Lol Coxhill et alt. : Vol pour Sidney (aller) (Nato, 2015)
Début des années 1990 : on pouvait encore concilier, réconcilier. Un producteur (ici Jean Rochard) pouvait rêver à quelque projet fou : inviter quelques amis musiciens à évoquer le déjà oublié Sidney Bechet par exemple.
Lol Coxhill et Pat Thomas convoquaient l’electro avant l’heure. Elvin Jones et Michel Doneda partageaient une fantaisie égyptienne. Taj Mahal n’était jamais aussi bien servi que par lui-même. The Lonely Bears n’étaient que tendresse et bienveillance (mais frôlaient aussi le sirop !). Steve Beresford s’armait de ridicule sur Lastic 6 et retrouvait l'inspiration perdue en compagnie d’Han Bennink sur Lastic 7. Un Rolling Stones (Charlie Watts) pouvait compter sur les sopranos d’Evan P et de Lol C pour fluidifier son swing.
Le mainstream n’était pas aussi écœurant qu’aujourd’hui (Pepsi & The Blue Spiders). Lee Konitz et Kenny Werner nous sauvaient du cafard. Urszula Dudzak et Tony Hymas pensaient et régulaient l’à-venir. C’était hier. C’est aujourd’hui puisque l’on réédite la galette. En cette période d’irréconciliable, c’est une assez bonne idée.
Vol pour Sidney (aller)
Nato / L’autre distribution
Enregistrement : 1991-1992. Edition : 1992. Réédition : 2015.
CD : 01/ Petite fleur 02/ La nuit est une sorcière 03/ Egyptian Fantasy 04/ Sidney’s Blues 05/ Si tu vois ma mère 06/ Lasti 6 07/ Lastic7 08/ Blues in the Cave 09/ Laughin in Rhythm 10/ Blue for You Johnny 10 11/ Blues for You Johnny 11 12/ As-tu le cafard ? 13/ Make Me a Pallet on the Floor 14/ Petite fleur
Luc Bouquet © Le son du grisli
John Coltrane : Live at Penn State ’63 (Hi Hat, 2015)
Ajout à Coltrane sur le vif, à propos d'un concert du quartette de John Coltrane qui vient d’être publié… Ce n’est pas le Coltrane aventureux des soirées en club que l’on retrouve ici mais celui de la future tournée européenne d’octobre-novembre 1963. En cette soirée du 19 janvier 1963 passée au Schwab Auditorium de la Penn State University, le saxophoniste, sûr de sa technique, segmente ses solos en plusieurs pistes et fait une confiance totale en ses partenaires : McCoy Tyner délivre de somptueux chorus (Every Time We Say Goodbye, Mr. PC) ; Jimmy Garrison, pour une fois pas trop maltraité par la prise de son, fait admirer son travail en profondeur tandis qu’Elvin Jones se fait moins tonitruant que d’ordinaire.
Tournant autour du thème de Bye Bye Blackbird, Coltrane semble gêné par les accords de son pianiste. Quand ce dernier s’efface et laisse parler le trio, il oublie le thème et densifie de nouveaux rivages. Notons ici le subtil jeu de balais du batteur pendant le doux chorus de Garrison. Seul maître à bord de The Inch Worm, Coltrane se montre souverain au soprano et le sera à nouveau lors d’une version malheureusement incomplète de My Favorite Things. Le génie du saxophoniste se fait discret sur Every Time We Say Goodbye quand, au contraire, Tyner se montre prolixe et que Garrison malaxe l'harmonie avec une liberté totale. Incomplètes, les versions de Mr. PC et de I Want to Talk about You profitent respectivement d'un chorus inspiré du pianiste et de l’habituel – et ici bouleversant – stop chorus du saxophoniste. A suivre…
John Coltrane : Live at Penn State ’63 (Hi Hat)
Enregistrement : 1963 / Edition : 2015
CD : 01/ Bye Bye Blackbird 02/ The Inch Worm 03/ Every Time We Say Goodbye 04/ Mr P.C. 05/ I Want to Talk about You 06/ My Favorite Things
Luc Bouquet © Le son du grisli
John Coltrane : Live at the Showboat (RLR, 2010)
Cette évocation de Live at Showboat est extraite du livre que Luc Bouquet a consacré aux enregistrements live de John Coltrane : Coltrane sur le vif, en librairie depuis le 6 mars.
L’un des clubs préférés de John Coltrane à Philadelphie se nomme le Showboat. Le saxophoniste y jouera une dizaine de fois au cours de l’année 1963. SI nous avons ici conservé les dates d’enregistrement proposées dans les livrets des disques, restons (très) perplexes quant à leur exactitude.
Le saxophoniste retourne à « Good Bait », composition de Tadd Dameron qu’il a souvent interprétée avec Gillespie. Rien à signaler ici, si ce n’est la justesse parfois approximative de Coltrane et un Roy Haynes imitant Elvin Jones à la perfection si bien que…
« Out of This World » est une composition d’Harold Arlen et Johnny Mercer que le quartet enregistra le 19 juin 1962 pour l’album Coltrane (Impulse). Après un début hasardeux, Trane va déborder quelque peu l’harmonie du morceau. Deux chorus du saxophoniste, ici : le premier dure dix minutes, le second huit minutes, et, dans les deux cas, grognements et débordements free se taillent la part du lion. Pour ne pas briser l’intensité du set, le saxophoniste expose très rapidement le thème de « Mr. P.C. ». Nous n’avons jusqu’ici jamais évoqué cette systématique du quartet consistant à ne pas attendre les applaudissements du public pour enchaîner très vite sur un nouveau thème. Sans doute, pour le saxophoniste, une nouvelle version de l’aller-toujours-plus-vite. Après un chorus enlevé et trépidant de McCoy Tyner – et un solo,incomplet, de Jimmy Garrison –, Coltrane et Jones (serait-ce réellement Roy Haynes ? Nous doutons de plus en plus), se livrent à un duo homérique. Sans doute le plus brûlant que nous connaissions sur cette véloce composition, dédiée, rappelons-le, au contrebassiste Paul Chambers.
« Afro Blue » est un thème de Mongo Santamaria que le quartet ne semble pas avoir enregistré en studio. Ce morceau, qui met en avant Tyner, sera joué presque chaque soir lors de la tournée européenne de l’automne 1963. On s’étonne, ici, d’un tempo anormalement lent et d’une batterie n’employant pas le rythme latin habituel (Jones ou Haynes ? Le doute persiste...). Avec ses trente-cinq minutes, cette interprétation d’ « Impressions » est l’une des plus longues que nous connaissons. Nous sont ici confirmés les témoignages de spectateurs parlant d’improvisations dépassant l’heure de jeu. Débuté au soprano, « Impressions » se poursuit par un impétueux chorus de piano. Mais ce sont les vingt-cinq minutes du solo de Coltrane – maintenant au ténor – qui sidèrent, et ce, littéralement. Inlassablement, le saxophone lance flèches et sagaies et varie les angles d’attaque tout en entretenant un déluge continu. A travers ces notes rugueuses et supersoniques pointe le cri coltranien, celui-là même qui éclatera au grand jour quelques mois plus tard.
John Coltrane : Live at the Showboat (RLR)
Enregistrement : 17 juin (?) 1963. Edition : 2010.
CD : Live at Showboat
Luc Bouquet @ Lenka lente / Le son du grisli
John Coltrane : Complete Live in Stuttgart 1963 (Domino, 2010)
Cette évocation de Complete Live in Stuttgart 1963 est extraite du livre que Luc Bouquet a consacré aux enregistrements live de John Coltrane : Coltrane sur le vif, en librairie le 6 mars mais déjà disponible sur le site des éditions Lenka lente.
Beaucoup considèrent le concert de Stuttgart comme le plus éclatant de la tournée européenne de 1963. Il est, reconnaissons-le, le plus abouti, le plus serein. Il est, surtout, celui qui annonce les envolées convulsives de l’année 1965.
Il suffit d’écouter les incroyables versions d’ « Impressions » et de « Mr. P.C. » pour s’en convaincre. Le quartet enchaîne à nouveau « The Promise » et « Afro Blue » et c’est bien le couple McCoy Tyner / Elvin Jones que l’on remarque en premier lieu, Coltrane tournoyant en solitaire au soprano. S’essayant à d’autres phrasés, il multiplie les figures harmoniques et évoquerait presque Sidney Bechet dans l’exposé des deux thèmes. La version d’ « I Want To Talk About You » est très différente de celle du concert berlinois. En quartet, Coltrane reste près de la mélodie, ne s’en éloigne que rarement. En solo dans la coda, il entrouvre d’autres rivages, bien plus sinueux qu’auparavant. Dans les deux cas, la maîtrise est parfaite : profondeur et émotion sont au rendez-vous.
Cette nouvelle version d’ « Impressions » est un pur joyau. Le couple Tyner / Jones y fait parler la poudre. Un batteur déchaîné accompagne pendant quelques minutes un chorus presque quelconque de Jimmy Garrison. En trio puis en duo avec Jones, Coltrane varie les effets : si sa fougue est raisonnable en début de solo, elle devient irréelle de beauté au fil des minutes. Le saxophoniste déroule un jeu en triolets puis explore de nouvelles figures. Pour Coltrane, la scène reste un laboratoire idéal. Le cri ne se voile plus, il est là dans toute sa profondeur, dans toute son intensité. Ce soir-là, il n’échappera à aucun spectateur l’offrande qui lui est faite. Le tempo presque lent de « My Favorite Things » ne réussit pas à Elvin Jones. D’une sagesse monacale, celui-ci oublie de soutenir son partenaire pianiste, lequel doit abandonner ses accords tonitruants au profit d’un jeu épuré et sensible. Le saxophoniste ne parviendra pas à « réveiller » son batteur malgré une recherche quasi-continue de l’ultra-aigu. Soit : l’une des versions les plus traînantes et faiblardes de toute l’histoire du quartet.
On s’étonne ici de trouver « Every Time We Say Goodbye », thème qui n’apparaît dans aucun autre concert de la tournée européenne. On se console en se souvenant que le quartet n’interprétera plus jamais ce thème en public. Du moins, à notre connaissance. La version de « Mr. P.C. » est immense. Jones a retrouvé son énergie et construit son chorus telle une marche, y introduisant des figures chez lui inhabituelles. Garrison multiplie les dissonances au cours d’un solo lumineux. Quant au leader, il est la foudre et la générosité, le cri sans le chuchotement, répétant ses figures inlassablement, comme sous l’effet d’une obsession. Il accélère soudainement, ne lâche jamais prise, insiste. Cette soif de tout arpenter, de ne rien laisser au hasard, de se donner et de s’abandonner totalement ne peut que plaire à un public conquis et faisant, ici, un triomphe total au John Coltrane Quartet.
John Coltrane : Complete Live in Stuttgart 1963 (Domino)
Enregistrement : 4 novembre 1963. Edition : 2010.
2 CD : CD1 : 01/ The Promise 02/ Afro-Blue 03/ I Want to Talk About You 04/ Impressions - CD2 : 01/ My Favorite Things 02/ Every Time We Say Goodbye 03/ Mr P.C. 04/ Chasin' the Train
Luc Bouquet @ Lenka lente / Le son du grisli
John Coltrane: My Favorite Things: Coltrane at Newport (Impulse! - 2007)
Dispersés jusque là sur quelques albums (notamment Newport’ 63 et Selflessness), deux enregistrements de concerts donnés par le quartette de Coltrane se trouvent aujourd’hui rassemblés sous le titre My Favorite Things : Coltrane at Newport. Pour ce qui est de la nouveauté, miser sur un son restauré et quelques lacunes comblées.
A deux ans d’intervalle, Coltrane investit donc la scène du festival de Newport. En 1963, d’abord, aux côtés de McCoy Tyner, Jimmy Garrison et, plus rare, du batteur Roy Haynes, avec lequel Coltrane dialogue de façon plus que privilégiée sur Impressions (augmentée ici de six minutes). Concentré, Coltrane discourt partout avec distinction, se permet des écarts fulgurants (I Want to Talk About You) et réserve une place de choix aux inspirations de Tyner.
Deux ans plus tard, le saxophoniste y retourne, et Elvin Jones de retrouver sa place au sein du quartette. Accentuant la densité du jeu collectif, le batteur porte des tentations plus ardentes encore : sifflements projetés par Coltrane sur One Down, One Up ; penchant subit pour les dissonances auquel a tôt fait de céder le pianiste sur une version différente de My Favorite Things.
En 1966, Coltrane reviendra jouer ce thème à Newport, à la tête d’un autre groupe (Alice, Pharoah Sanders, Rashied Ali, Jimmy Garrison) lors d’un concert qu’Impulse n’enregistrera pas. Des bandes doivent pourtant bien traîner ici ou là, dont l’usage aurait pu compléter et conclure le déjà brillant exposé qu’est My Favorite Things : Coltrane at Newport.
CD: 01/ I Want to Talk About You 02/ My Favorite Things 03/ Impressions 04/ Introduction by Father Norman O’Connor 05/ One Down, One Up 06/ My Favorite Things
John Coltrane - My Favorite Things: Coltrane at Newport - 2007 - Impulse! / Universal.
John Coltrane: Trane Tracks (Efor Films - 2007)
C’est à San Francisco, dans les murs de l’Eglise Saint John Coltrane, que commence et se termine Trane Tracks. Là, depuis 1971, on entretient la flamme de neuvaines allumées en l’honneur de l’esprit saint du saxophoniste, que la spiritualité concernait autant que la musique depuis 1957, année à laquelle il mit un terme à sa consommation d’héroïne. Ayant relaté la parabole, la voix-off peut consacrer tous ses efforts à rentrer dans le vif du sujet.
Biographie scolaire mais efficace, Trane Tracks tire davantage son originalité des interviews qu’elle renferme que des extraits de concert qui l’illustrent - si ce n’est pour une version donnée en plein air et devant un public nombreux de My Favorite Things. Au nombre des interrogés : McCoy Tyner et Elvin Jones, le violoncelliste Ron Carter et le trompettiste Benny Bailey ; enfin, le révérend Bishop King, de la paroisse suscitée, qui se fait un plaisir de tout ramener à dieu.
Sortis dans la précipitation - puisqu’il s’agissait encore, en 2005, de combler un manque autorisant spéculation -, les dvd consacrés au jazz renferment souvent de piteuses réalisations. Celui-ci a cela de différent qu’il allie un exposé clair de la vie de son sujet et quelques idées fantasques, chemins de traverse inattendus et divertissants. Pour, enfin, se voir attribuer la palme de meilleure introduction filmée à l’œuvre de Coltrane disponible à ce jour.
John Coltrane - Trane Tracks - 2007 (réédition) - Efor Films. Distribution Nocturne.
Albert Mangelsdorff: And His Friends (MPS - 2003)
Albert Mangesldorff And His (Six) Friends. On a très peu d’amis, sans doute, mais les six duos minimalistes et baroques enregistrés entre 1967 et 1969 privilégient l’entente plutôt que le foisonnement.
En ouverture, une discussion entre Mangelsdorff et Don Cherry sur un thème de Terry Riley, I Dig It, ici rebaptisé I Dig It, You Dig IT, principe en filigrane de l’album entier. La complicité mène à l’amusement et, de répétitions entrelacées en improvisation souriante, les deux musiciens exploitent entièrement leur instrument, autant musicalement que physiquement (sons sortant de l’instrument, puis de l’embouchure seule). La voix de Don Cherry prononce, enfin, le titre du morceau, et clôt le duo le plus emblématique publié ici, l’âme, presque, du projet mené par le tromboniste allemand.
Aux côtés d’Elvin Jones (My Kind of Time), Mangelsdorff écoute d’abord le swing imposé, avant de suivre. Allégeance discrète faite au batteur, le tromboniste se montre plus volubile lorsqu’il enregistre avec Karl Berger (Way Beyond Cave), au vibraphone sage et précis, ou en compagnie d’Attila Zoller (Outox), dont la guitare, pas impressionnante, cherche la réponse adéquate à l’imagination de Mangelsdorff, ne la trouvant qu’à la toute fin du morceau.
Al-Lee, courte improvisation aux influences hongroises, démontre un Lee Konitz capable du meilleur dans le domaine. Braxton policé, le saxophoniste entame une véritable course contre le trombone, jusqu’à le rejoindre, et à faire du duo une démonstration irréprochable de l’entente de deux musiciens jouant, on peut le croire, d’un seul et unique instrument.
Dernier instrument à prendre place auprès du trombone, le piano de Wolfgang Dauner entame, en maltraitant les cordes, une romance là pour soigner. Succession de notes intemporelle et rarement de bon goût confrontée à l’avant-garde de cette fin d’années 1960, My Kind of Beauty, morceau baroque et décalé, est une couverture idéale, étouffant d’accalmie le chaos imposé tout au long du disque par Albert Mangelsdorff et ses amis.
Albert Mangelsdorff : And His Friends (MPS)
Enregistrement : 1967-1969. Réédition : 2003.
CD : 01/ I Dig It, You Dig IT 02/ My Kind of Time 03/ Way Beyond Cave 04/ Outox 05/ Al-Lee 06/ My Kind of Beauty
Guillaume Belhomme © Le son du grisli