Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Fred Anderson : 21st Century Chase (Delmark, 2009)

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Fred Anderson fêtait récemment ses 80 ans. Pour l’occasion, donnait un concert en trio dans son endroit, le Velvet Lounge, en compagnie du saxophoniste Kidd Jordan, du guitariste Jeff Parker, du contrebassiste Harrison Bankhead et du batteur Chad Taylor. Comme souvent maintenant (et comme il l’avait déjà fait avec Fred Anderson pour Timeless), le label Delmark a choisi de produire le même enregistrement sous forme de CD et de DVD.

Si l’image n’est pas obligatoire (en bonus, le film donne la parole à Henry Grimes), elle permet quand même de suivre les gestes d’Anderson, silhouette à la courbe fière, qui laisse Jordan ouvrir seul la première des deux parties de 21st Century Chase. Déjà, le son est profond, la musique intense et l’ensemble astreignant : impossible à l’auditeur de se détacher du discours ici mis en place, d’autant que l'octogénaire rattrape maintenant son partenaire intempestif. Reste à la fougueuse section rythmique d’accompagner le tout et à Parker de changer rapidement ses premières saillies mièvres en colliers d’aigus autrement convaincants, qu’il destine à sa soudaine coalition avec Jordan, insistant lui aussi dans les hauteurs. La seconde partie du titre verra le guitariste jouer davantage l’incitateur éclairé et mener les musiciens d’expérimental minimaliste en free jazz apothéotique [soumettre un autre adjectif].

En conclusion, Ode to Alvin Fielder, malgré l’hommage, peine à convaincre sur un swing gauche : restent seulement les entrelacs des saxophones ou la solution du retour aux deux premières plages.

Fred Anderson : 21st Century Chase (Delmark / Amazon)
Enregistrement : 2009. Edition : 2009.
CD / DVD : 01/ 21st Century Chase Part 1 02/ 21st Century Chase Part 2 03/ Ode to Alvin Fielder
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Jamie Drouin : A Three Month Warm Up (Dragon's Eye, 2009)

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Pour fabriquer A Three Month Warm Up, le Canadien Jamie Drouin a enregistré pendant trois mois les ambiances d'un square de Victoria. Il a ensuite ramené les sons à la maison pour les traiter électroniquement avant d'envoyer le tout à la galerie d'art qui lui avait eu la bonne idée de lui passer commande.

Pour présenter plus concrètement A Three Month Warm Up, on pourrait parler de 77 minutes d'atmosphères compactées et de leurs volutes ouateuses qui vomissent de temps en temps une voix, ou au moins un mirage de voix. Le reste de l'écoute est une exploration de couloirs (atmosphériques eux-aussi) sans fin formant un fantastique labyrinthe suspendu dans lequel n'importe qui sera pris à perdre ses repères, corporels et sonores.

Jamie Drouin : A Three Month Warm Up (Dragon's Eye Recordings)
Edition : 2009.
CD-R : 01/ A Three Month Warm Up
Pierre Cécile © Le son du grisli


Jacob Anderskov : Agnostic Revelations (Ilk, 2010)

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A l’écoute de ce disque, on a envie de s’emporter, de le louer avec emphase, mais l’emphase est certainement le qualificatif qui sied le moins à ce disque. Pour s’inspirer du titre de l’album, on pourrait dire que la révélation ne naît ici pas de la certitude, mais au contraire du doute. Les musiciens semblent vouloir jouer l’ombre que projettent les mélodies plutôt que leur évidente lumière, l’envers de la partition ou du moins sa partie cachée.

On entend ici une musique de réserve, donc, d’humilité, de mystère, de tâtonnements, de hasards. Une musique du flottement, des possibles, des directions brouillées dans lesquelles est remarquable la concentration avec laquelle les musiciens s’écoutent pour faire progresser la musique par petites touches (Warren Street Setup, Dream Arch).

Jacob Anderskov, pianiste danois, a du beaucoup rêver cette musique avant de proposer à ses trois compagnons américains de l’incarner enfin. Chris Speed, à la clarinette et au saxophone, est impressionnant, d’un bout à l’autre de ce disque, de retenue, d’intériorité serait-on tenté de dire, et le son ample et étale qui le caractérise est ici beau comme jamais (Be Flat and Stay Flat). La section rythmique n’est pas en reste. Tout ce que jouent Gerald Cleaver (batterie) et Michael Formanek (contrebasse) est pertinent : il faut les écouter sur l’intro de Diamonds Are for Unreal People, relancer la machine, être partout à la fois, sans jamais s’imposer inutilement.

La prise de son et la production, supervisées par le pianiste lui-même, sont superbes et concourent à donner à ce disque son unité : pas de brillance mais une matité qui confère à l’ensemble une certaine aura, telle les lointaines lumières que l’on devine à travers un trop épais brouillard.

Jacob Anderskov : Agnostic Revelations (Ilk)
Enregistrement: 2009. Edition: 2010.
CD : 01/ Warren street setup  02/ Be flat and stay flat  03/ Pintxos for Varese  04/ Blue in the face  05/ Diamonds are for unreal people  06/ Solstice 2009  07/ Neuf  08/ Dream arch
Pierre Lemarchand © Le son du grisli


Charles Gayle : Our Souls (NoBusiness, 2009)

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En juin 2008, Charles Gayle donnait un concert à Vilnius en compagnie de Dominic Duval (contrebasse) et Arkadijus Gotesmanas (percussions) sur invitation de ce dernier, concert reproduit aujourd’hui sur un 33 tours.

S’il débute au piano, c’est au saxophone alto que Gayle marquera le quart d’heure augmenté d’Hearts Cry, rapprochant sans doute ici plus que jamais ses plaintes hautes de celles d’Albert Ayler, pour laisser sinon à Duval et Gotesmanas tout la place à occuper. Retourné au piano, le musicien s'y accroche cette fois, se répète puis élève une montagne de clusters qui s’affaissera jusqu’à devenir déconstruction turbulente (noter ici la belle présence du batteur, à la hauteur de celles de ses illustres partenaires).

Sur l’autre face, Charles Gayle fait preuve à l’alto d’un swing insaisissable que Duval bouscule au son de pizzicatos houleux : alors, l’hymne de Love Changes tourne en boucle avant qu’un free appuyé éloigne de la moindre note toutes tentations mélodiques. A la section rythmique, ensuite, de s’éprendre de swing sur Compassion, pièce changée en morceau d'abstraction à force de prendre des coups : saxophone et piano l’un après l’autre, et comme du fond de la salle, pas fatigués d’en avoir déjà donné beaucoup. Ainsi va Our Souls, qui redit qu’on entend jamais mieux Charles Gayle que véhément et en trio.

Charles Gayle : Our Souls, Live in Vilnius (Nobusiness Records / Instant Jazz)
Enregistrement : 20 juin 2008. Edition : 2009.
LP : A1/ Heart Cry A2/ The Flood B1/ Love Changes B2/ Compassion B3/ Our Souls
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Musica Viva Festival 2008 (Neos, 2009)

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Incontournable festival de musique contemporaine se tenant à Lisbonne, Musica Viva voit aujourd’hui consacré en coffret sa dernière édition. Six disques reviennent ainsi sur un programme qui relève autant de la perspicacité que de l’invention.

Sur le premier de ceux-là, l’interprétation de Mixtur 2003, pièce électroacoustique de Karlheinz Stockhausen qui confronte orchestre et machines (générateurs d’ondes sinusoïdales, mixeurs, modulateurs). Subtilement, ces dernières s’emparent du discours acoustique, le transforme et impose à l’orchestre de faire avec son œuvre transfigurée. Autres incontournables du genre, Iannis Xenakis et Giacinto Scelsi : le premier évoqué au son d’Antikhton, composition au centre de gravité perdu à force de céder aux mouvements insatiables des cordes ; le second célébré le temps d’Uaxuctum, œuvre sombre tirée d’une légende maya aux allures de vaisseau fantôme moderne, dont le transport est fait de dérives imperceptibles.

La force de Musica Viva, de compter aussi sur l’intérêt que porte le festival aux créations du jour : d’autres cordes égarées sur les boucles intransigeantes du Pilgerfahrten de Chaya Czernowin ; mise au jour d’un appareil ancien (l’armonica, sur une pièce du même nom) par le jeune Jörg Widmann, qui s’amuse des limites de l’instrument avant de le jeter en pâture aux musiciens de l’orchestre.

Un lot d’autres pièces encore – quelques fois moins convaincantes, à l’image de cette symphonie de Karl Amadeus Hartmann –, se raccrochent au wagon d’un contemporain d’atmosphères et d’inquiétudes, et puis le dernier disque revient sur les prestations de l’Ensemble Sheikh Ahmad Tuni et du Trio Chemirani : chants soufis ou percussions iraniennes qui concluent dans l’exaltation la haute rétrospective. 

Musica Viva Festival 2008 (Neos / Codaex)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD1 : Karlheinz Stockhausen, Mixtur 2003 - CD2 : Karl Amadeus Hartmann, Symphonie L'oeuvre ; Aribert Reimann, Cantus ; Jorg Widmann, Armonica ; Matthias Pintscher, Herodiade-Fragmente - CD3 : Iannis Xenakis, Antikhthon ; James Dillon, La Navette ; Beat Furrer, Konzert Fur Klavier Und Orchester ; Giacinto Scelsi, Uzxuctum - CD4 : Chaya Czernowin, Pilgergahrten - CD5 : Kaija Saariaho, Vent Nocturne ; Liza Lim, Ochred String ; Rebecca Saunders, Blue and Gray ; Adriana Holszky, Countdown - CD6 : Traditional Music from Egypt and Persia
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Cornelius Cardew : Treatise (Hat[Now]Art, 2000)

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Continuellement en guerre contre l’embourgeoisement des musiques d’avant-garde, Cornelius Cardew mettra quatre ans à élaborer Treatise, partition graphique de 193 feuillets. Ne possédant aucune  indication quant à l’instrumentation ou à la durée de son exécution, Treatise proposait de faire éclater la frontière entre musiciens professionnels et amateurs. Si elle ne fut pas toujours comprise en son temps, l’œuvre de Cardew a trouvé aujourd’hui de fidèles défenseurs, parmi lesquels de nombreux combos rock (Sonic Youth) ou électroniques (Formanex).

REPERES
Cornelius Cardew est né le 7 mai 1936 à Winchcombe. Il est mort le 13 décembre 1981 à Londres. A la Royal Academy of Music de Londres, il étudie le piano, le violoncelle et la composition. Il s’intéresse à Schönberg, Webern puis découvre Cage, Stockhausen. En 1958, il obtient une bourse et assiste Stockhausen. A Rome, il étudie avec Petrassi. Il rencontre John Cage et David Tudor. Il expérimente et remet en cause la notation musicale. Un peu plus tard, il élabore des partitions graphiques (Autumn ’60 & Autumn ’61) en vue de libérer l’interprète et d’en faire un musicien libre et non plus inféodé aux dictats des compositeurs. Treatise sera sa plus belle réussite.

Marxiste-léniniste puis maoïste, il crée le Scratch Orchestra dans lequel se retrouvent compositeurs d’avant-garde, étudiants en musique et arts plastiques, employés de bureau. La politique est au centre de la création de ce collectif. C’est à cette période qu’il part en guerre contre l’establishment des musiques d’avant-garde. Il s’éloigne de Cage, critique vertement Stockhausen et publie même l’ouvrage Stockhausen Serves Imperialism. Il confie alors à Daniel Caux : « ce que font Cage et Stockhausen, c’est simplement orienter les jeunes intellectuels et les jeunes musiciens. En fait, ils ne font que tourner en rond. »

Ses partitions graphiques ne rencontrant que peu de succès auprès des seuls musiciens amateurs (elles sont la plupart du temps interprétées par des musiciens d’avant-garde), il crée le Pop Liberation Music, groupe qui flirte avec la musique pop. Il prend fait et cause pour la lutte irlandaise et compose pour piano les Thälmann Variations du nom du militant communiste allemand mort assassiné à Buchenwald en 1943. Il enseigne alors pour survivre et devient professeur de composition à la Royal Academy of Music. Entre 1966 et 1971, il collabore avec Lou Gare, Eddie Prevost et Keith Rowe au groupe AMM et tutoie de ce fait l’improvisation libre. Le 13 décembre 1981, il est renversé dans une rue piétonne de Londres par un chauffard qui ne sera jamais retrouvé. Ses amis n’hésitent pas à parler d’attentat et d’assassinat.

TREATISE
Graphiste dans une maison d’édition, Cornelius Cardew mettra quatre années à finaliser Treatise. Cette partition graphique de 193 pages comprend deux portées toujours vierges en bas de page, la partition graphique située en milieu de page étant toujours partagée par une ligne médiane dont on ne sait s’il s’agit d’une ligne sonore continue ou d’une frontière. On peut ainsi estimer que les idéogrammes dessinés en dessous de cette ligne appartiennent au registre grave et  ceux en dessus au registre aigu (mais très souvent ces mêmes idéogrammes sont à califourchon sur cette même ligne). Les signes utilisent des formes géométriques (cercles, losanges, rectangles…), lignes continues ou brisées et quelques notes ou portées musicales s’y glissent ça et là. Les traits sont épais ou minces, donnant peut-être de ce fait une indication quant au volume auquel ils doivent être joués. La partition se lit de gauche à droite et ne peut se jouer en solo. La seule évidence quant à cette partition me semble être le fait qu’un musicien se doit de choisir une ligne ou une figure à jouer et s’y tenir. Aucun repère harmonique, rythmique n’est ici mentionné mais chacun peut suivre la partie de l’autre et ainsi éviter tout retard ou précipitation. L’improvisation ne me semble pas avoir sa place ici. L’absence d’indication permet à chaque fois une interprétation différente et chacun, musicien confirmé ou simple amateur – voire non musicien –, peut entrer dans cette partition.  De fait, et parce qu’à chaque fois nouvelle, cette œuvre résiste à toute critique. C’est sans doute là, la plus belle réussite du compositeur.

Le 15 février 1998, Art Lange dirige et enregistre pour la première fois l’intégrale de Treatise. En sortiront deux Compact Disc publiés par le label Hat[now]Art. Piano et electronics (Jim Baker), vibraphone et percussions (Carrie Biolo), clarinette et saxophone alto (Guillermo Gregorio), violoncelle (Fred Londberg-Holm), electronics (Jim O’ Rourke) vont façonner une œuvre faite de silences et de perturbations soudaines et glacées. Les interventions, jamais, ne s’incrustent et, de cet éphémère sans cesse remis en question, surgissent des lignes fuyantes ici, des embryons de mélodie là.

Trois ans plus tard et toujours pour le même label, Carrie Biolo, Jim Baker, Fred Londerg-Holm et Lou Mallozi (récitation), interprètent les pages 21 & 22 du Treatise de Cornelius Cardew dans un disque où se retrouvent d’autres œuvres graphiques du compositeurs (Autumn 60 / Material / Octet 61).

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Cornelius Cardew : Treatise (Hat[now]Art 2-122)
Cornelius Cardew : Material (Hat[now]Art 150]
Formanex : Treatise Live in Extrapol (Egbo 02)
Sonic Youth : Goodbye Twentieth Century (SYR 4)

La partition Treatise est éditée par The Gallery Upstairs, Buffalo, New York.
Luc Bouquet © Le son du grisli.


Erik Satie : 42 vexations (Sub Rosa, 2009)

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Erik Satie, c’est un peu la musique contemporaine du pauvre. Et celle du riche à la fois. En 42 vexations, le pianiste Matthew Shlomowitz le prouve en répétant un motif de « papier peint » musical aux aspérités fantastiques.

42 vexations a été écrit en 1893 mais aurait pu l’être hier. Dans le domaine du répétitif (il va sans dire), Satie s’en tire sans gêne : l'original rébarbatif trouve dans chaque nouvelle redite un peu de nouveau. L’auditeur, quant à lui, prend de la distance avec son propre souvenir musical et au bout de la douzième Vexation, voilà qu’il oublie une nouvelle fois le thème. Alors, il attend qu’il revienne et relance dans cette optique la mélodie-boomerang : Play ► Première vexation (ou peut-être est-ce la dernière ?). Comme un poisson dans l’eau de son bocal, Shlomowitz continue de faire des tours et célèbre à la fin de chacun d’eux la richesse de la mémoire qui fait défaut. Alors, 42 vexations pour tout le monde...

Erik Satie : 42 vexations (Sub Rosa / Quatermass / Orkhêstra International)
Edition : 2009.
CD : 01/ 42 vexations
Pierre Cécile © Le son du grisli


Julia Wolfe : Dark Full Ride (Cantaloupe Music, 2009)

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Julia Wolfe, co-directrice avec Michael Gordon et David Lang du collectif Bang On A Can (un festival à New York ; un ensemble, le Bang On A Can All Stars ; un label, Cantaloupe Music), explore comme ses deux comparses les versants d'une musique contemporaine qui allie les héritages d'Elliott Carter, de Steve Reich et de la No Wave. Et ces versants sont parfois un peu arides.

Dark Full Ride qu'elle fait paraître sur Cantaloupe Music est d'un conceptualisme qui laisse d'abord un peu perplexe. Sous-titré « Music in Multiples », il contient quatre compositions, dont trois font intervenir un seul instrumentiste. Celui-ci aura donc successivement enregistré les différentes pistes avant qu'elles soient mixées ensemble, à moins qu'il n'ait joué par-dessus les précédentes, ce n'est pas précisé par le livret du CD. Dans le cas de la première pièce, LAD, il s'agit de neuf cornemuses jouées par Matthew Welch et le concept fonctionne plutôt bien, du fait même de la puissance des sonorités de l'instrument. Les cornemuses nous transportent par leurs drones plaintifs et enchevêtrés, pleurant on ne sait quel aïeul à kilt.

Dark Full Ride pour quatre batteries est dénué de ces sonorités affectives et peine à faire passer les jeux démultipliés de cymbales et de toms pour autre chose qu'un savant exercice. My Lips from Speaking » pour six pianos est plus réussie bien qu'elle soit aussi très technique. Les clusters et notes froidement plaqués sur les claviers rejoignent par moment le jeu stride de l'époque du ragtime. Ils font également penser aux stupéfiantes pièces pour piano mécanique de Conlon Nancarrow. Le recours à des artifices technologiques est en effet indispensable pour l'interprétation de certaines partitions. D'autres passages, ceux composés de notes très éparses, évoquent György Ligeti.

L'album se termine par des cordes jouées à l'archet sur Stronghold, pour huit contrebasses, sur lequel un certain charme opère. La première partie est plutôt enjouée, puis on plonge dans un monde sonore fait de grondements funestes non dénués d'émotions. Comme l'annonce le titre de l'album la balade est totalement sombre. Elle s'apprécie surtout lorsque l'austérité du travail laisse un peu de place aux sentiments, aussi cafardeux soient-ils.

Julia Wolfe : Dark Full Ride (Cantaloupe Music / Amazon)
CD : 01-02/ LAD (for nine bagpipes) performed by Matthew Welch 03-04/ Dark Full Ride (for four drum sets) performed by Talujon Percussion Quartet 05-07/ My Lips From Speaking (for six pianos) performed by Lisa Moore 08-09/ Stronghold (for eight double basses) performed by Robert Black.
Edition : 2009.
Eric Deshayes © Le son du grisli


John Cage : Credo in Us... More Works for Percussion (Wergo, 2002)

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Suivant les traces phonographiques – significativement électives – du sidérant improvisateur (et intercesseur, dans ce cas) qu’est Lê Quan Ninh, on ne manque de croiser la piste cagienne et le travail qu’il mène depuis 1986, avec trois autres percussionnistes : Isabelle Berteletti, Jean-Christophe Feldhandler et Florent Haladjian, au sein du Quatuor Hêlios, sur le répertoire de Cage donc, mais aussi de Globokar, Aperghis, Therminarias ou Takemitsu

Si le premier volume des Works for Percussion publié par Wergo il y a une vingtaine d’années abordait des pièces élaborées entre 1939 et 1943, le dernier enregistrement en date permet d’écouter des travaux s’étendant de ladite période jusqu’à 1986 – soit une belle variété de terrains hachurés et d’espaces ouverts, aux bornes erratiques. Et c’est un véritable enchantement : tant pour cette conception unique du geste musical (et l’évolution de ses liens complexes avec les idées d’improvisation, d’intentionnalité) que pour l’appréhension du matériau sonore (de la conque à l’oscillateur) ; tant pour l’élégance balinaise de certains « paysages » que pour l’impeccable désordre et la joyeuse sobriété d’architectures habitables, vivantes, habitées.
Un accès privilégié à l’univers de Cage, tout bonnement !

John Cage, Quatuor Hêlios : Credo in Us... More Works for Percussion (Wergo / Amazon)
CD : 01/ Credo in US (1942) 02/ Imaginary Landscape n°1 (1939) 03/ Inlets (1977) 04/ Imaginary Landscape n°3 (1942) 05/ But what about the noise of crumpling paper which he used to do in order to paint the series of “Papiers froissés” or tearing up paper to make “Papiers déchirés”? Arp was stimulated by water (sea, lake, and flowing waters like rivers), forests (1986)
Guillaume Tarche © Le son du grisli


John Cage : Sculptures musicales (Ogreogress, 2008)

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Sous l’impulsion du percussionniste Glenn Freeman, quatre pièces tardives de John Cage refont ici surface, servies par les savoirs-faires de Freeman lui-même et de Christina Fong (violon), Karen Krummel (violoncelle) et Michael Crawford (contrebasse), et puis ceux des vents de l’Orchestre de Prague et du Chance Operations Collective.

En exergue, une citation du compositeur affirme qu’aujourd’hui le silence a presque partout le bruit du trafic. Les quatre compositions, de révéler de manière assez surprenante la place grandissante faite au bruit par John Cage à la fin de sa vie. Aller entendre ainsi des sculptures musicales qui font toute la place aux injonctions de souffles grandioses puis à de grandes plages de silence, portées d’abord par un art percussif frôlant l’indus, rattrapées ensuite par les remous provoqués par une section de cordes en déroute puis en perdition.

Mais le silence, encore et enfin, pour tout salut : l’Orchestre de Prague qui sert le projet de Glenn Freeman s’en tient là : chassé par des vents contraires, voit emmenées ses dissonances et la fureur adéquate au propos de Cage dont il aura bercé les dernières et grandiloquentes illusions. 

John Cage : Sculptures musicales… (OgreOgress)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
DVD Audio : 01/ Sculptures musicales 02/ Twenty-Six with Twenty-Eight 03/ Twenty-Six with Twenty-Eight & Twenty-Nine 04/ Eighty
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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