John Cage, Morton Feldman : Radio Happenings (Allia, 2015)
Il est des préfaces qui valent toutes les introductions, chroniques... Celle que Christian Wolff a écrite pour ces retranscriptions de conversations entre John Cage et Morton Feldman (Radio WBAI, New York, 1966-1967) est de celles-là – et, puisqu’elle est courte, il faudra aller la lire.
A John Cage, Morton Feldman fait remarquer : « On dirait que les seules fois où nous avons la chance de nous parler, c’est à la radio ». A Feldman, Cage avoue : « C’est une forme de plaisir de converser en fait sur n’importe quel sujet. » Et les sujets de ces Radios Happenings ne manquent pas : de souvenirs en anecdotes et d’explications en impressions, les deux compositeurs badinent dans le même temps qu’ils dévoilent un pan de leur imaginaire. Dans leurs conversations se glissent alors les silhouettes d’autres grands compositeurs (Satie, Varèse, Stockhausen…), d’écrivains (Mallarmé, Whitman...) ou de peintres (De Kooning, Guston…), perce un aveu (ce difficile rapport de Feldman au « parasite sonore », qui l’oppose à l’idée de Cage selon laquelle tous les bruits peuvent s’entendre) ou quelque regret même (de ne pas voir les étudiants en musique aussi curieux que ceux en arts, par exemple, pour Cage). Ce sont là deux intelligences – en résumé : l’humour de Feldman et le rire de Cage – qui se stimulent et s’accordent.
Reste maintenant à regretter quelques lourdeurs dans la traduction et une mise en page qui peut fatiguer l’œil tant elle abuse des illustrations : nombreux portraits d’artistes reproduits là peut-être pour remplir l’espace laissé vacant par des notes quasi inexistantes – elles, auraient pu expliquer pourtant, même brièvement comme c’est le cas pour Lukas Foss, qui était Teitaro Suzuki ou pourquoi Feldman traite à l’époque de ces entretiens son ancien ami Philip Guston de « peintre conventionnel », ou aussi donner le nom de cette pièce écrite pour « quelques violoncelles, environ seize » évoquée par Cage. Et puis, sous la reproduction de la pochette d’un disque, c’est souvent une approximation – rien que pour For Christian Wolff : les labels Hat Hut et hat ART ont été confondus quand l’année de la composition de la pièce passe pour celle de la publication du disque… Plus loin, c’est le label Mode qui n’est pas cité sous la pochette de String Quartet N°1 ou la réédition sur CD de The Piano Music of Henry Cowell que l’on date de… 1963 ; plus loin encore, c’est toute annotation qui a été jugée inutile sous la couverture du Piano and String Quartet par Vicki Ray et l'Eclipse Quartet paru chez Bridge… Ce sont là des détails mais on sait (d’autant qu’il y en a d’autres) que le diable s'y cache : qu’importe, pour goûter aux brillantes conversations de John Cage et de Morton Feldman, on acceptera d'en passer par là.
John Cage, Morton Feldman : Radio Happenings (Allia)
Edition : 2015.
Livre (français) : Radio Happenings. Traduction de Jérôme Orsoni.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli