Kent Carter & German Friends : Berlin, Aufsturz, le 14 avril 2018
Parfois, rarement, la présence de la musique est telle que son écho résonne bien plus longtemps que ce que voudraient les lois de l'acoustique. Ce soir d'avril à Berlin, de la contrebasse de Kent Carter jaillirent certains de ces sons qui continuent à vivre dans l'esprit de celui qui les a entendus. Au sous-sol d'un bar parmi tant d'autres de l'ancien Berlin Est gentrifié, une petite foule est rassemblée pour entendre le contrebassiste entouré de « German Friends » : le batteur Günter "Baby" Sommer, le pianiste Ulrich Gumpert et le saxophoniste Friedhelm Schönfeld.
La musique, entièrement improvisée, s'organise autour de la basse qui vibre au centre de l'estrade. Par l'écoute, l'espace s'emplit progressivement. L'amplificateur de Carter semble volontairement bas, comme pour imposer le seul critère d'une écoute attentive au bon déroulement de la soirée. L'écoute, mais aussi le regard. Regards de Sommer et Gumpert, qui savent que la clarinette basse de Schönfeld et la basse de Carter suffiront à cet instant précis. Regards du public qui observe la danse qui s'exécute avec précision sur le manche de l'instrument.
Si une chose est claire ce soir, c'est que Kent Carter est un maître-musicien, porteur de tant de sons que, si nécessaire, quelques notes suffiront. Le jazz joué est libre, libre de devenir un long blues. L'écoute, le regard, et le rire. Sommer utilise l'humour d'une manière pleinement dosée, brisant certains élans introspectifs pour pousser la musique encore plus loin. Mais, au-delà de ses interventions, le rire du public se prolonge. Tout simplement parce que la musique, d'ordinaire, ce n'est pas ça. Parce qu'il est évident que quelque chose se passe ce soir. Sommer se dédouble dans le miroir du bar. Gumpert rentre à l'exact bon moment lors d'un solo de basse. Schönfeld le suit avec une justesse tout aussi grande.
La boule à facettes du Aufsturz ne tourne pas, mais sa présence rappelle que la musique n'a besoin d'aucun contexte particulier pour exister quand elle est assez forte. Trop de choses ont déjà été jouées, le rappel se perd dans la nuit de Berlin. Le grand musicien quitte la petite estrade. Il est attendu.
Pierre Crépon © Le son du grisli
Photos : Olivier Ledure