La Monte Young : Conférence 1960 (Eolienne, 2012) / Charles Dreyfus Pechkoff : Fluxus (Les Presses du réel, 2012)
Ce petit « livre-manifeste » que rééditent les Éditions Éoliennes revient sur la classe que tint, à l’été 1960, La Monte Young au Dancers Workshop de la chorégraphe Anna Halprin. L’occasion, de permettre au musicien estampillé Fluxus d’adresser ensuite une « Lettre à un jeune compositeur » dont il conseille la lecture… hasardeuse.
C’est que le livre en question est fait de courts chapitres (de sentences, voire) dont la succession sur le papier souffre très bien qu’on l’ignore. Conventionnelle ou aléatoire, la lecture jonglera de toute façon avec des morceaux de poésie, des anecdotes (qui peuvent mettre en scène Richard Brautigan, Terry Riley, Terry Jennings, Dennis Johnson, Tony Conrad), des évocations furtives (John Cage, Christian Wolff), des conseils (vertus de la contradiction, goût pour le « nouveau » plutôt que pour le « bon », bienveillance pour le son qu’il faut appeler puis laisser venir à soi), des perles d’ironie et de distance...
Et puis, évidemment, quelques mots sur les travaux auxquels La Monte Young travaillait à l'époque : Compositions 1960 – l’art de faire un feu dans l’intention de l’écouter (Composition 1960 #2) ou de laisser un papillon décider de la durée d’une composition dont il sera en outre le seul interprète (Composition 1960 #5). L’ensemble de cette conférence retranscrite, de chercher par tous les moyens à contrer une indéniable habitude : Le problème avec la musique du passé dans la plupart des cas est que l’homme a voulu faire aux sons ce qu’il voulait qu’ils fissent.
La Monte Young : Conférence 1960 (Eoliennes)
Réédition : 2012.
Livre : Conference 1960 (traduction de Marc Dachy)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Pour avoir voulu consacrer son travail universitaire à l’intervention du public dans la fabrication d’œuvres artistiques, Charles Dreyfus Pechkoff a jadis fait la découverte de Fluxus avant d’en devenir, de fil en aiguille, un « membre actif ». C’est cette histoire qu’il raconte, style cursif et précision d’archiviste, dans Fluxus – L’Avant-garde en mouvement. La thèse est augmentée de souvenirs « à vif » et d’entretiens (dont un inédit de George Maciunas). Indispensable – autant que la lecture de Fluxus et la musique d'Olivier Lussac et du Tout Fluxus mis en ligne par Ben – pour qui s’intéresse à la constellation d’individus qui la composent (La Monte Young, George Brecht, Nam June Paik, Yoko Ono, Dick Higgins, Henry Flynt, Daniel Spoerri…).
Charles Dreyfus Pechkoff : Fluxus – L’Avant-garde en mouvement (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Fluxus – L’Avant-garde en mouvement
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Susan Stenger : Soundtrack for an Exhibition (Forma Arts and Media, 2009)
Livre-disque et souvenir d’une exposition organisée au Musée d'Art Contemporain de Lyon en 2006, Soundtrack for an Exhibition s’attache à recréer un projet qui alliait peinture, cinéma et musique, en assemblant photographies de toiles (John Armleder, Steven Parrino), extraits des rushs du film The King is Alive (Kristian Levring), et pièce sonore (revue pour tenir ici sur l’espace d’un DVD mais courant à l’origine le long de 96 jours, durée de l’exposition) écrite par Susan Stenger (Band of Susans, Brood).
S’il ne donne qu’un aperçu de l’univers musical déployé pour l’occasion, le disque donne à entendre une longue progression découpée dans l’optique de rendre hommage à des styles musicaux différents, et qui fait, sur son ensemble, référence aux travaux de drones de Phill Niblock. En guise d'intervenants : Kim Gordon, Alan Vega, Ulrich Krieger, Bruce Gilbert, Jim White, Mika Vainio, FM Enheit ou Spider Stacy, finissent de diversifier le propos, qui va de ritournelles répétitives en mélodies de pop précieuse, de nappes monochromes en constructions rythmiques lasses. Partout, le transport est lent, engage l’auditeur sur terrains différents – certains accueillants, d’autres moins.
Pas toujours heureux, donc, le voyage touche pourtant à sa fin en donnant l’impression d’avoir traversé une œuvre conceptuelle d’un minimalisme magistral et souvent obnubilant. Pour revenir aux origines du projet, se plonger enfin dans l’entretien de Mathieu Copeland avec Susan Stenger et Tony Conrad, le second ne cachant pas ses inquiétudes face à l’ampleur d’un exercice encore en projet. Désormais évanoui mais consigné en objet rare.
Susan Stenger, Mathieu Copeland (édition) : Soundtrack for an Exhibition (Forma Arts and Media / Les presses du réel)
Exposition : 2006. Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Charlemagne Palestine, Tony Conrad: An Aural Symbiotic Mystery (Sub Rosa - 2006)
Réunis en 2005 au Théâtre Marcelis de Bruxelles, deux figures de la musique minimaliste – Charlemagne Palestine et le violoniste Tony Conrad – improvisent une pièce longue et inquiète, remplie d’obsessions heureusement inépuisables.
Amoncellement déraillant de nappes de claviers, de pizzicatos ou d’interventions à l’archet et d’une voix maltraitée, l’improvisation se veut opaque jusqu’à l’apparition de deux notes répétées de piano, Palestine égrenant ensuite un accord établi à partir de l’addition des drones. Amené à saturer pour mieux se faire entendre, Conrad complète les efforts que son partenaire destine à l’élaboration d’une gestuelle musicale autant que votive.
Plaintes tordues et invocations schlass, qui courent derrière un condensé élégant des musiques pour lesquelles les deux hommes auront déjà œuvré – Dream Music et Streeming Music, bruitismes élégiaques ou martelés - et de leurs influences – raga indien, sérialisme. Courent, jusqu’à l’atteindre.
CD: 01/ An Aural Symbiotic Mystery
Charlemagne Palestine, Tony Conrad - An Aural Symbiotic Mystery - Sub Rosa. Distribution Orkhêstra International.