Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Guy Darol : Outsiders (Le Castor Astral, 2014)

guy darol outsiders

La clef de ce recueil de portraits est à trouver dans l’évocation que fait Guy Darol, son auteur, de The Shaggs, trio de musiciennes imprécises motivées par la volonté d’un père. Ainsi, pages 371 à 374, remarque-t-on une vive prose delteillienne, une recommandation de Frank Zappa – dont Darol est spécialiste et qui plaçait The Shaggs au-dessus des Beatles – et une référence au critique Irwin Chusid, qui tenait le trio pour les « Godmothers of Outsider Music ».



Outsider Music comme il existe un Oustider Art (Darol fait d'ailleurs souvent référence à Adolf Wölfli, au Facteur Cheval, à Gaston Chaissac…) – Graeme Revell n’avait-il pas baptisé son label Musique brute ?… – soit : une musique de la marge – … et Sub Rosa, plus récemment, initié une série Music in the Margin ? – et du déséquilibre, concept-ou-presque qui s’applique en effet aux Shaggs, mais non pas à tous les musiciens loués ici.

C’est qu’il y a d’autres portes derrières lesquelles différents « outsiders » se bousculent : loosers magnifiques ou winners oubliés – après tout, les premiers seront les derniers, dit Jesus II –, estafettes aux messages nébuleux ou morosophes reclus, mauvais coucheurs de songwritters ou (artificiellement ou non) haut perchés incapables de compromis, loufoques aux goûts peu assurés ou beaux renonçants enfin, bref : fous musicaux, suicidés parfois, qu’André Blavier aurait pu recenser.



A la place de Blavier, c’est Darol qui phrase et ranime énergumènes sur le fil (Syd Barrett, Tim Buckley, Kenneth Higney, Jandek, Bill Fay, Kevin Ayers, Daevid Allen...) et autres inventifs pathologiques (The Godz, Richard Pinhas, Moondog, Joe Meek, Eugene Chadbourne, GG Allin...). Et si les 80 trompe-la-mort en question sont à recommander à des degrés divers, la prose de Darol leur assure une postérité toujours justifiée au son de genres (folk, rock, fluxus, free music, punk, no wave, performance, actionnisme…) aussi différents qu'eux.



Guy Darol : Outsiders. 80 francs-tireurs du rock et de ses environs (Le Castor Astral)
Edition : 2014.
Livre : Outsiders. 80 francs-tireurs du rock et de ses environs
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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François Bayle : 50 ans de musique acousmatique (INA-GRM, 2012)

françois bayle 50 ans d'acousmatique

Combien de temps aurons nous passé à écouter François Bayle ? Toute sa vie à lui, et toute la nôtre avec – et ce n’est pas fini, c’est loin d’être fini, dis, Beatriz ? Cinquante ans de travail dans un coffret qui vient après tous les efforts de Magison, de quinze disques de couleurs différentes (Bayle est un coloriste, l’INA-GRM l’a bien évidemment remarqué)… Notre écoute n’en finira jamais, Beatriz...

... Quand même, il nous est arrivé de nous battre : musique concrète encore ? post-concrète ou plutôt acousmatique ? cinéma pour l’oreille ou théâtre sonore (la pièce Théâtre d’Ombres m’avait aiguillé) ? musique pour bande ou pour objets enregistrés ? pièces électroacoustiques ou mixtes ? psychisme concret ou délire psychédélique ? bref tout et n’importe quoi. On se moque bien des termes quand on peut s’accorder sur une chose : Bayle a fait des sons avec du « matériau » inadapté et exploré/éclairé des instruments de lutherie moderne. Comme Schaeffer il est passé du sonore au musical en allant jusqu’à transformer ses partitions en acousmographies.

Au diable les termes, d’accord, mais pas les préférences, Beatriz… Les miennes vont à ses premières œuvres, je te le redis. J’ai même un site que je conseille toujours dans ce paysage de lunes et d’étoiles : son Purgatoire dantesque qui fait pendant à l’Enfer de Bernard Parmegiani. Toi, Beatriz quand même, tu préfères les collages de rires d’homme sur Trois rêves d’oiseaux, les bandes retournées et les symphonies détraquées des Espaces inhabitables, les techniques mixtes des Expériences acoustiques (sur La preuve par les sens, tu as attiré mon attention sur les voix de Kevin Ayers et Robert Wyatt)…

Comme tout est rangé par ordre chronologique, ça a alors été l’heure de « mon » Purgatoire : par le menu, on nomme les « chiffres » qui ordonnent la récitation et c’est l’étrangeté du phénomène sonore qui éclate. Des voix s’approchent, d’autres s’éloignent, des sons de synthèse marquent l’expérience qui est inoubliable. Bayle y développe une expressivité qui n’appartient qu’à lui parce qu’il l’extrait (sons et images) de tout ce qu’il touche, lui. Plus le temps passe et plus il donnera d’ailleurs dans une scénographie de ses dons fabuleux : Les couleurs de la nuit (version 2012) en offre peut-être le meilleur exemple.

Toi, Beatriz encore, tu choisiras le concept emblématique de Son Vitesse-Lumière : c’est le début des années 1980, époque à laquelle je commence à perdre François Bayle d'oreille. J’écoute plus distraitement, les sonorités ne me conviennent plus autant que celles qui avaient le mystère de leur âge. Je me plonge dans le livret de textes, d’entretien et de catalogue commenté. C’est un autre voyage que je fais où l’on applique des mots à l’audiovisuel du compositeur. Au hasard d’un des Morceaux de ciels et autres Univers nerveux, deux des inédits qui terminent la rétrospective, je reviens doucement à la poésie du compositeur du concret et du rêve, à son actualité. Une actualité de laquelle, toi autant que moi, nous attendons d’autres nouvelles. N'est-ce pas, Beatriz ?

François Bayle : 50 ans d’acousmatique (INA-GRM)
Edition : 2012.
CD1 : Trois rêves d’oiseaux / Espaces inhabitables / Jeîta, ou Murmure des eaux CD2 : L’expérience Acoustique I-II : Thèmes sons / L’expérience Acoustique I : L’aventure du cri / L’expérience Acoustique II : le langage des fleurs CD3 : L’expérience acoustique III-IV-V : La preuve par les sens (III)  / L’épreuve par le son (IV) / La philosophie du non (V) CD4 : Purgatoire / Paradis terrestre CD5 : Vibra-tions composées / Grande Polyphonie CD6 : Camera Oscura / Les couleurs de la nuit (version 2012 inédite) CD7 : Erosphère / La fin du bruit  CD8 : Son Vitesse-Lumière I-II CD9 : Son Vitesse-Lumière III-IV-V CD10 : Motion-Emotion / Théâtre d’Ombres CD11 : Fabulae I à IV / Mamaméta CD12 : La maison vide / Morceaux de ciels CD13 : Arc, pour Gérard Grisey (inédit) / La forme du temps est un cercle CD14 : La forme de l’esprit est un papillon / Univers nerveux (inédit) CD15 : L’oreille étonnée (inédit) (In memoriam O. Messiaen) / Rien n’est réel (inédit) / Déplacements (inédit)
Héctor Cabrero © Le son du grisli


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