Gregg Kowalsky : Tape Chants (Kranky, 2009)
Au prétexte de trouver de l’intérêt à travailler sur le matériau cassette (au moyen de lecteurs et d’enregistreurs de cassettes mais aussi – et quand même – de synthétiseurs analogiques et de microphones variés), Gregg Kowalsky bouda un peu le digital pour édifier Tape Chants.
De concerts (aux airs d’installation sonore) en studio (où le disque a été enregistré), Kowalsky affina ses expériences au point de consigner sur disques un lot de trouvailles électroacoustiques rehaussées d’une drôle d’envie de se mouvoir. Après qu’un décorum brumeux aura été installé, toutefois, d’où jailliront boucles minutieuses et parasites extirpés du monde réel. Quelques soupçons de rythme, ici et là, font tenir l’assemblage et parfont même sa cohésion à coups de contrastes inattendus. Les vignettes expérimentales peuvent alors se désagréger, elles reviendront sous forme de souvenirs pour obéir aux conseils des boucles tenaces de Tape Chants.
Gregg Kowalsky : Tape Chants (Kranky)
Edition : 2009.
CD : 01/ Invocation 02/ I-IV 03/ V 04/ VI-VII 05/ VIII 06/ IX 07/ X-XI
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Denniz Gonzalez : Live in Washington, D.C. (Daagnim, 2009)
Vingt ans après son enregistrement, ce concert donné à Washington par le Band of Sorcerers met au jour l’accord de membres faits pour s’entendre : Dennis Gonzalez (trompette), Carter Mitchell (contrebasse), Reggie Nicholson (batterie) et, en invité de choix, Frank Lowe (saxophone ténor).
S’il n’est pas d’une netteté remarquable, le son de cet enregistrement ne peut altérer beaucoup la qualité de l’échange : qui va et vient entre free pugnace, soul et swing. Mitchell et Nicholson se chargeant d’affranchir les solistes de toutes obligations, Gonzalez et Lowe ne tardent pas à tirer de leurs verves respectives de grands dialogues inspirés par les figures d’Alvin Fielder, John Carter et Julius Hemphill.
En hommage à ce-dernier, le quartette fomente d’ailleurs une conclusion précieuse : développement lent tiré de sa torpeur par les références au blues de Lowe et les airs de Mexicana inventés sur l’instant par Gonzalez, derniers moments finissant au creux d’un tumulte réjoui.
Dennis Gonzalez Band of Sorcerers : Live in Wahington, D.C. (Daagnim)
Enregistrement : 1989. Edition : 2009.
CD-R : 01/ Hymn for John Carter 02/ Living on the Edge 03/ Hymn for Julius Hemphill
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Dennis Gonzalez Yells at Eels : The Great Bydgoszcz Concert (Ayler, 2009)
Un père, deux fils, un ami. Tous musiciens et en tournée en Pologne. Le père c’est Dennis Gonzalez, trompettiste qui après quelques années de doute(s) a ressorti la trompette de son étui. Les fils ce sont Aaron et Stefan Gonzalez, respectivement contrebassiste et batteur, et qui ne sont pas pour rien dans le retour du père. L’ami c’est le saxophoniste portugais Rodrigo Amado que l’on croise souvent dans les productions Clean Feed.
Leur musique a passé le cap du free jazz mais y retourne régulièrement comme pour nous dire que le cri sera toujours une nécessité (Document for William Parker). C’est une musique qui ressuscite le Happy House d’Ornette Coleman avec malice et vivacité (Rodrigo Amado s’approche alors très près de Dewey Redman). C’est une musique qui – Pologne oblige – honore l’immense Krzysztof Komeda (Litania). C’est une musique qui aime le mouvement, le groove, la mélodie, les espaces et la liberté de s’y abandonner puis de les lâcher pour mieux y retourner. C’est au final une musique qui existe fort et intensément. Tout simplement.
Yells at Eels, Crow Soul (extrait). Courtesy of Ayler.
Dennis Gonzalez Yells at Eels : The Great Bydgoszcz Concert (Ayler Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD : 01/ Crow Soul 02/ Happy House 03/ Joining Pleasure with Useful 04/ Document for William Parker 05/ Dialeto da Desordem 06/ Litania 07/ Elegy for a Slaughtered Democracy 08/ Oszkosz Bydgoszcz
Luc Bouquet © Le son du grisli
Vanessa Rossetto : Dogs in English Porcelain (Music Appreciation, 2009)
Peintre et musicienne américaine, Vanessa Rossetto déploie sur Dogs in English Porcelain un paysage en perpétuelle évolution, soumis à différents éléments : field recordings, manipulations d’objets ou d’instruments (à cordes, le plus souvent), usages électroniques.
Une plage unique transforme ici les bruits du quotidien en paysages insensés dans lesquels l’indécision d’un archet croise des souffles grandioses et le sifflement d’oiseaux en cage disparaît en mécaniques trop concrètes. Oscillations, larsens, bourdons, résonnances, bruits de frottements et rumeurs timides finissent de peupler l’espace : champ d’expérimentations diverses que Vanessa Rossetto investit avec une perversité raffinée.
Vanessa Rossetto : Dogs in English Porcelain (Music Appreciation)
Edition : 2009.
CD : 01/ Dogs in English Porcelain
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ran Blake : Driftwoods (Tompkins Square, 2009)
Pour ce nouveau disque de piano solo de Ran Blake, on ne parlera pas de relecture. On n’évoquera aucune mise à plat ou analyse des thèmes choisis ici mais on saisira le désir qu’a le pianiste d’être en phase avec la genèse du thème abordé. Comme une sorte d’archéologie joyeuse, ne gardant de la chanson que l’essentiel : l’élan et le sens.
Ce refus quasi-systématique du joli et du blues (quelques thèmes tel I’m Going to Tell God sont là pour me faire mentir) échappe donc à toute facilité ou roublardise et nous venge des standards rabâchés par nombre de confrères du pianiste en mal d’inspiration. Car ici, on peut parler d’inspiration, de respiration, de renaissance (Strange Fruit le prouve magnifiquement) et comme avec les solos de Monk, les soliloques de Blake résonnent d’une brute et infinie vérité.
Ran Blake : Driftwoods (Tompkins Square / Orkhêstra International)
Edition : 2009.
CD : 01/ Driftwood 02/ Dancing in the Dark 2 03/ Dancing in the Dark 1 04/ Lost Highway 05/ Unforgettable 06/ Cancao do Sol 07/ No More 08/ I Loves You, Porgy 09/ Strange Fruit 10/ Pawnbroker 11/ There’s Been a Change 12/ Portrait 13/ I’m Going to Tell God 14/ You Are My Sunshine
Luc Bouquet © Le son du grisli
Tomasz Bednarcyzk : Let's Make Better Mistakes Tomorrow (12k, 2009)
Jeune musicien polonais dont les deux premières œuvres ont trouvé l’écrin subtil qu’elles méritent en le label Room40 de Lawrence English, Tomasz Bednarczyk traverse le Pacifique pour son troisième effort, hébergé par la maison new-yorkaise 12K. Le changement d’hémisphère n’implique nullement une nouvelle orientation, toujours basée sur des traitements ambient de la guitare et du piano autour de quelques notes éparses.
Divisé en deux sections dont le pivot est le titre au piano (et turntablism ?) The Sketch, Let’s Make Better Mistakes s’écoule lentement, d’aucuns diront sans passion, sur des drones très chill à la Eliane Radigue, parfois agrémentés de field recordings, tels ces bruits de pas sur Shimokita. Heureusement, une lumière éprise de Giuseppe Ielasi jaillit de la blancheur sonore sur le magnifique Drawing, elle ravive considérablement l’intérêt, en montagnes russes (un comble pour un Polonais ?). On aimerait pourtant distinguer le disque de cette masse informe des productions ambient à base de drones. Hélas, de trop rares occasions ravivent notre intérêt, à l’image de cette pulsation surgie du fog automnal (Autumn).
Les quatre derniers titres de la seconde partie, plus sombre et décantée, explorent davantage l’inquiétude des ténèbres. De ces quinze minutes finales, on retiendra principalement la filiation entre Bednarczyk et Wolfgang Voigt sur un So qui n’aurait pas démérité sur les quatre immenses disques du producteur allemand également nommé GAS.
Tomas Bednarczyk : Let’s Make Better Mistakes (12K / Metamkine)
Edition : 2009.
CD : 01/ While 02/ Shimokita 03/ Drawing 04/ Raspberry Girl 05/ Autumn 06/ The Sketch 07/ Kyoto 08/ So 09/ Little Spring 10/ Night
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Dennis Gonzalez : A Matter of Blood (Furthermore, 2009)
On connaît l’attachement du trompettiste texan Dennis Gonzalez pour la Great Black Music, pour un jazz qui revendique son histoire et son identité de musique populaire mais qui refuse de se figer dans une pose folklorique, un jazz qui puise sa modernité dans les risques de l’improvisation et de l’exploration d’ailleurs tant musicaux que géographiques.
Souvent, dans les disques de Dennis Gonzalez, on retrouve de grandes figures tutélaires du jazz d’avant garde. Ces « gardiens du temps » (car outre incarner une certaine Histoire, ils sont souvent batteurs comme Louis Moholo, Andrew Cyrille et Famoudou Don Moye ou contrebassistes tels Henry Grimes ou Malachi Favors), incarnent certainement cette préoccupation qu’a le trompettiste de s’inscrire dans le continuum cher à l’Art Ensemble of Chicago : « Ancient to the Future ». Ici, Reggie Workman, 76 ans, offre la pâte inimitable de sa contrebasse au disque et concourt au surgissement de la sonorité d’ensemble, ample et énigmatique. Il est, sur tous les morceaux, époustouflant de justesse, de tendresse, de gravité.
Curtis Clark, au jeu de piano impressionniste, distille ses notes comme on troue le noir et conforte l’installation d’un climat orageux. L’électricité dans l’air, c’est le batteur Michael Thompson, qui semble être comme à son habitude partout à la fois, feu follet disparaissant ici pour aussitôt renaître là. Et Dennis Gonzalez bien sûr, qui joue si intensément que chaque note semble suspendue… Le trompettiste est aussi pertinent dans le jeu ostinato (Arbyrd Lumenal) que dans les improvisations les plus libres (Anthem for The Moment).
Enfin, Dennis Gonzalez se pose véritablement comme leader sur cette session, non en occupant le terrain à tout prix mais en donnant une direction et une cohérence esthétiques au disque. Celui-ci s’ouvre par une reprise d'Alzar la Mano de Remi Alvarez (saxophoniste mexicain que Dennis avait invité à jouer avec lui au Vision Festival de New York en 2006) et se clôt par une improvisation collective, Chant de la Fée. Entre les deux, trois longues compositions de Gonzalez et trois courts interludes composés par chacun des trois autres musiciens de cette session. Outre l’équilibre réfléchi qui sous-tend cette musique ruisselante de vie, on retrouve là trois éléments cruciaux du jazz : l’inspiration, l’improvisation et la composition. C’est un disque magistral.
Dennis Gonzalez : A Matter Of Blood (Furthermore Recordings)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD : 01/ Alzar La Mano 02/ Interlude : Untitled 03/ Arbyrd Lumenal 04/ Interlude : Fuzzy’s Adventure 05/ A Matter Of Blood 06/ Anthem For The Moment 07/ Interlude : 30 December 08/ Chant De La Fée
Pierre Lemarchand © Le son du grisli
Robert Wyatt : Radio Experiment Rome, February 1981 (Tracce, 2009)
En 1981, pour répondre à une carte blanche que lui offrait la radio italienne, Robert Wyatt revoyait ses manières expérimentales de faire : Radio Experiment Rome, February 1981, de faire aujourd’hui état de ses tentatives.
A force d’éclats de voix rivalisant de présence avec un piano ou une guimbarde (aux possibilités sonores élargies par quels traitements), Wyatt construit ici un minimalisme pop entêtant, qui tire sa substance rare d’extraits rapportés d’autres documents radiophoniques ou d’expérimentations ludiques (douceur de la révolution culturelle, dit la voix maltraitée de Revolution Without ‘’R’’ sur d’implacables percussions mises en boucles).
Mais l’exercice est un peu long et voici que la pop en décalage se transforme en à-peu-près sonore, voire mélodique (Born Again Cretin, L’Albero Degli Zoccoli) : suspecter alors le manque d’inspiration, ou encore une facilité de passage prônant le remplissage prêt à donner le change. En conséquence, Radio Experiment vacille, et malgré la poésie singulière (les mots et leur mise en formes) de Robert Wyatt, ne vaut guère davantage que son statut de document.
Robert Wyatt : Radio Experiment Rome February 1981 (Tracce / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1981. Edition : 2009.
CD : 01/ Opium War 02/ Heaven Have No Souls 03/ L’Albero Degli Zoccoli 04/ Holy War 05/ Revolution Without “R” 06/ Billy’s Bounce 07/ Born Again Cretin 08/ Prove Sparse
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Phill Niblock : Touch Strings (Touch, 2009)
Après les instruments à vent (sur le monumental Touch Three, Touch Music, 2006), Phill Niblock investit les cordes afin de bâtir trois nouvelles cathédrales sonores, au matériau de base et au procédé de composition différents. Stosspeng est élaboré à partir de l’accumulation d’échantillons de pulsations des guitare et guitare basse de Susan Stenger et Robert Poss. Poure résulte de l’assemblage de plusieurs couches de violoncelle joué par Arne Deforce et One Large Rose du mixage de quatre pistes correspondant à autant d’enregistrements du Nelly Boyd Ensemble de Hambourg.
Comme d’habitude, les monolithes sonores construits par Niblock ne révèlent toutes leurs subtilités qu’à un très fort volume. C’est ainsi que cette musique communiquant un sens de l’espace sans nul autre pareil exerce le mieux sa force de fascination. Les strates, aux progressions graduelles, enveloppent peu à peu l’auditeur, confronté à un monde de textures aux richesses quasi infinies. La durée des pièces (une heure pour Stosspeng) est essentielle pour imposer à l’auditeur la concentration nécessaire lui permettant de s’immerger dans un univers dont le seul principe serait le son, éternel et absolu.
Phill Niblock : Touch Strings (Touch Music / Metamkine)
Enregistrement : 2006-2007 (Stosspeng), 2008 (Poure, One Large Rose). Edition : 2009.
CD1 : 01-06/ Stosspeng (Susan Stenger et Robert Poss) - CD2 : 01/ Poure (Arne Deforce) 02-06/ One Large Rose (The Nelly Boyd Ensemble, Hambourg)
Jean Dezert © Le son du grisli
Richard Chartier : Untitled (Angle.1) (NonVisual Objects, 2009)
C’est pour une installation (non intitulée) de l’artiste Linn Meyers que Richard Chartier composa cette pièce d’un peu plus de 36 minutes (non intitulée non plus). Afin d'expliquer la précision entre paranthèses ((angle.1)), voici à quoi ressembe l’œuvre.
Sous cet angle, Richard Chartier trouve le prétexte à poursuivre son questionnement de la stéréo et calque ses lignes électroniques sur celles d’encre que l’on pouvait voir sur les murs. En conséquence, deux œuvres s’associent et entremêlent leurs lacets (ceux de Chartier imbriquant déjà un larsen, une couche sonore horizontale, et des chants de faux criquets). Le disque en ressort diaphane mais impressionnant par la façon qu’il a d’apposer côte à côte des moments de silence (le blanc des murs de Meyers) et des mouvements sonores tout en discrétion. La vérité n’est pas ailleurs que dans cette découverte : le visuel peut s’entendre.
Richard Chartier, Untitled (Angle.1) (extrait). Courtesy of NonVisualObjects.
Richard Chartier : Untitled (Angle.1) (NonVisual Objects)
Edition : 2009
CD : 01/ Untitled (Angle.1)
Pierre Cécile © Le son du grisli