Eliane Radigue : Portraits polychromes (INA, 2013)
Si une courte biographie introduit cet ouvrage collectif à sujet unique (Eliane Radigue), Emmanuel Holterbach reprendra son cours – formation musicale, découverte de la musique concrète, fréquentation des Nouveaux Réalistes puis des Minimalistes américains, collaboration avec Pierre Henry, ouvrage plus personnel sur magnétophones puis synthétiseurs modulaires… jusqu’à la composition de L’Île re-sonante et ces récents projets servis par Kasper Toeplitz (Elemental II), Charles Curtis, Carol Robinson, Bruno Martinez et Rhodri Davies (Naldjorlak, attendu sur Shiiin) – en archiviste iconoclaste…
Y glissant quelques précisions, citations et anecdotes, Holterbach augmente la biographie d’Eliane Radigue d’un passionnant répertoire de mots-clefs qui présente et parfois interroge (question, par exemple, de la viabilité de son écoute domestique) le parcours de la dame des sons continus. Plus loin, un cahier de photos et les contributions d’autres intervenants : Lionel Marchetti, définissant son rapport quasi-spirituel à la musique de Radigue ; Thibaut de Ruyter, qui converse avec la musicienne et le public présent à une projection berlinoise du film A Portrait of Eliane Radigue ; Tom Johnson, dont est ici traduit un article publié par The Village Voice en 1973 traitant de la présentation, au Kitchen de New York, de Psi 847.
Plus loin encore, c’est entre autres Charles Curtis qui raconte les façons qu’a Radigue de travailler en collaboration avec un musicien « traditionnel » ou la compositrice elle-même qui prend la plume pour attester son éternelle recherche de « sons vivants ». Un catalogue annoté des œuvres courant de 1963 à 2012 clôt un ouvrage évidemment indispensable à l’amateur, et d’histoire(s) et de bourdon(s).
COLLECTIF : Eliane Radigue : Portraits polychromes (INA / Metamkine)
Edition : 2013.
Livre : Eliane Radigue : Portraits polychromes
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Tom Johnson : Questions (World Edition, 2012)
Dois-je – au mépris de tous les tabous – donner mon âge et dire que j’ai passé vingt-neuf années (les vingt-neuf premières, nous verrons pour la suite) à répondre à des questions ? Et soudain, Tom Johnson m’aménage une pause. Juste le temps d’un quartier libre intitulé Questions.
Une voix de femme (Carol Robinson), qui semble s’intéresser de près à la musique (mais n’est-elle pas musicienne ?), pose, n’arrête plus de poser des questions. Cette fois, les cloches de Johnson répondent à ma place avec une nonchalance qui m'est, à moi, inconnue. « Est-il plus facile pour vous d’écouter la musique ou les questions ? » Moi qui pensais pouvoir trouver un peu de repos, la voix m'interroge maintenant en même temps que Johnson. « Le canard », m’a conseillé une amie. D’autant que les cloches et la voix sont alliées : c’est l’auditeur que l’on presse maintenant de répondre. Je fais le canard, puisque c’est le conseil qui m’a été donné.
Pressé de questions, vingt-trois minutes durant, j’ai réussi à écouter et à me taire. Mais ensuite la même voix (celle de Carol Robinson) m’introduit au cor de basset (celui de Carol Robinson) et ensuite au piano (celui de Dante Boon). Les pièces de Johnson datent de différentes époques (1988, 1993, 2004) mais sont construites sur des séries de questions posées par notre interlocutrice au parfum de robot. Le contemporain est expérimental au point (c’est dire) de rappeler des jazzmen (Monk, Lacy, Braxton…) quand œuvre le cor et quelques classiques (Prokofiev, Satie, Gurdjieff…) ou minimalistes (Glass, Monk…) quand surgit le piano. Etrange, ce monde de questions. Mais n’est-ce pas celui de Tom Johnson ? Passionnant en plus d'être étrange, donc, surtout quand on a choisi de ne plus jamais répondre, à rien.
Tom Johnson : Questions (World Edition)
Edition : 2012.
CD : 01/ Music and Questions 02/ Music with Mistakes
03/ Same or Different
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Phill Niblock : Working Title (Les Presses du Réel, 2012)
Si Phill Niblock a fait œuvre (voire vœu) de bourdons (ou de drones), le livre épais – que gonflent encore deux DVD de vidéos – qu’est Working Title n’en propose pas moins d’autres pistes de description, certaines balisées à peine. Sur enregistreur à bandes hier et Pro Tools aujourd’hui, l’homme travailla donc, au choix : musique microtonale, minimalisme fâché avec la répétition, interactions harmoniques, sons continus et overtones, ou encore : « musique multidimensionelle » et « partitions audio » (dit Ulrich Krieger) et « flux en constante ondulation » (dit Susan Stenger).
Ecrites avec l’aide de Tom Johnson, de Joseph Celli et de la même Stenger, les notes des pochettes (ici retranscrites) de Nothing to Look at Just a Record et Niblock for Celli / Celli Plays Niblock, édités par India Navigation au début des années 1980, en disaient pourtant déjà long. Avec certitude, y est expliqué de quoi retourne – et de quoi retournera désormais – le propos musical d’un compositeur qui refuse à se dire musicien. A la richesse de ces informations, le livre ajoute une poignée d’entretiens et d’articles publiés dans Paris Transatlantic, Positionen, FOARM (plume de Seth Nehil), Organized Sound… ainsi que des éclairages signés Krieger et Stenger, mais aussi Guy de Bièvre et Richard Lainhart, tous proches collaborateurs de Niblock.
Expliquant les tenants et aboutissants de l’art du compositeur, Krieger signe un texte intelligent que l’on pourra lire au son de Didgeridoos and Don’ts, première pièce écrite par un Niblock « sculpteur de son » pour un Krieger obligé d’abandonner ses saxophones (Walls of Sound, OODiscs). Avec l’idée d’en apprendre aux musiciens qui aimeraient un jour jouer Niblock sans forcément l’avoir rencontré – même si l’on sait que l’homme écrit à destination d’instrumentistes particuliers –, Krieger explique, conseille et met en garde : « leur défi, c’est de travailler en dehors des sentiers battus de la mémoire mécanique de leurs doigts. »
Plus loin, c’est de l’art cinématographique de Niblock qu’il s’agit : de The Magic Sun (présence de Sun Ra) et Max (présence de Max Neuhoff) au projet-fleuve The Movement of People Working, ce sont-là des « images de la réalité » dont on examine les origines – des entretiens avec Alan Licht révèlent ainsi l’importance du passage de Niblock par l’Open Theater de New York – et les rapports à la photographie et la musique. Voilà qui mènera l’ouvrage à aborder enfin, sous la plume de Bernard Gendron, le rôle joué par Niblock dans l’Experimental Intermedia Foundation d’Elaine Summers : là, d’autres musiciens concernés (Philip Corner, Joseph Celli, Peter Zummo, Malcolm Goldstein ou Rhys Chatham) guident le lecteur à une dernière proposition d’étiquetage : minimalisme radical ou radicalisme minimal ? L’art de Phill Niblock aura en tout cas créé des interférences jusque dans le domaine du langage.
Phill Niblock, Bob Gilmore, Guy De Bièvre, Johannes Knesl, Mathieu Copeland, Jens Brand, Rob Forman, Seth Nehil, Raphael Smarzoch, Richard Glover, Volker Straebel, Ulrich Krieger, Susan Stenger, Richard Lainhart, Juan Carlos Kase, Erica King, Rich Housh, Alan Licht, Bernard Gendron, Arthur Stidfole : Working Title (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Working Title
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Bernard Girard : Conversations avec Tom Johnson (AEDAM Musicae, 2011)
En préambule de ses Conversations avec Tom Johnson, Bernard Girard dresse un fin portrait du compositeur et critique, soulignant l'importance dans son oeuvre de la partition et d'un échange réfléchi avec le public. Les entretiens, eux, suivent le cours d'une vie : étudiant à Yale, Johnson écoute un jour John Cage parler d'art et d'architecture. De son propre aveu, l'homme deviendra compositeur lorsqu'il s'installera à New York, en 1967 – quinze années plus tard, il gagnera Paris.
Après avoir évoqué Morton Feldman, Phill Niblock et Frederic Rzewski, Johnson s'attèle à une définition du minimalisme qui souligne ses origines anciennes, sa pluralité féconde (musique répétitive, de bourdonnement, d'ameublement, de bruitage ou encore de silences – toutes différences étant de subtilités) et une traversée de l'Atlantique qui lui assurera de belles transformations (importance d'Eliane Radigue).
Pour ce qui est de son oeuvre musical, Johnson explique son intérêt pour les mathématiques et révèle son attachement à la note (moins soumise à modification que le son) quand Girard traite dans le détail de ses grands ouvrages (oratorio, opéra...) – étude que complètent deux textes sur l'art de Tom Johnson signés du mathématicien Franck Jedrzejewski et du musicologue Gilbert Delor. Du premier, citer un extrait : « Cage avait donné un premier tournant à la musique minimale. Tom Johnson lui en a donné un autre, en utilisant des structures algébriques. » Soulignant le rôle essentiel joué par Johnson dans l'histoire de la musique contemporaine, l'affirmation ne doit pas occulter la liberté et la fantaisie qui animent son art depuis plus de quarante ans.
EXTRAITS >>> Conversations avec Tom Johnson
Bruno Girard : Conversations avec Tom Johnson (AEDAM Musicae / Souffle Continu)
Livre.
Edition : 2011.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Tom Johnson : Orgelpark Color Chart (Mazagran, 2011)
C’est le premier jour de neige que je passe sous les orgues (je suis actuellement très au Nord). Les instruments sont quatre. Ils ont été enregistrés en concert à Amsterdam. La partition qu’ils suivent est de Tom Johnson.
Le compositeur de L’Opéra de quatre notes fait bouger quatre orgues, sur une note. Leurs aigus se superposent, leurs voix se passent le témoin et dessinent un chemin qui descend et fait descendre avec lui la composition d’une octave. D'ailleurs plus on avance plus les notes graves empiètent sur la partition. Le trait épaissit comme les lignes des toiles de Franz Kline. Ces lignes noires que l’on retrouve lorsqu’on écoute Orgelpark Color Chart. Ces lignes noires qui ont ranimé mon goût pour les grandes orgues. Il suffisait d'un drone et d'un peu de neige.
EN ECOUTE >>> Orgelpark Color Chart (extrait)
Tom Johson : Orgelpark Color Chart (Mazagran)
Enregistrement : 23 mars 2010. Edition : 2011.
CD : Orgelpark Color Chart
Héctor Cabrero © Le son du grisli