Morton Feldman, Christian Wolff, Wendy Eisenberg : The Possibility of a New Work for Electric Guitar
Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir.
En 2018, le label Mode, à qui l’on doit d’incontournables références de la discographie de Morton Feldman, publia une interprétation, sur un arrangement du guitariste Seth Josel (aidé de Chris Villars, archiviste à qui l’on doit notamment Morton Feldman Says) de The Possibility of a New Work for Electric Guitar par Sergio Sorrentino (disque Dream: American Music for Electric Guitar). Le jeu était ample, délicat même, mais sa sonorité « contemporaine » interrogeait.
Ecrite pour Christian Wolff (et sa propre Fender) en 1966, la composition, espérait Feldman, devait permettre de « dépasser » l’instrument en question en lui soutirant des sons qu’on pourrait lui croire étrangers. Longtemps perdue, la partition dut attendre qu’on en retrouve une partie – c’était en 2007 – pour être publiée puis envisagée à nouveau sur l’inspiration d’un fragment et aussi le souvenir enregistré d’une interprétation donnée par Wolff le 29 juillet 1966 au San Francisco Tape Music Center.
Un peu moins de quatre minutes que l’on retrouve en ouverture de la première face de ce vinyle Other Minds Records : ce sont d’autres silences parmi les aigus et les soupirs de cordes que l’on tend ou détend, d’autres trajectoires que Feldman et Wolff (qui se dit piètre guitariste) dessinent de concert à coups de glissandi courts et d’usages du vibrato, de notes infimes, aussi, mais qui claquent. De l’année de l’écriture de cette pièce à celle de sa redécouverte, quarante ans auront passé pendant lesquels la guitare électrique s’est fait entendre d’innombrables façons. Or l’expérience de Feldman n’en est pas moins surprenante.
Pour finir de s’en convaincre, on écoutera la guitariste Wendy Eisenberg interpréter la pièce en 2022. Après le document qu’est l’enregistrement de Wolff, elle propose une lecture ressemblante mais qui interroge davantage la note choisie par Feldman lui-même : réajustée à peine s’est-elle fait entendre, à la merci des tensions et des relâchements, jusqu’à rêver en conclusion d’un presque accord. Trois notes qu’Eisenberg laisse en suspens, derrière elle, aux portes des cinq minutes. Ce que cette minute de différence avec l’interprétation de Wolff contient a évidemment été disséminé au gré des approches entre le manche et les mécaniques.
En seconde face, c’est Wolff qu’Eisenberg – plus « technique » à la guitare que ne l’est le compositeur – reprend cette fois : Another Possibility, datée de 2004. On imagine ici le dédicataire tirer des plans sur la comète Feldman : et si « The Possibility... » du maître pouvait être « Another... » que celle qu’il enregistra jadis… Eisenberg suit donc une nouvelle partition – une supposition presque – qui évoque celle de Feldman avant d’être soumise à des précipitations qui l’en éloignent. Et puis, après huit minutes, un aigu répété évoque un code de communication : on passera alors le message sur vinyle, que quarante-cinq tours par minute ne sauraient épuiser.
Guillaume Belhomme © le son du grisli zombie 2024