William Hooker : Light. The Early Years 1975-1989 (NoBusiness, 2016)
C’est une boîte de forme carrée qui contient quatre disques. Eux renferment, organisés chronologiquement, d’anciens enregistrements de William Hooker, batteur dont le label NoBusiness a déjà publié Earth’s Orbit, Crossing Points et Channels of Consciousness – travaux « de jazz », faut-il le préciser ?
Hooker y apparaît bien sûr en différentes compagnies : seul puis en trio avec Mark Miller et David Murray et en duo avec David S. Ware sur ces extraits de concerts enregistrés en 1975 et 1976 qu’il avait autoproduits sous étiquette Reality Unit Concepts : si elle est moins radicale, sa pratique rappelle sur ... Is Eternal Life celle de Sunny Murray, Hooker accompagnant à la voix chacun des coups qu’il donne. La fin du double LP original est reprise sur le deuxième CD: auprès de deux souffleurs, Lee Goodson et Hasaan Dawkins, le percussionniste y emmène des pièces tonitruantes qui pâtissent quand même de la comparaison avec l’équilibre trouvé plus tôt avec Ware.
C’est seul encore que le batteur ouvrait Brighter Lights, seconde référence Reality Unit Concepts : le murmure accompagne les gestes puis se glisse en deux autres duos, c’est-à-dire sur un folk étrange élaboré avec le flûtiste Alan Braufman et sur un échange ronflant avec le pianiste Mark Hennen. C’est donc en dernière plage que ce disque-là fait son effet : jusqu'ici inédit, un morceau expose Hooker aux côtés de Jemeel Moondoc et Hasaan Dawkins. Avec panache, alto et ténor se déversent dans un cours que creuse sur l’instant une robuste batterie.
Les deux derniers disques consignent d’autres enregistrements inédits, qui datent de la fin des années 1980. Au Roulette de New York, le trio Formulas of Approach – formé avec Roy Campbell (trompette) et Booker T. Williams (saxophone ténor) – sert une musique que l’on dira « affranchie » plutôt que « libre » : l’unisson y côtoie des phrases isolées, l’allure est changeante et le répertoire va jusqu’à s’approprier un air traditionnel japonais. Avec Lewis Barnes (trompette) et Richard Keene (saxophones et flûte), Hooker composait enfin Transition : sous ses coups, le jazz vole en éclats – les brisures sont nombreuses – et la musique appelle au changement. Là se trouve la force de cette rétrospective : avoir réédité des documents devenus rares accompagnés d’inédits éloquents et réussi à rattacher les uns et les autres aux souvenirs encore récents (et, pour certains, moins « convaincants ») que l’on garde de William Hooker derrière Lee Ranaldo, Elliott Sharp ou Zeena Parkins…
William Hooker : Light. The Early Years 1975-1989
NoBusiness Records
Enregistrement : 1975-1989. Edition : 2016.
4 CD : CD1 : 01/ Drum Form 02/ Soy 03/ Passages – CD2 : 01/ Pieces I, II 02/ Above and Beyond 03/ Others (Unknowing) 04/ Patterns I, II and III 05/ 3 & 6 06/ Present Happiness – CD3 : 01/ Anchoiring (With a Feeling) 02/ Clear, Cold Light / Into Our Midst / Japanese Folk Song – CD4 : 01/ Contrast (With a Feeling) 02/ Naturally Forward 03/ Continuity of Unfoldment
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
William Parker : Centering (NoBusiness, 2012)
Lorsqu’il s’agit de célébrer le corpus enregistré de William Parker, le label NoBusiness met les formes. Hier, c’était l’édition de Commitment ; aujourd’hui, celle de Centering, coffret de six disques qui revient sur une décennie obscure (1976-1987) et reprend le nom du label que créa le contrebassiste, dont le catalogue se contenta longtemps d’une seule et unique référence : Through Acceptance of the Mistery Peace.
Dans un livre qui accompagne la rétrospective, Ed Hazell en dit long sur ces années d’associations diverses et de projets discographiques non aboutis. En guise d’illustrations, les enregistrements du coffret en démontrent autrement : antiennes sulfureuses nées d’un duo avec Daniel Carter (1980) ou d’un autre avec Charles Gayle (1987) ; premiers désirs d’ensemble transformés en compagnie d’Arthur Williams et de John Hagen (William Parker Ensemble, 1977), de Jemeel Moondoc, Daniel Carter et Roy Campbell (Big Moon Ensemble, 1979) qui aboutiront à la formation de l’immense Centering Big Band ; projets mêlant musique et chorégraphie – Patricia Nicholson, compagne de Parker, ayant aidé au rapprochement des deux arts – impliquant d’autres groupes formations : Centering Dance Music Ensemble dans lequel on remarque David S. Ware ou Denis Charles.
Si les gestes manquent et si le son peut parfois être lointain, il ne reste pas moins de ces expériences de grandes pièces de free collégial : One Day Understanding sur lequel Ware invente sur motif d’Albert Ayler ; Lomahongva (Beautiful Clouds Arising) profitant de l'exhubérance de Moondoc (dont NoBusiness édita aussi l’épais Muntu), Hiroshima du lyrisme de Campbell… Ce sont aussi Lisa Sokolov et Ellen Christi qui prêtent leur voix à un théâtre musical qui peut verser dans le capharnaüm en perdition (difficile, de toujours garder la mesure ou de respecter les proportions dans pareil exercice) lorsqu’il ne bouleverse pas par la beauté de ses mystères – on pourrait voir dans Extending the Clues l’ancêtre claironnant des Gens de couleur libre de Matana Roberts. La liste des intervenants conseillait déjà l’écoute de Centering : ce qu’il contient l’oblige.
EN ECOUTE >>> Time & Period >>> Facing the Sun
William Parker : Centering. Unreleased Early Recordings 1976-1987 (NoBusiness)
Enregistrement : . 1976-1987. Edition : 2012.
CD1 : 01/ Thulin 02/ Time and Period 03/ Commitment – CD2 : 01/ Facing the Sun, One is Never the Same 02/ One Day Understanding (Variation on a Theme by Albert Ayler) 03/ Bass Interlude 04/ tapestry – CD3 : 01/ Rainbow Light 02/ Crosses (LongScarf Over Canal Street) 03/ Entrusted Spirit (Dedicated to Bilal Abdur Rahman) 04/ Angel Dance 05/ Sincerity 06/ In the Ticket – CD4 : 01/ Dedication to Kenneth Patchen 02/ Hiroshima, Part One 03/ Hiroshima, Part Two – CD5 : 01/ Ankti (Extending the Clues) 02/ Munyaovi (Cliff of the Porcupine) 03/ Palatala (Red Light of Sunrise) 04/ Lomahongva (Beautiful Clouds Arising) 05/ Tototo (Warrior Spirit Who Sings) – CD6 : 01/ Illuminese/Voice 02/ Falling Shadows 03/ Dawn/Face Still, Hands Folded
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jemeel Moondoc : Muntu Recordings (NoBusiness, 2010)
Des saxophonistes à entendre en lofts new-yorkais dans les années 1970, Jemeel Moondoc ne fut peut être pas le plus original, mais fut sans doute le plus flamboyant. Pour se faire une idée, aller entendre les rééditions par le label NoBusiness des deux disques de son Muntu (First Feeding et The Evening of the Blue Man) et un concert enregistré dans le loft de Rashied Ali. Dans le coffret, un livre accompagne les trois disques.
Dans ce livre, Ed Hazell trace l'histoire de cette ère des lofts et produit même une carte sur laquelle dix-neufs d'entre eux sont indiqués : Artists House d'Ornette Coleman, Studio Rivbea de Sam Rivers, Ali's Alley de Rashied Ali ou The Brook de Charles Tyler... Après l'histoire, un témoignage : celui de Moondoc en personne, qui raconte dans Muntu : The Essay by Jemeel Moondoc son parcours de musicien (fréquentation de Cecil Taylor à Antioch et premier concert sous le nom de Muntu, composé alors d'Arthur Williams, Mark Hennen, William Parker et Rashied Sinan...).
Rashid Bakr remplaçant Sinan, la première mouture du groupe peut enregistrer First Feeding en avril 1977. Le quintette déroule ici un free jazz sec : les imprécations de l'alto s'opposent au lyrisme échevelé de la trompette de Williams, duo en déroute créative pour devoir faire aussi face aux clusters d'Hennen : les accords plaqués ne sont plus des accords, mais les commandes actionnées d'un mécanisme de cordes libres. Enveloppée par les interventions d'un piano radical, l'association joue souvent jusqu'en mai 1978.
Quelques semaines plus tard, un quartette prend la relève : nouveau Muntu dans lequel Parker et Bakr subsistent aux côtés de Moondoc et que le trompettiste Roy Campbell a rejoint. L'enregistrement d'un de ses concerts (St. Marks Church, mars 1979) permettra au saxophoniste d'éditer le deuxième disque du groupe : The Evening of the Blue Men. Ici, une cohésion plus remarquable : l'alto de Moondoc emmène un free davantage attaché au bop qui sied particulièrement à Campbell tandis que Parker ose se faire entendre davantage. Sur Theme for Diane, le discours est, en plus, différent : climatique, flottant, imposant sans être clair dans sa forme, donc altier.
Jusqu'en 1981, la formation donnera d'autres concerts, tournera au Canada et jusqu'en Pologne – concerts parfois enregistrés et produits. Le troisième et dernier disque, choisit plutôt de revenir à un concert donné en trio par Moondoc, Parker et Bakr, chez Rashied Ali en 1975 : Theme for Milford (Mr. Body and Soul) dans une version longue de trente-cinq minutes et sur laquelle l'alto est clair, presque léger. Alors, le trio met en pratique un art de la concision autrement saisissant : les coups de Bakr se font plus retentissants, l'alto s'amuse de clins d'oeil mélodiques lorsqu'il n'est pas emporté par le courant quand Parker démontre d'un savoir-faire instrumental déjà supérieur sur son duo avec le batteur, à entendre en conclusion.
En conclusion, retour au livre : historique des séances de Muntu déposé sur papier – neuf années d'activité intense – qui finit en photos : noirs et blancs de souvenirs de concerts donnés en lofts ou à Groningen en 1980, et quelques affiches (de concerts aussi). Pour qui s'intéresse au jazz créatif de l'époque, inutile de dire que ce coffret s'avère indispensable.
Jemeel Moondoc : Muntu Recordings (NoBusiness)
Edition : 2010.
CD1 : 01/ First Fedding 02/ Flight 03/ The for Milford (Mr. Body and Soul) – CD2 : 01/ The Evening of the Blue Men 02/ Theme for Diane – CD3 : 01/ Theme for Milford (Mr. Body and Soul)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Steve Swell: Swimming in a Galaxy of Goodwill and Sorrow (Rogue Art - 2007)
Pour le bien de Swimming in a Galaxy of Goodwill and Sorrow, Steve Swell enregistrait en studio avec une autre de ses formations : Fire Into Music, dans laquelle prennent place le saxophoniste alto Jemeel Moondoc, le contrebassiste William Parker et le batteur Hamid Drake.
Plus performante encore, la section rythmique accueille toujours avec pertinence les dialogues éclairés de Moondoc et Swell : imposant à leurs entrelacs les vociférations d’un archet angoissé (Manhattan Dreamweavers) ou les changements d’allure – du swing inévitable de Planet Hopping on a Sunday Aftrenoon et du Lalo Schiffrinien (malgré la dédicace) For Grachan à l’impression mouvante de For Arthur Williams, tous morceaux interrompus par quelques déconstructions appuyées.
Sur Blu Coo, enfin, entendre le groupe dérailler un peu sur un bop presque électrique et plus démonstratif dans sa forme, seul véritable bémol de la démonstration altière de Fire into Music.
Steve Swell, For Grachan. Courtesy of Steve Swell.
CD: 01/ Manhattan Dreamweavers 02/ For Grachan 03/ Blu Coo 04/ Swimming in a Galaxy of Goodwill and Sorrow 05/ For Arthur Williams 06/ Planet Hopping on a Thursday Afternoon
Steve Swell’s Fire into Music - Swimming in a Galaxy of Goodwill and Sorrow - 2007 - Rogue Art.
Active Ingredients: Titration (Delmark - 2004)
Pour s’être installé à New York, le batteur Chad Taylor aura dû trouver d’autres partenaires que ceux du Chicago Underground avec lequel il avait l’habitude de jouer. Chose rapidement faite, si l’on en croit Titration, premier album du quartette Active Ingredients, au sein duquel Taylor côtoie le saxophoniste Jemeel Moondoc, le tromboniste Steve Swell et le contrebassiste Tom Abbs.
Destinant d’abord un hommage appuyé au contrebassiste sud africain Johnny Dyani, le quartet dresse un jazz proche de ceux de l’Art Ensemble ou d’Ernest Dawkins, rehaussé encore par l’entente de l’alto de Moondoc et du cornet de l’invité spécial Rob Mazurek (Song For Dyani). Elans fantasques que l’on retrouvera sur Modern Mythology - pièce sur laquelle un pattern de contrebasse scelle l’entrelacs harmonieux des vents – ou Slate, où Moondoc instaure une transe latine auprès des nappes de trombone.
Les échappées individuelles, remarquables ailleurs : sur les pièces plus déconstruites que sont Velocity (qui prendra l’allure d’une marche dévolue toute à l’unisson) et Absence. Sur Titration, aussi, où le saxophoniste fomente seul un free plus qu’inspiré, et Dependent Origination, pendant lequel Taylor déploiera un solo long et plus qu’inspiré. Réjouissant et habile, Active Ingredients tire profit d’influences choisies, qu’il sert au moyen d’une décontraction subtile. Ajouter à l’ensemble la production claire propre au Chicago Underground, et Titration aura déjà beaucoup pour convaincre du fait qu’une suite est à envisager.
CD: 01/ Song for Dyani 02/ Velocity 03/ Slate 04/ Visual Industries 05/ Modern Mythology 06/ Absence 07/ Titration 08/ Dependent Origination 09/ Other People’s Problems >>> Active Ingredients - Titration - 2004 - Delmark.