Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Steve Swell : Kanreki. Reflection & Renewal (Not Two, 2015)

steve swell kanreki

La soixantaine est, pour Steve Swell, le temps du Kanreki – regard tourné vers le passé sur fond de réflexion permettant d’envisager la suite –, qu’illustrerait le florilège d’enregistrements que le label Not Two met aujourd’hui en boîte. Entre 2011 et 2014, on y entend le tromboniste en différentes compagnies : en conséquence, différemment occupé.

C’est d’abord avec Dragonfly Breath (et Paul Flaherty, C. Spencer Yeh et Weasel Walter) une « fuite en avant » d’une demi-heure enregistrée en concert à Brooklyn. Cette insatiable envie d’en découdre et même de tapage, Swell la soigne ici pour la relativiser ailleurs au son d’un jazz « straight » qui n’est qu’un prétexte à jouer en perpétuel affranchi (en quintette avec Ken Vandermark et Magnus Broo).

Après quoi, la palette s’élargit encore : composition plus complexe qu'interprètent quatre clarinettes (dont celles de Ned Rothenberg et Guillermo Gregorio) ; duo avec Tom Buckner ou trio avec Gregorio et Fred Lonberg-Holm qui servent l’un et l’autre d’inquiets morceaux d’atmosphère ; combinaison plus écrite qui accorde le trombone, le saxophone alto de Darius Jones et la guitare d’Omar Tamez. Enfin, il y a ces quatre minutes enregistrées seul au trombone, où, sur une note qu’il tient pour travailler encore à sa sonorité, Swell démontre ce qu’il affirmait au son du grisli en 2007 : « Je sens qu’il y a encore à dire ».

Steve Swell : Kanreki. Reflection & Renewal (Not Two)
Enregistrement : 2011-2014. Edition : 2015.
2 CD : CD1 : 01/ Live at Zebulon 02/ Essakane 03/ Schemata and Heuristics for Four Clarinets #1 04/ News from the Upper West Side – CD2 : 01/ Splitting up is Hard to Do 02-04/ Live at the Hideout 05/ Composite #8
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Evan Parker : Seven (Victo, 2014) / Sant’Anna Arresi Quintet : Filu ‘e Ferru (2015)

evan parker seven elctroacoustic septet

Sur la pochette de ce disque, lire cet aveu d’Evan Parker : « Mon art de la composition consiste à choisir les bonnes personnes et à leur demander d’improviser. » Au 30e Festival de Musique Actuelle de Victoriaville, le 18 mai 2014, le saxophoniste donnait un concert en compagnie de Peter Evans (trompettes), Ned Rothenberg (clarinettes et shakuhachi), Okkyung Lee (violoncelle), Ikue Mori (électronique), Sam Pluta (électronique) et George Lewis (électronique et trombone). « Ceux-là sont les bonnes personnes », précisait-il.

C’est l’électronique qui se chargea d’abord d’arranger l’espace que l’ElectroAcoustic Septet aura tout loisir d’explorer : une forêt de sons brefs sous laquelle ont été creusé combien de galeries. Les musiciens s’y rencontreront, à deux, trois ou davantage, dans un jeu de poursuites ou au gré de conversations affolées. Ainsi aux notes hautes d’Evans et Lee, Rothenberg répondra ici par un motif grave et ramassé ; ailleurs, aux imprécations de l’électronique (dont les effets ne se valent pas tous), les souffleurs opposeront un alliage autrement expressif…

Mais à force de frictions, le terrain s’affaisse parfois et les plafonds de la galerie menacent. Et quand les vents ne retrouvent pas le chemin de l’air libre (ici le soprano de Parker, là le trombone de Lewis), les secondes peuvent paraître longues, aussi longues qu’elles sont bien remplies.

Evan Parker : Seven (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 mai 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Seven-1 02/ Seven-2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

sant anna arresi evan parker filu e ferru

Moins nombreux, les musiciens à entendre sur Filu ‘e FerruEvan Parker (au ténor), Peter Evans (trompettes), Alexander Hawkins (piano), John Edwards (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), enregistrés début 2015 au festival de jazz de Sant'Anna Arresi, en Sardaigne – improvisèrent sous le nom de Sant’Anna Arresi Quintet. Sept fois, et dans le champ d’un jazz assez « cadré », l’association profite de l’accord que trouvent Parker, Evans et Edwards, qu’ont malheureusement du mal à saisir les délayages d’Hawkins et l’abattage de Drake.

Evan Parker : Filu ‘e Ferru (2015)
CD : 01/ Filu 1 02/ Filu 2 03/ Filu 3 04/ Ferru 1 05/ Ferru 2 06/ Ferru 3 07/ Ferru 4
Enregistrement : 2 janvier 2015. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Ned Rothenberg : World of Odd Harmonics (Tzadik, 2012)

ned rothenberg world of odd harmonics

La fronde ne passant pas par le souffle de Ned Rothenberg, le solo de clarinettes de ce dernier ambitionne de fouiller la matière et de ne s’en défaire qu’une fois explorés tous les angles. Ainsi, si se retrouvent et se visualisent des traits communs à chaque pièce, ce n’est que pour mieux intensifier la fluidité irradiante des compositions du clarinettiste.

Avec la clarinette basse, le souffle sera souvent continu et crissant ; avec les clarinettes en la et si bémol, il sera plus modulant, plus répétitif. La polyphonie, s’invitant en de vifs échos, aura droit de cité. Les harmoniques surgiront et le fantôme de Jimmy Giuffre, en plusieurs occasions, viendra hanter un disque en tous points remarquable.

Ned Rothenberg : World of Odd Harmonics (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Preamble 02/ Fingerlace 03/ Deep Perception 04/ Odd Not Odd 05/ Swagger 06/ Line Drawing 07/ Kick Out Of It 08/ Giuff 09/ Elide in Time
Luc Bouquet © Le son du grisli

 


Evan Parker Expéditives

evan aprker expéditives

evan parker hasselt

Evan Parker ElectroAcoustic Ensemble : Hasselt (Psi, 2012)
C’est une tournée de l’Evan Parker Electroacoustic Ensemble déjà documentée par ECM (The Moment’s Energy) qu’Hasselt raconte encore aujourd’hui. Trois pièces datées du 20 mai 2010, une autre du lendemain (Electroacoustic Ensemble au complet), développent une musique d’atmosphère qui traîne d’abord derrière le piano d’Agustí Fernández, ensuite derrière la contrebasse de Barry Guy. Lentement, les machines prennent le dessus : la supériorité de l’électro sur l’acoustique n’étant écrite nulle part, les instruments à vents (soprano de Parker, clarinettes de Ned Rothenberg et de Peter van Bergen) changent la donne : au cuivre de mitrailler maintenant, avec un art altier de la subtilité.

grutronic evan parker

Grutronic, Evan Parker : Together in Zero Space (Psi, 2012)
Si ce n’est la faute (d’inspiration) des musiciens, alors on dira la machinerie de Grutronic peu facile d’usage, voire récalcitrante : sur Together in Zero Space, synthétiseurs, samplers, « drosscillator », sonnent parfois creux, d’autres fois avalent le soprano de leur invité, Evan Parker, pour le digérer sur l’instant dans un bruit de néant. Constructivisme d’électronique obnubilée par la musique concrète : hélas, l’effort est vain.

parker lee evans

Evan Parker, Okkyung Lee, Peter Evans : The Bleeding Edge (Psi, 2011)
Nouveau passage par la St. Peter’s Church Whistable : en compagnie d’Okkyung Lee et Peter Evans, Evan Parker s’adonnait ce 4 mai 2010 à une « séquence d’improvisations » (sous-titre du disque). C’est là un ballet que signent les musiciens : duos et trios allant de fantaisies pâles en emportements convaincants – sur la sixième pièce, trompette, ténor et violoncelle, fomentent ainsi une miniature de superbes excentricités.

evan parker joe sorbara

Evan Parker, Wes Neal, Joe Sorbara : At Somewhere There (Barnyard, 2011)
Enregistré à Toronto le 15 février 2009, At Somewhere There est une pièce de musique d’une quarantaine de minutes improvisée par le bassiste Wes Neal et le batteur Joe Sorbara en présence d’Evan Parker (au ténor). Son vocabulaire est celui d’un jazz poli et son contenu convenable à défaut d’être bouleversant.

evan parker paul dunmall

Evan Parker, Kenny Wheeler, Paul Dunmall, Tony Levin, John Edwards : Live at the Vortex, London (Rare Music, 2011)
La rencontre date du 2 janvier 2003. Les protagonistes : Evan Parker, Kenny Wheeler, Paul Dunmall, Tony Levin et John Edwards. En apesanteur, les saxophones piquent droit sur la contrebasse et les tambours : un free d’allure ancienne fait feu, puis ce seront des paraphrases appliquées sur de grands pans de décors sombres. L’enregistrement, d’être désormais indispensable dans la discographie de chacun de ses intervenants.


Alon Nechushtan : Dark Forces (Creative Sources, 2011)

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Neuf mouvements en tension extrême, parcourus de forces obscures et rougeoyantes, qui font émerger par masses lentes et graves des phénomènes sonores hérissés de possibles, aux irisations inquiétantes : respirations saturées, grincements de portes, larsens, bruits de lames de couteaux, scintillements métalliques presque cristallins, étirements de tracés lumineux aux formes mystérieuses, glissandi de cordes scabreux, rires…

Neuf métamorphoses formidablement orchestrées et interprétées par onze musiciens (cuivres, bois, contrebasse et deux guitares électriques jouées par Henry Kaiser et Elliott Sharp), qui déploient des morphologies ambigües, comme électronisées, évoquant par jeux de latence successifs, des sons environnementaux – la mer, le vent, un oiseau –, un bestiaire fantastique, tout une jungle, selon d’étranges processus d’involution et d’évolution, de défiguration et de refiguration.

Une expérience d’écoute intense où l’ombre et le non-vu – le non-ouï – activent en silence une puissante fantasmatique.

Alon Nechushtan : Dark Forces (Creative Sources / Metamkine)
Edition : 2011.
CD : 01-10/ 01-10
Samuel Lequette © Le son du grisli


Evan Parker : The Moment's Energy (ECM, 2009)

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Si le premier enregistrement de l’Electro-Acoustic Ensemble avait été, il y a une douzaine d’années, une passionnante découverte – la « cellule anglaise » (Evan Parker, Barry Guy, Paul Lytton) s’y trouvant pistée par son « shadow trio » (Phil Wachsmann, Walter Prati, Marco Vecchi) – le cinquième* album du groupe (toujours chez ECM) ne renouvelle pas complètement l’enchantement.

L’accroissement de l’effectif (culminant ici à quatorze membres, dont Agustí Fernández, Joel Ryan, Richard Barrett et Paul Obermayer) au fil des disques, un temps vanté par des chroniqueurs admiratifs de ce qu’ils prenaient pour une performance (de quoi ?), ne fait rien à l’affaire – mais ne l’aggrave pas non plus, à mon sens ; l’impression d’empâtement semble davantage tenir à la nature même et à la densité des interactions à l’œuvre. Le principe parkérien de prolifération donnant de merveilleux résultats hallucinatoires et poétiques dans le contexte du solo (voire du solo « traité », comme avec Prati dans Hall of Mirrors [CD MM&T] ou Lawrence Casserley dans Solar Wind [CD Touch]), un jeu supplémentaire de diffractions croisées peut confiner à l’obscurcissement des beaux labyrinthes de verre, comme si, par inflation, on passait d’un essaim turbulent à un avion gros-porteur, masse vrombissante creusant la nuit en clignotant puis virant pesamment sur une aile. On guette alors, dans ce flux laminaire, tout autant les festons du soprano que les trouées de Ned Rothenberg (clarinettes, shakuhachi), les éclaircies de Peter Evans (trompette, trompette piccolo) que l’impeccable sho de Ko Ishikawa, véritable générateur acoustico-électronique…

*Après Toward the Margins (6 musiciens, 1996), Drawn Inward (7 musiciens, 1998), Memory/Vision (9 musiciens, 2002), The Eleventh Hour (11 musiciens, 2004)

Evan Parker : The Moment's Energy (ECM / Universal)
Edition : 2009.
CD : 01/ I 02/ II 03/ III 04/ IV 05/ V 06/ VI 07/ VII 08/ Incandescent Clouds
Guillaume Tarche © Le son du grisli

Archives Evan Parker


Ned Rothenberg, Matthias Ziegler, Peter Schmid: El Nino (Creative Works - 2006)

ninosliEn compagnie du flûtiste Matthias Ziegler et du saxophoniste et clarinettiste Peter A. Schmid, l’Américain Ned Rothenberg s’adonne sur El Nino à une improvisation emportée et ludique. Et adresse, dans le même temps, un hommage aux graves.

C’est que les instruments utilisés ici ne laissent pas d’autres choix: clarinettes basse ou contrebasse, flûte contrebasse, saxophone subcontrebasse, etc. Animés d’un bout à l’autre du disque par la fièvre euphorique du trio, les instruments servent des constructions baroques et répétitives (SchRotZ #1), dessinent des entrelacs chastes (SchRotZ #2) ou fantasment un transport dans les steppes d’Asie centrale (ShakuhaZiSch).

Ici plus expérimentale, la pratique n’en devient pas opaque pour autant (SchRotZ #3) ; versant dans un classique affecté ailleurs, l’ensemble perd nettement de son charme, le temps du d’un duo Ziegler / Schmid (ZiSch) ou en introduction d’un ZiRoth #1 que Rothenberg et Ziegler parviendront finalement, à force de stimulation maligne, à sublimer.

Alors, si l’écart entre les sages expérimentations et les poses plus maniérées brouille l’ensemble, restent des moments brillants, à l’image de SchRoth #14, combinaison convulsive qui porte El Nino au statut de recueil convaincant.

01/ SchRotZ #1 02/ SchRotZ #2 03/ SchRotZ #3 04/ ZiSch #2 05/ SchRoth #14 06/ ShakuhaZiSch 07/ ZiRoth #1 08/ SchRotZ #5 

Ned Rothenberg, Matthias Ziegler, Peter Schmid - El Nino - 2006 - Creative Works.



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