L'étau : Choses clandestines (Bloc Thyristors / trAce, 2013)
On sait Jean-Noël Cognard amateur d’improvisations ardentes, notamment consignées sur disques FMP ou Ogun. Après avoir échangé avec Michel Pilz (dont il célébra ici le Carpathes) en Binôme et en Ressuage, il retrouvait le clarinettiste (basse) les 4 et 5 mars 2013 afin de former L’étau en (exceptionnelle) compagnie de Keith Tippett et Paul Rogers. L’occasion d’enregistrer Choses clandestines fut double (deux jours passés en studio et une soirée programmée aux Instants Chavirés) quand les disques nés de celle-ci sont désormais quatre.
Enregistrés en studio, les deux premiers démontrent une entente que l’on supposera immédiate, qui profitera en tout cas à chacune des combinaisons à y trouver. Solos de Tippett, duos, trios et quartette, déroulent et imbriquent des pièces de musique différentes – free gaillard, atmosphérique bruitiste, marche ésotérique… – qu’enrichissent la fantaisie du pianiste (lyrisme récalcitrant, obsessions arpégées, recherches préparées), l’imagination instantanée du clarinettiste et les astuces imparables du duo de pompiers-pyromanes que composent Rogers (archet qui attise) et Cognard (baguettes qui avivent).
En concert, une seule combinaison : le quartette donnant, dans la mesure du pensable, deux grandes improvisations « homogènes ». Là encore, les tensions animent les conversations, et les mêmes qualités agissent : batteur féroce, Cognard exige la perte totale de repères (chose faite et bien faite sur la seconde face du troisième disque) quand Tippett multiplie les voyages à l’intérieur de son piano – la chose n’est-elle pas faite pour le « spectacle » ? – lorsqu’il ne rue pas en blues ou exige de Night in Tunisia qu’elle tombe sur Montreuil. C’est ainsi que fut relancée l’étrange machine qui a pour nom L’étau, dont personne ne pourra regretter qu’elle perde aujourd’hui, en belle boîte rose fuchsia qui plus est, un peu de sa clandestinité.
L’étau : Choses clandestines (Bloc Thyristors / trAce / Metamkine)
Enregistrement : 4 et 5 mars 2013. Edition : 2013.
LP1 : A1/ Sophistiqué barbare A2/ Le rideau déchiré B1/ Créer l’émotion puis la préserver B2/ Trois scripts abandonnés B3/ La danseuse blessée B4/ Couloir circulaire – LP2 : A1/ Projection de la scène A2/ Le rectangle de l’écran doit être chargé d’émotion A3/ La galerie des murmures A4/ Fondus dans l’arrière plan A5/ Dipôle – LP3 : A/ Une enseigne lumineuse faisant la réclame d’une revue musicale – Partie 1 B/ Une enseigne lumineuse faisant la réclame d’une revue musicale – Partie 2 – LP3 : A/ Plancher authentique permettant de bien entendre le bruit des pas – Partie 1 B/ Plancher authentique permettant de bien entendre le bruit des pas – Partie 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Entrechoc : Aux antipodes de la froideur (Trace / Bloc Thyristors, 2018)
Cette chronique de disque est l'une des soixante-dix que l'on trouvera dans le quatrième numéro papier du son du grisli. Qu'il faut commander, et même : dès maintenant !
C’est là – après Brigantin (avec Conrad et Johannes Bauer et Barry Guy) et L’étau (avec Keith Tippett, Michel Pilz et Paul Rogers) – la troisième (et dernière, faut-il croire) belle boîte de tissu estampillée Trace / Bloc Thyristors à renfermer des associations nées dans l’esprit de Jean-Noël Cognard, batteur qui improvise mais, d’abord : organise.
Organiser : pour un improvisateur, qu’est-ce à dire ? C’est qu’il en faut, des improvisateurs qui ne font pas qu’improviser sur demande, contre cachet, etc. Mais qui organisent aussi. Et qui imaginent, même : des associations nouvelles, respectueuses (de ce qui a été fait plus tôt) et concrètes enfin. L’organisation n’interdisant pas l’inspiration, c’est donc là, pour la troisième fois, une boîte de couleur qui en contient combien d’autres ? Non pas 5, mais au moins 5 au carré ; ce qui nous fait 25… bien. Or, à bien compter, puisqu'il faut toujours compter désormais et partout, on est en fait encore loin du compte.
Car d’une couleur à l’autre – voilà enfin (troisième paragraphe) les intervenants qui ici font impression : Michel Pilz (clarinette basse), Mark Charig (trompette), Quentin Rollet (saxophones), Marcio Mattos (contrebasse et violoncelle) et Jean-Noël Cognard (batterie) –, des rapprochements sont envisagés, qui bientôt « bavent ». Or, c’est dans la bave que l’amateur de musique créative trouve généralement son compte : dans le son de trop comme dans le silence : quelle est la différence ? Moins souvent dans l’accord tandis qu’il se fait entendre ; jamais, ou presque, dans l’unisson.
Ravi donc, l’amateur. Pour ce qui est des couleurs : bleu de Sienne (le jazz créatif des années 1960), ocre de Provence (c’est l’improvisation, au soleil, chapeau de paille jusqu’au nez), noirs de partout (ce que c’est qu’un tempérament, il faudra faire avec). Alors le quintette va : deux jours passés en studio en 2017 à Chatenay-Malabry et puis un concert donné un peu plus tard aux Instants Chavirés. A chaque fois, disques noirs ou disque rouge, c’est le fruit d’un compagnonnage Cognard, d’une confrérie non pas du souffle mais de la claque, qui vaut caresse – allez expliquer ça aux curetons de la « société civile ». Et puis non, n’allez pas expliquer, soyez à la hauteur de ce que vous avez entendu : gardez ça pour vous, et pour eux encore davantage. [gb]
Ressuage : Semelles de fondation (Bloc Thyristors, 2011) / Irau Oki, Benjamin Duboc : Nobusiko (Improvising Beings, 2010)
Sous le nom de Ressuage– technique inquiète de lourd et de métallique – agissent Itaru Oki (trompette, bugle et flûtes), Michel Pilz (clarinette basse), Benjamin Duboc (contrebasse), Jean-Noël Cognard (batterie), Patrick Müller (« electronsonic ») et Sébastien Rivas (ordinateur).
Sous un ciel de soupçon se dressent ces Semelles de fondation : plantées là, auxquelles le climat s’adapte maintenant : une note de contrebasse tombe, la flûte et la clarinette invectivent, la cymbale menace et l’électricité gagne du terrain. Sous les coups de Cognard, elle finit d’ailleurs par faire éclater une pluie d’éléments variés qui retomberont lentement, au son des effets d’étouffoirs et de transformateurs. La suite, sur l’autre face, délivre un exercice plus atmosphérique : valse de gimmicks sous réverbération. La fusion industrielle rêvée a tous les charmes de l’exercice artisanal qu’un jeu de citations opposant Oki et Pilz changera en improvisation amène.
Ressuage : Semelles de fondation (Bloc Thyristors / Metamkine)
Enregistrement : 29 et 30 novembre 2010. Edition : 2011.
LP : A1/ Portiques indéformables A2/ De béton et de verre A3/ Les travées basses des façades A4/ Module d’échanges B1/ Pré-tension B2/ Voiles suspendues B3/ Emprise ferroviaire B4/ Long pan opposé
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Plus tôt (15 décembre 2009), la paire Itaru Oki / Benjamin Duboc enregistrait Nobusiko. Donnant de la voix, passant de trompette en flûte et de bugle en percussions, le premier construit sur le solide soutien du second des mélodies réservées et des pièces plus vindicatives – ici Duboc accompagne (Foudo), là il provoque (Harawata), ailleurs encore s’emporte à l’archet (Siwasu). Remisant ses éclats, Oki tranquillise alors. Nobusiko est l’histoire d’un équilibre trouvé à deux, un geste après l’autre.
Michel Pilz, Jean-Noël Cognard : Binôme (Bloc Thyristors, 2010)
En 1984, Jean-Noël Cognard rencontra Michel Pilz dans le public venu entendre le quartette de Peter Brötzmann au Théâtre Dunois. De la rencontre naîtront deux échanges enregistrés et maintenant consignés sur Binôme vinyle.
Retenue obligatoire du batteur à l’initiative de la rencontre et voici la clarinette attirée en rouleaux. Habitué des profondeurs, Pilz trouve là un nouveau prétexte à l’excavation de splendeurs graves : d’épaisse et intense facture, les notes de clarinette claquent sur la ponctuation habile de Cognard à l’affût (qui encadre ou taquine à force de coups défaits) quand elles ne sont pas portées haut par un déhanchement commandé sur toms basse. Ainsi va cette captivante histoire de graves et le souvenir d’un ancien partage.
Michel Pilz, Jean-Noël Cognard : Binôme (Bloc Thyristors / Metamkine)
Enregistrement : 1984. Edition : 2010.
LP : A/ 28, rue Dunois B/ 52, allée La Fontaine
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Michel Pilz, Peter Kowald, Paul Lovens : Carpathes (FMP, 1975)
Disque de trio / duo / solo de trois musiciens vus et entendus au sein du Globe Unity, formation incontournable des années 70. Pourquoi ce vinyle ? Michel Pilz à la clarinette basse – quel son et quel talent (à écouter : le morceau Krebsauel en solo) ! Monsieur Peter Kowald – toujours indispensable à ce jour grâce aux nombreux enregistrements. Paul Lovens – sa Grande période (à écouter le morceau Pikolo für den Glöckner von Notre Dame en trio) et aussi pour son label de vinyles Po Torch Records (fin 70 / fin 80). Ce disque est également issu du merveilleux catalogue de vinyles de Free Music Production de l'époque Jost Gebers et Dieter Hahne, avec des pochettes « bien trempées ».
Michel Pilz, Peter Kowald, Paul Lovens : Carpathes (FMP)
Enregistrement : 1975.
LP : 01/ Un peu d’ail 02/ Krebsauel 03/ Inno Chika Chow 04/ Billiger Willi 05/ Willige Billie 06/ Carpathes 07/ Pilolo für den Glöckner von Notre Dame 08/ Zythum
Jean-Noël Cognard © Le son du grisli
Percussionniste efficient, Jean-Noël Cognard multiplie les projets vigoureux : Salmigondis, Tankj, Tribraque. On l’entendait encore récemment en Empan.