Interview de Jonas Kocher
L'impressionnante actualité de Jonas Kocher – publication de nouveaux enregistrements (Koch / Kocher / Badrutt, Skeleton Draft, Rotonda et le tout récent Kocher / Manouach / Papageorgiou) et d'un livre augmenté d'un film (Quiet Novosibirsk) – valait bien qu'on s'arrête aux interrogations qui, aujourd'hui, influencent son esthétique. De quoi soumettre son instrument, l'accordéon, à un perpétuel bougement...
Quel est ton premier souvenir de musique ? Difficile d'évoquer un souvenir en particulier, il s'agirait plutôt de quelques impressions diffuses : mon père jouant quelquefois de l'accordéon le soir dans le salon familial, le cahier de la « Méthode Rose » sur le piano droit de ma mère, les chants de la chorale du village. Et je me rappelle aussi un disque dans la collection de mes parents : Movements d’Isaac Hayes. Ce LP me paraissait complètement incongru entre les disques de musique traditionnelle suisse, d’Elvis Presley et de Joe Dassin. Je n'ai jamais compris ce qu'il faisait là.
A quel instrument as-tu débuté ? Quelle musique écoutais-tu à cette époque ? J'ai commencé à jouer de l'accordéon à l'âge de 7 ans. Il y avait aussi un piano et une flûte à bec à la maison mais je n'ai jamais vraiment touché à ces instruments. J'écoutais la musique que mes parents écoutaient : variété française et musique traditionnelle suisse ; et, depuis l'adolescence, rock, pop et un peu de musique classique.
Comment es-tu arrivé aux musiciens qui ont influencé la pratique instrumentale qui est aujourd'hui la tienne ? C'est un long chemin... A l'âge de 14 ans, un prof d'accordéon m'a fait découvrir que l'on pouvait jouer de la musique classique avec cet instrument : des transcriptions de Bach, Mozart et aussi de la musique contemporaine ; cela a été une révélation pour moi. Jouer de la « vraie musique » a été un moyen de m'affirmer dans le milieu rural dans lequel j'ai grandi et où l'accordéon est vraiment réservé à la musique populaire. Tout en continuant de jouer dans l'orchestre d'accordéons local et de me produire lors de fêtes et autres soirées dansantes avec un accordéon (MIDI !) pour gagner quelques sous, j'ai commencé à travailler plus sérieusement des pièces baroques et de musique contemporaine. Puis j'ai fait le concours d'entrée au Conservatoire à 19 ans et j'ai été pris. Faire des études de musique professionnelles n'a jamais été un but, c'est arrivé un peu par hasard car mon prof de l'époque m'y a poussé et que ça me plaisait de jouer, mais jamais je n'imaginais devenir musicien. La rencontre avec le monde de la musique classique a été un choc ; j'ai écouté des heures d'enregistrements et assisté à de nombreux concerts, déchiffré toutes sortes de partitions ; je n'avais aucune idée de cet univers-là, tout était à découvrir. Très vite, j'ai été attiré par la musique contemporaine et spécialement par la musique écrite pour accordéon ainsi que par les partitions graphiques, le théâtre musical, etc. En 1998, j'ai participé à une performance in situ dans une vieille fabrique, avec d'autres musiciens. Cette performance a été composée et mise en scène par Daniel Ott, un compositeur suisse vivant à Berlin. Cela a été une expérience déterminante pour la suite et m'a clairement orienté vers le théâtre musical : Mauricio Kagel, Dieter Schnebel, John Cage... Puis, au tout début des années 2000, j'ai commencé à réaliser mes propres compositions scéniques. En 2000-2002, la rencontre avec Ruedi Häusermann, musicien et metteur en scène suisse allemand a été très importante aussi. Il vient de la scène improvisée des années 1980 et a été un collaborateur très proche du metteur en scène Christoph Marthaler. Avec lui j'ai travaillé sur des dynamiques extrêmement précises quelquefois proches du silence, des situations scéniques et des déplacements réglés au millimètre ainsi que sur une musicalité et un rythme global intégrant sons, musique, texte et mouvements. Juste après j'ai également côtoyé Georges Aperghis et travaillé régulièrement avec lui pendant une année. Mon intérêt pour l'improvisation s'est développé en parallèle au théâtre musical, laissant peu à peu de côté toutes les musiques écrites et tout naturellement j'ai fait connaissance et ai collaboré avec les musiciens qui m'intéressaient. Un bref passage par la musique électronique (un set-up analogique) m'a donné l'occasion de travailler le son d'une autre façon à un moment où je me trouvais dans une impasse avec l'instrument et en conflit avec mon bagage de musicien classique. Cela aussi a été une expérience déterminante qui m'a permis de revenir à l'accordéon avec une vision complètement renouvelée de mon instrument. Au même moment, en 2006, la rencontre avec Urs Leimgruber a eu lieu et un peu plus tard, en 2008, j'ai rencontré Michel Doneda avec qui j'ai beaucoup joué et voyagé et avec qui je collabore encore aujourd'hui. Ces deux rencontres ont été déterminantes dans la formation de mon langage en tant qu’accordéoniste et improvisateur. Mon chemin a été une sorte de longue dérive partant des rengaines d'accordéon dans les fêtes campagnardes pour arriver à l'improvisation et aux musiques expérimentales ; musiques qui m'ont permis de vraiment m'approprier un instrument avec lequel j'ai toujours eu une relation d'amour / haine.
Saurais-tu mettre des mots sur ce que t’ont chacun apporté et Leimgruber et Doneda ? Urs Leimgruber m'a fait découvrir l'intérieur du son et la façon dont on peut le faire évoluer au travers d'infimes variations. Ce focus extrême m'a permis d'épurer le son de mon instrument, d'aller vers son essence en laissant de côté les gestes instrumentaux et autres traits typiques à l'accordéon. Michel Doneda, de son côté, m'a apporté la culture du silence et de l'espace, de la fragmentation et des dynamiques extrêmes. Et aussi celle d'un engagement du corps dans la musique ; non pas au travers d'un jeu hyper actif mais dans un ancrage fort et terrien. Et enfin, Michel m'a transmis le goût des voyages et des rencontres ainsi qu'une ouverture et un intérêt marqué pour les contextes traversés.
Avec Doneda, tu as aussi pu interroger un autre de tes intérêts : l’exploration de l’espace de jeu. C’est ce que donne à entendre le disque Le belvédère du rayon vert, que Guillaume Tarche a ici joliment décrit comme un « travail in situ des phénomènes vibratoires »… Tu parles d’ailleurs de cet intérêt dans le livre Quiet Novosibirsk, mais cette fois envisagé avec Gaudenz Badrutt… Oui, la notion d'espace, dans le son et la musique mais aussi l'espace en tant que lieu du concert est très important dans ma pratique. J'ai certainement développé cela en premier lieu avec mon travail sur le théâtre musical dans lequel le corps et la présence sont primordiaux, puis avec le travail sur le son et sa projection dans l'espace ainsi que l'intégration intuitive des qualités de l'espace dans le jeu avec mes collaborations avec Doneda. Ces dernières années cet aspect s'est encore intensifié au travers de mon travail régulier avec des danseurs et des plasticiens. Le son, les corps, l'architecture et l'espace devenant des éléments structurants à part égale dans une performance. La réalisation de bandes-son pour le théâtre et la danse ainsi que le mixage du son m'ont également beaucoup permis de travailler le son dans l'espace. Aujourd'hui, en concert, j'utilise beaucoup de dynamiques extrêmes afin de créer des effets de profondeur ou de proximité avec le son de mon instrument. Couplé à une écoute globale et intégrative du contexte, cela permet de jouer de façon très connectée avec l'endroit ; chaque concert devenant en soi une performance in situ. Ce travail sur l'espace est fait de façon très intuitive et empirique, il demande une vraie ouverture mentale et physique au contexte. Bien plus que d’être « seulement » un travail sur le son, cette ouverture représente aussi pour moi une attitude par rapport à la vie et aux événements en général.
Je crois avoir ressenti l’influence de ton travail en lien avec le théâtre une fois sur scène, à l’occasion de cette improvisation que tu as donnée à Mulhouse avec Jacques Demierre et Axel Dörner… Tu adoptais parfois de grands mouvements qui pouvaient perturber l’équilibre de votre association. Envisages-tu toute improvisation comme une performance, de musicien mais pourquoi pas aussi d’ « acteur » ? Je vois la pratique de l'improvisation comme un acte performatif intégrant de nombreux paramètres et éléments qui dépassent le jeu instrumental. Par contre, je ne la vois pas comme une performance d’acteur mais bien comme quelque chose de plus large. Il y a des corps en action avec différents niveaux d'activités liés à la production du son, tout comme il y a un espace, une acoustique et la présence du public. Quant à mes mouvements du corps, ils sont la résultante d'une certaine façon de produire du son, d'une envie de projeter le son de l'instrument – ce qui ne va pas forcément de soi avec l'accordéon. À l'autre extrême, je peux aussi devenir complètement immobile tout en produisant des sons très linéaires ; la concentration et la présence générée par le rapport son-corps-instrument seront ainsi complètement différentes. Ces extrêmes sont pour moi comme autant de possibilités de variations d’un langage afin d'avoir un spectre de jeu le plus étendu possible allant du silence au son projeté dans l'espace avec force. Pour revenir à mon influence issue du théâtre musicale, celle-ci a plutôt été de l'ordre de la découverte essentielle que tout peut devenir signifiant dans la musique et non pas seulement le jeu instrumental. Quand j'ai réalisé cela, ma façon d'approcher la musique, l'instrument, la scène, l'écoute, etc. a pris une toute autre direction et plein de portes se sont ouvertes, dont l’improvisation.
Dans un échange avec Jacques Demierre et Gaudenz Badrutt, que l’on peut lire dans Quiet Novosibirsk, tu dis justement : « Quoi que tu fasses, tu es toujours confronté à ta propre façon de jouer. » Les habitudes, les tics voire les trucs du musicien, sont-ils selon toi des handicaps ? Portes-tu un intérêt majeur au renouvellement de ton « langage », si ce n’est à celui de ta musique ? Je considère ma pratique comme quelques chose en évolution permanente ; qui s'enrichit constamment des rencontres avec de nouveaux musiciens comme du travail régulier avec d'autres, des échanges, expériences et découvertes en tous genres et ne provenant pas uniquement du domaine musical. Au départ, il y a une certaine vision de l'instrument, de la façon dont j'ai envie qu'il sonne et qu'il s'anime et il y a ensuite toutes ces influences qui font bouger cette base, voire qui la remettent parfois en question. J'aime les situations qui me poussent à aller ailleurs, à aller plus loin que ce que je ferais habituellement ; j'aime aller là où ce n'est pas toujours confortable pour voir ce qui se passe et comment je m'en sors, comment je m'adapte ou quel aspects de mon langage se modifient au contact du contexte. Je ne pense pas que les « trucs » du musiciens soient des handicaps, du moment qu'ils restent des outils flexibles et qu'ils sont remis en question. Si ces « trucs » sont figés, alors là ça peut très vite devenir stérile et la musique va se vider de sa substance. Il me semble qu'il y a un équilibre constant à trouver entre ce qui est acquis et ce qui nous pousse à nos limites et à les dépasser. Il y a quelques années, j'avais un jeu très réduit, voir réductionniste. J'avais besoin de passer par cela à ce moment là pour faire sonner l'instrument autrement ainsi que pour expérimenter le silence. Puis des rencontres avec d'autres musiciens ainsi qu'une réflexion sur l'instrument et sur une façon de faire un peu dogmatique qui me semblait s'établir dans certaines scènes de la musique improvisée, m'ont amené à revenir à un jeu plus accordéonistique , soit plus dans le médium de l'instrument, les accords, voir presque à des traits mélodiques quelques fois. Je constate que mon langage s'est ainsi passablement modifié ces dernières années, sans pour autant changer fondamentalement. Je vois ces changements comme autant de variations qui enrichissent mon jeu. Un jeu actif et direct ne m'empêche pas de rester soudainement suspendu sur un filet de son très aigu et pianissimo, tel une onde sinusoïdale. Je ne me mets pas trop de limites stylistiques mais j'essaie de rester ouvert et d'être le plus honnête avec moi-même, quitte à aller certaines fois dans des impasses. J'aime les zones grises, les situations un peu instables là où les choses ne sont pas forcément clairement définies. Se mettre en danger, chercher, voire errer ou se perdre quelques fois, cela génère selon moi une énergie certaine et remet constamment les choses en question, rien n'est jamais acquis.
Les « trucs » dont je parle ne sont pas tous regrettables, certains peuvent par exemple être nécessaires à tel ou tel musicien pour aborder une improvisation moins « codifiée ». Mais ils peuvent aussi parfois nourrir et afficher une liberté fantoche – comme le disait Bacon de la peinture, on peut parfois avoir l’impression que la musique a été libérée mais que « personne ne sait quoi faire de cette liberté », impression que le grand nombre de documents publiés n’arrange pas. Comment envisages-tu l’objet-disque, toi qui es musicien et gères ton propre label ? Vois-tu chacun des enregistrements que tu publies comme un beau souvenir ou comme un document qui attesterait au moins un peu d’inédit dans ta manière de faire… Je vois la publication d'enregistrements comme une façon de documenter régulièrement le travail et ses multiples variations, même si des fois je trouve cette masse de documents sonores qui a explosée ces dernières années un peu absurde... Quant à mon propre label, Flexion records, il est en stand-by pour le moment car je dois me concentrer sur mes activités plutôt que de produire celle des autres musiciens, l'énergie et le temps me manquant pour travailler pour les autres. Je publie donc de plus en plus de choses au travers de ma structure BRUIT avec laquelle j'organise un certain nombre de projets et tournées. Les publications peuvent être assez variées sous leurs formes mais elles sont toujours en rapport avec les activités organisées. Concerts, tournées, projets interdisciplinaires et publications, tout cela fait partie d'un tout.
Quand nous avons envisagé cette conversation, tu m’as dit que cela tombait assez bien car la dernière interview que tu avais donnée commençait à dater et que, depuis, « les choses avaient bougé ». Peux-tu me dire quelles sont ces choses, et comment tu ressens ce « bougement » ? Comment envisages-tu, aujourd’hui, la suite de ta pratique musicale ? Ce « bougement » correspond surtout aux diverses influences et rencontres de ces dernières années qui me font repenser ma relation à l'instrument et à ma pratique en général. Je suis de moins en moins intéressé par le fait de m'engager dans une seule et unique direction esthétique, comme j'ai pu le faire dans le passé. J'ai besoin de travailler de façon intégrative, d'élargir mon jeu et ma vision ; cela passe par des collaborations avec des musiciens et artistes d'autres provenances car je pense que les personnalités sont plus importantes que les différentes esthétiques que l'on aime bien catégoriser. Des rencontres avec des musiciens tels que Joke Lanz ou Ilan Manouach et des danseurs illustrent bien cette tendance. Je me pose aussi un certain nombre de questions quant à la scène dans laquelle j'évolue, ses limites, une forme d'épuisement par saturation et répétition de nombreuses choses identiques, voir même quelques fois une certaine complaisance de chacun dans son petit territoire. Quelle pertinence pour ces pratiques au sein d'une société plutôt que seulement au sein d'un petit cercle d'initiés où l'on se congratule régulièrement les uns les autres? Je me questionne aussi quant au système de subventions qui me permet de vivre en grande partie de ma musique et qui lui aussi à tendance à changer... Comment trouver sa place là-dedans ? Comment garder une pratique sur la durée sans faire de concessions et sans tomber dans la précarité ? Comment se renouveler et s'affirmer sans s'enfermer sur son propre univers ? Ma pratique et mon jeu changent aussi en fonction des questionnements et des changements que nous vivons actuellement aux niveaux sociaux, économiques et politiques. J'aime remettre les choses en question régulièrement tout en restant le plus possible ouvert ; je pense qu'il y a là une attitude générale qui me porte et me pousse en avant. J'envisage donc la suite de ma pratique musicale comme une chose en mouvement, transversale mais dont je ne sais pas où elle m'amène.
Jonas Kocher, propos recueillis en avril et mai 2016
Photos : droits réservés & Dimitris Mermigas
Guillaume Belhomme @ le son du grisli
Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov : Quiet Novosibirsk (BRUIT, 2016) / Pascale Van Coppenolle : Dynamisch (2015)
De cette tournée faite en Russie en compagnie d’Ilia Belorukov – 31 août – 10 septembre 2014 – dont Rotonda documentait récemment encore la station pétersbourgeoise, Jonas Kocher et Gaudenz Badrutt ont fait un livre et un film – le second étant à trouver, sur DVD, dans le premier.
Au début du film, long d’une demi-heure, des paysages défilent sur la musique du trio. L’improvisation est donc en train – de se faire (captations de concerts) ou sinon de se préparer (la musique n’est alors plus qu’un des éléments du voyage, au même titre qu’une bribe de conversation, qu’une image qui raconte un peu du pays, qu’une autre image qui n’en dit rien…).
Au résumé impressionniste, spontané et défait, qu’est le film, le livre oppose ses multiples facettes, qui renvoient des photos de Lucas Dubuis – lui aussi du voyage – intéressées autant par l’événement et ses à-côtés que par l’acte fortuit ou la rencontre imprévue, un lapidaire carnet de bord (date, endroit, musique de fond, ambiance) tenu par Belorukov, une conversation datée du 23 décembre 2015 entre Jacques Demierre, Kocher et Badrutt, enfin, un texte du musicien Alexander Markvart, qui démontrerait qu’en Sibérie on improvise aussi. A la date du 5 septembre, Belorukov note : « Fine concert ». C’est justement ce qu’on était venu chercher.
Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov
Alexander Markvart, Jacques Demierre, Lucas Dubuis
Quiet Novosibirsk. Spsan. Amplifier. Food. Long Day
BRUIT / AUS AM GERN
Edition : 2016.
Livre + DVD : Quiet Novosibirsk
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Comme le souligne le sous-titre de ce disque double, l’organiste Pascale Van Coppenolle profite là de l’exceptionnel – car à vent dynamique – instrument du Temple Allemand de Bienne. Interprétant une sélection de pièces classiques sur le premier disque, elle improvise sur le second : seule ou en duo avec Hans Koch (clarinette basse), Hannah E. Hänni (voix), Luke Wilkins (violon) et Jonas Kocher (accordéon). Autrement inventif, l’orgue rôde entre les graves tremblants de la clarinette, se fraye un chemin entre les souffles claquants de l’accordéon ou compose, avec Hänni, un air qui rappelle Bryars ou Pärt.
Pascale Van Coppenolle : Dynamisch. Die Orgeln der Stadtkirche Biel
Tulip Records
Edition : 2015.
2 CD : Dynamisch. Die Orgeln der Stadtkirche Biel
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Listening (Lenka lente, 2016)
L'impossibilité que soit chroniqué ce livre en ces pages n'interdit pas d'en extraire un chapitre, en l'occurence l'avant-propos à ce carnet de route écrit par Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips pour le son du grisli, qui aura été revu, corrigé et même augmenté en vue de sa publication. Le livre est disponible sur le site des éditions Lenka lente.
6 avril 2016, Nantes, France
Maison
En 2013, Jacques Demierre et moi avons échangé une correspondance qui a peu à peu abouti à une « conversation » que John Zorn a ensuite publié, traduite en anglais, dans le septième volume de sa revue Arcana (« Jacques Demierre in conversation with Guillaume Belhomme », Arcana VII, Musicians on Music, Hips Road, 2014). Dans celle-ci, nous abordions entre autres choses l’histoire du LDP trio que le pianiste forme avec Urs Leimgruber et Barre Phillips : « un lieu incroyable de confiance et d’expérimentation », y dit Demierre. Plus loin, il précise : « C’est le mécanisme de la mémoire qui me permet de dire que le trio LDP joue un unique concert qui continue depuis bientôt quinze ans. Le silence entre chaque performance est simplement d’une durée un peu plus longue que celle des silences joués sur scène. Car l’écoute que nous avons du trio ne cesse pas le concert une fois terminé, elle se prolonge, elle tisse sans cesse un lien dynamique avec la mémoire, jusqu’à la prochaine rencontre live des trois musiciens. »
En 2015, les musiciens connurent d’autres rencontres, commandées par les dates de la tournée LISTENING qui célébra, en Europe et aux États-Unis, les quinze ans de leur LDP et les quatre-vingts d’un des trois éléments qui le composent (le « P »). Afin de marquer ce double anniversaire, je proposai à Demierre, Leimgruber et Phillips de tenir pour le site internet le son du grisli un carnet de route qui dirait du trio, autrement qu’en musique, les expérimentations nouvelles aussi bien que les aléas du voyage. Chacun dans sa langue, les musiciens s’y sont tenus, tant et si bien qu’il m’a bientôt semblé nécessaire de publier sous la forme d’un livre ce témoignage exceptionnel d’une des formations les plus intéressantes à œuvrer dans le champ de la musique improvisée. A lire le carnet de route du LDP, on croit d’ailleurs maintenant l’entendre ; à moins que ce ne soit le souvenir de leurs enregistrements qui remonte au gré des étapes et nous presse, à chaque page, d’y retourner…
1↦3⊨2:⇔1 (Jazzwerkstatt, 2015)
MONTREUIL (Jazzwerkstatt, 2012)
WING VANE (Victo, 2001)
LDP 2015 : Carnet de route, épilogue
Daté du 6 avril dernier, ce message de Barre Phillips referme le carnet de route que le trio LDP a adressé au son du grisli au gré des dates de la tournée LISTENING. Le mois prochain, le carnet de route, revu et augmenté, paraîtra aux éditions Lenka lente.
6 avril 2016, Puget-Ville, France
Slash and burn, slash and burn. Name of the game. We played "burn baby burn" during June & July 2015. Getting past that, re-surface, re-constitution, re-orientation, took months and months, is still going on today, and may take the rest of my earth-planet time. And then, just for good measure, the 10th of December 2015, a hearty dose of slash, just to be sure. There is no such thing as a minor operation in the surgical world.
I'd hate to have to find out what a major operation consists of. Dangling bits.
All my adventures with the medical world have been very rough and have plundered the life of the Ldp Anniversary Tour. But my friends have risen to the occasion in very inventive, supportive & life saving ways. Saving the life of the trio and its music. Giving it a deeper meaning than ever before and creating a future that will carry on until the last drop, the last sigh, the last stroke. God bless the child.
B. Ph.
Urs Leimgruber Jacques Demierre Barre Phillips : 1↦3⊨2:⇔1 (Jazzwerkstatt, 2015)
Dans le livret du disque, Barre Phillips explique la formule qui aura inspiré, si ce n’est guidé, ce nouvel enregistrement du LDP qu’il forme avec Urs Leimgruber et Jacques Demierre. « Mathématique », celle-ci : 3 individus ne font plus qu’1 (le trio) dans l’idée de faire 2 avec le public ; après quoi – ce concert enregistré le 10 mai 2012 à Uster, Suisse, par exemple – chaque individu fait à nouveau 1 et même : un nouveau 1, qui ne sera plus jamais le même.
En conversation, Demierre explique de quoi retourne ce passage de 3 à 1 : « les musiciens du trio (sont) plongés au cœur de ce concours de circonstances transitoires et sonores. Chaque musicien est conditionné par les deux autres, sans pour autant en être dépendant. » La transformation opère-t-elle pendant les premières secondes du concert ou avant même que celui-ci ne démarre ? C’est-à-dire : est-ce le 3 ou le 1 que l’on plonge dans ce « concours de circonstances » qu’est la représentation ?
Même si les coups sont volontaires, le trio évolue d’abord aux portes du silence sur la première des quatre plages qu’il organisera ce soir-là. Sur celles-ci, on goûtera d’autres combinaisons dont l’équilibre est l’atout principal : Demierre peut aller et venir à même les cordes de son instrument ou distribuer quelques clusters, Leimgruber y faire ricocher ses notes de soprano ou mettre en marche celles de son ténor, Phillips embrasser l’ensemble d’un archet grave et rond – de ce 1 construire la carapace – ou s’abandonner à une intention tranchante davantage… Et si les mathématiques nous apprennent que l’important ne se trouve pas tant dans le résultat que dans l’opération, la formule du LDP fait, une fois encore, exception à la règle.
LDP : 1↦3⊨2:⇔1
Jazzwerkstatt
Enregistrement : 10 mai 2012. Edition : 2015.
CD : 01/ Humming Hubs 02/ Hosses Held 03/ Glorious Gusts 04/ Warki
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #44
C'est à Poitiers qu'Urs Leimgruber, Jacques Demierre et, malheureusement par procuration, Barre Phillips, terminaient l'année 2015 et, avec elle, Listening, longue tournée qui chanta les quinze ans de leur trio, ldp. Si les quarante-quatre stations de leur odyssée peuvent être lues et relues au son du grisli, leur carnet de route polyglotte paraîtra, dans une édition revue voire corrigée, en avril aux éditions Lenka lente – le livre peut d'ores et déjà être précommandé à cette adresse. Merci à Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips, et longue vie au trio ldp dont nous ne manquerons pas de fêter les 20 ans en 2020 !
11 décembre, Poitiers
Carré Bleu
“Hey guys – Operation & everything going fine. I’m still in the hospital but hopefully will get out tomorrow, XOXOX“... “Good boy, Barre. We are with you to play the final concert!“
Love, Urs... “Yes, yes – Waves of sound!”
Heute ist Barre im Spital in Toulon, ihm sind die Lymphknoten am Hals operiert worden.
Wir sind froh, dass die Intervention offensichtlich gut verlaufen ist. Die Stimmung im Saal steigert sich. Es kommen viele junge und alte Leute – Liebhaber der freien Improvisation. Einige kommen von weit her, eineinhalb Stunden Fahrtzeit zum Konzert Jazz à Poitiers Carré Bleu ist ein langer Weg. Der historische Ort für Jazz und improvisierte Musik wurde vor siebzehn Jahren von Bernard Prouteau gegründet und anschließend von Matthieu Périnaud und seinem Team weitergeführt.
« Jazz à Poitiers. Jazz donc, mais pas que. Ou en tout cas dans ses formes les plus contemporaines. Ce qui s’invente aujourd’hui dans les champs jazzistiques et ses nombreux affluents. Mais aussi, et surtout, musiques improvisées. Et toutes les esthétiques connexes qu’une telle pratique peut irriguer. Free, noise, contemporain, rock, électro... Et au-delà des étiquettes, la volonté depuis 1997 de présenter au public des artistes et des pratiques trop souvent boudés par les médias. Soyez curieux ! »
Ich beginne aus dem Nichts und spiele geräuschhaft das Sopran. Kontinuierlich in und out.
Multiphonisch und rhythmisch abstrakt, mit Luft gegen den Ton, flatternd und mit Slaps, hoch und tief, lang und kurz, leise und laut, hart und weich und mit natürlichen feedbacks... die Improvisation entsteht, indem sie entsteht. Ein Bogen von fünfzehn Minuten, solo.
Jacques schließt an. Heute steht ihm ein Steinway & Sons, D, 501760 zur Verfügung. Sheets, waves and beats of sound auf der Klaviatur, sowie im Innern des Instruments. Er spielt mit seinen Händen auf den Tasten und mit den Saiten im Innern des langen Flügels extensive Glissandi. Klänge werden zum Objekt. Sein Spiel ist extrem dynamisch, rhythmisch, atonal, eruptiv und grenzenlos. Es spielt ein ganzes Orchester, kraftvoll und radikal. Am Schluss spielt er plötzlich eine kurze Melodie, dann folgt Stille – und ein tiefer, dumpfer Ton klingt aus... Barre solo, auf Video aufgenommen in der Chapel St. Philomène, erzählt, wie er als Kind den Klang und den Raum für Freiheit entdeckte, wie er den Kontrabass kennenlernte und wie Musik zu seinem Lebensinhalt wurde. Anschließend folgt ein Ausschnitt von einem Solokonzert im Porgy & Bess in Wien. Zum Schluss beginnen Jacques und ich, während eines längeren crossfade zusammen mit Barre und im Geist des Trios zu spielen, extensiv bis zum Ausklang.
Das Konzert im Carré Bleu ist unser letztes der Jubiläums-Tour. Wir blicken und hören auf ein ereignisvolles Jahr zurück. Das lange Stück ohne Anfang ist noch lange nicht zu Ende.
U.L.
En solo ce soir, pour un temps, face à un STEINWAY & SONS, un STEINWAY & SONS modèle D plus précisément, arborant le numéro 501760. En solo et jouant le dernier piano à queue du dernier concert de la tournée LISTENING : fin du Carnet de route – nous le savions, le cadre avait été donné – mais continuation intense et intime du ldp spirit. Pour autant, pas de grand soir révolutionnaire, presque rien de spécial, ou plutôt, au contraire, je dirais que tout est spécial, comme à chaque fois où la balle est remise en jeu et où l'urgence de l'expérience nous engage ensuite à réfléchir et à préciser notre pensée. En solo, justement, chaque moment de jeu relève de l'exception et est remarquable d'unicité. En solo, à chaque instant joué, le rapport entre l'action sonore et celui ou celle qui la produit se trouve modifié. En solo, toujours, à chaque performance est questionnée la connaissance de la situation qu'offre la pratique du sonore. Il faut sans cesse préciser son propre geste, le rythmer, lui trouver sa propre économie, en solo, afin d'épouser le flux des modifications continuelles. Tout comme la perception de la vie elle-même que chacun aiguise et épure en voulant unifier les différents chemins, ceux du corps et de l'esprit confondus, conduisant les actions sonores. En solo, enfin, pour donner corps aux sons, manière de recréer le monde à petite échelle, la division et l'éparpillement sont évités et, au moment de jouer, il y a actualisation, dans un mouvement unificateur, de ce qui devient forme de la réalité. Et c'est de l'intérieur, dans l'action même et dans une circulation corporelle recomposée et naturellement agissante, que jaillissent spontanément les sons.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE
LDP 2015 : Carnet de route #43
L'heure de la tournée a sonné. Ce sont ici les dernières dates de LISTENING : le 10 décembre, à Bâle, Urs Leimgruber et Jacques Demierre apparaissaient, sans Barre Phillips, en solo mais avec une même envie : improviser encore, quels que soient les antécédents (Twine), quel que soit le chiffre (et même : le temps).
10 décembre, Bâle
FIM
Jeder spielt solo. Jacques beginnt an einem upright Klavier Marke „pearlriver, 807158“ mit schnellen, tonalen, minimalistischen Bewegungen auf der Klaviatur. Sein repetitives Spiel erinnert mich an die Klavier Musik von La Monte Young der 60er Jahre. Ich war gerade 17 Jahr alt, als ich diese Musik am Radio hörte, sie wirkte magisch und zog mich sofort in ihren Bann. Das Repetitive hat mich inspiriert, und ich versuchte diese Spielweise sofort auf meinem Saxophon umsetzen. Durch Roland Kirk habe ich dann die Zirkularatmung entdeckt. Jahre danach, habe ich angefangen sie im Solo Spiel einzusetzen. Durch diese für mich neue Technik war ich imstande, mein Spiel vorzugsweise mit Obertönen und Mehrklängen zu erweitern. Später hörte ich Evan Parker das erste Mal live in Willisau. Er spielte zusammen mit Alexander von Schlippenbach, Peter Kowald und Paul Lovens. Ich war beeindruckt wie Evan die Zirkularatmung und diverse anderer Ansatztechniken zum Einsatz brachte, während er zeitgleich in der Gruppe mit Chris Mc Gregor The Brotherhood of Breath noch um einiges konventioneller spielte. Die Flatterzungen-Technik hat mich an das Spiel von Pharoah Sanders mit John Coltrane Meditations / Live at the Village Vanguard erinnert, wo Sanders in den höchsten Lagen eine unübliche Zungentechnik einsetzt. Evan ist ein Pionier, er hat das Saxophonspiel in der nach Coltrane Phase, ausserhalb des Freejazz unverkennbar radikalisiert und weiterentwickelt. Er spielte mit John Stevens und er gründete mit zusammen Derek Bailey die Music Improvisation Company und das Schallplatten Label Incus. Die Zusammenarbeit, welche aus diesen Aktivitäten hervorgegangen ist, ist musika-lisch und historisch von grosser Bedeutung. Eine Art Geburtsstunde der europäischen improvisierten Musik, während sich andere europäische Musiker, wie Peter Brötzmann, Han Bennink, Peter Kowald, Fred Van Hove und die Amerikaner George Lewis, Anthony Braxton ähnlich mit Musik beschäftigten.
Mitte der 70er Jahre, habe ich aufgrund meiner Aktivität in der Gruppe „OM“ Evan etwas aus den Augen und den Ohren verloren, um eigene Wege zu gehen. Ich habe mir während dieser Zeit bewusst andere Instrumentalisten – Streicher, Sänger und Komponisten als Saxophon-isten angehört. Jazz, indische und afrikanische Musik, Strawinsky, Varése, Stockhausen, Ligeti, Berio, Nono und die ganze New York School. In den neunziger Jahren, während meiner Zeit in Paris habe ich Evan in wechselnden Gruppen im Instants Chavirés wieder erlebt. Später erinnere ich mich an eine Begegnung am Festival in Parthenay in 2004, als Even das Trio mit Barre und Jacques hörte. Er war von der Musik des Trios beeindruckt und hatte uns gebeten ihm eine Aufnahme zu zuschicken, um auf seinem Label PSI als CD zu veröffentlichen. 2005 haben wir die CD ldp – cologne auf Evan’s Label veröffentlicht. Für ein Zusammenspiel mit Evan im Duo kam es dann 2007. Die ersten paar Töne zusammen mit ihm im Konzert bleiben mir in sehr guter Erinnerung. Sie waren gezeichnet von grosser Offenheit, Leichtigkeit und Musikalität. Evan kam mir vor als sanfter Koloss. Während einer Tournee spielen wir im Loft in Köln. Das Konzert wird aufgenommen und als CD Twine bei Cleanfeed Records veröffentlicht.
Nach den beiden Solos zeigen wir das Video mit Barre, anschliessend spielen wir im Duo. Am Ende des Stücks schiebt Jacques das Klavier spielend nach hinten, dann auf die Seite und hinter den Vorhang. Er beginnt an zu pfeifen ... er kommt zurück auf die Bühne setzt sich auf einen Stuhl, macht Klänge mit seiner Stimme und setzt mit Lautpoesie ein, dabei spiele ich das Sopransaxophon.....
U.L.
Un piano à queue, brun clair et fermé à clef, donnait l'impression de vouloir forcer vainement l'entrée du lieu où nous allions jouer ce soir-là en duo avec Urs, Barre ayant dû renoncer, une nouvelle fois pour des raison de santé, à terminer cette tournée. Le mot SAFES brillait en lettres majuscules au-dessus d'une lourde porte en fer forgé. Celle-ci franchie, la descente fut brève et quelques marches plus bas, je découvris à ma droite, la salle de concert et à ma gauche, la salle des coffres. Une horloge sans chiffres, sans aiguille des minutes et au temps arrêté, distillait une ambiance étrange. Elle indiquait environ 10 heures 59. AM? ou PM? Cette absence de chiffre, de mouvement, ce doute, me sont apparus comme une menace silencieuse. Si il y avait une chose à laquelle je ne m'étais pas attendu en pénétrant dans ce SAFE, c'était à faire l'expérience d'un tel trouble. Mais le saisissement fut de courte durée. Autant la salle de concert que la salle des coffres – tendrement appelée Tresor sur les plans du lieu, sans accent aigu – allaient m'offrir des chiffres à profusion. Ce furent d'abord les colonnes entières de nombres gravés en sombre sur de petites plaquettes de métal brillant fixées sur la face de chaque boîte de dépôt
1024 1025 1211
1029 1030 1216
1034 1221
1039 1040 1226
1045
1049 1050 1236
1054 1055 1241
1059 1060 1246
1064 1065
1069 1070 1256
certaines plaquettes brillaient d'un éclat particulier, peut-être dû à l'éclairage irrégulier de l'espace
1826 1827
1829 1830
1832 1350
1835 1836
1838 1839
1841 1842
1844 1845
1847 1848
1850 1851
1853 1854
1857
Etourdi par l'accumulation de ces verticalités légèrement agressives, je rejoignis le piano droit chinois pearlriver déjà installé au milieu de la petite scène. Comme un rituel maintenant bien rôdé depuis le début de la tournée, je repérai, notai et photographiai les indications graphiques tatouées sur le corps de l'instrument. A chaque coffre, comme à chaque piano, son numéro, ici le 807158. Mais le paysage avait complètement changé, j'avais devant moi, une fois la structure de bois du piano élaguée au maximum, une étendue horizontale de nombres alignés, allant de 1 à 88, imprimés à même le bois de chaque marteau. Trois sections, aux directions cardinales légèrement différentes, divisaient l'espace séparant les cordes verticales du clavier. Sur ma gauche
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
puis, devant moi
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 535 54 55 56 57 58 59 60
enfin, sur ma droite
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88
Nous avions prévu deux solos. Assis face à l'instrument, je lus soudain une suite infinie de chiffres. Puis plus rien : j'avais commencé à jouer.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 0 1 1 1 2 1 3 1 4 1 5 1 6 1 7 1 8 1 9 2 0 2 1 2 2 2 3 2 4 2 5 2 6 2 7 2 8 2 9 3 0 3 1 3 2 3 3 3 4 3 5 3 6 3 7 3 8 3 9 4 0 4 1 4 2 4 3 4 4 4 5 4 6 4 7 4 8 4 9 5 0 5 1 5 2 5 3 5 5 4 5 5 5 6 5 7 5 8 5 9 6 0 6 1 6 2 6 3 6 4 6 5 6 6 6 7 6 8 6 9 7 0 7 1 7 2 7 3 7 4 7 5 7 6 7 7 7 8 7 9 8 0 8 1 8 2 8 3 8 4 8 5 8 6 8 7 8 8
Urs m'a dit avoir entendu des réminiscences de La Monte Young. Toujours des chiffres. Serait-ce ce chapelet horizontalement tendu devant mes yeux qui m'aurait poussé inconsciemment à un geste sonore minimaliste, mais tempéré, après avoir réactivé en moi certains exemples de proportions chiffrées du Well-Tuned Piano lus récemment ?
49/32 147/128 441/256 1323/1024
7/4 21/16 63/32 189/128 567/512
1/1 3/2 9/8
(transcription: Wolfgang von Schweinitz)
Mais ce ne sont que spéculations extérieures et incertaines, je n'en sais au fond rien. Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'il n'y a pas d'autre lieu que le lieu de l'action, de l'action sonore en l'occurrence, pour que les choses se passent, que les choses soient modifiées, qu'elles soient saisies et subissent les véritables transformations, afin qu'en retour elles nous révèlent leur propre et nouvelle existence.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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LDP 2015 : Carnet de route #42
Retour à Genève pour le Trio ldp : au même endroit (AMR) que le 23 mai 2015, les musiciens retournaient le 5 décembre. C'est pour Jacques Demierre, qui joue à domicile, l'occasion de parler des nouvelles difficultés avec lesquels doivent faire les acteurs culturels, en Suisse comme ailleurs dans le Monde.
5 décembre, Genève
AMR
Der Verein (AMR) wurde 1973 von Musikern gegründet mit dem Ziel die Entwicklung und die Praxis von Jazz und improvisierter Musik, vorallem afroamerikanische Musik in Genf und in der Region durch Schulung, Unterstützung und Verbreitung zu fördern.
In den frühen 70er Jahren hatte ich die Gelegenheit mit der Gruppe „OM“ im Rahmen eines AMR Festivals, organisiert von dem damaligen Geschäftsführer François Jacquet und Musikern der Organisation zu spielen. François war eine führende Persönlichkeit, der sich mit Geist, Leib und Seele und grossem Einsatz für die improvisierte Musik engagiert hat, zu einer Zeit als noch eine Kulturgrenze zwischen der französisch und deutsch sprechenden Schweiz, dem sogenannten Röstigraben bestanden hat. Während dieser Zeit war es ganz schwierig Gruppen aus Zürich in Genf zu präsentieren und umgekehrt Musiker aus der welschen Schweiz in die Zentral Schweiz zu bringen. Heute gibt es für junge Jazz Musiker und Gruppen mit Diagonales ein bewährtes Gefäss, um aktuelle Projekte im Kulturaustausch in den verschieden Sprachregionen vorzustellen. Früher in den 70er Jahren, als eine Annäherung stattgefunden hatte, hat man sich unter Musikern oft englisch unterhalten. Das Französisch der Deutschschweizer war oft nicht ausreichend, um sich französisch zu verständigen. Umgekehrt gab es nur ganz wenige suisse romands die Deutsch sprachen, die andern wollten erst gar nicht deutsch reden oder kannten die Sprache nicht, und Schweizer Deutsch haben sie mit Sicherheit nicht gesprochen. Der einzige waschechte französisch sprechende Schweizer Musiker den ich kenne, ist Bertrand Denzler. Er spricht Akzent frei Schweizer Deutsch und Hoch Deutsch. Er hat in Zürich studiert hat, und er spricht diese Sprachen fliessend und perfekt, und dazu ist er ein sehr innovativer Musiker und Saxophonist. Ihn habe ich in den 90er Jahren in Paris kennengelernt.
Später gab es Kulturaustausch Projekte zwischen der deutschen und französischen Schweiz. In einem dieser Projekte, anfangs der 80er Jahre hatte ich das erste mal die Gelegenheit mit Jacques Demierre zu spielen. Das war der Anfang unserer musikalischen Zusammenarbeit. Im Anschluss ist diese Gruppe 1984 zusammen mit Maurice Magnoni, Bobby Burri und Joel Allouche für ein Konzert an das Jazzfestival Willisau eingeladen worden. Seither war ich immer wieder Gast im AMR, während einer Zeit wo Dominique Widmer die Administration geführt hatte und später der Historiker Christian Steulet für das AMR zuständig war. Seit der kontinuierlichen Zusammenarbeit mit Jacques im Trio ldp und mit der Gruppe 6ix und anderen Projekten bin ich regelmässig für Konzerte ins AMR zurück gekommen. Der Ort ist mir sehr vertraut, dennoch ist es für mich jedesmal eine neue Herausforderung im AMR zu spielen, die Stimmung ist immer aussergewöhnlich und geheimnisvoll. Der heutige administrative Leiter Brooks Giger und die ganze Equipe machen mit Bedacht einen sehr guten Job. Für alle Musiker und Musikerinnen wird mit viel Feingefühl, ganz persönlich und ausgewählt gekocht. Denn essen direkt vor dem Konzert ist nicht unproblematisch. Das Essen im AMR gibt einem jedoch genau den richtigen Kick. In der Regel wird aktueller Jazz mit seinen Wurzeln in der Tradition präsentiert. Ab und zu gibt es auch Konzerte mit frei improvisierter Musik. Wenn das Trio spielt, kommt ein ausgewähltes Publikum. Es kommen Liebhaber und Kenner die offen für experimentelles sind oder sich mit dieser Musik identifizieren. Die Konzerte beginnen jeweils um 21:30 Uhr. Heute Samstag, 5. Dezember ist es wieder einmal soweit. Die Leute sind sehr konzentriert und ruhig. Die ersten Töne des Trios fallen in den leeren Raum...
„Les choix que font Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips sont inattendus et inexpliqués, mais se combinent dans cette expression auditive qui se trouve entre l'imagination et la logique. Les matières sonores qu'ils utilisent ne sont pas neuves (et ne peuvent l'être) mais, dans ce trio, elles sont reconsidérées, recombinées, réorganisées de façon suprenantes. En son âme et coeur, cette musique est faite de subtilité, de modestie, de nuance et de concision. Un des choix du trio semble avoir été de prêter une attention particulière à la dynamique: Que l'activité physique de produire un son sur son instrument puisse devenir la musique elle-même. C'est à peine audible, mais extrêment vivant si l'on y prête attention. En lieu et place d'un discours basé sur l'harmonie et la mélodie, ces trois musiciens communiquent par effleurements, grattages, notes brisées, respirations, souffles, grincements, caresses, morsures, sifflements, intervalles détendus. Ils effacent les lignes, compriment les gestes, condensent les mouvements. Une belle soirée pour une nouvelle aventure auditive!“ (Christian Steulet, Genève).
U.L.
Le plus important ne fut pas la réactivation d'un souvenir de jeu avec ce même piano Yamaha S6, numéro 5614778 (lire 23 mai, Genève), mais bien l'imprégnation de notre concert à l'AMR – comme le montre l'affiche, placée entre ces deux géants-musiciens nés au milieu des années 30, un Barre Phillips au sourire énigmatique et une photo de Paul Chambers datant de la toute fin des années 50 – par la lutte que mène actuellement une grande partie des artistes et acteurs culturels à Genève qui s'opposent fermement à des coupes budgétaires dans la culture, le social et le tissu associatif. La situation n'est pas différente de celle observée tout au long de notre tournée LISTENING, ville après ville, européennes et américaines confondues, avec des variantes de gravité, mais, partout, un même constat : le désengagement progressif de l'état quant à ce qui touche à la culture en général et à la diversité culturelle en particulier. C'est pourquoi je joins mes mots à ceux de laculturelutte.ch. Dans le cas particulier de Genève, ces coupes linéaires des subventions aux associations artistiques, culturelles et sociales décidées par le Conseil Municipal, associées à des coupes annoncées par le Canton, sont une manière de remettre en cause non seulement la culture, la création artistique et le social, mais aussi la possibilité d'une dynamique associative qui contribue à la qualité de vie de toute une région. Ces coupes, opérées par la droite municipale et cantonale, ont été décidées sans consultation des milieux concernés et sans réflexion sur leurs réels impacts. Les répercussions sur les lieux de création, sur les associations, les artistes, les techniciens, les artisans, le personnel technique et administratif, seront lourdes à court et long termes. Les répercussions sur une société comme la nôtre aujourd'hui, qui n'a jamais eu autant besoin d'espace de pensée et de réflexion, sont et seront extrêmement dommageables. Mais la mobilisation paraît forte. Dans le système démocratique suisse, le peuple a la possibilité de contester des décisions prises par ses élus. Deux référendums ont été lancés. Comme le dit la musicienne Béatrice Graf, les faire aboutir est une première étape à boucler. La deuxième étape sera de gagner en votation populaire, au printemps ou à l'automne. Car cette politique de la droite est claire et décomplexée : ces décisions ne sont que le début d'un long processus, l'année prochaine et celles qui suivent devraient voir le mouvement de coupes s'amplifier. Il faut signer ces référendums afin de garantir un paysage culturel diversifié, des moyens de créations adaptés, des événements culturels de qualité, et une culture accessible à toutes et à tous. Tout le monde est concerné. Pour donner un éclairage local à une problématique internationale, j'aimerais citer intégralement le Manifeste lancé par le Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève :
Longtemps menacée, la culture est aujourd’hui attaquée frontalement et doit être défendue. Ce sont non seulement nos métiers et nos lieux de travail qui sont en sursis, mais plus largement la place indispensable de la culture dans notre société. Il s’agit d’être forts, solidaires et montrer que nous ne nous laisserons pas faire.
La majorité du Grand Conseil n’a plus qu’un seul objectif, couper dans les services publics, la protection sociale et l’emploi. Elle a réussi à imposer un cadre comptable et marchand qui réduit l’ensemble des activités orientées vers l’éducation, le soin, le travail critique et l’ouverture créative à la seule question du coût et de la rentabilité. Ainsi, depuis plusieurs années, toutes les baisses d’impôts n’ont eu pour but que d’amputer l’État de ses tâches redistributives et de ses responsabilités envers les plus faibles, les personnes âgées, les travailleurs précaires, les handicapés et, plus fondamentalement encore, le maintien d’une société véritablement plurielle.
C’est dans ce contexte que les artistes et acteurs culturels sont aujourd’hui en danger. Les lieux et structures subventionnés ont reçu un courrier leur annonçant une coupe importante de leur subvention, exigeant une diminution de leur charge salariale alors même que les acteurs culturels venaient d’exiger davantage d’aide pour leur prévoyance sociale. Moins visibles et plus fragiles, les artistes au bénéfice de financements ponctuels sont aujourd’hui également dans le collimateur des pouvoirs publics qui savent la facilité de couper là où personne n’est en mesure de réagir avec force.
C’est encore la culture, dans son essence même, qui est menacée lorsque le Conseil d’Etat s’en prend à nos manières de faire, de nous organiser et de nous auto-financer en s’attaquant, à l’instar de l’Usine, à nos buvettes au prétexte du respect d’une loi inadaptée et aseptisante.
Sans mobilisation massive des milieux culturels, aux côtés des fonctionnaires, des maçons et d’une population qui refuse de voir la société dans laquelle nous vivons réduite à des questions de rentabilité et de sécurité, c’est bien davantage que nos subventions que nous allons perdre!
Nous comptons sur vous. Soyons forts, soyons bruyants! (Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève).
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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LDP 2015 : Carnet de route #41
C’est à Cologne – au Loft où le trio ldp enregistra en 2003 l’une des références de sa discographie – que se poursuivait, le 23 novembre dernier, la tournée Listening. Occasion donnée, pour paraphraser Jacques Demierre, à d’autres sonorités de se faire entendre apparaissant ou disparaissant…
23 novembre, Cologne
Loft
Das Loft ist ein Teil der kreativen und zugleich traditionsreichen Musikszene der Kulturstadt Köln mit ihrer Musikhochschule und deren Jazzabteilung, mit dem Kölner Stadtgarten und seiner Jazzhaus Initiative und einer Freien Szene mit grosser stilistischer Bandbreite und Vitalität. Das Loft muss man mitunter suchen, denn es liegt wahrlich versteckt und nur ein kleines Schild weist auf eine Lokalität hin. Seit 1989 in Ehrenfeld ansässig, hat sich Hans Martin Müller, ausgebildeter Musiker aus dem WDR Sinfonieorchester hier verwirklicht und bietet seitdem ein anspruchsvolles Programm aus improvisierter, zeitgenössischer Musik und - vor allem - Jazz. Neben Konzerten in einem akustisch herausragenden Konzertsaal können hier auch Aufnahmen in einem professionell ausgestatteten Tonstudio gemacht werden und nicht zuletzt der Steinway Flügel zeigt es: Es sind tatsächlich Menschen am Werk, die genau wissen, worum es geht. WDR und Deutschlandfunk, aber auch die Cologne Jazz Association (um nur eine Auswahl zu nennen) haben diese Räumlichkeiten für diverse Events genutzt. Neben mittlerweile über 600 Konzerten und unzähligen Ausstellungen ist das Loft quasi eine Institution. Im Oktober 2003 finden sich Kenner, Konsumenten, Musiker, Berichterstatter und Förderer zusammen und gründen den Verein 2nd Floor e.V. Ziel des Vereins ist die Förderung des Jazz, der improvisierten Musik, der aktuellen elektronischen Musik, der zeitgenössischen Musik in all ihren Spielarten durch Konzerte, Produktionen und Dokumentationen, kurz gesagt, diese oft kommerziell nicht tragfähigen, im Konzertbetrieb unterrepräsentierten und unterfinanzierten Musikformen sollen dem Publikum hör- und erlebbar gemacht werden. Dies gelingt insbesondere durch die Zusammenarbeit mit anderen Organisationen, Körperschaften und Vereinen, worauf ein besonderes Augenmerk gelegt wird (z.B. mit der KGNM e.V., Jazz am Rhein e.V., Kölner JazzHausinitiative e.V., den Radiosendern und verschiedene Stiftungen). In der Zeit knapper werdender Ressourcen, Sendezeiten und Auftrittsmöglich-keiten sind solche Kooperationen ein unverzichtbares Mittel, mit dessen Hilfe der Verein sich für eine lebendige, gelebte Musik unserer Zeit einsetzt. Vorstände des Vereins sind: Prof. Dieter Manderscheid, Frank Gratkowski und Susanne Trautmann.
Durch das Loft verbindet mich eine langjährige Freundschaft mit dem Leiter und Spiritus Rector Hans Martin Müller. Bereits in den 80er Jahren hatte mir der damalige Produzent und Komponist Manfred Niehaus von diesem Ort erzählt. Es dauerte dann ein paar Jahre bis ich 1996 zusammen mit Fritz Hauser und Joëlle Léandre im Loft aufgetreten bin. Das Konzert wurde vom WDR (Ulrich Kurth) aufgezeichnet und Ausschnitte sind auf der CD NO TRY NO FAIL, hatOLOGY 509 dokumentiert. Auf der ersten Tournee des Trios im Jahr 2000 machen wir Halt im Loft, und der WDR hat auch dieses Konzert mitgeschnitten. 2003 spielen wir mit dem Trio ein weiteres mal im Loft, davon entsteht die CD ldp – cologne die bei Evan Parker’s PSI 05.03 veröffentlicht wird. Weitere Konzerte im Loft; 2010 spiele ich zusammen mit Evan Parker, davon entsteht die CD TWINE, auf dem portugisischen Label Clean Feed, 2012 spiele ich zusammen mit Roger Turner, davon entsteht die CD THE PANCAKE TOUR auf dem New Yorker Label relative pitch records.
Die CD „ldp – cologne“. Sie war ein weiteres Beispiel für das Spielideal der Gruppe. Leimgruber: „Spielen was wir hören ist unser Ideal. Jeder Einzelne ist autonom, dennoch ist der kollektive Klang des Trios zentral und unverkennbar.“ Folgt man Jacques Demierre entsteht dieser Klang ganz einfach: „Man hört darauf, wie die anderen in dem Raum klingen, in dem wir spielen.“ Bei der nächsten CD stellten sie sich gerade in dieser Hinsicht einer besonderen Herausforderung. Für „Albeit“ (Jazzwerkstatt) ging man 2008 in ein Studio. Leimgruber: „ALBEIT haben wir geplant im Studio aufgenommen, um mit gezielter Mikrophonisierung und getrennter Raumakustik den Klang der einzelnen Instrumente zu optimieren.“ Das Wagnis gelang. Auch im Studiokontext hatten die Musiker sich genügend zu sagen. Man zog die Ideen einmal mehr aus dem Miteinander. Jacques Demierre: „Ich spiele nicht aus Inspiration oder ähnlichem, ich verbringe in einem Raum Zeit mit zwei Freunden, und das ist eine ungeheure, grenzenlose Erfahrung.“Wie alle CDs des Trios war auch „Albeit“ eine Momentaufnahme eines musikalischen Prozesses. Alle drei Musiker sehen die bisherigen Aufnahmen als Dokumentation des Trios zu dem jeweiligen Moment. Nicht mehr, nicht weniger. Phillips: „CDs dokumentieren die Entwicklung eines Musikers oder einer Gruppe im Laufe der Zeit. Ob das automatisch einen Einfluss auf die weitere Entwicklung hat? Da bin ich skeptisch.“ Und Jacques Demierre geht sogar noch weiter: „Jede CD repräsentiert nur einige wenige von jenen tausenden Momenten, die nicht aufgenommen wurden. Die CDs sind nur ein Blitzlicht auf die Musik des Trios. Unsere Musik existiert eigentlich nur auf der Bühne. Man muss ins Konzert kommen um ‚ldp’ tatsächlich zu hören.“ (Ausschnitt aus einem Interview mit Thorsten Meyer, Jazz Podium, Mai 2015).
Auch das heutige Konzert im Loft wird von Stefan Deistler aufgezeichnet. Eine weitere Momentaufnahme. Ob es davon eine CD geben wird, ist noch offen. Die Mikrofone sind positioniert, der Soundcheck ist gemacht, das Konzert beginnt. Wir starten entschieden und tasten uns vor. Wir spielen uns an Grenzen. Sobald wir sie überschreiten passiert Unerwartetes. Die Musik spielt mit uns. Die Spannung steigt. Die Zuhörer im Loft sind Liebhaber, Kenner und Spezialisten von Jazz und zeitgenössischer Musik. Ihre Ohren und Herzen sind offen für Ungewohntes und Experimentelles. In solchen Momenten spüren wir deutlich was wir durch unsere Musik im Publikum auslösen und in Bewegung setzen. Die Zuhörer sind inspiriert, sie spielen mit dem was sie hören. Sie sind betroffen, verunsichert und begeistert. Durch ihre Reaktion werden sie Teil der Musik. In diesen Momenten schliesst sich der Kreis zwischen dem Publikum den Musikern und es passiert Magisches. Danach ist alles anders als vorher. Die Zuhörer bedanken sich und applaudieren enthusiastisch.
U.L.
C'est à la pause, avec un sourire à la fois engageant – notre dernière rencontre remontait à longtemps – et pourtant légèrement inquiet, que le pianiste d'origine russe Simon Nabatov, accoudé au bar du Loft, me demanda de lui montrer mes mains. Je m'exécutai. Il les examina avec soin et curiosité, mais n'y découvrit aucune plaie, aucune trace, aucun stigmate dû à un jeu de piano excessivement risqué ou manifestement masochiste. Il leva la tête et ironisa: « Mais ce sont des mains d'acier que les tiennes?! » Il est vrai que la tournée en elle-même a souvent un effet radical sur la technique instrumentale, en tous les cas, tel est son effet sur la mienne : j'aurais beau pratiquer quotidiennement les mêmes actions, les mêmes gestes pianistiques dans mon studio, jamais je n'obtiendrais la sensation d'un fil aussi tranchant associé à une force aussi souple. La remarque de Simon tombait également à pic, car depuis plusieurs jours, je me questionnais sur le rôle que jouait ma peau sur la production de mon propre son. Depuis plusieurs années, je remarque qu'en procédant à une extension de la surface jouable de l'instrument-piano, je procède simultanément à un agrandissement de la surface de contact de l'organe-peau. Ce ne sont plus uniquement les extrémités charnues des dix doigts qui sont mises à contribution lorsque je joue du piano, comme ce soir-là, le YAMAHA C3, D 3240452, installé sur scène, mais l'entièreté de la paume par exemple. Et souvent, non seulement la face antérieure de la main, mais également sa face postérieure, deviennent des espaces de toucher – on disait d'ailleurs toucher du piano avant que le mot jouer ne serve pour tous les instruments. C'est d'ailleurs à ces mêmes faces palmaires et dorsales, ces mêmes surfaces de peau, que l'accès au piano Steinway & Sons fut refusé par les responsables du lieu. Il y aurait à penser et à écrire sur la gestion actuelle des pianos, tant dans le milieu classique, que jazz ou expérimental, lesquels subissent une sorte de gentrification progressive. Un phénomène d'embourgeoisement du parc instrumental, où les restrictions de liberté de mouvement des pianistes face à la facture traditionnelle de l'instrument sonnent comme un rappel à l'ordre, un recadrage idéologique. Mais le silence du Steinway & Sons, resté ainsi absurdement muet derrière des rideaux par ailleurs trop absorbants, a servi d'ossature aux sons produits par la structure de mes ongles glissant sur la matière en relief des mots SINCE 1887, YAMAHA, et frôlant avec plus ou moins de pression les trois diapasons-logo du constructeur japonais. Au sein de ce même cadre silencieux, j'ai prolongé mon geste jusqu'aux chevilles, où résonna le mot CONSERVATORY au rythme des lettres articulées par le contact de mes phalangettes en mouvement. Il me faut dire ici que je dois à Aurélien, un jeune élève atteint d'hyperactivité et à qui j'ai enseigné autrefois le piano, de m'avoir inspiré quant aux multiples possibilités de jeu avec le poignet. A l'instrument, alors que ses mains étaient tournées paumes contre touches, comme le veut la tradition, il effectuait de rapides mouvements de rotation du poignet qui lui permettaient d'intercaler de courts et brusques événements sonores joués avec le dos de la main, tout en conservant une fluidité de jeu fascinante. J'y vois aujourd'hui comme la recherche d'un rétablissement, d'un équilibre dynamique, où chaque paume, à travers le point appelé lao gong, sorte de porte ouverte vers le bas et vers le haut – pour employer une terminologie énergétique chinoise – se nourrirait alternativement de l'énergie de la Terre et de celle du Ciel. De sa main gauche, Aurélien frappait aussi parfois sa main droite qui était en train de jouer. Il répondait alors fermement à cette attaque par une frappe latérale de sa main droite contre le pouce et l'index de sa main gauche, entamant une sorte de combat entre lui et lui-même. Résultat de cette escalade de la violence, d'autres segments des membres supérieurs se retrouvaient progressivement impliqués dans l'affrontement. Le poignet n'était plus seulement ce lien essentiel entre la main et l'avant-bras, mais subitement autonome, il se comportait en combattant isolé, à enfoncer seul et de manière indéterminée les touches du clavier. L'avant-bras n'était plus une simple machine à cluster, mais affichait la mobilité d'un bâton de jo-do japonais, le coude devenant lui le master of ceremony d'une intrication de mouvements à la fois articulaires et sonores. Pourtant, le maniement des doigts, mains, poignets, avant-bras, coudes, et autres bras, n'est aucunement un but en soi, ce ne sont que des outils, que des intermédiaires dans un corps-à-corps dynamique entre instrument et instrumentiste. Alors pourquoi tout ça, pourquoi cette expérience du son mise et remise sans cesse sur le métier, avec tout ce que cela implique de complexité non résolue? Mon écho personnel à ma propre production est celui d'un retour constant à la pratique sonore, seul lieu de réponse possible. Par contre, à l'écoute des autres produisant du son, je crois pouvoir distinguer ce qui fait sens pour moi ou au contraire ce qui me laisse indifférent. A l'écoute de diverses formes expressives, de multiples manières sensibles de manifester le son, ce qui m'entraîne au-delà de moi-même, ce n'est pas en fin de compte la perfection du travail ou l'assise formelle, mais les forces, les configurations énergétiques qui apparaissent dans la spontanéité de l'instant et qui me font m'approcher de ce que je nommerais principe vital, faute de mieux. Comme une révélation, mon expérience de l'écoute rejoint l'expérience de celui ou celle qui est à l'origine du son écouté. Elle est profondément subjective et pourtant j'ai l'impression qu'elle est prête à tout instant à se dissoudre dans une globalité, sonore ou non, impersonnelle et intemporelle. L'expérience de la musique produite et écoutée dans l'instant nous donne à entendre un surgissement continu de sons provenant de nulle part et disparaissant nulle part, constamment remplacés par de nouvelles sonorités elles-mêmes soumises à de nouveaux cycles d'apparition et de disparition. Le moment du jaillissement, même s'il s'accomplit dans la lenteur, est particulièrement intense, la forme se manifeste, prend progressivement corps, jusqu'à être ce corps sonore achevé, condamné à laisser aussitôt place à de nouvelles émergences. La musique pratiquée dans l'instant nous place au centre de la réalité, en un lieu-source non-localisable, où s'ébauchent de façon ininterrompue et continue des formes, des figures sonores. Elle nous fait ressentir comme peu d'autres pratiques artistiques le processus même de la venue au monde des phénomènes: impossible de se lasser de l'observation d'un son qui se dégage de l'inaudible, devient un objet sonore et tangible, puis retourne à un sourd indistinct.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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LDP 2015 : Carnet de route #40
Le 22 novembre dernier, le trio ldp se trouvait à Hambourg où il devait jouer dans une église. Mais de quel sexe était donc cet ange venu nimber l'un des deux partenaires de Jacques Demierre ? Et lequel des deux était-ce ? Urs Leimgruber ? Barre Phillips ?...
22 novembre, Hambourg
Christians Kirche, Forum Neue Musik
Mit der Christians Kirche verbindet mich eine langjährige Bekanntschaft mit dem Musiker Peter Niklas Wilson. Peter war ein kompetenter Denker im Bereich zeitgenössischer Musik, und er war Initiant und Organisator der Konzertreihe, Forum Neue Musik. In diesem Rahmen hatte ich ende der 90er Jahre die Gelegenheit ein Solo Konzert in der Kirche zu spielen. Er hat zahlreiche Bücher zum Thema Jazz und Improvisierte Musik veröffentlicht. Er hat die Grenzen zwischen herkömmlich und in Echtzeit komponierter Musik kritisch und ausführlich untersucht, und er hat die Unterschiede und Gemeinsamkeiten dieser beiden Praktiken und Techniken im Austausch mit praktizierenden Komponisten und Improvisatoren und aufgrund eigener Erfahrung dokumentiert. Seine Bücher zählen mitunter zu den aufschlussreichsten Aufzeichnungen und Nachschlagswerken zeitgenössischer Musik. Unsere letzte Zusammenarbeit kurz vor seinem Tode bezieht sich auf Auftragswerke des Lucerne Festival 2003. Die Gruppe Quartet Noir (Léandre, Crispell, Hauser, Leimgruber) gibt den Komponistinnen und Komponisten Bettina Skrzycpzak, Mela Meierhaus, Jacques Demierre, Alexander von Schlippenbach den Auftrag ein Stück zu schreiben.
„Wie lässt sich heute Musik schreiben, die den strukturellen Anspruch wahrt, den der Begriff Komposition impliziert, und die zugleich jene musikalischen Horizonte im Blick hat, die die grossen Improvisatoren der letzten Jahrzehnte eröffneten? Dieses Dilemma beschäftigt viele kreative Geister der Gegenwart. In den letzten Jahrzehnten haben wir das Aufkommen virtuoser Musiker erlebt, deren Fertigkeiten in hochgradig persönlichem Vokabular unorthodoxer Spieltechniken gebündelt sind, welche durch ausgiebige Improvisationen entwickelt wurden. Der Komponist steht nun vor dem Rätsel, wie man für solche Spieler schreiben kann“. Ein Rätsel in der Tat. (Peter Niklas Wilson)
Heute Abend spielen wir mit dem Trio zum zweiten mal in der Christians Kirche, einem spirituellen Ort. Seit vielen Jahren ist Milo Lohse für die Konzertreihe, Forum Neue Musik zuständig und verantwortlich. Der engste Kreis der Zuhörer sind Musiker und Musikerinnen aus Hamburg und Liebhaber neuer Musik. Die Kirche ist überakustisch. Sie klingt wie eine Kathedrale. In diesem Raum zu spielen ist eine grosser Herausforderung. Man muss die Qualitäten des Raumes aufspüren. Es gibt musikalische Parameter, die eignen sich ausgezeichnet, andere taugen nicht. Die Obertonstruktur des Raumes ist komplex und ausbreitend. Man hört keine reinen Intervalle. Messien hat Zeit seines Lebens als Organist in Kirchen gespielt, seine Werke sind von diesen akustischen Erfahrungen und Errungenschaften getragen. Er hat für grosse Räume komponiert, die Natur hatte für ihn eine wichtige Bedeutung, und er hat sie in sein kompositorisches Denken einbezogen. Messien hatte einmal folgendes bemerkt: „Vögel singen immer in einem vorgegebenen Modus“ sagt er. „Sie kennen das Intervall Oktave nicht. Ihre Melodielinien erinnern oft an die Modulationen gregorianischer Gesänge. Ihre Rhythmen sind unendlich komplex und unendlich vielfälltig, doch immer vollkommen präzise und vollkommen klar“. Heute während dem Konzert wird mir dieser Gedanke von Messien wieder einmal bewusst. Beim Praktizieren, also beim Üben am Instrument denke ich oft in reinen Intervallen u.a. in Oktaven, beim improvisieren jedoch hört mein Ohr in unbestimmten Intervallen und natürlichen Obertönen.
Ich bin froh, dass seit dem Zürcher Konzert das Trio wieder komplett ist. Und ich bin beeindruckt mit welcher Leichtigkeit und Souveränität Barre sich im Konzert mit vollem Einsatz in die Musik einbringt, und wie er die Strapazen der Reisen bravurös meistert. In der dritten November Woche spielen wir fünf Konzerte, ohne Pause jeden Abend. Früher war das für Barre daily bussiness. Seit ein paar Jahren planen wir während Tourneen ganz bewusst Ruhetage mit ein, seit seiner Krankheit ist es Pflicht. Während den letzten fünfzehn Jahren haben wir unsere Musik kontinuierlich weiter entwickelt. Wir haben einzelne Konzerte gespielt, vorallem waren wir regelmässig auf Tournee, wir waren eine working band, während wir fast jeden Abend an einem andern Ort Konzerte spielten. Es ist die Kontinuität die es ausmacht, die Musik lebt von inneren und äusseren Bewegungen, wir bespielen ganz verschiedene Räume, und wir treffen immer wieder auf neue Zuhörer, die zusammen mit uns ein experimentelles, musikalisches Erlebnis teilen. Wir öffnen uns, wir riskieren, die Musik findet ihren Weg, wie eine Pflanze die mit Sonne und Wasser wächst und sich entwickelt. Es gibt keine toten Momente. Die Musik ist so wohl als auch immer gut und sie wird immer besser. Manchmal sind es drei lebendige Wochen, und sie geben uns die wunderbare Möglichkeit unsere Musik zu leben, sie zu entwickeln. Im Sinne, wenn wir spielen leben wir.
U.L.
Ce que l'on voit sur cette photo n'est pas le détail d'un vitrail de Hans Gottfried von Stockhausen, dont le catalogue reposait sur une des tables meublant la sacristie de l'église où nous allions jouer ce soir-là, mais un arrêt sur image du mouvement urbain qui défilait devant mes yeux et que j'observais sans discontinuer depuis le siège arrière du taxi qui nous menait de la gare de Hambourg à la Christians Kirche. Ce qui me fascinait tant en regardant à travers la buée recouvrant la vitre fermée, c'était de me rendre compte, comme pour la toute première fois, que l'on perçoit les choses dans un certain ordre. Expérience en même temps banale et cruciale. Une peinture nous laisse libres de choisir l'endroit où entrer dans sa géographie, libres de s'engager, ici ou là, pour pénétrer sa surface. Un dictionnaire, se déployant pourtant en une continuité de A à Z, s'offre à nous tel un champ de multiples portes d'entrée. La musique, elle, nous lie à sa propre émergence. Notre mode de connaissance du son est celui de son propre déroulement. En ce sens, la pratique de la musique dans l'instant est unique, à travers elle prend forme l'expérience de l'écoulement du temps. Elle témoigne de l'expérience – humaine – de la réalité dans la continuité de son enchaînement. Cette expérience du sonore nous replace à la source intime de notre propre émergence au monde. En jouant, nous sommes captifs de la durée et nous sommes nous-même durée et mouvement, nous sommes, dans la dynamique de l'expérience, soumis à la transformation continue et nous sommes nous-même transformation continue. Ce ne fut pas l'homonymie partagée par le peintre sur verre avec le compositeur allemand – Karlheinz, de son prénom – qui mit un terme à mes considérations et à la légère nausée qui était montée en moi, progressivement écœuré par l'excès de chauffage du taxi hanséatique, mais la découverte du nom du piano installé devant l'autel, à quelques mètres de la chaire, GEBR. ROHLFING, écrit en caractères gothiques et dorés. Depuis le clavier, je voyais Urs et Barre surmontés d'un ange tenant une couronne tel un volant et parcourant l'espace de la Christians Kirche. Le mot OSNABRÜCK, tracé en small caps également dorées sur l'intérieur du couvercle, semblait n'avoir cessé, depuis l'origine de la fabrique de piano des Frères Rohlfing – GEGR. 1790, pouvait-on lire à l'intérieur de l'instrument –, de résonner de la plus haute des excellences – parallèlement aux chevilles, HÖCHSTE AUSZEICHNUNGEN, confirmait mon sentiment. C'est en lisant l'inscription suivante sur le cadre en métal, HANNOVER 1878. CHICAGO 1893., que je fus submergé par une présence, qui était celle des souvenirs de la semaine récente passée à Chicago. Je ne fus ainsi pas étonné d'apprendre, en lisant des extrait de The William Steinway Diary: 1861-1896, Steinway & Sons Records and Family Papers, Archives Center, National Museum of American History, Smithsonian Institution, que le marchand de pianos Rohlfing & Sons avait été le représentant de la compagnie de piano Steinway & Sons à Milwaukee, Illinois.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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