John Coltrane : 5 Original Albums (Prestige / Universal, 2016)
Foin de rareté, d’énième surprise et, même, d’édition limitée : le propos critique est encore estival. C’est là, dans une série économique, cinq disques de John Coltrane que l’on réédite, même s’ils l’ont déjà beaucoup été : Soultrane (avec Red Garland), Lush Life, Dakar, Bahia et The Last Trane. A destination non des spécialistes – qui « possèderont », sous couverture Prestige, les 16 disques de The Prestige Recordings ou sinon les coffrets Side Steps / Interplay / Fearless Leader – mais des novices ou des collectionneurs sur supports divers et variés.
Les premiers prendront garde quand même de ne pas imaginer là quatre-vingt-seize mois de création résumés puisque les années mentionnées au dos du mince coffret (1958, 1961, 1963, 1965 au lieu de 1964, et enfin 1966) sont celles de la publication d'albums dont les pièces ont, elles, été enregistrées entre 1957 et 1958. Et si The Last Trane n’est pas le « least » que l’on pourrait regretter, c’est qu’un équilibre instable profite au Slowtrane et que By the Numbers donne à entendre le saxophoniste rivaliser de présence avec Paul Chambers et Art Taylor.
Certes, les enregistrements Prestige ne comptent pas parmi les références emblématiques de la discographie du saxophoniste. Mais ils n’en conservent pas moins une importance évidente : première séance en leader (Coltrane), expression parallèle à celle de Monk dans le quartette duquel le ténor joue alors (Traneing In), grande expérience libre de toutes attaches sur le Little Melonae de Jackie McLean (Settin’ the Pace)… Pour ce qui est des albums que ce coffret nous ramène, c’est l’épaisseur évidente d’un souffle passé chez Miles Davis (Good Bait, sur Soultrane), l’urgence faite élément du même souffle (Like Someone in Love, sur Lush Life), le frottement aux barytons de Cecil Payne et de Pepper Adams (morceau-titre, sur Dakar) ou cet impressionnant duo avec Art Taylor (Goldsboro Express, sur Bahia). De toute façon, cinq fois Coltrane – même cinq fois de plus, même encore –, cela ne se refuse pas.
John Coltrane : 5 Original Albums
Prestige / Universal
Réédition : 2016.
5 CD : Soultrane / Lush Life / Dakar / Bahia / The Last Trane
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Richard Williams : The Blue Moment (Faber & Faber, 2009)
Dans The Blue Moment, Richard Williams s’intéresse à ce qu’il y a derrière Kind of Blue. Par « derrière », entendre surtout « après ».
Au-delà d’une introduction déstabilisante pour le lecteur – puisqu’on renvoie celui-ci à deux ouvrages précis sur le sujet (signés Ashley Kahn et Eric Nissenson) et qu’on lui assène chiffres de vente et anecdotes dispensables tendant à prouver que Kind of Blue est bel et bien un ouvrage hors du commun –, Williams pose la première pierre de sa théorie personnelle : Aux origines de toutes choses musicales, il y a Kind of Blue. Reste ensuite, pour l’auteur, à choisir ses exemples : « coolitude » d’un musicien des rues de Barcelone, paisible ambient de Brian Eno ou accords de guitare de Chris Réa (oui), autant de prolongements à l’œuvre gigantesque.
Au fil des pages, ensuite : une histoire de la couleur bleue (résumé rapide de l‘ouvrage de référence de Michel Pastoureau), des digressions d’Américain à Paris (existentialisme, littérature et films) et puis, quand même, suivre Miles Davis de l’enregistrement de Blue Moods avec Mingus à celui du disque en question avec la formation que l’on sait : là, l’auteur a bûché, passé l’oral, que l’on trouve ici retranscrit sur papier. Ailleurs, des parallèles plus ou moins sensés avec des musiciens ayant puisé dans le disque un peu de leur inspiration : minimalistes choisis, John Cale ou encore Robert Wyatt. Entre les deux : le vide et, au final, The Blue Moment s’avère être un fourre-tout passable lorsqu’il n’agace pas avec moins de nuances.
Richard Williams : The Blue Moment (Faber & Faber / Amazon)
Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ashley Kahn : Kind of Blue (Le mot et le reste, 2009)
L’ère des commémorations imposait récemment que l’on fête les 50 ans de Kind of Blue, « chef d’œuvre de Miles Davis », dit le sous-titre du livre d’Ashley Kahn. Par « fêter », entendre se ruer sur la dernière réédition en date et mettre un peu encore de sa poche dans un ouvrage dont la lecture accompagnera la réécoute. Kind of Blue : disque de jazz le plus vendu / Miles Davis : musicien de jazz le plus vendeur, voire commerçant. Impossible, alors, de passer à côté du phénomène, même réchauffé.
Profitant de l’occasion, la traduction du travail du journaliste Ashley Kahn, aujourd’hui éditée par Le mot et le reste, n’en est pas moins convaincante. S’il porte beaucoup sur Davis – histoires du trompettiste et de sa formation racontées encore – quand la valeur de Kind of Blue vient avant tout de l’acuité de chacun de ses concepteurs et intervenants (auxquels ajouter aussi George Russell et Gil Evans), l’ouvrage gagne son statut annoncé de « making-of » avec un certain brio : parce qu'il s’en tient aux faits autant qu'à une suite de témoignages inédits ; bien sûr, ne fait pas de vagues, mais se permet quand même d’aborder le sujet de la transformation d’un disque de musique en « pur » produit de commerce.
Dans sa forme, l’ouvrage se montre aussi amène : disposant des chapitres consacrés à quelques détails en constellations autour de la trame principale, décomposant chacune des pièces de l'enregistrement et faisant de même pour leurs prises, retranscrivant quelques dialogues consignés sur bandes archivées ou illustrant le propos à coups de photos fondamentales. Bref : Kind of Blue jusqu’à l’obsession – qui trouve de l’intérêt jusque dans les photos des boîtes contenant le master ou le registre des bandes – le temps de la lecture d’un livre incontournable pour qui aura décidé de revenir à Kind of Blue.
Ashley Kahn, Jimmy Cobb (préface) : Kind of Blue. Le making-of du chef d’œuvre de Miles Davis (Le mot et le reste / Amazon)
Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © son du grisli
John Coltrane : Live in ’60, ’61 & ’65 (Naxos, 2007)
Rassemblés ici, trois films de concerts donnés en Europe entre 1960 et 1965 donnent à voir John Coltrane diversement entouré.
A Düsseldorf, d’abord, où le saxophoniste, alors en tournée en tant que sideman de Miles Davis, prend – à la place d’un trompettiste ayant décliné l’invitation – la tête d’une petite formation à l’occasion d’un show radiotélévisé. Auprès de Wynton Kelly, Paul Chambers et Jimmy Cobb, il interprète un Green Dolphin Street élégant avant d’accueillir Stan Getz puis Oscar Peterson sur une reprise d’Hackensack de Monk.
L’année suivante, c’est en leader que Coltrane revient en Allemagne, participant là à une autre émission, en compagnie de son quartette classique, augmenté d’Eric Dolphy. Célèbre, la séance vaut surtout pour la rencontre des deux saxophonistes, déposant encore l’un après l’autre leurs solos de My Favorite Things ou Impressions.
Plus rares, les images d’un concert donné en Belgique en 1965, toujours auprès de McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones, qui attestent d’un tournant inévitable, celui qui mènera Coltrane au seuil d’un free jazz dont Ayler lui attribuera la paternité – l’introduction, en compagnie de Jones, de Vigil, en étant la meilleure preuve. Et l’esquisse aura été faite d’un parcours monumental.
John Coltrane : Live in ’60, ’61 & ’65 - 2007 (Naxos / Abeille Musique).
Edition : 2007.
DVD : 01/ On Green Dolphin Street 02/ Walkin’ 03/ The Theme 04/ Autun Leaves 05/ What’s New 06/ Autumn in NY 07/ Hackensck 08/ My Favorite Things 09/ Ev’rytime We Say Goodbye 10/ Impressions 11/ Vigil 12/ Naima 13/ My Favorite Things
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bill Evans, Eddie Costa : Complete Quartet Recordings (Disconforme, 2005)
En 1958, Bill Evans pouvait encore n’être que co-leader. Aux côtés d’Eddie Costa, vibraphoniste luxuriant à l’existence trop brève pour s’être imposé plus, il participa à l’enregistrement de thèmes issus du répertoire de Frank Loesser. A la contrebasse, Wendell Marshall ; à la batterie, celui qui fera bientôt partie du mythique trio d’Evans : Paul Motian.
Les compositions choisies permettent la diversité des interprétations. De ses attaques légères, le pianiste fleurit des be bops enjoués (Guys And Dolls, If I Were A Bell), déploie ses harmonies lors d’un simili cool (I’ll Know), ou conduit une romance sur une Adelaide évoquée par tous avec élégance : la mélodie de piano poussée dans ses derniers retranchements, perturbée par les notes bleues de Costa, rassurée malgré tout par la confiance de Marshall.
Souvent sage, Paul Motian se montre parfois capable de ruptures inspirées. Pour beaucoup dans la réussite de Luck Be A Lady, il décide seul du laisser-aller nécessaire au développement d’un fourre-tout baroque sur lequel Evans interroge les mesures, quand Costa abuse sournoisement des digressions sur demi-tons. Moins convaincants lorsqu’ils se raidissent au seul souvenir de leurs maîtres - Milt Jackson pour Costa, Lennie Tristano pour Evans -, les co-leaders sont autrement évoqués dans un bonus imposé.
Alors, sur la septième plage, on peut entendre Django, enregistré sous la direction de Michel Legrand, en compagnie, entre autres, de Miles Davis et Paul Chambers. Hors sujet, le bonus, qui nous présente un Costa déposant étroitement la mélodie du thème sur la guitare de Galbraith, et Bill Evans élaborant avec la harpiste Betty Glaman un contrepoint sans charme. Ce genre de bonus artificiel, qui vous invite à relancer l’écoute pour revenir à l’essentiel.
Bill Evans, Eddie Costa : Complete Quartet Recordings (Disconforme / Socadisc)
Réédition : 2005.
CD : 01/ Guys And Dolls 02/ Adelaide 03/ If I Were A Bell 04/ Luck Be A Lady 05/ I’ve Never Been In Love Before 06/ I’ll Know 07/ Django
Guillaume Belhomme © Le son du grisli