Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

L'étau : Choses clandestines (Bloc Thyristors / trAce, 2013)

l'étau choses clandestines

On sait Jean-Noël Cognard amateur d’improvisations ardentes, notamment consignées sur disques FMP ou Ogun. Après avoir échangé avec Michel Pilz (dont il célébra ici le Carpathes) en Binôme et en Ressuage, il retrouvait le clarinettiste (basse) les 4 et 5 mars 2013 afin de former L’étau en (exceptionnelle) compagnie de Keith Tippett et Paul Rogers. L’occasion d’enregistrer Choses clandestines fut double (deux jours passés en studio et une soirée programmée aux Instants Chavirés) quand les disques nés de celle-ci sont désormais quatre.

Enregistrés en studio, les deux premiers démontrent une entente que l’on supposera immédiate, qui profitera en tout cas à chacune des combinaisons à y trouver. Solos de Tippett, duos, trios et quartette, déroulent et imbriquent des pièces de musique différentes – free gaillard, atmosphérique bruitiste, marche ésotérique… – qu’enrichissent la fantaisie du pianiste (lyrisme récalcitrant, obsessions arpégées, recherches préparées), l’imagination instantanée du clarinettiste et les astuces imparables du duo de pompiers-pyromanes que composent Rogers (archet qui attise) et Cognard (baguettes qui avivent).

En concert, une seule combinaison : le quartette donnant, dans la mesure du pensable, deux grandes improvisations « homogènes ». Là encore, les tensions animent les conversations, et les mêmes qualités agissent : batteur féroce, Cognard exige la perte totale de repères (chose faite et bien faite sur la seconde face du troisième disque) quand Tippett multiplie les voyages à l’intérieur de son piano – la chose n’est-elle pas faite pour le « spectacle » ? – lorsqu’il ne rue pas en blues ou exige de Night in Tunisia qu’elle tombe sur Montreuil. C’est ainsi que fut relancée l’étrange machine qui a pour nom L’étau, dont personne ne pourra regretter qu’elle perde aujourd’hui, en belle boîte rose fuchsia qui plus est, un peu de sa clandestinité.

L’étau : Choses clandestines (Bloc Thyristors / trAce / Metamkine)
Enregistrement : 4 et 5 mars 2013. Edition : 2013.
LP1 : A1/ Sophistiqué barbare A2/ Le rideau déchiré B1/ Créer l’émotion puis la préserver B2/ Trois scripts abandonnés B3/ La danseuse blessée B4/ Couloir circulaire – LP2 : A1/ Projection de la scène A2/ Le rectangle de l’écran doit être chargé d’émotion A3/ La galerie des murmures A4/ Fondus dans l’arrière plan A5/ Dipôle – LP3 : A/ Une enseigne lumineuse faisant la réclame d’une revue musicale – Partie 1 B/ Une enseigne lumineuse faisant la réclame d’une revue musicale – Partie 2 – LP3 : A/ Plancher authentique permettant de bien entendre le bruit des pas – Partie 1 B/ Plancher authentique permettant de bien entendre le bruit des pas – Partie 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Keith Tippett : From Granite to Wind (Ogun, 2011)

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Dans l’art de concilier les formes, Keith Tippett et ses amis (James Gardiner-Bateman, Kevin Figes, Ben Waghorn, Paul Dunmall : saxophones / Julie Tippetts : voix / Thad Kelly : contrebasse / Peter Fairclough : batterie) frôlent la franche réussite. Impossible n’est pas Tippett et si l’unité de cette longue suite trébuche parfois, elle projette du jazz l’une de ses essentielles vertus : sa versatilité.

Dans cette fresque aux contours clairs vont s’enchaîner des brides de swing, des unissons retors, une voix hors-cadre, des cavalcades de cuivres, un solo de ténor sidérant, des oppositions insolites (voix écartelée face à ténor soyeux). Parfois, la juxtaposition des formes ne prend pas. Ainsi, quand un solo de soprano vient heurter et s’échouer sur une forme contemporaine, le procédé n’infuse que collision et incompréhension. Un petit bémol qui ne doit cependant pas décourager l’écoute d’un disque souvent remarquable.

Keith Tippett Octet : From Granite to Wind (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ From Granite to Wind
Luc Bouquet © Le son du grisli


Voix Expéditives : Guylaine Cosseron, Savina Yannatou, Barry Guy, Keith Tippet, Julie Tippett, Antoine Beuger

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Guylaine Cosseron : Avant les mots (Petit Label, 2010). Si le titre de ce recueil vocal solo inquiète quelque peu (orientant d’emblée l’audition et faisant se profiler les tutélaires Schwitters, Minton ou Ghérasim Luca – ce dernier, moins inarticuleur qu’explorateur « après les mots »), l’a priori s’efface à l’écoute de ses dix miniatures (que leur brièveté, pour la plupart, sauve) : le théâtral n’est que frôlé et l’organique parfois utilement poussé au-delà des diphonies et autres laryngomintoneries, vers le pur bruit, quasi synthétique. (gt)

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Savina Yannatou, Barry Guy : Attikos (Maya, 2010). Enregistré au Bimhuis en mai dernier, cet intéressant duo de la chanteuse grecque – qu’on connaît chez ECM – et d’un Barry Guy (contrebasse) respirable fait soigneusement alterner les modes de jeu et les ambiances, les pièces improvisées et les morceaux concertés (traditionnels arrangés ou compositions personnelles) : ainsi songe-t-on tantôt à Lauren Newton & Joëlle Léandre, tantôt presque à Angélique Ionatos & Renaud Garcia-Fons… sans aller jusqu’au Journal Violone II de Barre Phillips néanmoins. (gt)

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Couple in Spirit (Keith & Julie Tippett) : Live at the Purcell Room (Ogun, 2010). Ce disque m’a proprement soigné de la tentation cynique de railler la symbiotique béatitude du « couple in spirit » – pour reprendre le nom sous lequel Keith (piano + accessoires divers) et Julie (voix + petites percussions) Tippett apparaissent en tant que duo, depuis quelques décennies. Tous deux déploient, dans ce troisième témoignage phonographique de leur collaboration, gravé en novembre 2008, une pièce unique – avec ses méandres – et sereinement architecturée : en action, un prenant travail de tisserands ! (gt)

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Antoine Beuger : Keine Fernen Mehr (Edition Wandelweiser, 2010)
Deux disques de sifflements. Low volume required : des notes sifflées qui retiennent votre attention, comme si un autre que vous-même vous sifflait en tête. Antoine Beuger, que l'on a entendu avec Radu Malfatti, siffle longtemps et la pollution sonore ou le dérangement mélodique qu’il cause est formidable à entendre. (hc)


Elton Dean : Happy Daze / Oh! For the Edge (Ogun, 2009)

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Né en 1975 du sextette que le saxophoniste Elton Dean codirigeait avec Keith Tippett, Ninesense renaît aujourd'hui au son des rééditions groupées d'Oh! For the Edge (1976) et Happy Daze (1977).

Porté par la rythmique que Brotherhood of Breath (Harry Miller et Louis Moholo), le groupe – dans lequel on peut enrendre le trombone de Radu Malfatti – sert un jazz qui rappelle celui de Chris McGregor et oscille entre danses de salons retapées par des instrumentistes illuminés (Alan Skidmore, Keith Tippett et Nick Evans aux premiers rangs de ceux-là), un swing de facture plutôt classique et quelques expérimentations répétitives (Seven for Lee, sur lequel Dean intervient au saxello).

Sans Malfatti, le même groupe rend ensuite Dance, composition qui ouvre Happy Daze et dont les airs de samba dévient à force de céder aux perturbations d'un orchestre dissipé. La suite, d'être gagnée par les graves : contrebasse de Miller sur Fall In Free (inutile explication de texte), trombone d'Evans sur Friday Night Blues ou fermeture fantasmant l'hymne inquiet si elle n'était jalonnée d'éclaircies dissonantes (Prayer for Jesus). Souffrant ici ou là d'une production  en phase avec son époque (surbrillances préférées aux rondeurs), ces rééditions n'en sont pas moins importantes, et célèbrent l'art d'Elton Dean, saxophoniste de choix qui savait aussi s'entourer.

Elton Dean's Ninesense : Happy Daze / Oh! For the Edge (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1976-1977. Edition : 2009.
CD : 01/ Nicrotto 02/ Seven for Lee 03/ Sweet F.A. 04/ Three for All 05/ Dance 06/ Fall In Free 07/ Forsoothe 08/ M.T. 09/ Friday Night Blues 10/ Prayer for Jesus
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Interview de Paul Dunmall

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Depuis qu’il est entré en improvisation, Paul Dunmall (saxophones, clarinette, cornemuse…) a su donner les gages d’une inspiration toujours renouvelée auprès de John Stevens, Evan Parker, Keith Tippett (en compagnie de qui il anime l’imposant Mujician) ou Barry Guy. Récemment encore, son habileté instrumentale se laissait porter par Henry Grimes et Andrew Cyrille (sur Opus de Life), conduisait un Sun Quartet profitant des présences de Tony Malaby, Mark Helias et Kevin Norton (sur Ancient and Future Airs) ou emmenait trois plus jeunes musiciens encore sur Moment to Moment. Assez, donc, pour revenir brièvement sur le parcours de Paul Dunmall

... Je me souviens des éléments de batterie que possédait mon père, j’avais alors trois ans à peu près. Je me rappelle de leur son, de leur impression au toucher et de leur odeur. J’en ai joué un peu, mon père m’ayant même donné des leçons de batterie. Je me souviens aussi de ma grand-mère, qui jouait du piano et chantait des airs populaires qui dataient des années 30. Mon père m’a plusieurs fois emmené avec lui à des concerts de dixieland, et je suis aussi allé à certains des concerts qu’il donnait. Au même âge, je me suis aussi emparé d’un saxophone ténor pour la première fois, je devais avoir 11 ans... C’était pour moi un objet fabuleux. Pour en finir avec les souvenirs, je me rappelle aussi de la musique qui passait à la télé à la fin des années 50 et au début des années 60.

Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la musique ? Comme je le disais, mon père et ma grand-mère s’y intéressaient, mais j’ai commencé à m’y mettre sérieusement à partir de l’âge de 12 ans, quand j’ai débuté à la clarinette. J’ai étudié la clarinette classique pendant cinq ans mais je suis me suis mis aussi au saxophone alto à 14 ans. Un an plus tard, je vendais mon alto pour m’acheter un ténor et rejoindre un groupe de soul. A 15 ans, je commençais à donner des concerts. 

Vous avez aussi joué du rock, dans un groupe qui avait pour nom Marsupilami J’avais 17 ans lorsque j’ai rejoint Marsupilami, groupe qui m’a permis de devenir musicien professionnel. Quand j’y suis entré, ce groupe avait déjà deux enregistrements à son actif, produits par Transatlantic. C’était une formation très intéressante, qui profitait de bons arrangements et de très belles mélodies. Leur musique a pour moi toute la saveur d’une époque, dans laquelle je replonge lorsqu’il m’arrive de réécouter leurs disques. En 1971, nous devions enregistrer pour Transatlantic un album live au Paradiso, à Amsterdam, mais malheureusement le groupe a été dissout peu avant cela, voilà pourquoi je n’ai pas eu la chance d’enregistrer avec eux.

Comment êtes-vous arrivé au jazz puis à l’improvisation ? J’ai commencé à écouter du jazz contemporain quand j’ai rejoint Marsupilami. Le chanteur avait des disques de Coltrane, Albert Ayler, Mingus, que nous n’arrêtions pas d’écouter. Nous jouions d'ailleurs du free jazz dans la ferme dans laquelle nous vivions tous ensemble, même si cela n’a pas eu d’influence sur les concerts du groupe. Et puis, je suis parti pour les Etats-Unis en 1973. Là, j’ai vraiment commencé à travailler dur pour me familiariser avec toutes sortes de jazz. J’ai appris les symboles d’accords, joué les standards et suis allé voir de nombreux concerts donnés par les grands noms du genre. Après trois ans passés là-bas, je suis revenu en Angleterre, en 1976. J’ai alors rencontré et joué avec des musiciens tels que Keith Tippett, Tony Levin, Paul Rogers, Alan Skidmore, Louis Moholo, Elton Dean, Evan Parker, Barry Guy – la liste ne s’arrête pas là – et suis devenu l’un des éléments de la scène musicale britannique et européenne.

Quels sont vos souvenirs de l’improvisation européenne des années 1970 et 1980 ? C’était une scène intéressante qui était capable d’une musique superbe mais, dans le même temps, il y avait cet intérêt des médias pour ce qui a été appelé le « jazz revival » et qui, selon moi, dénigrait le free jazz et l’improvisation pour s’intéresser à de vieilles manières de pratiquer le jazz. Il me semblait que la musique librement improvisée était poussée sur le bas-côté, qu'on lui imposait de rester underground. Wynton Marsalis était le héros de ce revival et beaucoup de jeunes musiciens britanniques sont revenus à Art Blakey et au hard bop soudain remis à la mode. Tous les magazines vantaient les mérites de cette ancienne / nouvelle musique. Pour moi, le jazz a alors perdu sa véritable nature pour se plier aux codes du spectacle – possible qu’il s’y plie encore aujourd’hui, je ne sais pas… Ce que je sais c’est que, malgré toute la promotion de cette forme de jazz faite par les medias, le free jazz a vraiment été capable de produire une excellente musique, il s’est affiné et a réussi à survivre dans de petits clubs, dans des arrière-cours, et ce jusqu’à aujourd’hui…

Comment estimez-vous justement l’évolution de cette musique ces trente à quarante dernières années ? Pour ma part, j’ai beaucoup collaboré avec des musiciens intéressés par l’improvisation, qu’ils viennent de la scène folk, des musique du monde ou du classique, et qui avaient envie de développer cette musique. Si beaucoup de barrières sont tombées, je ressens quand même le besoin de garder un côté jazz dans mon jeu. Certains musiciens essayent aujourd’hui de couper tous les ponts avec le jazz ; moi, je ne veux rien interdire à mon jeu. Je tiens à l’abstraction et à la mélodie, au rythme et à l’absence de rythme ; je veux que ma musique profite de tout, et beaucoup d’autres musiciens sont comme moi. Je pense que c’est une attitude saine à adopter pour le bien de la musique à venir.

Vous envisagez aujourd’hui votre musique aussi bien aux côtés d’anciens partenaires (dans Mujician, par exemple) qu’auprès de plus jeunes ; faîtes-vous une différence entre ces deux façons ? C’est fantastique de pouvoir jouer encore avec de vieux amis, trente ans après, qui apprécient encore mon jeu comme moi j’apprécie le leur, de chercher encore à progresser ensemble ou à faire de la meilleure musique, c’est une sensation rare que seul peut t’apporter le fait de jouer depuis longtemps avec tel ou tel musicien. Mais c’est aussi tout aussi fantastique de jouer avec de jeunes musiciens, et ils sont si nombreux... Ils ont une énergie fantastique et un dynamisme que j’adore. C’est avant tout de l’énergie physique. Eux découvrent encore les voies qui permettent de prendre du recul, de se relaxer, pour obtenir une musique qui gagne en profondeur, ce qui n’arrive vraiment qu’avec l’expérience et le temps qui passe. La musique est entre de bonnes mains avec les jeunes musiciens avec lesquels j’ai pu jouer, et je suis certain qu’il y en a beaucoup d’autres de la même trempe aux quatre coins du monde. 

Faîtes-vous aujourd’hui une différence entre jazz et improvisation ? Je connais des personnes qui font cette différence et je dois bien avouer qu’il arrive à cetaines musiques improvisées de n’avoir aucune relation avec le jazz. Malgré tout, je ne pense pas qu’il y ait une si grande différence que ça : si l’on remonte un peu dans le temps, on peut entendre l’histoire de l’improvisation, que le jazz a ramené au monde de façon significative. Comme je l’ai déjà dit, je pense qu’il est de bon ton, ces jours-ci, de chercher à couper les ponts avec quelque forme de jazz que ce soit, mais pour moi, ce ne sera jamais possible.

Il y a bientôt dix ans, vous fondiez votre propre label, DUNS. Cela a-til changé votre rapport à la musique ? DUNS a été l’une des meilleures choses que je n’ai jamais faites pour ma musique. Moi et Phil Gibbs, qui est aussi pour beaucoup dans DUNS, défendons les fruits de séances qui ont eu lieu chaque mois, et ce pendant plusieurs années. Il y avait vraiment quelque chose dans l’air à l’époque, c’était vraiment électrique. Même si j’étais l’un des intervenants, je dois dire que fût alors créée une musique merveilleuse à l’occasion de séances quelques fois novatrices. J’aimerais que nous arrivions à sortir notre 100ème référence, ce serait vraiment quelque chose. Pour le moment, nous en sommes à 63.

Quelle est votre principale motivation aujourd'hui ? Ressentez-vous avoir encore quoi que ce soit à vous prouver ? La musique n’est pas un sport. Il n’y a rien à prouver, rien à gagner. La musique est la seule récompense. Pour moi, la musique a toujours été un moyen d’aller au plus profond de moi-même et de m’exprimer à travers mon jeu. La musique devrait être capable de faire sentir aux gens quelque chose en eux, quelque chose qui vous connecte avec votre propre esprit, c’est pourquoi le musicien fait figure, pour moi, de médiateur. Il est du devoir du musicien d’être une sorte de shaman et d’aider tout un chacun à grandir. La musique n’a jamais été un simple divertissement pour moi.

Y a-t-il alors des musiciens avec lesquels vous rêvez encore de jouer ? Eh bien, aujourd’hui, peu importe avec qui je joue, l’essentiel est pour moi de donner le meilleur, que ce soit aux côtés d’une légende ou d’un jeune musicien. J'ai arrêté les listes de vœux...

Paul Dunmall, propos recueillis fin juin 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

Archives Paul Dunmall



Keith Tippett: A Loose Kite In A Gentle Wind Floating with Only My Will for An Anchor (Ogun - 2009)

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Sur scène à l’automne 1984, le pianiste Keith Tippett conduisait un septette aux membres choisis (Larry Stabins, Elton Dean et Mark Charig aux saxophones et cornet, Nick Evans au trombone, Paul Rogers à la contrebasse, Tony Levin aux percussions). L’ensemble, à réentendre aujourd’hui sur la réédition d’A Loose Kite In A Gentle Wind Floating with Only My Will for An Anchor.

Inspiré par un texte signé Maya Angelou, Tippett composa une œuvre en quatre parties souvent rattrapée par une improvisation abrasive : de l’unisson bon enfant qui ouvre l’enregistrement, les saxophonistes s’éloignent rapidement pour confronter des individualités perturbatrices que le pianiste accueille avec bienveillance. A force de commander des changements d’atmosphères, Tippett peut se laisser aller ici à un lyrisme obséquieux, là à une facilité d’exécution par trop légère, et puis investir une progression à la noirceur revigorante – aller entendre l’étrange évolution de la deuxième partie du titre principal. Partout, ensuite, le pianiste se voit remercié pour la confiance qu’il fait à ses partenaires, jusqu’à la dernière seconde de Dedicated to Mingus, conclusion lancée au son d’une valse dingue sur laquelle il fait sienne la folie persuasive d’un contrebassiste fait modèle.

CD: 01-04/ A Loose Kite In A Gentle Wind Floating with Only My Will for An Anchor 05/ Dedicated to Mingus >>> Keith Tippett - A Loose Kite In A Gentle Wind Floating with Only My Will for An Anchor - 2009 - Ogun. Distribution Orkhêstra International.

Keith Tippett déjà sur grisli
Live at Le Mans (Red Eye - 2007)
Viva la black Live at Ruvo (Ogun - 2006)


Command All Stars : Curiosities 1972 (Reel Recordings,2008)

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Des beaux restes de bandes oubliées, Curiosities 1972 tire sa substance rare : preuves d’existence données d’un groupe occasionnel emmené, l’année susnommée, en studio par le tromboniste Nick Evans et le trompettiste Mark Charig, et dans lequel on trouvait Elton Dean (saxophones et piano électrique), Keith Tippett (pianos), Keith Bailey (batterie) et deux contrebassistes venus d’ailleurs : Harry Miller et Johnny Dyani.

Aux Command Studios de Londres – qui donnent aujourd’hui leur nom au groupe –, une improvisation collective prenaient donc ses aises : bouleversante plusieurs fois, et de différentes façons pour obéir à diverses combinaisons instrumentales ; sans concession, évidemment, ce qui vaudra au disque de voir repoussée, puis oubliée, sa publication. Pourtant, l’association, tonitruante, en démontre avec emphase : Tippett jouant le courant porteur – voire, attelé à imposer un singulier psychédélisme sur African Sunrise –, Dean passant de clavier en sopranino avec la même intensité (aller l’entendre sur But Insane), Miller allant de contrebasse en flûte africaine pour évoquer au mieux African Sunset. En supplément, un titre donne à entendre Dean, Evans et Charig en compagnie d’un autre Sud-Africain inspiré : le batteur Louis Moholo.

Comand All Stars : Curiosities 1972 (Reel Recordings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1972. Edition : 2008.
CD : 01/ Guilty 02/ But Insane 03/ African Sunset 04/ African Sunrise 05/ Roots and Wings 06/ Just Us Plus * Vehim
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Blue Notes : The Ogun Collection (Ogun, 2008)

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Avant de mener ses Brotherhood of Breath, le pianiste Chris McGregor aura dû fuir l’Afrique du Sud en compagnie des Blue Notes – au sein desquels se succéderont, au gré des départs et des disparitions, les saxophonistes Dudu Pukwana et Nick Moyake, le trompettiste Mongezi Feza, le contrebassiste Johnny Dyani et le batteur Louis Moholo. Le label Ogun, de revenir aujourd’hui avec élégance et dans le détail sur le parcours de la formation.

Au son d’un coffret qui rassemble des enregistrements de taille : concert donné à Durban avant le départ – qui prouve que McGregor n’a pas attendu de changer de continent pour donner à son swing l’allure d’un grand jazz libertaire –, disque double enregistré en l’honneur de Feza dix ans plus tard (Blue Notes for Mongezi, sans doute le plus radical et le plus inventif des quatre pans constituant cette rétrospective), autre concert donné cette fois à Londres, enfin, un dernier hommage, rendu à Dyani (Blue Notes for Johnny). Partout, la même joie et la même incandescence distillées sur thèmes répétitifs permettant tous les débordements.

A l’intérieur du livret, quelques photos du groupe et de nombreux témoignages – ceux de membres de la famille des musiciens, et puis d’autres, signés Moholo, Evan Parker, Enrico Rava, Keith Tippett – finissent d’embellir l’hommage et le projet, qui expose un peu moins que de coutume le personnage de McGregor pour se consacrer davantage à célébrer l’accord parfait sur lequel s’entendait le premier de ses groupes.

Blue Notes : The Ogun Collection (Ogun / Orkhêstra International)
Edition : 2008.
CD1: 01/ Now 02/ Coming Home 03/ I Cover the Waterfront 04/ Two for Sandi 05/ Vortex Special 06/ Be My Dear 07/ Dorkay House - CD2: 01/ Blue Notes for Mongezi: First Movement 02/ Blue Notes for Mongezi: Second Movement - CD3: 01/ Blue Notes for Mongezi: Third Movement 02/ Blue Notes for Mongezi: Fourth Movement - CD4: 01/ Iizwi / Msenge Mabelelo 02/ Nqamakwe 03/ Mange / Funky Boots 04/ We Nduna [Live] 05/ Kudala / Funky Boots [Long Ago] 06/ Mama Ndoluse / Abalimanga - CD5: 01/ Funk dem Dudu / To Erico 02/ Eyomzi 03/ Ntyilo Ntyilo 04/ Blues for Nick 05/ Monks & Mbizio 06/ Ithi Gqi / Nkosi Sikelele l'Afrika 07/ Funk dem Dudu [Alternate Take] 08/ Eyomzi [Alternate Take] 09/ Funk dem Dudu / To Erico [Alternate Take]
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Keith Tippett Tapestry Orchestra: Live at Le Mans (Red Eye Music - 2007)

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En 1998, au Festival de jazz du Mans, le pianiste Keith Tippett menait son Tapestry Orchestra - ensemble de 21 musiciens parmi lesquels on trouve les batteurs Louis Moholo Moholo et Tony Levin, les chanteuses Julie Tippetts, Maggie Nicols et Vivien Ellis, le contrebassiste Paul Rogers, le tromboniste Paul Rutherford, ou encore, les saxophonistes Paul Dunmall et Gianluigi Trovesi.

Un casting de choix, donc, qui se laisse conduire sur les sept compositions arrangées dans le détail par Tippett. Exposant ici toute la diversité de ses préoccupations, celui-ci commande des valses indolentes menées jusqu’à une évocation de Berio (Second Thread) ou à un free jazz jubilatoire (Third Thread), une ballade irlandaise transposée dans un univers proche de celui de Lalo Schifrin (Sixth Thread) ou un morceau de cabaret exalté (Fourth Thread).

Adepte du pandémonium brouilleur et salutaire, Tippett impose ici et là à ses musiciens des élans baroques réconciliateurs, fusionne un swing brillant à un gospel cacophonique (First Thread) ou à une pièce vocale plus mesurée évoquant Morton Feldman (Fifth Thread). Les couleurs sont changeantes et vives ; le tableau tire parti avec élégance de tous les –ismes possibles, pour présenter au final une œuvre magistrale.

CD1: 01/ First Thread 02/ Second Thread 03/ Third Thread 04/ Fourth Thread - CD2: 01/ Fifth Thread 02/ Sixth Thread 03/ Seventh Thread

Keith Tippett Tapestry Orchestra - Live at Le Mans - 2007 - Red Eye Music.


Keith Tippett, Julie Tippetts, Louis Moholo-Moholo: Viva la Black Live at Ruvo (Ogun - 2006)

vivasliA Ruvo di Puglia, lors du Talos Festival de 2004, le batteur Louis Moholo-Moholo voit réinvestir Viva la Black – projet personnel qu’il dédia à l’Afrique du Sud – par l’orchestre italien Canto General. A leurs côtés, en guise de soutiens choisis, le pianiste Keith Tippett (qui signe ici la plupart des compositions) et la chanteuse Julie Tippetts.

Sans tarder, l’ensemble porte haut un swing épanoui, qui combine la conduite par Julie Tippetts d’un chœur enthousiaste, les gimmicks appuyés par Moholo et Tippett, et les interventions plus libres des cuivres et anches (Mra, Dancing Diamond). Décomplexés, les musiciens ne rechignent pas à aller voir du côté d’un grand macabre déstructuré pour le convertir aux espoirs, même feints, d’un jazz de salon (Dedicated to Mingus).

Ailleurs, des dissonances rendent bancale une musique de cabaret (Traumatic Experience), quelques mouvements las emportent les interventions (Monpezi Feza), même si tout, au final, aura été animé par les desseins exaltés de musiciens revendiquant espoir, liberté, communion (Septober Energy, You Ain’t Gonna Know Me…). Dans la veine d’un Liberation Orchestra qui aurait troqué ses doutes pour une emphase illusoire.

CD: 01/ Mra 02/ Thoughts To Geoff 03/ Dedicated to Mingus 04/ Monpezi Feza 05/ Four Whispers For Archie’s Chair 06/ Traumatic Experience 07/ Cider Dance 08/ A Song 09/ Dancing Diamond 10/ Septober Energy 11/ South African National Anthem 12/ You Ain’t Gonna Know Me ‘Cos You Think You Know Me

Keith Tippett, Julie Tippetts, Louis Moholo-Moholo - Viva la Black Live at Ruvo - 2006 - Ogun Records.



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