Nate Wooley : Battle Pieces (Relative Pitch, 2015)
C’est seul que Nate Wooley entame ce concert donné en quartette au Roulette le 11 avril 2014. A ses côtés : Ingrid Laubrock, Matt Moran et Sylvie Courvoisier, le temps de quatre Battles Pieces, dans lesquelles le trompettiste piochera ensuite pour composer, seul, trois Tape Deconstruction.
L’enjeu tient donc d’abord dans l’accord de musiciens aux dissemblances souvent manifestes. Ainsi faudra-t-il faire œuvre de mesure pour trouver un certain équilibre : Wooley en meneur gagne rapidement le soutien de Laubrock et l’appui enveloppant de Moran ; plus difficile, avec Courvoisier, qui, sur un spasme volontaire ou un emportement de rigueur, demande qu’on l’entende aussi. Ce que fait Wooley, qui oppose maintenant au piano un bourdon tenace quand il n’adopte pas plutôt son obstination.
Une fois seul, le même donne une autre forme aux quatre compositions du quartette : voici trois « compositions sur l’instant d’après », qui le montrent évoluant dans un palais de miroirs aux bruits moins familiers, puisque sortis d’instruments détournés. En réinventant un concert donné à quatre, Wooley s’affiche en vainqueur – l’élégance lui commandant tout de même de conclure le disque sur un bel échange qu’il eut avec Courvoisier (Battle Pieces IV). Pas dupe de la manœuvre, l’auditeur pourra applaudir.
Nate Wooley : Battle Pieces
Relative Pitch / Metamkine
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Battle Pieces I 02/ Tape Deconstruction I 03/ Battles Pieces II 04/ Tape Deconstruction II 05/ Battle Pieces III 06/ Tape Deconstruction III 07/ Battle Pieces IV
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nate Wooley : (Dance to) the Early Music (Clean Feed, 2015)
Ce n’est pas un retour au jazz « à l’ancienne » qu’opère ici Nate Wooley, mais un retour au revival : sur six compositions de Wynton Marsalis et trois autres personnelles, qui composent (Dance to) the Early Music.
C’est une histoire de souvenirs – ceux d’un temps où l’oreille de Wooley était encore en formation – qui, avec Hesitation, débutait bien : la trompette et la clarinette basse de Josh Sinton (dont le jeu sait se faire remarquer) menant de conserve, et avec force, une réécriture plus qu’un hommage. On ne peut guère oublier les années et les circonstances où l’on s’est défini, qui nous ont défini, écrivait Boulez. Sans doute est-il difficile d’y retourner sans une certaine tendresse.
Une faiblesse, voire. Sacrifiant au compositeur qu’il a choisi de réinterpréter, le trompettiste abandonne ici beaucoup de l’invention qu’on lui connaît et les structures complexes de Post-Hesitation (NW), comme les motifs répétés de Phryzzinian Man (WM), ne parviennent pas à faire qu’on relativise facilités et broderies : avec les vents, le vibraphone de Matt Moran s’adonne à des unissons qui lassent : quant à la contrebasse et à la batterie (Eivind Opsvik et Harris Eisenstadt), elles soulèvent à distance un soufflet qui toujours retombe.
Dans les notes de pochette, Nate Wooley souligne que c’est l’âge (40 ans) qui le pousse aujourd’hui à revoir ses manières. On aurait seulement préféré qu’il cherche à inventer sur un souvenir plus inspirant.
Nate Wooley Quintet : (Dance to) The Early Music (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2015.
CD : 01/ Hesitation 02/ For Wee Folks 03/ Blues 04/ Delfeayo’s Dilemna 05/ Phryzzinian Man 06/ On Insane Asylum 07/ J Mood 08/ Skain’s Domain 09/ Hesitation/Post-Hesitation
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nate Wooley : Seven Storey Mountain III And IV (Pleasure Of The Text, 2013)
Avec David Grubbs (à l’harmonium) et Paul Lytton en 2007, puis avec C. Spencer Yeh et Chris Corsano deux ans plus tard, Nate Wooley posa les deux premières pierres – disques Important – de Seven Storey Mountain. Inspiré par l’extase telle qu’elle fut éprouvée et décrite par Thomas Merton, le projet en appelle à la communion (musicale, s’entend) de groupes hétérogènes. Ce sont aujourd'hui deux nouveaux enregistrements (de concerts donnés à l’ISSUE Project Room, New York) qui, assemblés, paraissent sous étiquette Pleasure Of The Text : Seven Storey Mountain III, daté de 2011, et Seven Storey Mountain IV, créé cette année. A chaque fois, la compagnie de Wooley s’est agrandie.
Ainsi le 11 mars 2011, le trompettiste convoquait-il ses quatre premiers partenaires et une paire de vibraphonistes (Matt Moran et Chris Dingman) qui lentement ouvrira et fermera ce troisième volume. A l’intérieur, suivre le développement sensible d’une musique qui va toujours s’élevant, déviation bruitiste qui, sous les coups de la double batterie et toutes cordes (violon de Yeh, guitare de Grubbs) en avant, nourrit son discours de souvenirs partagés de minimalisme, free jazz, no wave… S’il faut tendre l’oreille pour y discerner Wooley, c’est qu’il semble conduire le grand-œuvre à l’amplificateur, qui avalera violon et guitare afin de les transformer en drones apaisants.
Le 6 juin 2013, Wooley composait un autre sextette – Yeh, Corsano et Moran, toujours présents, et puis Ben Vida (électronique) et Ryan Sawyer (batterie) – pour le mêler au Tilt Brass Sextet du tromboniste Chris McIntyre. Allant lentement sur toms, les balais accompagnent le vibraphone que la pertinence de Vida détournera : jouant davantage des échanges et de leurs interférences, la musique mesure ses effets bruitistes jusqu’à ce que le meneur, en agitateur inspiré, fasse un drone d’un court motif pour exhorter ensuite ses partenaires à la trompette : enrichie par l’écho baroque qu’en donnent les cuivres, sa technique étendue trouvera de quoi peaufiner ses intentions réfléchies. Des applaudissement fournis diront d'ailleurs assez bien ce que l’ascension mérite : vivement celle des trois derniers étages.
Nate Wooley : Seven Storey Mountain III And IV (Pleasure Of The Text)
Enregistrement : 11 mars 2011 & 6 juin 2013. Edition : 2013.
2 CD : CD1 : 01/ Seven Storey Mountain III – CD2 : 01/ Seven Storey Mountain IV
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nate Wooley Sextet : (Sit In) The Throne of Friendship (Clean Feed, 2013)
En se découvrant peu à peu, les cuivres (Josh Sinton, Dan Peck) libèrent les composites compositions de Nate Wooley. On oublie facilement ces dernières (un fort air de déjà entendu) pour s’agripper à tel tuba salivaire, à tel barbare baryton ou à telle clarinette basse en pleine crise convulsive.
Il y a alors lieu de se détacher du labyrinthe compositionnel et de se laisser aller au souffle cassant, fractionné, frictionné et métallique du leader, ici dresseur de souffre, ailleurs astre de tendresse. Et ainsi oublier une peu vibrante section rythmique (Eivind Opsvik, Harris Eisenstadt) quand le calme et inspiré Matt Moran vient offrir ampleur et inspiration à une partition qui ne demandait que cela.
EN ECOUTE >>> Make Your Friend Feel Loved
Nate Wooley Sextet : (Sit In) The Throne of Friendship (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Old Man on the Farm 02/ Make Your Friend Feel Loved 03/ The Berries 04/ Plow 05/ Executive Suites 06/ My Story, My Story 07/ Sweet and Sad Constitency 08/ A Million Billion Btus
Luc Bouquet © Le son du grisli
Daniel Levin : Organic Modernism (Clean Feed, 2011)
Ce qui pouvait irriter sur le dernier CD (Bacalhau / Clean Feed) du Daniel Levin Quartet, à savoir le rôle systématiquement rythmique octroyé à la contrebasse de Peter Bitenc, s’en trouve sensiblement modifié ici ; l’improvisation collective gagnant du terrain.
Sans toutefois déloger les compositions aux lignes (trop ?) claires du violoncelliste, les improvisations – souvent en duo – et déjà abordées auparavant (Live at Roulette / Clean Feed), apostrophent le crépuscule engourdi du précédent album. Ainsi, tel duel de cordes (Daniel Levin et Peter Bitenc in Lattice), tel reflet scintillant de vibraphone (Matt Moran in Kaleidoscope), telle transperçante trompette (Nate Wooley in Furniture As Sculpture), telle nervosité rebelle (le magnifique duo Levin-Wooley in Expert Set), embellissent et enrichissent une musique qui ne demandait, peut-être, que cela.
Daniel Levin Quartet : Organic Modernism (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Action Painting 02/ Zero Gravity 03/ My Kind of Poetry 04/ Lattice 05/ Kaleidoscope 06/ Old School 07/ Constellations 08/ Furniture As Sculpture 09/ Audacity 10/ Expert Set 11/ Wild Kingdom 12/ Active Imagination
Luc Bouquet © Le son du grisli
Daniel Levin: Blurry (Hat Hut - 2007)
A la tête de son quartette, Daniel Levin gravait en 2006 un second album pour HatOLOGY : Blurry, qui applique, entre autres, ses vues de musique de chambre au jazz d’Ornette Coleman et de Charlie Parker.
Deux reprises, donc : Law Year et Relaxin’ With Lee, avec lesquelles le violoncelliste impose une texture sonore dense et délicate, née du mariage de mouvements d’archets appuyés et des résonances du vibraphone de Matt Moran, disposant des strates décoratives pour permettre ensuite aux musiciens d’intervenir comme bon leur semble.
Ailleurs, Nate Wooley expose les facettes multiples d’une pratique interne de la trompette sur un autre emportement de Levin (Improvisation II), le leader mène sur un gimmick de contrebasse dont se charge Joe Morris une charmante progression cinématographique (Untitled). Et lorsqu’il arrive au groupe de sonner précieux (209 Willard Street Jazz), c’est pour rapidement rectifier le tir, et revenir plus efficacement encore à la défense d’une musique singulière d’où filtrent des audaces baroques.
CD : 01/ Law Years 02/ Improvisation II 03/ 209 Willard Street 04/ Cannery Row 05/ Untitled 06/ Relaxin' With Lee 07/ Sad Song 08/ Blurry
Daniel Levin Quartet - Blurry - 2007 - Hat Hut. Distribution Harmonia Mundi.