LDP 2015 : Carnet de route #31
La trente-et-unième étape de ce carnet de route du trio LDP a pour cadre Chicago : l'Experimental Sound Studio, pour être précis, où Urs Leigrumber et Jacques Demierre donnaient un concert le 2 novembre dernier.
2 novembre, Chicago
Experimental Sound Studio
Heute spielen Jacques und ich im ESS, im Rahmen der Monday Serie of Improvised Music. Das Konzertprogramm wird von Tim Daisy und Ken Vandermark kuratiert. Das Experimental Sound Studio der Edgewater Anlage bietet als Ort ein umfassendes Angebot für jede Art von Produktionen; Recording, Mixing und Mastering. Es gibt eine Audio-Galerie, einen kleinen öffentlichen Raum für Ausstellungen, Tagungen, Workshops, Performances und Künstlerprojekte. Die Audio-Archive bieten eine unschätzbare Sammlung von Avantgarde Sound und Musik Aufnahmen aus den letzten fünf Jahrzehnten. ESS präsentiert in den verschiedenen Räumen des Studios, als auch an verschiedenen Partner Orten in Chicago über das ganze Jahr ein vielseitiges Programm für Performance, Installation, Workshop sowie Künstlergesprächen. ESS ist eine gemeinnützige, von Künstlern geführte Organisation. Die kulturellen und experimentellen Veranstaltungen, einschließlich Musik, Klangkunst, Installation, Kino, darstellende Künste, Lautpoesie, Radiosendungen und neue Medien sind dem Schwerpunkt Klang gewidmet. Das Ziel des ESS ist es, die Künstler in ihren Diziplinen zu begleiten, indem es ein Publikum bietet, das ihnen zuhört und ihre bis anhin ungehörten, kreativen Klang Dimensionen wahrnimmt. Das Engagement der beteiligten Musiker umfasst Produktion, Präsentation, Bildung und Entwicklung, und schliesst die Zusammenarbeit mit anderen Organisationen, Fachkreisen, Künstlern und Privatpersonen in Chicago mit ein.
Das Konzert wird aufgezeichnet. Jeder von uns spielt ein Solo. Ich spiele das Sopran und führe es durch multiphonische Klangwelten und schnelle staccato Läufe. Jacques setzt zu einem langen, bewegten und kraftvollen, rhythmischen Cluster Crescendo an. Dazwischen spielt er im Innern des Klaviers. Der Ausklang auf der Klaviatur stufenweise im Pianissimo. Nach einer Pause zeigen wir das Video mit Barre. Jacques und ich setzen ein. Wir spielen ein 30 minütiges Stück. Die Zuhörer, die Musiker Lou Mallozzi, Tim Daisy und andere sind begeistert ... „awesome“.
U.L.
C'est en écoutant Urs débuter la soirée par un solo de saxophone soprano assis à côté du piano dont je dois jouer dès sa performance terminée, que me vient le souvenir de BLANC, un spectacle réalisé il y a plusieurs années de cela, avec le performer berlinois Christian Kesten, la clarinettiste-chanteuse Isabelle Duthoit et le vidéaste Alexandre Simon. L'unique raison de ce souvenir me semble être l'improbable lien qu'incarne le piano YOUNG CHANG, nouvellement installé à ESS, à l'intérieur duquel j'ai lu, au moment de la balance, le numéro G 050866, sous lequel est écrit YOUNG CHANG, en forme arrondie et en majuscules, et aussi, non loin, dans un rectangle en relief, la mention G-175, puis encore, levant et laissant mon regard traverser les cordes, d'abord le mot Trade, puis, séparé par une couronne de lauriers, celui de Mark, et légèrement en-dessous, en écriture gothique, YOUNG CHANG PIANO, suivi, dans une autre police, de YOUNG CHANG AKKI CO. LTD., pour terminer enfin avec l'inscription SEOUL. KOREA. Lien hautement improbable géographiquement car le spectacle BLANC prenait comme point d'appui L'empire des signes, un livre que Roland Barthes consacra au Japon, mais lien fortement en résonance avec la situation du solo que j'allais devoir affronter ce soir-là. L'écrivain français propose en effet dans son texte de se retrouver volontairement en prise directe avec le flux de la vie japonaise, où l’acte de porter un regard subjectif sur le Japon n’est en aucun cas une manière de photographier ce pays, mais plutôt une façon de se retrouver en « situation d’écriture », dans une position « où s’opère un ébranlement de la personne, un renversement des anciennes lectures, une secousse du sens, déchiré, exténué jusqu’à son vide insubstituable ». Situation d'écriture qui devient pour moi, ici, devant ce piano YOUNG CHANG et soumis au flux de mon propre environnement, situation de jeu, situation d'improvisation. J'aimerais faire mienne la proposition de Barthes lorsqu'il nous invite à « descendre dans l’intraduisible ». Comme il le propose, j'aimerais aussi pouvoir, à l'instant du solo, « arrêter le langage », c'est-à-dire atteindre ce nécessaire « vide de parole » qu'il évoque, et parvenir à « casser cette sorte de radiophonie intérieure qui émet continûment en nous, jusque dans notre sommeil ». Car c’est bien l’exemption du sens qui est au centre de la pratique du solo – mais cela vaut également pour les sons, la musique, en groupe – « exemption du sens, que nous pouvons à peine comprendre, puisque, chez nous, attaquer le sens, c’est le cacher ou l’inverser, mais jamais l’absenter. » Si le sens musical diffère du sens linguistique, son exemption n'en est pas plus facile. Un souhait : laisser le sens sonore et musical à lui-même et exprimer les sons « comme on presse un fruit ». Le choc, l'électrochoc de l'improvisation, quelle que soit sa durée, pourrait être celui que l'on éprouve à la lecture ou à l'écoute d'un haïku, où « le travail de lecture qui y est attaché est de suspendre le langage, non de le provoquer ». Pourtant loin de moi l’idée ou l'envie de donner une pertinence à un processus d'improvisation en suspendant « le langage sur un silence lourd, plein, profond, mystique, ou même sur un vide de l’âme qui s’ouvrirait à la communication divine [...], » car « ce qui est posé ne doit se développer ni dans le discours ni dans la fin du discours ». Etonnant, une nouvelle fois, d'observer combien la vision qu’offre Barthes de la vacuité formelle de cette forme poétique semble avoir été pensée pour l'improvisation : « le flash du haïku n’éclaire, ne révèle rien ; il est celui d’une photographie que l’on prendrait très soigneusement (à la japonaise), mais en ayant omis de charger l’appareil de sa pellicule. »
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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Isabelle Duthoit, Franz Hautzinger, Matija Schellander, Petr Vrba : Esox Lucius (Corvo, 2015)
Sous le signe du brochet – The International Nothing (Less Action, Less Excitement, Less Everything) ou Axel Dörner et Toshimaru Nakamura (Vorhernach) n’ont-ils pas, dans le genre improvisé, déjà démontré l’inspiration discrète du poisson ? –, Isabelle Duthoit (clarinette, voix), Matija Schellander (synthétiseur modulaire), Franz Hautzinger et Petr Vrba (trompettes, enceintes) improvisaient en 2012 à la radio tchèque.
En guise de transmetteur, un brochet, donc, même si une carpe aurait pu faire l’affaire : presque secrète, la conversation est en effet faite de strates dessinées par quatre pratiques instrumentales « rentrées ». L’abstraction musicale n’en est pas moins saisissante : un souffle peut ici perturber la surface des choses, une somme d’aigus la percer comme il arrive à la lumière de pénétrer l’eau d’un lac et ainsi d’en révéler quelques mystères.
Jouant d’un code morse inédit ou embrassant les instruments à vent à coups de graves profonds, Schellander manipule son instrument en prenant soin de ne pas trop provoquer l’art assuré de ses partenaires : peut-être est-ce ce qui donne à cette électroacoustique son caractère double, puisque deux mondes y évoluent en miroir avec une grâce confondante.
Isabelle Duthoit, Franz Hautzinger, Matija Schellander, Petr Vrba : Esox Lucius (Corvo Records)
Enregistrement : 2012. Edition : 2015.
LP : A1/ Drop Shot A2/ Sonnenblum A3/ Esox Lucius – B1/ Check Radio B2/ Precise Party
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Johannes Bauer, Isabelle Duthoit, Luc Ex : Bouge (CCAM, 2013)
Cette chronique inaugure une semaine dédiée aux bassistes à l'occasion de la parution, mardi prochain, du onzième hors-série papier du son du grisli : sept basses.
Pour vérifier que Luc Ex bouge encore, on peut le suivre en Bouge (ah !) avec la vocaliste Isabelle Duthoit et le tromboniste Johannes Bauer. L’expérience promet, je vous l’assure, en promet même de toutes les couleurs (sur vingt-et-un petits morceaux).
Ça commence par des sirènes et un morceau brut de décoffrage à la Ex (The)… la basse qui crache un motif accidenté, la voix qui aboie aigu et le trombone qui gronde saccadé. Impressionnant, et si la suite l’est un peu moins, elle l’est tout de même assez pour qu’on applaudisse le trio pour sa performance…
Car quand les deux hommes sont moins vaillants, Madame les pique au nerf. Pour ce faire elle siffle, s’insurge, gémit, râle, théâtralise, ou encore – pour citer des verbes qui ne tarderont pas à rentrer dans le Larousse – elle asiatise (japonise ou coréane), boise (à la clarinette) et même il arrive qu’elle talwègue… De quoi relancer la machine mâle, qui canarde pour faire front quand elle n’y va pas de main morte ave trombone-hache et médiator-cisailles !
Enfin, je ne vous quitterais pas sans avouer (quitte à laisser toute la parole à la Cécile qui est en moi) que la mélodie que Bauer a inventé « sur » Rosa a bien failli me tirer des larmes. Voilà pourquoi Bouge, croyez-moi, j’y reviendrai.
Johannes Bauer, Isabelle Duthoit, Luc Ex : Bouge (CCAM)
Enregistrement : Avril-Mai 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Krapplack 02/ Alizarine 03/ Capucine 04/ Cinabre 05/ Pourpre 06/ Ocer 07/ Amarante 08/ Sang 09/ Lava 10/ Vermillon 11/ Zinnoberrot 12/ Tomaat 13/ Carmin 14/ Coquelicot 15/ Rosa 16/ Roest 17/ Vuurrood 18/ Scarlet 19/ Ruby 20/ Aniline 21/ Kirsch
Pierre Cécile © Le son du grisli
Luc Ex emmènera ce vendredi 22 novembre à Nantes, Pannonica, un autre de ses projets, Assemblee, dans lequel entendre aussi Ingrid Laubrock, Ab Baars et Hamid Drake. Le samedi 23, le groupe se produira à Avignon, AJMI La manutention.
Jacques Demierre : Pièces sur textes (Héros-limite, 2009)
Musicien intéressé par la linguistique (avouant un faible pour les travaux de Ferdinand de Saussure), Jacques Demierre a déjà interrogé les rapports entre musique, mot et bruits de bouche – One Is Land s’inspirait par exemple des travaux de Robert Lax. Les trois livres-disques emboîtés dans Pièces sur textes le voient poursuivre ses recherches sur trois projets différents qui prennent le texte pour partition : trois livres qui ne se contentent pas de donner à voir ce que l’oreille entend : trois disques dont la musicalité ne sacrifie pas tout à l’expérimentation.
Trois projets, donc : 17, aux mots anglais disposés en colonnes ou nuages et chérissant une abstraction qu’agrémente Laurent Estoppey et Anne Gillot (aux saxophone, flûte et objets) ; The Languages Came First The Country After, que Demierre défend lui-même à la voix en compagnie d’Anne Cardinaud et Vincent Barras, récitation aux entrelacs envoûtants ; Save Our Ship, que la clarinettiste Isabelle Duthoit dispute au vocaliste Christian Kesten, duo jouant sur la lettre encore davantage que sur le mot, association babelisante trouvant enfin refuge sous des formules de souffles et de chuintements.
Comme on revient à une démonstration écrite pour se persuader de ses fondements, il faudra revenir à ces Pièces sur textes, les lire en les entendant et puis sans les entendre, les écouter avec ou sans livre à la main, les laisser filer parmi le reste des mille choses qui vous dépassent sur l’instant. Jusqu’à ce que l’incarnation du sens advienne (en boîte ou autre).
Jacques Demierre : Pièces sur textes (Editions Héros-limite)
Edition : 2009.
CD1 : 17 – CD2 : The Languages Came First The Country After – CD3 : Save Our Ship
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jacques Demierre, Isabelle Duthoit: Avenues (Unit Records - 2008)
Au son d’un infiniment petit né sur les cordes du piano, Jacques Demierre et Isabelle Duthoit introduisent Avenues, transformation sur disque de leur intense et récente collaboration en concerts.
A l’expressionnisme minimal de Demierre, Duthoit ajoute son usage expérimental de la clarinette et son art de la vocalise rentrée. Râles peu rassurants – voire, affolants – et aigus suspects alternent alors avec les plaintes d’une clarinette faisant de ses limites un prétexte à gémir davantage.
Mais le duo ne se répand pas seulement : imposant des silences à aller à son caractère, il y réfléchit pour constituer bientôt de superbes pièces de musique suspecte, née dans la douleur mais disparaissant béate une fois avoir atteint l’oreille de qui l’écoute. Entre les chocs et le silence, Avenues aura trouvé son passage et trouvé toute sa valeur.
CD: 01/ La neige est moderne 02/ Cohue de rêve 03/ La question dans le coup d'oeil 04/ L'arbre blanc 05/ Beaucoup est non disponible 06/ Arc bleu 07/ Le passé s'approche 08/ La neige provisoire >>> Jacques Demierre, Isabelle Duthoit - Avenues - 2008 - Unit Records.