John Coltrane : Live at Penn State ’63 (Hi Hat, 2015)
Ajout à Coltrane sur le vif, à propos d'un concert du quartette de John Coltrane qui vient d’être publié… Ce n’est pas le Coltrane aventureux des soirées en club que l’on retrouve ici mais celui de la future tournée européenne d’octobre-novembre 1963. En cette soirée du 19 janvier 1963 passée au Schwab Auditorium de la Penn State University, le saxophoniste, sûr de sa technique, segmente ses solos en plusieurs pistes et fait une confiance totale en ses partenaires : McCoy Tyner délivre de somptueux chorus (Every Time We Say Goodbye, Mr. PC) ; Jimmy Garrison, pour une fois pas trop maltraité par la prise de son, fait admirer son travail en profondeur tandis qu’Elvin Jones se fait moins tonitruant que d’ordinaire.
Tournant autour du thème de Bye Bye Blackbird, Coltrane semble gêné par les accords de son pianiste. Quand ce dernier s’efface et laisse parler le trio, il oublie le thème et densifie de nouveaux rivages. Notons ici le subtil jeu de balais du batteur pendant le doux chorus de Garrison. Seul maître à bord de The Inch Worm, Coltrane se montre souverain au soprano et le sera à nouveau lors d’une version malheureusement incomplète de My Favorite Things. Le génie du saxophoniste se fait discret sur Every Time We Say Goodbye quand, au contraire, Tyner se montre prolixe et que Garrison malaxe l'harmonie avec une liberté totale. Incomplètes, les versions de Mr. PC et de I Want to Talk about You profitent respectivement d'un chorus inspiré du pianiste et de l’habituel – et ici bouleversant – stop chorus du saxophoniste. A suivre…
John Coltrane : Live at Penn State ’63 (Hi Hat)
Enregistrement : 1963 / Edition : 2015
CD : 01/ Bye Bye Blackbird 02/ The Inch Worm 03/ Every Time We Say Goodbye 04/ Mr P.C. 05/ I Want to Talk about You 06/ My Favorite Things
Luc Bouquet © Le son du grisli
John Coltrane : Live at the Showboat (RLR, 2010)
Cette évocation de Live at Showboat est extraite du livre que Luc Bouquet a consacré aux enregistrements live de John Coltrane : Coltrane sur le vif, en librairie depuis le 6 mars.
L’un des clubs préférés de John Coltrane à Philadelphie se nomme le Showboat. Le saxophoniste y jouera une dizaine de fois au cours de l’année 1963. SI nous avons ici conservé les dates d’enregistrement proposées dans les livrets des disques, restons (très) perplexes quant à leur exactitude.
Le saxophoniste retourne à « Good Bait », composition de Tadd Dameron qu’il a souvent interprétée avec Gillespie. Rien à signaler ici, si ce n’est la justesse parfois approximative de Coltrane et un Roy Haynes imitant Elvin Jones à la perfection si bien que…
« Out of This World » est une composition d’Harold Arlen et Johnny Mercer que le quartet enregistra le 19 juin 1962 pour l’album Coltrane (Impulse). Après un début hasardeux, Trane va déborder quelque peu l’harmonie du morceau. Deux chorus du saxophoniste, ici : le premier dure dix minutes, le second huit minutes, et, dans les deux cas, grognements et débordements free se taillent la part du lion. Pour ne pas briser l’intensité du set, le saxophoniste expose très rapidement le thème de « Mr. P.C. ». Nous n’avons jusqu’ici jamais évoqué cette systématique du quartet consistant à ne pas attendre les applaudissements du public pour enchaîner très vite sur un nouveau thème. Sans doute, pour le saxophoniste, une nouvelle version de l’aller-toujours-plus-vite. Après un chorus enlevé et trépidant de McCoy Tyner – et un solo,incomplet, de Jimmy Garrison –, Coltrane et Jones (serait-ce réellement Roy Haynes ? Nous doutons de plus en plus), se livrent à un duo homérique. Sans doute le plus brûlant que nous connaissions sur cette véloce composition, dédiée, rappelons-le, au contrebassiste Paul Chambers.
« Afro Blue » est un thème de Mongo Santamaria que le quartet ne semble pas avoir enregistré en studio. Ce morceau, qui met en avant Tyner, sera joué presque chaque soir lors de la tournée européenne de l’automne 1963. On s’étonne, ici, d’un tempo anormalement lent et d’une batterie n’employant pas le rythme latin habituel (Jones ou Haynes ? Le doute persiste...). Avec ses trente-cinq minutes, cette interprétation d’ « Impressions » est l’une des plus longues que nous connaissons. Nous sont ici confirmés les témoignages de spectateurs parlant d’improvisations dépassant l’heure de jeu. Débuté au soprano, « Impressions » se poursuit par un impétueux chorus de piano. Mais ce sont les vingt-cinq minutes du solo de Coltrane – maintenant au ténor – qui sidèrent, et ce, littéralement. Inlassablement, le saxophone lance flèches et sagaies et varie les angles d’attaque tout en entretenant un déluge continu. A travers ces notes rugueuses et supersoniques pointe le cri coltranien, celui-là même qui éclatera au grand jour quelques mois plus tard.
John Coltrane : Live at the Showboat (RLR)
Enregistrement : 17 juin (?) 1963. Edition : 2010.
CD : Live at Showboat
Luc Bouquet @ Lenka lente / Le son du grisli
John Coltrane : Complete Live in Stuttgart 1963 (Domino, 2010)
Cette évocation de Complete Live in Stuttgart 1963 est extraite du livre que Luc Bouquet a consacré aux enregistrements live de John Coltrane : Coltrane sur le vif, en librairie le 6 mars mais déjà disponible sur le site des éditions Lenka lente.
Beaucoup considèrent le concert de Stuttgart comme le plus éclatant de la tournée européenne de 1963. Il est, reconnaissons-le, le plus abouti, le plus serein. Il est, surtout, celui qui annonce les envolées convulsives de l’année 1965.
Il suffit d’écouter les incroyables versions d’ « Impressions » et de « Mr. P.C. » pour s’en convaincre. Le quartet enchaîne à nouveau « The Promise » et « Afro Blue » et c’est bien le couple McCoy Tyner / Elvin Jones que l’on remarque en premier lieu, Coltrane tournoyant en solitaire au soprano. S’essayant à d’autres phrasés, il multiplie les figures harmoniques et évoquerait presque Sidney Bechet dans l’exposé des deux thèmes. La version d’ « I Want To Talk About You » est très différente de celle du concert berlinois. En quartet, Coltrane reste près de la mélodie, ne s’en éloigne que rarement. En solo dans la coda, il entrouvre d’autres rivages, bien plus sinueux qu’auparavant. Dans les deux cas, la maîtrise est parfaite : profondeur et émotion sont au rendez-vous.
Cette nouvelle version d’ « Impressions » est un pur joyau. Le couple Tyner / Jones y fait parler la poudre. Un batteur déchaîné accompagne pendant quelques minutes un chorus presque quelconque de Jimmy Garrison. En trio puis en duo avec Jones, Coltrane varie les effets : si sa fougue est raisonnable en début de solo, elle devient irréelle de beauté au fil des minutes. Le saxophoniste déroule un jeu en triolets puis explore de nouvelles figures. Pour Coltrane, la scène reste un laboratoire idéal. Le cri ne se voile plus, il est là dans toute sa profondeur, dans toute son intensité. Ce soir-là, il n’échappera à aucun spectateur l’offrande qui lui est faite. Le tempo presque lent de « My Favorite Things » ne réussit pas à Elvin Jones. D’une sagesse monacale, celui-ci oublie de soutenir son partenaire pianiste, lequel doit abandonner ses accords tonitruants au profit d’un jeu épuré et sensible. Le saxophoniste ne parviendra pas à « réveiller » son batteur malgré une recherche quasi-continue de l’ultra-aigu. Soit : l’une des versions les plus traînantes et faiblardes de toute l’histoire du quartet.
On s’étonne ici de trouver « Every Time We Say Goodbye », thème qui n’apparaît dans aucun autre concert de la tournée européenne. On se console en se souvenant que le quartet n’interprétera plus jamais ce thème en public. Du moins, à notre connaissance. La version de « Mr. P.C. » est immense. Jones a retrouvé son énergie et construit son chorus telle une marche, y introduisant des figures chez lui inhabituelles. Garrison multiplie les dissonances au cours d’un solo lumineux. Quant au leader, il est la foudre et la générosité, le cri sans le chuchotement, répétant ses figures inlassablement, comme sous l’effet d’une obsession. Il accélère soudainement, ne lâche jamais prise, insiste. Cette soif de tout arpenter, de ne rien laisser au hasard, de se donner et de s’abandonner totalement ne peut que plaire à un public conquis et faisant, ici, un triomphe total au John Coltrane Quartet.
John Coltrane : Complete Live in Stuttgart 1963 (Domino)
Enregistrement : 4 novembre 1963. Edition : 2010.
2 CD : CD1 : 01/ The Promise 02/ Afro-Blue 03/ I Want to Talk About You 04/ Impressions - CD2 : 01/ My Favorite Things 02/ Every Time We Say Goodbye 03/ Mr P.C. 04/ Chasin' the Train
Luc Bouquet @ Lenka lente / Le son du grisli
John Coltrane : Live in ’60, ’61 & ’65 (Naxos, 2007)
Rassemblés ici, trois films de concerts donnés en Europe entre 1960 et 1965 donnent à voir John Coltrane diversement entouré.
A Düsseldorf, d’abord, où le saxophoniste, alors en tournée en tant que sideman de Miles Davis, prend – à la place d’un trompettiste ayant décliné l’invitation – la tête d’une petite formation à l’occasion d’un show radiotélévisé. Auprès de Wynton Kelly, Paul Chambers et Jimmy Cobb, il interprète un Green Dolphin Street élégant avant d’accueillir Stan Getz puis Oscar Peterson sur une reprise d’Hackensack de Monk.
L’année suivante, c’est en leader que Coltrane revient en Allemagne, participant là à une autre émission, en compagnie de son quartette classique, augmenté d’Eric Dolphy. Célèbre, la séance vaut surtout pour la rencontre des deux saxophonistes, déposant encore l’un après l’autre leurs solos de My Favorite Things ou Impressions.
Plus rares, les images d’un concert donné en Belgique en 1965, toujours auprès de McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones, qui attestent d’un tournant inévitable, celui qui mènera Coltrane au seuil d’un free jazz dont Ayler lui attribuera la paternité – l’introduction, en compagnie de Jones, de Vigil, en étant la meilleure preuve. Et l’esquisse aura été faite d’un parcours monumental.
John Coltrane : Live in ’60, ’61 & ’65 - 2007 (Naxos / Abeille Musique).
Edition : 2007.
DVD : 01/ On Green Dolphin Street 02/ Walkin’ 03/ The Theme 04/ Autun Leaves 05/ What’s New 06/ Autumn in NY 07/ Hackensck 08/ My Favorite Things 09/ Ev’rytime We Say Goodbye 10/ Impressions 11/ Vigil 12/ Naima 13/ My Favorite Things
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Coltrane: My Favorite Things: Coltrane at Newport (Impulse! - 2007)
Dispersés jusque là sur quelques albums (notamment Newport’ 63 et Selflessness), deux enregistrements de concerts donnés par le quartette de Coltrane se trouvent aujourd’hui rassemblés sous le titre My Favorite Things : Coltrane at Newport. Pour ce qui est de la nouveauté, miser sur un son restauré et quelques lacunes comblées.
A deux ans d’intervalle, Coltrane investit donc la scène du festival de Newport. En 1963, d’abord, aux côtés de McCoy Tyner, Jimmy Garrison et, plus rare, du batteur Roy Haynes, avec lequel Coltrane dialogue de façon plus que privilégiée sur Impressions (augmentée ici de six minutes). Concentré, Coltrane discourt partout avec distinction, se permet des écarts fulgurants (I Want to Talk About You) et réserve une place de choix aux inspirations de Tyner.
Deux ans plus tard, le saxophoniste y retourne, et Elvin Jones de retrouver sa place au sein du quartette. Accentuant la densité du jeu collectif, le batteur porte des tentations plus ardentes encore : sifflements projetés par Coltrane sur One Down, One Up ; penchant subit pour les dissonances auquel a tôt fait de céder le pianiste sur une version différente de My Favorite Things.
En 1966, Coltrane reviendra jouer ce thème à Newport, à la tête d’un autre groupe (Alice, Pharoah Sanders, Rashied Ali, Jimmy Garrison) lors d’un concert qu’Impulse n’enregistrera pas. Des bandes doivent pourtant bien traîner ici ou là, dont l’usage aurait pu compléter et conclure le déjà brillant exposé qu’est My Favorite Things : Coltrane at Newport.
CD: 01/ I Want to Talk About You 02/ My Favorite Things 03/ Impressions 04/ Introduction by Father Norman O’Connor 05/ One Down, One Up 06/ My Favorite Things
John Coltrane - My Favorite Things: Coltrane at Newport - 2007 - Impulse! / Universal.
John Coltrane: Trane Tracks (Efor Films - 2007)
C’est à San Francisco, dans les murs de l’Eglise Saint John Coltrane, que commence et se termine Trane Tracks. Là, depuis 1971, on entretient la flamme de neuvaines allumées en l’honneur de l’esprit saint du saxophoniste, que la spiritualité concernait autant que la musique depuis 1957, année à laquelle il mit un terme à sa consommation d’héroïne. Ayant relaté la parabole, la voix-off peut consacrer tous ses efforts à rentrer dans le vif du sujet.
Biographie scolaire mais efficace, Trane Tracks tire davantage son originalité des interviews qu’elle renferme que des extraits de concert qui l’illustrent - si ce n’est pour une version donnée en plein air et devant un public nombreux de My Favorite Things. Au nombre des interrogés : McCoy Tyner et Elvin Jones, le violoncelliste Ron Carter et le trompettiste Benny Bailey ; enfin, le révérend Bishop King, de la paroisse suscitée, qui se fait un plaisir de tout ramener à dieu.
Sortis dans la précipitation - puisqu’il s’agissait encore, en 2005, de combler un manque autorisant spéculation -, les dvd consacrés au jazz renferment souvent de piteuses réalisations. Celui-ci a cela de différent qu’il allie un exposé clair de la vie de son sujet et quelques idées fantasques, chemins de traverse inattendus et divertissants. Pour, enfin, se voir attribuer la palme de meilleure introduction filmée à l’œuvre de Coltrane disponible à ce jour.
John Coltrane - Trane Tracks - 2007 (réédition) - Efor Films. Distribution Nocturne.