Elliott Sharp : Octal Book Three (Clean Feed, 2015)
Capable de lever une armée sonique à l’aide de sa seule guitare huit cordes, Elliott Sharp revient hanter nos enceintes. L’alphabet sharpien se voit ici parfaitement décliné et augmenté de quelques trouvailles transgenre.
Comme toujours chez le guitariste, le zapping se porte large : on superpose les couches – moins qu’en d’autres occasions néanmoins – et on abandonne le tableau assez rapidement pour aller faire roucouler des cordes de rouille et de feu. Pendulaire, mathématique, la métrique de Sharp pousse le rythme à s’accorder en boucles. Mais jamais très longtemps : puisque zapping il y a, zapping pilonnera.
Parfois, au sein de ce buisson ardent, le guitariste tente de remettre un peu d’ordre : un blues s’avance et demande parole… Et échouera lamentablement sur l’autel des sacrifices bruitistes. C’est qu’on ne change pas aussi facilement une formule aux si profonds tapages.
Elliott Sharp : Octal Book Three (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ Lacus Gaudii 02/ The Standard Model 03/ Cool School 04/ Koinonono 05/ Congruence 06/ Across the Lines 07/ Chondrite 08/ Mare Marginis 09/ Lyric 10/ Litophile 11/ Slidden
Luc Bouquet © Le son du grisli
I Never Meta Guitar : Solo Guitars for the 21st Century – Three (Clean Feed, 2015)
John King et ses multiples effets donnent au blues d’instables sursauts. Indigo Street ajoute, multiplie, crée une ruche assassine. Joel Peterson gravit avec obsession et obstination quelque noir sommet, rend l’arpège fascinant puis reprend sa route. Kirsten Carey ne craint pas d’affoler le VU-mètre, congédie la beauté, creuse la plaie avec délectation. Cristian Amigo pervertit de ses parasites soniques une guitare déjà très disloquée. Adam Brisbin doit beaucoup aimer Derek Bailey pour oser gravir sans souci ces montagnes aux périlleux sommets. Sandy Ewen convoque fantômes et démons à chuchoter quelque fatale prophétie aux cordes de sa rouillée guitare. Anders Nilsson aime les larges résonances, l’écartèlement de la corde, l’harmonique franche. Peter Maunu convoque d’autres fantômes, ceux-ci dissimulés dans des eaux grouillantes d’esprits malveillants. Bruce Eisenbeil court d’un canal stéréo à l’autre tout en déclinant un blues régénéré, prégnant. Simone Massaron se fend de larges accords, fait tressauter l’harmonie des ses futés toy fan. Lily Maase inspecte l’arpège avec à-propos et malice cachée. David Fulton voyage en idéales et fertiles contrées puisqu’ailleurs l’herbe est toujours plus verte. Jim McCauley slalome sur douze cordes, fait vibrer la fibre, embellit la fourmilière d’une carapace indestructible. Angela Babin engraisse, glisse, se découvre guitar-hero, se joue du labyrinthe. Brandon Seabrook se démultiplie, se démultiplie, se démultiplie. Alessandra Novaga aime les beats souterrains, la corrosion, les supplices sophistiqués. Edward Ricard fait carillonner la saturation, se souvient des solos héroïques, distribue de bruyants uppercuts. Le tout se nomme I Never Meta Guitar, troisième chapitre, et est toujours produit par l’inusable Elliott Sharp.
I Never Meta Guitar : Solo Guitars for the 21st Century – Three (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2015.
CD : 01/ Overtones for the Underdog 02/ Top of the World 03/ The Gremlin 04/ Sasquatch-Happening 05/ Pollinator 06/ Dressed Up Like a Church 07/ Snack Food 08/ Variazioni su un monologo funambolico 09/ Fractura 10/ Song for Katsu 11/ Willie 12/ Terlingua 13/ For Alexander Cockburn 14/ Mystery Loves Company 15/ Thank U 2 4 the Uke 16/ Fingertupper 17/ Untitled 18/ Free Involution
Luc Bouquet © Le son du grisli
Elliott Sharp Aggregat : Quintet (Clean Feed, 2013)
De l’Aggregat d’Elliott Sharp, voici le Quintet – et non pas : voici l’Aggregat Quintet d’Elliott Sharp. Projet pensé par le guitariste (ici aux saxophones et clarinette basse) pour regrouper en une « unité sonique » des personnalités différentes, Aggregat fut d’abord un trio (responsable d’un… Aggregat assez peu convaincant publié l’année dernière sur Clean Feed). Aujourd’hui quintet, le titre de la nouvelle référence du projet était tout trouvé.
Ce sont Nate Wooley (trompette) et Terry L. Green (trombone) qui ont, de leurs pratiques iconoclastes, transformé Aggregat : ainsi l’introduction (Magnetar) entend-elle Sharp réussir à composer au son d’influences éclatées – n’y entend-on pas, tout à la fois, Terry Riley, Jay Jay Johnson et Sonny Rollins ? – mais empêchées aussi : récalcitrant, le discours épousera finalement l’allure d’un jazz tortueux que pertes totales de repères et encombrements subits ne cessent de faire gonfler.
Sur l’accompagnement solide (mais aussi plus discret que de coutume) de Brad Jones et Ches Smith, les souffleurs rivalisent alors d’intentions tranchées (Qubits, Historical Friction) quand ils ne font pas cause commune sur la méthode à employer (Dissolution) ou l’hommage à rendre (Blues for Butch, Laugh Out Loud (For Lol Coxhill)). Ayant effacé les traces laissées derrière lui d’un jazz vivace (au son des décharges lentes de Lacus Temporis et des surprenants atermoiements de Chrenkov Light), Aggregat disparaîtra. Il reviendra sans doute, sous une autre forme peut-être.
Elliott Sharp Aggregat : Quintet (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Magnetar 02/ Katabatics 03/ Arc of Venus 04/ Anabatics 05/ Qubits 06/ Blues for Butch 07/ Lacus Temporis 08/ Dissolution 09/ Historical Friction 10/ Laugh Out Loud (for Lol Coxhill) 11/ Che-renkov Light
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
I Never Meta Guitar Too (Clean Feed, 2012)
Après un premier volume pas mal tourné vers le jazz ou assimilé (avec Jeff Parker, Mary Halvorson, Noël Akchoté, Jean-François Pauvros…), ce qui est en passe de devenir une série, I Never Metaguitar, parie sur des « guitarists for the 21st Century » un peu plus franc-tireur. Si on ne sait pas s’ils sont tous en mesure de réinventer le jeu à l’instrument, ils démontrent en tout cas d’une envie plutôt iconoclaste.
Toujours concoctée par Elliott Sharp, la sélection de solos est comme attendue éclectique : post-folk (Manuel Mota, Steve Cardenas), bruistisme électrique (Ava Mendoza,Yasuhiro Usui, Shouwang Zang), minimalisme (Ben Tyree à la guitare classique fait une forte impression), atmosphérique (Joel Harrison au bottleneck non moins intéressant), voilà pour les « meilleurs ». Enfin il y a les individualistes d’hier qui en ont encore sous la pédale, comme Alan Licht et David Grubbs. Audn l'un déploie un jeu à la structure claire bousculée par le feedback, l'autre s’empare d’une guitare classique pour en pincer les cordes et inventer un bel instrumental minimalow-fi. Bref, de quoi ne pas passer à côté d’une compilation qui nous fait espérer que la série ne s’arrête pas en si bon chemin.
I Never Metaguitar Too (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2012.
CD : 01/ Ava Mendoza : Mandible Moonwalk 02/ Ben Tyree : The Gatekeeper 03/ On Ka'a Davis : Ballet 04/ Shouwang Zhang : Guitar Song 05/ Joel Harrison : Loon 06/ Yasuhiro Usui : Headland 07/ Steve Cardenas : Aerial 08/ Marco Cappelli : Sits at the Other Side of the Table 09/ Alan Licht : The Servant 10/ David Grubbs : Weird Salutation 11/ Hans Tammen : Spiracles 12/ Zach Layton : Thus Gone 13/ Thomas Maos : The Day King Arthur Married On Cyprus 14/ Richard Carrick : A-KA 15/ Zachary Pruitt : For Electric Guitar #1 16/ Manuel Mota : Untitled
Pierre Cécile ® Le son du grisli
Elliott Sharp’s Terraplane : 4am Always (Yellow Bird, 2014)
Je ne sais si ce sont deux qualités, mais j’aime l’Elliott Sharp des débuts et les grassroots de Tom Waits. J’aurais dû aimer en conséquence Terraplane, ce projet que le guitariste emmène depuis 1991 avec dans le médiator un va-et-vient entre la country et le blues. Oui mais voilà…
Ce premier CD que j’entends de Terraplane me laisse un goût de variété dans l’oreille. Sharp à la guitare (électrique ou acoustique), Dave Hofstra à la basse et Don McKenzie à la batterie invitent la chanteuse Tracie Morris (j’apprendrais que le groupe a invité avant cela Hubert Sumlin d’Howlin’ Wolf ou Eric Mingus) à jouer avec eux. Malheureusement, leur jeu est « assez facile », se contente du peu que le blues peut apporter aux expérimentations de Sharp et, mises à parts sur deux ou trois exceptions (U.A.V. Blues et New Steel), les arpèges et le bootleneck ne sont de sortie que pour des joutes qui surprennent plus qu’elles ne plaisent !
Elliott Sharp’s Terraplane : 4am Always (Yellow Bird / Enja)
Edition : 2014.
CD : 01/ Ain’t Got No 02/ U.A.V. Blues 03/ New Steel 04/ Space Rock Comin’ 05/ Sentenced to Life 06/ I Can’t Acquiesce 07/ Sunset to Sunrise 08/ Up from the Bottom 09/ Subtropical
Pierre Cécile © Le son du grisli
Scott Fields, Jeffrey Lapendorf : Everything Is in the Instructions (Ayler, 2013) / Sharp, Fields : Ostryepolya (Pan Rec, 2013)
Par sa tessiture pentatonique sans demi-tons, le shakuhachi semble condamné aux terres apaisantes. Ici, Jeffrey Lapendorf ne déroge pas à la règle. Sa flûte rejette le sombre, accoste des azurs sans nuages, pointe et infiltre des harmonies scintillantes.
La guitare acoustique de Scott Fields aura beau convoquer des accordages défaillants, empoisonner le très peu de son jeu, il ne pourra jamais assombrir le tableau. Tableau que tous deux ont choisi d’argumenter de leurs pastels secs et aimants. En témoigne cette tendre et soyeuse version de la Naima de John Coltrane clôturant ce docte enregistrement.
Scott Fields, Jeffrey Lapendorf
She Comes from Nowhere
Scott Fields, Jeffrey Lapendorf : Everything Is in the Instructions (Ayler Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ She Comes from Somewhere 02/ Terror Babies 03/ Objects in Relation to Other Objects 04/ Oh, Yes 05/ The Politics of Solitude 06/ Tip Bloused 07/ Advice for Some Young Man in the Year 08/ Naima
Luc Bouquet © Le son du grisli
Enregistrés (et filmés) le 26 mai 2009 (Loft de Cologne) et le 5 mars 2010 (Nozart Festival, même ville), Elliott Sharp et Scott Fields s'interprètent (car, sur pupitres, des partitions traînent). De l'improvisation de jadis et de l'invention possiblement écrite, rien ne subsiste. Deux guitares acoustiques se répondent quand elles ne s'ignorent pas ; brassent non plus à contre-courant mais avec, et comptant beaucoup sur lui. Même le public attend qu'on lui donne le droit d'applaudir.
Elliott Sharp, Scott Fields : Ostryepolya (Pan Rec)
Enregistrement : 2009-2010. Edition : 2013.
DVD : 01/ Branedrance 02/ Betweeln Octopus and Squid 03/ Big, Brutal, Cold Raindrops 04/ Minerali 05/ Shuffle Through the Restaurateur Gauntlet 06/Douabula 07/ Pur Your Pennes in My portuguese Cork Hat 08/ Doubleviz 09/ Freefall 10/ Credits
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Scott Fields Ensemble : Frail Lumber (Not Two, 2011)
Les cordes de Scott Fields ont de la suite dans les idées et le sens des hautes voltiges. Leur nature première se nomme inquiétude, leur seconde dissonance. Elles ne savent que se mêler et pulvériser le contrepoint naissant. Ces cordes disent la menace et la désorganisation. Elles activent de bien étranges circulations : lignes fuyantes en transit (Ziricotte), masse hurlante ne trouvant jamais d’échappée (Koa), basse continue brésillée par de bruitistes guitares (Paulownia), archets hurlants de terreur (Cocobolo), entorses fulminantes (Bubinga). Ici, l’alphabet du désagréable trouve son idéal dictionnaire.
Ces cordes saillantes et cisaillantes, oppressantes, menaçantes, le sont grâce à Mesdames Jessica Pavone et Mary Oliver & Messieurs Scott Fields, Daniel Levin, Axel Lindner, Scott Roller, Vincent Royer et Elliott Sharp. On souhaite vivement les réentendre.
Scott Fields Ensemble : Frail Lumber (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 5 juin 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Ziricotte 02/ Koa 03/ Paulownia 04/ Cocobolo 05/ Bubinga
Luc Bouquet © Le son du grisli
Alon Nechushtan : Dark Forces (Creative Sources, 2011)
Neuf mouvements en tension extrême, parcourus de forces obscures et rougeoyantes, qui font émerger par masses lentes et graves des phénomènes sonores hérissés de possibles, aux irisations inquiétantes : respirations saturées, grincements de portes, larsens, bruits de lames de couteaux, scintillements métalliques presque cristallins, étirements de tracés lumineux aux formes mystérieuses, glissandi de cordes scabreux, rires…
Neuf métamorphoses formidablement orchestrées et interprétées par onze musiciens (cuivres, bois, contrebasse et deux guitares électriques jouées par Henry Kaiser et Elliott Sharp), qui déploient des morphologies ambigües, comme électronisées, évoquant par jeux de latence successifs, des sons environnementaux – la mer, le vent, un oiseau –, un bestiaire fantastique, tout une jungle, selon d’étranges processus d’involution et d’évolution, de défiguration et de refiguration.
Une expérience d’écoute intense où l’ombre et le non-vu – le non-ouï – activent en silence une puissante fantasmatique.
Alon Nechushtan : Dark Forces (Creative Sources / Metamkine)
Edition : 2011.
CD : 01-10/ 01-10
Samuel Lequette © Le son du grisli
Robert Pete Williams : Free Again (Prestige, 1961)
This record is a modern country blues classic: potent autobiographical lyrics sung in a compelling keening voice combined with finger-picked and bottleneck guitar played in a strange balance of sophistication and crudeness. Williams was a poet and griot, chronicling his life and emotions in the context of the Southern United States in the 20th Century. The melodic and textural counterpoint of the guitar and voice resonate with the concepts what Ornette Coleman calls "harmolodics". The songs are hypnotic and emotionally wrenching.
Robert Pete Williams : Free Again (Prestige)
Enregistrement : 1959. Edition : 1961.
CD : 01/ Free Again 02/ Almost Dead Blues 03/ Rolling Stone 04/ Two Wings 05/ A Thousand Miles From Nowhere 06/ Thumbing A Ride 07/ I've Grown So Ugly 08/ Death Blues 09/ Hobo Worried Blues 10/ Hay Cutting Song
Elliott Sharp © Le son du grisli
Guitariste qu'on ne présente plus, Elliott Sharp voit paraître ces jours-ci The Age of Carbon, triple disque d'enregistrements que son projet Carbon a enregistré de 1984 à 1991.
Christian Marclay : Graffiti Composition (Dog W/A Bone, 2010)
La scène se passa le 13 septembre 2006 au Museum of Modern Art de New York. Des guitaristes (guitar & bass guitar) de renom interprétèrent une composition graphique tirée de l'oeuvre de Christian Marclay. Ces guitaristes n’étaient autres qu’Elliott Sharp (qui chapeauta le projet), Lee Ranaldo, Vernon Reid, Mary Halvorson et Melvin Gibbs.
Il fallait s’y attendre, il y eut du bruit et de la fureur, que les graffitis soient exécutés sur les allées et venues rapides des médiators ou sur d'attaques aux doigts. Chaque guitariste y va de son alarme, excave du lourd et du râlant, avant de passer le relais à son voisin. Pour couronner le tout, Sharp et ses acolytes y vont aussi de leurs expérimentations électroniques. Des pistes sont reprises ou transformées en direct. C’est bien simple, sur Graffiti Composition il n’y a qu’une chose que l’on peut regretter : un solo au tapping désuet dont on ne connaît pas l’auteur…
Christian Marclay : Graffiti Composition (Dog W/A Bone / Metamkine)
Enregistrement : 13 septembre 2006. Réédition : 2010.
CD : 01-06/ Graffiti Composition 1-6
Pierre Cécile © Le son du grisli