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Annette Peacock : I Belong to a World That’s Destroying Itself (Ironic, 2014)

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Puisque toute réédition (ou presque) mérite une explication, voilà pour I Belong to a World That’s Destroying Itself : c’est en fait Revenge, qui était sorti au début des années 1970 sous le nom du Bley-Peacock Synthesizer Show (+/- 1969) & qu’il faut désormais considérer comme le premier album solo d’Annette Peacock (non, ce n’est plus I’m the One) puisque Paul Bley n’y apparaît que sur 3 titres et que 8 - 3 = 5 et que 5 c’est suffisant pour un solo. Trêve de précisions, ajoutons qu’on aura pris soin d’agrémenter Revenge de deux morceaux supplémentaires (Flashbacks et Anytime with You).

Ce qu’il y a d’étonnant dans I Belong to a World That’s Destroying Itself (qui est aussi le titre du troisième morceau) c’est qu’il y est presque plus question de voix (celle d’Annette, trafiquée, modifiée…) que de synthétiseurs et d’expés postjazz (en plus de Paul Bley, ont participé à l’enregistrement Gary Peacock, Laurence Cook, Perry Robinson ou Mark Whitecage). Un album de chansons un peu spéciales, il faut bien le reconnaître, parce qu’il racole (mai dans le bon sens du terme = stylistiquement ou genriquement parlant, du côté des protopunk / punkofunk / funkoblues /  bluesypop / poprélofi…) même si pas toujours sur le bon trottoir.  

Enfin, oui, si le son est un peu sale, c’est normal. Et d’ailleurs ça ajoute aux charmes de la chose qui ne nous vient pas d’une autre époque mais d’une autre planète. Une planète qu’accosteront bientôt (c’est du futur régressif) Soft Machine, Carla Bley ou même (quoi ? qui ?) Astrud Gilberto. De quoi quand même intriguer, et faire à Revenge Nouvelle Formule une belle place dans sa discothèque.

Annette Peacock : I Belong to a World That’s Destroying Itself (Ironic)
Enregistrement : 1968-1969. Ediiton (sous le nom de Revenge) : 1971. Réédition : 2014.
CD / LP : 01/ A Loss or Consciousness 02/ The Cynic 03/ I Belong to a World That’s Destroying Itself 04/ Climbing Aspirations 05/ I’m the One 06/ Joy 07/ Daddy’s Boat (A Lullaby) 08/ Dreams (If Time Weren’t)
Pierre Cécile © Le son du grisli



Paul Bley : Improvisie (America, 1971)

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Ce texte est extrait du premier volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Très tôt dans sa vie et au milieu de la bohème new-yorkaise, poussée par ses compagnons Gary Peacock puis Paul Bley comme par l’immense Albert Ayler, Annette Peacock a cherché sa vérité, en quête des nouvelles formes de liberté qu’autorisait alors le free jazz, en pleines sixties. « Albert Ayler était mon héros, se plait-elle à souligner : j'ai appris grâce à lui que l'on peut trouver sa propre voie, il m'a convaincue que j'en étais capable. »  C'est donc en autodidacte, et pour Paul Bley, qu'elle a d'abord donné naissance à un impressionnant corpus de compositions, préfigurant certaines des atmosphères popularisées plus tard par le label ECM, entourée de musiciens ignorants des virtuosités vaines, tels le bassiste Steve Swallow et les batteurs Barry Altschul ou Paul Motian. A leurs côtés, la pondération, la nuance et la retenue d'Annette Peacock ont fait merveille, fortifiant tout un art de la suggestion, de l’ellipse et de l’implicite, à l'origine d'ambiances en demi-teintes et toutes en langueurs.

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Cet univers à l'aura fantomatique, déjà très sensuel, plein de tensions et troué de silences, Annette Peacock l'a peaufiné quelques mois durant à la prestigieuse Juilliard School of Music afin de perfectionner sa maîtrise des modes et des accords. Après ces expériences acoustiques pourtant achevées, curieusement, l’électricité et l’électronique seront sollicités, au sein du Synthesizer Show dans un premier temps, autour de 1969, en compagnie de Paul Bley, enrichissant encore la palette de sons : c'est ainsi que grâce à un prototype du légendaire synthétiseur Moog offert par son inventeur, Annette Peacock invente alors un système permettant de trafiquer sa voix, la transformant en un instrument nouveau, différent et mutant. 

« J'ai tout de suite adoré le synthétiseur, découvert sur un disque de Walter Carlos. C'était un nouvel instrument, je n'arrêtais pas d'en parler à Paul Bley qui n'était guère enthousiaste. L'idée était de créer de la musique avec, plutôt que de l'utiliser comme un instrument tout juste bon à reproduire des mélodies existantes : nous voulions lui donner la dignité et le respect qui lui étaient dus. Nous avons passé beaucoup de temps dessus à faire des réglages afin de retrouver les sons que nous cherchions, j'ai aussi inventé un moyen d'y faire passer ma voix. Notre premier concert avec synthétiseur eut lieu au Village Vanguard. »

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A ces libertés directement connectées au free, succéderont rapidement des envies plus « pop » qu'Annette Peacock couchera sur des disques pervertissant les lois du genre. Premier véritable album sous son nom, quel qu'en soit d'ailleurs et comme le souligne Annette Peacock le crédit quelque peu abusif apporté à Paul Bley alors qu'elle s'avère, seule, responsable des compositions, des arrangements et de la production, Revenge: The Bigger The Love The Greater The Hate annonce clairement le suivant et mythique I'm The One, enfin orné de la seule signature de sa génitrice.

Pour l'heure, Improvisie et son frère jumeau sur Milestone (The Paul Bley Synthesizer Show), le premier surtout, en trio avec le percussionniste Han Bennink, offre le meilleur de ce free jazz à base d'électronique. Assez peu sauront se montrer aussi créatifs en pareille environnement synthétique : entre autres Anthony Braxton avec Richard Teitelbaum, Joe McPhee avec John Snyder, Bruce Ditmas avec Joan LaBarbara ou encore George Lewis en hommage improbable à Charlie Parker.

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