Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Lawrence D. Butch Morris : Verona (Nu Bop, 2015)

lawrence butch morris verona conduction 43 conduction 46

En 1994 et 1995, Lawrence D. Butch Morris poursuivait (et précisait à la fois) son œuvre de « conduction » – pour bien cerner le concept, une visite s’impose ici – au Teatro Romano de Vérone. Ce sont en conséquence deux conductions sur autant de disques : sur le premier, la quarante-troisième ; sur le second, la quarante-sixième. Bras, une dernière étreinte !

Si ce n’est dans les formations qui les interprètent (J.A. Deane au trombone et à l’électronique, Myra Melford au piano, Zeena Parkins à la harpe et Lê Quan Ninh aux percussions), l’une et l’autre ont des points communs. Ainsi, leur allure générale répond-elle à l’inspiration d’un chef d’orchestre en devoir d’imbriquer des modules différents et nombreux plus encore : lectures collectives, conversations en plus petits comités et solos, dessinent les contours d’une musique insaisissable puisqu’avide toujours d’autres propositions.

Aux déferlantes de cordes (les violoncelles de Martin Schütz et Martine Altenburger, notamment, sur le premier disque) et de percussions (Lê Quan à chaque fois), les instruments à vent (ici le hautbois de Mario Arcari et le trombone de Deane, là la clarinette basse de Francesco Bearzatti ou le saxophone alto de Rizzardo Piazzi) opposent des motifs courts qu’ils feront souvent tourner plusieurs fois. Aux progressions grippées des pianos (Melford et Riccardo Fassi ou Riccardo Massari, selon l’enregistrement) et du vibraphone (Bryan Carrot), la harpe pourra donner une touche impressionniste et les percussions imposer un équilibre à la Monk

On imagine alors de Morris les gestes soit précis soit larges, autrement dit : directionnels ou sibyllins, qui commandent ici une séquence troublante aux airs de collage minutieusement élaboré (plusieurs fois, sur le premier disque) et  là une rencontre plus convenue (la conclusion romantique dont se chargent hautbois et piano, sur le premier disque encore, ou cet échange piano / guitare – celle de Bill Horvitz – qui alourdit quelques secondes du second). Mais sur la durée de ces deux conductions, les écarts sont rares, qui éloignent Butch Morris de l’objectif qu’il s’était fixé : sculpter sur l’instant le chant d’un bel ensemble.



Lawrence D. ‘’Butch’’ Morris : Verona. Conduction No. 43 – The Cloth (1994) / Conduction No. 46 – Verona Skyscraper (1995) (Nu Bop / Orkhêstra International)
Enregistrement : 26 juin 1994 & 27 juin 1995. Edition : 2011. Réédition : 2015.
2 CD : CD1 : 01/ Conduction No. 43 – CD2 : Conduction No. 46
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Butch Morris : Possible Universe (Nu Bop, 2014)

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Le 29 août 2010 – soit 25 ans après avoir inauguré le concept de « conduction » : méthode personnelle qui est à la direction d’orchestre ce que la composition graphique est à la partition –, Lawrence ‘Butch’ Morris conduisait en Italie un orchestre rare : ses membres (Evan Parker, David Murray, Alan Silva, Harrison Bankhead, Hamid Drake…) capables du crime d’obéir (Han Ryner) comme de celui d’invention  « When you are the interpreter you must have ideas », prévenait Morris.

Loin, si loin, du Kitchen Club, Butch Morris conduisait donc encore : honnêtement, bien sûr ; avec charisme, qui plus est. Serait-ce, maintenant, que le cœur n’y est plus ? Et le chœur, aussi : quelques solos brillent néanmoins – garants qu'ils sont du'ne expression franche – parmi les agréments à l’unisson. Or, les maladresses abondent, comme en parallèle.  

Si le terme de « conduction » était, de Butch Morris, une invention et une promesse, cette 192e annoncée peine à convaincre tant le partage joue de facilités et de confiances accordées – abandonnées, voire – à d’imposants solistes. Manquent la cohérence et le panache, qu’on ira retrouver en Current Trends in Racism in Modern America, Some Order, Long Understood ou Berlin Skyscraper ’95.

Lawrence D. Butch Morris : Possible Universe. Conduction 192 (Nu Bop)
Enregistrement : 29 août 2010. Edition : 2014.
CD : 01-08/ Possible Universe Part 1 - Part 8
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Peter Kowald, Werner Lüdi, Butch Morris, Sainkho Namtchylak : When the Sun Is Out You Don’t See Stars (FMP, 1992)

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Cette chronique est l'une des cinq qui illustrent le portrait de Peter Kowald dans le hors-série papier à paraître mardi (26 novembre) : sept basses.

C’est une nature qui s’éveille lorsque débute When The Sun Is Out You Don’t See Stars, disque d’improvisateurs en quête d’essence : Peter Kowald (contrebasse), Werner Lüdi (saxophones alto et baryton), Butch Morris (cornet) et Sainkho Namtchylak (voix). Reptations sonores révélées par l’archet rapide, barrissements et vagissements des instruments à vent, chants d’une espèce volatile : un nouveau jour se lève, prétexte pour le quartette à raconter l’histoire du monde. Ses heures, toutes, rassemblées en soixante-dix minutes, et leurs mouvements, nombreux et souvent interdits de destination : vingt pièces au total, enregistrées en trois fois (26 et 27 juillet 1990, 8 juillet 1991), qui disent les impératifs d’une existence avec une poésie capable de tous les sublimer ; vingt saynètes, qui peignent des rencontres avec l’autre (conversations interlopes d’Overcome Babylon, confrontation de Killer Planets) ou l’élément naturel (est-ce la voix de Sainkho qui fait parler le vent sur Wind Talking ou bien l’apparition fugace du souffle de Morris ?), des pertes de repères (géographiques sur Happysad, physiologiques sur Long Trust And These Jokes) et des glissements de terrain (Dawn In Tuva, A Thousand Years Etcetera, Pretty Ugly).

Au-delà, ce sont même des mystères que l’on approche, dont le moindre n’est pas celui de l’origine d’une musique à la croisée des chemins, née de l’accord impeccable d’improvisateurs réunis par le goût de l’éclectisme et des expériences qu’ils ont en commun, et par la fascination qu’exerce sur chacun d’eux le même horizon : « faire se rencontrer les mondes » : OverWelcome Babylon !

Peter Kowald, Werner Lüdi, Butch Morris, Sainkho Namtchylak : When the Sun Is Out You Don’t See Stars (FMP)
Enregistrement : 26 & 27 novembre 1990, 8 juillet 1991. Edition : 1992.
CD : 01/ Dance of The Invisibles 02/ Paris Bar 03/ A Thousand Years Etcetera 04/ Bursting Bubbles 05/ Sacred Places 06/ Overcome Babylon 07/ Wind Talking 08/ Happysad 09/ Bold As Gold 10/ Killer Planets 11/ Down in Tuva 12/ Yes Yes The Anarchy 13/ A Little World Music 14/ Long Trust And These Jokes 15/ Dark Side of White 16/ The Art of Falling Apart 17/ Burning Spirits 18/ Pretty Ugly 19/ House of Trouble 20/ No Longer Down Under
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Jef Gilson : Œil*Vision (CED, 1962-1964)

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Ce texte est extrait du troisième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

De nos jours, on connaît généralement Jef Gilson pour son approche du jazz modal, d’ailleurs très prisée outre-Manche, notamment par les collectionneurs de vinyles et un DJ comme Gilles Peterson. Certains, plus rares, savent cependant son investissement de longue date : qu’il a collaboré avec les Double Six par exemple, ou encore qu’il a été ingénieur du son et label manager – les disques Palm, c’est lui. Tous les amateurs, bien évidemment, apprécient le pianiste-arrangeur et compositeur qu’il a été. Ajoutons aussi qu’il fut par ici un découvreur de talents sans pareil : Jean-Louis Chautemps, Jean-Luc Ponty, Bernard Lubat lui doivent beaucoup, tout comme de nombreux jazzmen américains de passage à Paris – Byard Lancaster et David S. Ware entre autres.

Si Jef Gilson fut l’un des producteurs incontournables du free jazz, il n’en mâchait pas moins ses mots, ce dont témoignent la majorité de ses propos rapportés au milieu des années soixante. Ainsi, à Jazz Magazine : « Dans l’ensemble, je suis assez hostile au free jazz parce que la plupart de ceux qui en jouent s’imaginent avoir trouvé la panacée universelle : pour eux, c’est un moyen de faire n’importe quoi. Il faut commencer par avoir toutes les bases, montrer qu’on est un musicien parfait. »

Les bases, et bien plus encore, Jef Gilson les possédait déjà au moment de cet entretien réalisé en 1965.  Sur la pochette de son premier album majeur enregistré entre 1962 et 1964, Œil*Vision, le clou était enfoncé : « Pour les amateurs de définitions, on peut affirmer que c’est à une séance de free jazz qu’ils sont conviés. Mais encore faudrait-il définir ce terme vague et trop communément employé. En effet, il ne s’agit nullement d’une séance d’improvisation libre sans but précis. Bien au contraire, l’absence d’une structuration préétablie nécessite une préparation d’autant plus soignée que tout est possible, et que les choix de dernière minute ne sont dus qu’à la communion plus ou moins intense créée entre les participants. » A méditer.

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Œil*Vision découle d’un prétexte, puisqu’a priori il en fallait un : il s’agit d’une toile de Guy Harloff ornant la pochette, voire (selon l’intéressé) de toute une série de tableaux peints entre mars et octobre 1963 au Maroc. Enrichi par l’utilisation judicieuse du re-recording par endroits (essentiellement appliqué à la démultiplication du saxophone de Chautemps), cet opus aura été l’un des premiers de l’avant-garde jazzistique française (on y retrouve aussi le virtuose Jacques Di Donato) ; et parmi ceux de son auteur, il est incontestablement celui où la liberté s’accommode au mieux des contraintes. On en retiendra surtout la seconde face, notamment le long « Chant-Inca » évoquant Yma Sumac le temps de quelques mesures, avec un Chautemps vraisemblablement très inspiré par Archie Shepp.

Plus tard dans sa carrière, en compagnie de Pierre Moret et Claude Pourtier, Jef Gilson enregistra ce qui demeure comme un de ses disques les plus aventureux, où moult contradictions s’avèrent questionnées : Le Massacre du printemps, hommage à Stravinsky basé sur l’improvisation collective, « expression spontanée sans préméditation » comme l’on disait alors, expliquant pourquoi ce musicien français figure au milieu d’autres influents avant-gardistes au sein de la liste de référence(s) concoctée par Steven Stapleton du groupe britannique de musique industrielle Nurse With Wound en 1979. Dans cet autre opus donc, se mélangent merveilleusement ragas indiens et ambiances dignes de Marius Constant et des expériences électroacoustiques de Pierre Henry.

Au milieu des années soixante-dix, toujours aussi actif, Jef Gilson découvrit Lawrence "Butch" Morris qu’il intégra à son propre big band alors qu’il officiait encore au cornet et n’était pas encore réputé pour ses « conductions » flexibles à l’envi. Une anecdote pour finir : il semblerait que Coltrane ait interprété la totalité de la suite A Love Supreme au Festival de jazz d’Antibes après que Jef Gilson, au même programme cette année-là, lui en eut soufflé l’idée peu de temps avant qu’il ne monte sur scène avec McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones.

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Butch Morris (1947-2013)

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Vétéran de la guerre du Vietnam, Lawrence Douglas ‘‘Butch’’ Morris se fait entendre au cornet au début des années 1970 dans le Pan Afrikan Peoples Arkestra qu’Horace Tapscott anime en Californie – de l’expérience, naîtra son goût prononcé pour le travail en grands ensembles. Au même endroit, il fraie aussi avec Bobby Bradford et Frank Lowe avant de gagner New York où il fréquentera d’autres musiciens virulents : Charles Tyler, Hamiet Bluiett et David Murray. En 1976, avec Lowe qu’il retrouve, Morris gagne Paris : là, enregistre une première fois (The Other Side, référence de la discographie de Lowe) et puis d’autres en compagnie de musiciens français (Jean-Charles Capon, François Jeanneau, Jean-Louis Chautemps, André Jaume…). L’année suivante, c’est à Amsterdam qu’il se fait entendre en membre appliqué du Low Class Conspiracy de David Murray, saxophoniste auprès duquel il s’essaye bientôt à la direction d’orchestre et qui l’emploiera souvent par la suite en toutes sortes de formations. En 1982 à la tête du New York City Artists Collective puis en 1984 au Sweet Basil avec le big band de Murray, Morris commence à envisager le concept de « Conduction » – méthode personnelle qui est à la direction d’orchestre ce que la composition graphique est à la partition – qu’il mettra pour la première fois en pratique en 1985 au Kitchen Club (Current Trends in Racism in Modern America). Depuis lors, Butch Morris n’a cessé d’interroger les possibilités de sa méthode à la tête d’orchestres multiples – par lesquels passeront entre autres les membres du ROVA Saxophone Quartet, Frank Lowe, Arthur Blythe,Tristan Honsinger, George Lewis, Otomo Yoshihide, Tom Cora, Peter Kowald, Maarten Altena, William Parker ou encore Jemeel Moondoc. Way Ahead. Jazz en 100 autres figures, Le mot et le reste, 2011.

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Joe Morris : Graffiti in Two Parts (Rogue Art, 2012) / Altitude (AUM Fidelity, 2012)

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Joe Morris raconta ici sa rencontre, en 1981, avec Lowell Davidson : « Lowell donnait un concert solo au Stone Soup Gallery. Le patron de l’endroit, Jack Powers, m’avait invité à venir l’écouter, en me disant que Lowell était un pianiste qui avait joué avec Ornette, ce qui était un argument suffisant pour moi. Le concert a été fantastique. Je suis allé lui parler et il ne faisait aucun doute pour moi qu’il était un musicien brillant. Je lui ai demandé s’il accepterait que je joue avec lui et il a répondu oui. »

Récemment, Morris rendit hommage à Davidson sur MVP LSD. Aujourd’hui, le label Rogue Art nous permet d’entendre les deux hommes en quartette enregistré au Cambridge (USA) Dance Center le 11 mai 1985. A leurs côtés, Malcolm Goldstein et Lawrence ‘Butch’ Morris, que le guitariste et contrebassiste convia aussi à improviser après leur avoir expliqué deux idées de principe : « blocs de sons en lent mouvement » dans lesquelles Morris – écrit-il dans le texte qu’il signe pour l'occasion – croit voir de quoi est faite la musique de Davidson et subversion créative qui trouverait dans l’art du graffiti un parallèle inspirant.

Graffiti, Part I. Au banjouke (sorte d’ukulele qui ne peut nier avoir quelques sonorités en commun avec le banjo) et aux percussions, Morris et Davidson entament le concert : le quartette dérive au gré d’une improvisation d’atmosphère qui change l’endroit dont elle prend possession en carré de terre ocre où l’animisme règne. Un ruban de sonorités quiètes y forme un route divisée bientôt en quatre chemins qui convergent tout en affichant des couleurs différentes : répétitif souvent dans ses arpèges, le banjouke répond par exemple à distance au cornet économe mais dense et à ce violon dont la délicatesse a pour quête l’insondable.

Graffiti, Part II. Morris retourne à la guitare et Davidson à sa contrebasse d’aluminium. Aussi profonde et mesurée que celle de la première partie du concert, la musique est affaire d’imbrications et compte davantage sur le rapport des quatre musiciens : retenue toujours de mise, mais cornet et archets plus insistants dans leurs manières de dire ce qui doit sur l’instant être révélé. Un rappel, de cinquante-trois secondes, clôt l’enregistrement superbe et le document d’importance – dans ses notes encore, Morris insiste : Graffiti in Two Parts n’est que le deuxième disque de Lowell Davidson paru à ce jour.

Joe Morris Quartet : Graffiti in Two Parts (Rogue Art / Souffle Continu)
Enregistrement : 11 mai 1985. Edition : 2012.
CD : 01/ Graffiti, Part I 02/ Graffiti, Part II 03/ Tag
Guillaume Belhomme © Le  son du grisli

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The Stone, New York, le 17 juin 2011 : Joe Morris, William Parker et Gerald Cleaver, improvisèrent en quatre temps (Exosphere, Thermosphere, Troposphere et Mesosphere) cet Altitude où il n’est plus question de « blocs de sons en lent mouvement ». A la place, un jazz certes acceptable mais sur lequel Morris, à la guitare, se montre souvent bavard (pour ne pas dire verbeux), tandis que sa section rythmique pêche presque aussi régulièrement par excès d’artifices. Voilà qui conseille aussi, et à sa manière, qu’on se consacre à Graffiti in Two Parts.

Joe Morris, William Parker, Gerald Cleaver : Altitude (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 17 juin 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Exosphere 02/ Thermosphere 03/ Troposphere 04/ Mesosphere
Guillaume Belhomme © le son du grisli


Wayne Horvitz : Some Order, Long Understood (Black Saint, 1982)

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Ce texte est extrait du deuxième volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

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A l’époque de l’enregistrement de Some Order, Long Understood, le pianiste Wayne Horvitz se cherche encore avant d’embrasser la cause Naked City sous l’influence de John Zorn puis de se perdre tout à fait – il faut avoir entendu le groupe Zony Mash pour le déplorer définitivement.

A New York où il ancrera sa réputation de claviériste éclectique, Horvitz entre donc en studio pour enregistrer d’une traite deux de ses compositions (« Psalm » et le morceau-titre) en compagnie de Lawrence ‘’Butch’’ Morris – cornettiste avec qui il réenregistrera (Nine Below Zero et Todos Santos) – et William Parker – contrebassiste qu’il connaît bien et qui fut déjà de l’enregistrement de Simple Facts, sur lequel on trouve aussi Roy Campbell et John Zorn.

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Pas de répétition, et l’improvisation qui s’en mêle : Some Order, Long Understood. C’est du ventre du piano qu’Horvitz tire ici son chant – dans les notes de pochette, il avoue que sa préférence va à la musique vocale (celle de Billie Holiday en tête, cités ensuite Janis Joplin, Otis Redding, Magic Sam, Jimi Hendrix et Captain Beefheart) ; du ventre du piano, qu’il extirpe des morceaux d’atmosphères – dans le même texte, il invoque Charles Ives et Olivier Messiaen et fait savoir que la musique javanaise servie par le kacapi et la suling le ravit littéralement.

Sous influence, Horvitz emmène ici son trio avec nonchalance ; le traîne, voire. Il n’attend rien du swing pas plus qu’il ne demande à ses partenaires de « jouer free » : son intention est de jouer « vraiment librement », sans autre idée en tête que de laisser les choses se faire. Ainsi le lent désœuvrement de « Psalm » longtemps conduit par le cornet pourra provoquer un soulèvement acoustique qui le mettra à mal : un peu d’électricité aidant, Horvitz conclut l’épreuve en dompteur de grave feedback sur un son fabuleux et en conséquence répété. Ainsi « Some Order, Long Understood » alternera moments de recherches sonores et minimalisme libéré de toutes contraintes rythmiques. Pour ne pas être cantonné à une manière de faire (stricte lecture de la partition, improvisation libre, interactions forcées…) et avoir réclamé « some order », l’éclectisme de Wayne Horvitz aura profité à sa discographie. Pour la dernière fois ?

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David Murray : Live at the Lower Manhattan Ocean Club (Jazzwerkstatt, 2009)

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Réédition d’un disque paru jadis sur India Navigation, Live at the Lower Manhattan Ocean Club expose David Murray en meneur de quartette dont les membres rivalisent de présence.

Parce que ces membres sont Lester Bowie (trompette), Fred Hopkins (contrebasse) et Phillip Wilson (batterie), qui donnent avec le saxophoniste, et en quatre titres ramassés, un cours magistral de jazz tel qu’on le pratiquait dans les années 1970 en lofts new-yorkais : épreuves de swing bancal, de post-bop et de free jazz, assez intelligents tous pour ne pas s’imposer au son de leurs divergences. Au-delà de la forme, souligner aussi la finesse des thèmes d’où tout sera parti : valse lasse de Nevada's Theme, swing vacillant d’Obe et marche lente de For Walter Norris – ces deux dernières pièces, signées Butch Morris, plaident en faveur de l’idée qui voudrait que les airs de jazz les plus solides sont pour l'essentiel sortis de cornets.

David Murray : Live at the Lower Manhattan Ocean Club (Jazzwerkstatt / Codaex)
Enregistrement : 1977. Réédition : 2009.
CD : 01/ Nevada's Theme 02/ Bechet's Bounce 03/ Obe 04/ Let the Music Take You 05/ For Walter Norris (Butch Morris) 06/ Santa Barbara & Crenshaw Follies
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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