffant du Piaf… Et toujours : libre et échevelée. Bref, Rosa Luxembourg est une ruche en ébullition. Une ruche sans reine, faut-il le préciser ?

Rosa Luxembourg : Night Asylum (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 2008.  Edition : 2011.
CD : 01/ Don’t Look Down 02/ Episodes 03/ Frölich Kamerad 04/ A Matter of Tactic 05/ Order Prevails in Berlin 06/ In the Night Asylum 07/ An Amusing Misunderstanding
Luc Bouquet © Le son du grisli


Zed Trio : Lost Transitions (Ayler Records, 2010)

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On pourrait dire : des sons et des fiels. On n’aurait pas tout à fait tort.
On pourrait évoquer des offensives acides, des strangulations sans fin, des substances lacérées. On frôlerait alors cette musique.
On pourrait parler de déchirures, d’une fourmilière du chaos, d’une poésie affûtée, d’une musique cisaillant le bon sens. On approcherait alors l’écorce de cette musique.
On pourrait parler de démembrement, d’une musique sans métrique si ce n’est celle d’un dérèglement continu. On toucherait presque au but.
On pourrait dire que cette musique est une musique de l’épidémie, du rouillé et des cicatrices qui ne se refermeront jamais. Et nous y serions presque.

On dira : un saxophoniste (Heddy Boubaker), un guitariste (David Lataillade), un batteur (Frédéric Vaudaux). Et on aura presque tout dit. Cette musique est une musique d’excès et du peu d’attente. Elle piaffe d’impatience. Elle n’a que faire des péages, des rythmes et des harmonies. C’est un cercle de déchirure, un havre de tensions et de pulsations sans pause.
On dira donc : des sons et des fiels. Et on y retournera.

Zed Trio : Lost Transitions (Ayler Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010. 
CD : 01/ Dubai on Fire 02/ Narcissique 03/ Near the End 04/ Zed Leppelin Crash Test 05/ Message of Peace and Happiness 06/ Lost Transitions 07/ Cruce la Frontera 08/ Acid Voodoo Dancing 09/ Hysteric Meditation 10/ Slices of Terrific Flux Bop
Luc Bouquet © Le son du grisli


Heddy Boubaker : Lack of Conversation (Creative Sources, 2009)

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C’est un solo de saxophone et ce n’en est pas un. Il y a quatre Solitudes, trois Déglutitions et quelques autres petites choses. Tout sauf anodines.

Il y a le cri des souffles, un intérieur rageur et solitaire. Des lignes de fuite sans rebondissements. Des déchirures, des schizes, des ruptures gisantes après le passage salivaire. Il y a une machine-organe déglutissant ses déchets. Heddy Boubaker ne produit pas de son : il les invite et envisage leurs disparitions. On ne voit rien mais on entend tout de ce corps sans image, ce saxophone démembré, tranché. Questionné.

Ici, à nouveau, le chroniqueur peine à dire ce qui se joue. Il peut dire à la rigueur comment ça s’installe, comment ça s’incruste. Il échoue devant la création puisqu’il n’est pas créateur. Ici, humblement, il demande pardon.

Heddy Boubaker : Lack of Conversation (Creative Sources)
CD : 01/ Solitude #1 02/ Solitude #2 03/ Solitude #3 04/ Solitude #4 05/ Radio Saturn 06/ Déglutitions #1 07/ Déglutitions #2 08/ Déglutitions #3 09/ Lack of Conversation
Luc Bouquet © Le son du grisli



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