Jason Kahn : Sin Asunto / Dotolim (Creative Sources / Balloon & Needle, 2010)
La publication simultanée de ces deux enregistrements offre une intéressante occasion de comparer la mise en œuvre de deux pièces conçues par Jason Kahn selon le principe de ses Timelines antérieures (pour Zurich, New York ou Los Angeles) : ces partitions graphiques, élaborées pour des formations spécifiques ou occasionnelles, stipulent des durées, des textures, des intensités, et fournissent une sorte de trame, plus scénographique que sévèrement scénaristique…
Décembre 2008, à Zurich, club Moods : le son d’Ayler « with strings » dans la tête, Kahn (percussions amplifiées) regroupe Vincent Millioud (violon), Bo Wiget (violoncelle) et Christian Weber (une des plus belles contrebasses d’aujourd’hui), avec le projet de se frayer un chemin depuis les grandes profondeurs, tressant sonorités acoustiques & électroniques, vers la surface. Tirant toute sa puissance d’une véritable infusion étirée – par bourdons et planés – dans la durée, la musique atteint, au milieu de la pièce, un plateau à partir duquel se mettent en mouvement, lentement d’abord, les pales de Kahn ; la tension s’accroît (heureusement sans atteindre au caractère martial de l’Helikopter-quartett de Stockhausen) et l’expérience d’audition acquiert, comme dans une aspiration, une passionnante dimension physique. Remarquable.
Novembre 2009, à Séoul, dans l’espace exigu de Dotolim : familier de la scène coréenne depuis une visite de 2006 (Signal to noise vol. 6, disque For4Ears), Jason Kahn (ici, synthétiseur analogique, radio) s’entoure de Ryu Hankil (micro, micro-contact), Park Seungjun (ampli, réverb’), Jin Sangtae (disque dur), Choi Joonyong (platines CD ouvertes) et Hong Chulki (tourne-disques), pour élever des nuées électrostatiques urticantes qui, par phases et paliers, jusqu’à des altitudes d’une complexe frénésie, font et défont leurs agglomérats dans une ébullition fourmillante. Les matières ont beau être des plus métalliquement rêches, tirées d’un matériel technologique détourné si ce n’est éviscéré (ces platines qui patinent), grinçantes et plus aléatoires que les fameux cracked everyday-electronics, leurs jeux d’apparition-disparition donnent à l’abrasion générale une étonnante plasticité.
Deux excellents disques qui, s’ils ont un modus operandi commun, délivrent une fascination subtilement différente.
Jason Kahn : Sin Asunto (Creative Sources / Metamkine)
Edition : 2010.
CD : Sin Asunto
Jason Kahn : Dotolim (Ballon & Needle / Metamkine)
Edition : 2010.
CD : Dotolim
Guillaume Tarche © Le son du grisli