Rock In Opposition [2016] : Carmaux, du 16 au 18 septembre 2016
RIO : Rock in Opposition – ma première visite, en cette 9e édition. L’intitulé de ce festival interpelle* : né à la fin des années 1970 (cela ne nous rajeunit guère), il regroupait quelques formations musicales européennes en marge des structures de diffusion de l’époque. Pas uniquement musical, ce mouvement était aussi politico-économique… Le contexte de ce festival n’est évidemment plus le même – même si je doute que cet environnement se soit amélioré, bien qu’Internet puisse offrir d’autres structures de diffusion. La musique ? Globalement, à la lecture des programmes des années précédentes, et de celui de cette année, il y a certes des affinités, des convergences, un esprit hérité du mouvement né il y a 40 ans. Art Bears, Guigou Chenevier (l’année dernière avec Rêve Général), Art Zoyd, Présent, Chris Cutler (encore cette année !), Haco y ont été (ou y sont) présents. Des convergences plus proches que les programmes des dernières éditions du festival MIMI (si l’on réduit le terme à une approche musicale au-delà des identités stylistiques variées : Samla n’était pas Macromassa, qui n’était pas Stormy Six, ni Univers Zéro…) plus ouvert vers certains autres univers musicaux.
RIO, ce fut aussi pour moi revoir des têtes côtoyées il y a plus de 25, 30 ans, entre journalistes italiens (hello Alessandro!, hello Paolo!), anciens membres d’Intra-Musiques des années 1980, sans parler des musiciens qu’on a toutefois rencontrés plus souvent et plus récemment dans d’autres contextes. Le public ? Une moyenne d’âge assez élevée. On rencontre à la Maison de la Musique du Cap Découverte pas mal de quinquagénaires et de sexagénaires** (bref, ceux qui avaient entre 20 et 30 ans au moment de l’historique RIO…). Mais aussi, heureusement, des plus jeunes (peut-être particulièrement pour Magma, concert pour lequel il y eut un public plus fourni !). RIO, c’est aussi une audience cosmopolite. Alors que le public de MIMI est devenu de plus en plus local (Marseille et sa région, à près de 75%), ce Rock In Opposition attire des Polonais, des Russes, des Mexicains, beaucoup d’Italiens et d’Allemands, et ceci, hors d’une période estivale favorable à la transhumance. Les musiques entendues durant ce weekend de fin d’été (11 formations en 3 journées) alternaient (en les mêlant parfois) des tenants de la scène RIO historique et des pousses plus récentes, sinon plus jeunes.
Vendredi 16 septembre
No Noise No Reduction : un trio de trois saxophones (deux basses, un baryton : Marc Démereau, Marc Maffiolo et Florian Nastorg) qui rappelle le quartet allemand Deep Schrott – des arrangements de thèmes destinés à combiner des sonorités particulières, forcément sombres, aux structures complexes mais aussi minimal (tel le troisème titre), intégrant, ici, RIO oblige, une reprise de This Heat (Horizontal Hold), utilisant parfois la voix. Peut-être la formation récente la plus intéressante, susceptible d’émarger dans d’autres contextes, davantage liés aux musiques plus improvisées.
Pixvae : ce groupe franco-colombien propose un ethno-tribal rock, un peu funky, intégrant des musiques colombiennes diverses, entre celles issues de la côte atlantique de la Colombie, afro-colombienne, ou celle rattachées davantage à la tradition amérindienne issue de la Colombie du Sud Pacifique (dont les rythmes furent distillés le cununo, sorte de bongo colombien servi par Jaime Salazar et les guasàs de deux chanteuses) et une assise rock assez sombre servie notamment par la guitare baryton de Damien Cluzel, et le sax baryton de Romain Dugelay), nourrie aux musiques savantes (Xenakis, Messiaen).
Haco & Nippon Eldorado Kabarett : j’ai toujours eu un attachement à la musique de Haco et d’After Dinner et revoir la musicienne japonaise près de 30 ans après son passage à la 2e édition de MIMI en 1987 fut une des raisons qui m’attirèrent en ce lieu. D’autant plus qu’elle y était accompagnée par des musiciens italiens, et particulièrement Giovanni Venosta, toujours inspirés par l’esprit RIO**, à l’origine de ce projet visant à relire une musique japonaise plus ou moins dadaïste, nourrie d’after-rock, de folk que pratiquaient alors After Dinner, Wha Ha Ha ou le Haniwa All Stars. Un moment musical délicieux, où l’on notait plus particulièrement la capacité d’adaptation de la voix de la chanteuse italienne aux divers types de chant nippon.
Samedi 17 septembre
Cicala Mvta (cigale muette) : une formation de sept musicien(ne)s (percussion/koto, clarinette, trompette, sax, tuba, batterie, guitare) proposa d’emblée en ouverture une sorte de fanfare / musique de rue japonaise, mais intégrant des apports musicaux occidentaux chers à son leader et saxophoniste Wataru Ohkuma (il a écouté, au-delà du post punk britannique, Faust, Henry Cow, Soft Machine, EFL, Magma, jazz d’avant-garde) et rythmée par la batterie de Tatsuya Yoshida (Ruins, duo avec Pinhas…), le ching-dong (sorte de batterie portative pour musique de rue) de Miwazo Kogure. La construction des pièces, assez hybrides, privilégie par moment l’aspect fanfare (telles l’entrée et la sortie de scène !) mais bénéficie souvent d’arrangements plus complexes qui intégrèrent même, un cours moment, des sonorités à la Residents. Un moment à la fois ambitieux et festif.
Jump for Joy! : ce fut, d’après une auditrice, une vision du chaos. La formation l’assume. Du moins dans une de ses facettes, celle qui est proche du dilettantisme exubérant qualifié de théatralo-bruitiste (dixit Jean-Hervé Péron, concernant Zappi Diermaier, voire Geoff Leigh). Une facette confrontée à une musique plus ciselée, précise et virtuose (dont Chris Cutler, Yumi Nara et Géraldine Swayne seraient les titulaires). Dichotomie que l’on retrouve entre les deux batteurs (Zappi, Chris), les deux claviers (le piano, parfois préparé et l’orgue), dans le jeu de Geoff Leigh, sorte de ludion aux effets électroniques et aux vents, voire dans celui de Jean-Hervé Péron. Ce fut un moment intense et prometteur, attendu ardemment et davantage que celui qui allait suivre, du fait de ses tournées régulièrement programmées sur toutes les scènes françaises. A savoir...
Magma : proposant deux longs sets (Theusz Hamtaahk, MDK) : le premier péchait pendant un instant d’une approche trop brouillonne (la guitare surtout mais aussi le son d’ensemble avant de continuer et s’achever dans une prestation bien huilée), le second parfait, incluant une digression vocale du sieur Christian Vander. On peut toutefois souhaiter un renouvellement du répertoire, et non seulement une relecture de quelques pièces d’anthologie par un line-up renouvelé autour de Vander. Et pourtant on ne peut s’empêcher d’y adhérer…
Richard Pinhas : ici accompagné d’un jeune batteur, Arthur Narcy (qu’il côtoie depuis deux ans !), fut égal à lui-même. Véhiculée par le rythme haletant voire incandescent de la batterie, la musique du guitariste / électronicien imposa ses fresques envoutantes nourries de delay, de guitare aérienne.
Dimanche 18 septembre
Moins nombreux que la veille, le public m’a paru un peu plus jeune, notamment pour...
Uz Jsme Doma : avec cette formation tchèque, que je suis depuis son deuxième enregistrement en 1991 (Nemilovany Svet, et son parfum Etron Fou Leloublan), j’ai toujours le même problème : les concerts apparaissent trop basiques (trop rock peut-être ?) : guitare / basse / batterie. Et parfois proche de la saturation sonore, occultant ainsi les nuances. Il y a toutefois la trompette, (troquée un instant contre une flûte) qui apporte une coloration autre, mais sans atteindre la diversité de la palette sonore des enregistrements studio (souvent une dizaine d’invités). Enfin on ne peut pas dire qu’ils n’assurent pas, nos quatre compères !
Apollonius Abraham Schwarz : un trio helvète guitare / basse / sax aux accents free, à la sonorité sombre et tellurique, au discours parfois déstructuré et tourmenté à souhait, quoiqu’un peu bavard ! Intéressant. Une musique qui peut s’inscrire à la fois dans l’esthétique RIO, facette Univers Zero & Co, et dans les musiques improvisées. A suivre, notamment à travers un enregistrement programmé pour novembre.
Upsilon Acrux : ce sont des musiciens originaires de Los Angeles, avec notamment des Américains d’origine japonaise. Au centre de la scène, deux batteurs, à ses extrémités deux guitaristes, un claviériste se glissant presque subrepticement. La musique ? Du métal progressif (?), un déluge de sons saturés d’effets fuzz, de distorsions (on pense à certaines outrances sonores de Keiji Haino !) boostés par la frappe des deux batteurs. Cela pouvait être pénible, cela pouvait aussi amener à la transe !
Half the Sky : sans doute le concert le plus attendu. Celui du bonheur, celui de l’émotion. Avec une fidélité certaine à la musique de Lindsay Cooper. Certes, il y avait Chris Cutler, également Dagmar Krause, comme garantie. Cette fidélité à l’esprit de la défunte bassoniste fut la volonté de l’ensemble de la formation, à travers les arrangements (en partie réalisés en amont par Zeena Parkins, absente !). Aux côtés des anciens partenaires de Lindsay officiaient Yumi Nara (claviers), la britannique Chlöe Herington (basson, mélodica, saxophone soprano), et trois des musiciens de Cicala Mvta (koto, ching-dong, saxophone alto, clarinette, basse). Le concert qui justifiait à lui seul le déplacement dans le Sud-Ouest. Nostalgie ? Oui, et je le revendique.
Bref, pour mon premier RIO tarnais, je suis venu, j’ai vu (et écouté) et j’ai été convaincu.
Pierre Durr (textes & photos) © Le son du grisli
* plus ou moins contesté par Ferdinand Richard, membre d’Etron Fou Leloublan, groupe qui fit partie de ce mouvement.
** c’est aussi le cas au festival de musiques contemporaines Musica de Strasbourg, mais sans les t-shirts Faust, Gong, Magma, etc.
*** comme en témoigne l’Altrock Chamber Quartet « sonata islands goes RIO » ALTROCK ALT028 – 2012