Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Yannis Kyriakides : Lunch Music (Unsounds, 2016)

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C’est un hommage à William Burroughs, non pas une relecture mais une presque illustration – et une commande, aussi, pour une pièce de théâtre dansant. On y entend la voix de l’écrivain, certes à différentes vitesses, celles changeantes du possible vinyle que Yannis Kyriakides a exhumé (ou inventé) pour l’occasion. Bientôt, la voix n’est plus qu’un râle, harmonieux, dont un chœur prend la suite – non, pas de nouvelle interprétation de L’homme armé.

Bien sûr, ce n’est pas la première fois que l’on entend sur disque la voix de Burroughs – sa propre lecture de Naked Lunch peut même être trouvée sur triple CD ou double cassette. Pour Kyriakides, l’hommage est plutôt un prétexte lui permettant d’entamer un travail sur la voix, premier instrument de tous qu’il confronte à d’autres instruments (percussions et ordinateur) ou à différentes « ambiances » (un air de rock ici, un drone plus loin, un rien de baroque aussi…).

Mais qu’ils chantent à l’unisson ou obéissent aux contrastes commandés, tous les instruments, voix et percussions donc, servent un exercice sévère et laborieux qui aura convoqué l’écrivain pour rien. C’était un temps déraisonnable / On avait mis les morts à table, aurait-on préféré entendre Yannis Kyriakides chanter à leur place.

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Yannis Kyriakides : Lunch Music
UnSounds
Edition : 2016.
CD / DL : 01/ Smell Down Death 02/ Boy 03/ Shakin’ 04/ Junk World 05/ Like Replicas 06/ Speed Days 07/ Sickness & Delirium 08/ Gut Thoughts 09/ Zones 10/ La La La Terminal
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Festival Météo [2015] : Mulhouse, du 25 au 29 août 2015

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Cette très belle édition du festival Météo vient de s'achever à Mulhouse. Petit florilège subjectif.

Le grain de voix. Rauque, granuleuse, grave, éructante, crachant tripes et boyaux, poilue. C'est la voix d'Akira Sakata, monument national au Japon, pionnier du free jazz dans son pays. Ce septuagénaire est peu connu en France. C'est un des génies de Météo que de faire venir de telles personnalités. Au saxophone, Akira Sakata oscille entre la fureur totale et la douceur d'un son pur et cristallin. A la clarinette, il est velouté. Et, quand il chante, on chavire. Il y a du Vyssotski dans cette voix, en plus sauvage, plus théâtral. On l'a entendu deux fois à Mulhouse : en solo à la chapelle Saint-Jean et lors du formidable concert final, avec le puissant batteur Paal Nilssen-Love et le colosse contrebassiste Johan Berthling. Ils forment le trio Arashi, qui veut dire tempête en japonais. Une météo qui sied au festival.

La brosse à poils durs. Andy Moor, guitariste de The Ex, brut de décoffrage, fait penser à un ouvrier sidérurgiste sur une ligne de coulée continue. En guise de plectre, il utilise parfois une brosse à poils durs, comme celles pour laver les sols. Un outil de prolétaire. Son complice, aux machines, est Yannis Kyriakides (un des électroniciens les plus convaincants de cette édition de Météo). Il lance et triture des mélodies de rebétiko. Des petites formes préméditées, prétextes à impros en dialogue. Un bel hommage à ces chants des bas-fonds d'Athènes, revisités, qui gagnent encore en révolte.

L'archet sur le saxophone. Lotte Anker a joué deux fois. Dans un beau duo d'improvisateurs chevronnés, avec Fred Frith, lui bidouillant avec des objets variés sur sa guitare, elle très inventive sur ses saxophones, jouant même par moment avec un archet, frottant le bord du pavillon, faisant résonner sa courbure. Elle s'est aussi produite en solo à la bibliothèque, dans la série des concerts gratuits pour enfants (encore une idée formidable de Météo), sortant également son archet, et accrochant les fraîches oreilles des bambins.

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Le naufrage en eaux marécageuses. Les trois moments ci-dessus sont des coups de cœur, vous l'aurez entendu. Affliction, par contre, lors du deuxième concert de Fred Frith, en quartet cette fois, le lendemain, même heure, même endroit (l'accueillant Noumatrouff). Et – hélas –, mêmes bidouillages que la veille, en beaucoup moins inspiré, sans ligne directrice, sans couleur, si ce n'est les brumes d'un marécage. Barry Guy, farfadet contrebassiste qu'on a eu la joie d'entendre dans trois formations, a tenté de sauver l'équipage de ce naufrage moite.

Les percussions du 7e ciel. La chapelle Saint-Jean, qui accueille les concerts acoustiques (tous gratuits), est très souvent le cadre de moments musicaux de très haute tenue, sans concession aucune à la facilité. Pour le duo Michel Doneda, saxophone, et Lê Quan Ninh, percussions, la qualité d'écoute du public était à la hauteur du dialogue entre les deux improvisateurs. La subtilité, l'invention sans limite et la pertinence de Lê Quan Ninh forcent l'admiration. D'une pomme de pin frottée sur la peau de sa grosse caisse horizontale, de deux cailloux frappés, il maîtrise les moindres vibrations, et nous emporte vers le sublime.

Et aussi... Le batteur Martin Brandlmayr, avec sa batterie électrique : son solo était fascinant. Le quartet Dans les arbres (Xavier Charles, clarinette, Christian Wallumrød, piano, Ingar Zach, percussions, Ivar Grydeland, guitare), totalement extatique. Le quartet d'Evan Parker, avec les historiques Paul Lytton, batterie, et Barry Guy, contrebasse, plus le trompettiste Peter Evans, qui apporte fraîcheur, vitalité et une sacrée présence, sous le regard attendri et enjoué de ses comparses. La générosité de la violoncelliste coréenne Okkyung Lee, qu'on a appréciée trois fois : en duo furieux avec l'électronique de Lionel Marchetti, en solo époustouflant à la chapelle, et dans le nonet d'Evan Parker : elle a été une pièce maîtresse du festival, animant aussi un des quatre workshops, pendant une semaine. Les quatre Danoises de Selvhenter, enragées, toujours diaboliquement à fond et pire encore, menées par la tromboniste Maria Bertel, avec Sonja Labianca au saxophone, Maria Dieckmann au violon et Jaler Negaria à la batterie. Du gros son sans finesse, une pure énergie punk. Et, dans le même registre, les Italiens de Zu : Gabe Serbian, batteur, Massimo Pupillo, bassiste et Luca Tommaso Mai, saxophone baryton : un trio lui aussi infernal, qui provoque une sévère transe irrésistible.

Festival Météo : 25-29 août 2015, à Mulhouse.
Photos : Lotte Anker & Fred Frith / Lê Quan Ninh
Anne Kiesel @ le son du grisli

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Alvin Lucier, MAZE : (Amsterdam) Memory Space (Unsounds, 2013)

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Aujourd’hui octogénaire, Alvin Lucier n’en demeure pas moins un des acteurs favoris des ensembles électroacoustiques dans la marge. Trois ans après Zeitkratzer (Alvin Lucier), le sextet néerlandais MAZE [Anne La Berge (flûte, electronics), Dario Calderone (contrebasse), Gareth Davis (clarinette basse), Reinier van Houdt (piano, claviers, electronics), Wiek Hijmans (guitare électrique) & Yannis Kyriakides (ordinateur, electronics)] déploie sur (Amsterdam) Memory Space une vision à la fois sereine et incarnée du compositeur américain.

En soixante minutes (et pas une seconde de plus) et une seule séquence, Van Houdt et ses comparses esquissent un très joli tableau polychromique, où la guitare vient cajoler – le terme n’est pas exagéré – la clarinette ou la flûte, sans parler des trois électroniciens, aux interventions aussi discrètes qu’intelligentes, voire inspirées. Et sans réellement savoir qui de Kyriakides, Van Houdt ou La Berge appuie sur le bon bouton (est-ce franchement un souci ?), le splendide équilibre déployé par l’ensemble MAZE nous fait déjà promettre des lendemains tout en harmonie.

écoute le son du grisliAlvin Lucier, MAZE
(Amsterdam) Memory Space

Alvin Lucier, MAZE : (Amsterdam) Memory Space (Unsounds / Metamkine)
Edition : 2013
CD : 01/ (Amsterdam) Memory Space
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli


Pierre-Yves Macé : Musique et document sonore (Les Presses du Réel, 2012)

pierre-yves macé musique et document sonore

C’est une thèse de doctorat désormais publiée que son auteur, Pierre-Yves Macé, aurait pu (pourrait) poursuivre à vie : l’utilisation du document sonore dans le contexte musical est son sujet. Partant d’Edison, voici donc l’histoire d’un « document » – la notion, démonstrative et laissant derrière elle quelque trace, sera brillamment expliquée dans un chapitre – qui abandonne les rayonnages de l’archive pour l’univers plus exaltant de la création sonore.

Si l’exercice, formaté, connaît quelques impératifs (exposés d’esthétique convoquant inévitablement Adorno, Benjamin, Barthes, Deleuze…, citations zélées, organisation rigoureuse – à laquelle échappe toutefois ce bel interlude par lequel John Cage passe une tête), il profite de la diversité des écoutes auxquels il renvoie. Plus encore, il passionne par l’entendement déductif de Macé.

Traité de mille manières (amplifié, manipulé, traité, transformé, digéré…), le document finira souvent par adopter les contours d’arts hétéroclites pour être ceux de Ferrari, Nono, Reich, Bayle, Curran, Bryars, mais aussi Panhuysen, Matmos, Kyriakides, Kerbaj, Onda… A chaque fois, c’est un imaginaire augmenté par le « fourmillement du réel » que Macé envisage en chercheur éclairé avant d’en disposer les références dans une luxuriante toile de sons, aussi panorama saisissant : Musique et document sonore.

Pierre-Yves Macé : Musique et document sonore (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Musique et document sonore, 336 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Yannis Kyriakides : Dreams (UnSounds, 2012)

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Sur l’écran noir des lettres défilent en suivant le rythme de The Arrest interprétée par l’Ensemble MAE. La première des compositions que Yannis Kyriakides a mise en image pour Narratives 1: Dreams, est à ranger au rayon « minimalisme », où elle ne brillera pas particulièrement par son originalité.

Minimaliste, Subliminal le sera aussi, d’une manière à la fois plus frontale et plus indépendante des codes. L’écran est redécoupé, une longue bande de paysage le divise. C’est avec l’arrivée de la guitare (étrangement, pourrais-je dire) et son changement en héroïque que le répétitif de cette pièce trouve son salut. Avec Dreams of the Blind, Kyriakides opère un retour au contemporain (minimaliste aussi) : les quatre temps de sa composition (l’illustration se sert encore de ces défilés de mots-images) mettent en valeur un violon qui frôle le maniérisme mais qui réaffirme surtout que si Kyriakides sait se faire obéir, c’est bien par les instruments à cordes. Tel l’aveugle de cette dernière pièce, je ne me suis pas aperçu de l’intérêt de l’image,. Cela n’empêche pas le musicien de prévoir de remettre ça dans les mois à venir : d’autres « Narratives » sont annoncées.

Yannis Kyriakides : Narratives 1: Dreams (Unsounds)
Edition : 2012.
01/ Dreams of the Blind 02/ The Arrest 03/ Sulbiminal
Pierre Cécile © Le son du grisli


Yannis Kyriakides : Resorts & Ruins (Unsounds, 2013)

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Parmi les âmes damnées que charrie la musique de Penderecki, quelques rumeurs d’enregistrements de terrain, les ritournelles d’anciens airs populaires, les mirages d’un modernisme antidaté… Yannis Kyriakides est un jour passé pour composer, en souvenir de tous, Resorts & Ruins.

C’est ici une ode hybride à la voix qu’inquiète des sirènes, là une machine qui réanime des antagonismes et illustre leurs enjeux – des foules remontées abruties par un larsen ou un pouls de synthèse – ou un zapping radio qui finit sur grandes orgues. D’une poésie moins distante que celle dont Kyriakides s’est fait une habitude, les collages séquencés de Resorts & Ruins touchent autant que ceux de ce Buffer Zone que l’on salua jadis.

Yannis Kyriakides : Resorts & Ruins (Unsounds)
Edition : 2013.
CD : 01-03-05/ Covertures 02/ Varosha (Disco Debris) 04/ The One Hundred Words
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Yannis Kyriakides : Airfields (Mazagran, 2011)

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De l’écoute inspirante d’une musique indéterminée et discrète, Yannis Kyriakides a tiré l’électroacoustique d’Airfields, projet au son soigné que défend ici l'ensemble musikFabrik. La partition retient des plans de congestions cycliques : le piano mène la ronde, distribue les rôles aux autres instruments prêts à évoluer en vase clos sur la répétition de brefs motifs.

En filigrane, l’électronique attache les voix les unes aux autres : le tuba de Melvyn Poore et les cordes opposent leurs inquiétudes quand on ne leur commande pas de s’ignorer tout à fait. En conséquence, la pièce de Kyriakides est inégale : de beaux moments de suspension y alternent avec des envolées d’une dramaturgie entendue. Au fil des secondes, l’équilibre fragile entre acoustique et électronique, qui tenait pourtant en haleine, perd de son cachet : le piano avale même musikFabrik dans son entier, bientôt digéré sur un contemporain d’apparences.

Yannis Kyriakides : Airfields (Mazagran).
Enregistrement : 17 février 2011. Edition : 2011.
CD : 01-20/ Airfields
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Andy Moor, Yannis Kyriakides : Folia (Unsounds, 2010)

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La 19e sortie du label Unsounds est la troisième collaboration d’Andy Moor et Yannis Kyriakides sur CD. Cette fois, le guitariste et le manipulateur d’ordinateur cherchent l’inspiration dans une très vieille chanson que l'on appelle La Folia.

C’est en quelque sorte une danse à rendre fou qui convient à l’Ex-cellente guitare de Moor. Querelleuse, elle est la conscience active du duo : malheureusement, elle doit souvent faire avec une programmation électronique lourde – ne pondérons pas : plus-que-lourde même – qui réduit son dynamisme à néant. Cependant, lorsque Kyriakides a plus d’idées, la véritable « folia » vous gagne et bien que tout seul vous voici engagé dans un pas de deux. A ce moment là, la guitare de Moor et le « synthétiseur » grossissant de Kyriakides ont gagné leur pari. Mais il faut avouer que le moment est passager et qu’on en trouve deux ou trois de la sorte dans les quarante minutes que dure la rencontre.

Andy Moor, Yannis Kyriakides : Folia (Unsounds / Metamkine)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01-07/ Folia [part 1] - Folia [part 7]
Pierre Cécile © Le son du grisli


Yannis Kyriakides : The Buffer Zone (Unsounds, 2005)

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La théorie des dominos n'a eu aucun effet sur la chute des murs. Renonçant à attendre calmement le tour de Chypre, Yannis Kyriakides pose le problème autrement, sans chercher de solution. En composant The Buffer Zone, il tisse une pièce électro-acoustique à partir d'enregistrements sonores réalisés à la frontière interne de l'île, et affine son propos d'extraits rapportés d'interviews véritables de soldats des Nations Unies en assurant la sûreté.

Sur papier, le projet aura vite fait de paraître austère. Pourtant, le jeu de Tido Visser, récitant les états d'âme du soldat planté là, rassure d'emblée l'auditeur. Une histoire de plus à écouter, ou un témoignage à retenir, au choix. Celui de Kyriakides, qui sait qu'il n'a rien à gagner à imposer quoi que ce soit. De programmations électroniques et inserts naturels aux interventions répétitives d'un piano, des nappes vibrantes d'un violoncelle d'outre-tombe aux larsens parasites, l'ensemble s'imbrique à merveille.

Rappelant, sur la forme, la musique minimaliste américaine ou la cold avant-gardiste du Gruppe Between lorsqu'il rendit hommage à Herman Hesse, inutile d'en dire plus pour souligner l'inquiétant caractère du parcours balisé : secteurs interdits et sous surveillances, morceaux de villes abandonnées à l'effroi. Là, passer au travers des aigus de violoncelle grouillant parmi les tensions humaines, repérer les élans baroques de voix additionnelles échappant à la lumière pour se multiplier, ou fuir devant les éléments sonores sortis d'un matériel militaire égaré en zone quadrillée.

Installé à bord d'une autre Nef des fous, suffisait-il de rêver du calme glacial de paysages flamands ? A l'endroit de sa cicatrice, Chypre ne permet pas de repos à celui ou celle qui aurait dans l'idée de voir un jour les passions - tangibles seulement sur place - retomber. Restent les résolutions de l'ONU, dont deux voix répètent à l'envi certains passages pour mieux en révéler l'absurdité, et la fatigue que l'on peut éprouver face aux étrangers en faction, sûrs de l'importance de défendre coûte que coûte les supercheries vaines.

Kyriakides, parti à la recherche des présences envolées, aura plaidé en musique pour une stabilité différente, concrète et naturelle. L'Europe, pour son pays, encore en pourparlers, reste le message de The Buffer Zone, tout à la fois chronique élégante d'une politique évanouie et composition enthousiasmante.

Yannis Kyriakides : The Buffer Zone (Unsounds / Metamkine)
Edition : 2005.
CD : 01 - 66 / The Buffer Zone
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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