Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Ingar Zach : Le stanze (Sofa, 2016)

ingar zach le stanze

C’est avec une mesure, et même une parcimonie, qui rappelle celle de son aîné Fritz Hauser qu’Ingar Zach documente son travail en solitaire. Gran cassa, éléments de batterie, autres percussions et un peu d’électronique – à laquelle fait surtout appel la dernière des quatre pièces de Le stanze – lui permettent de composer ici, de différentes manières.  

Quatre tableaux d’inspiration italienne : La buggia dello specchio et Il battito del vichingo, qui conjuguent le pas d’un métronome pressé aux recherches, parfois indolentes, d’un rythmicien qui a sur lui toujours un temps d’avance ; L’inno dell’ Oscurità, qui ronronne entre deux silences et puis balance avec force ; È solitudine, enfin, qui soumet une caisse claire à une persistance électrique tenace jusqu’à ce que claque un terrible coup de grosse caisse.

Quatre pièces sur lesquelles le retentissement – le contrecoup – a un rôle indéniable, qu’il se souvienne, pour le sublimer, d’un geste que Zach a intentionnellement abandonné, qu’il s’empare d’un dernier rebond pour en faire la première note d’un chant d’envergure, qu’il transforme en battement grave le tintement régulier d’un triangle… Ce n’est donc pas la magie qui opère à chaque fois, mais bien l’art qu’a Ingar Zach de changer l’endroit qu’il est venu remuer en exceptionnelle caisse de résonance.

le stanze

Ingar Zach : Le stanze
Sofa
Enregistrement : 2014-2015. Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ La buggia dello specchio 02/ Il battito del vichingo 03/ L’inno dell’ Oscurità04/ È solitudine
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Mural : Tempo (Sofa, 2015)

mural tempo

S’il aura fallu trois disques à Mural pour documenter leur troisième apparition à la Rothko Chapel – on se souvient de ce récent Live –, c’est que celle-ci dura quatre heures. Le 27 avril 2013, Jim Denley, Kim Myhr et Ingar Zach invitèrent le public à aller et venir, voire à disparaître, en musique.

S’il ne dit rien de la première heure, cet enregistrement donne à entendre les trois autres comme elles se sont succédées. A la seconde, l’ivresse gagne déjà quand la cithare se lève après avoir longtemps cherché comment tenir sur les graves plateaux que remuent lentement les instruments à vent et la gran cassa. La musique tourne, mais parfois le silence la subjugue : après chaque arrêt, frottements, premiers souffles et frémissements doivent repartir de zéro.

Les musiciens peuvent alors choisir de se désolidariser : maintenant à la guitare, Myhr insiste quand, à la flûte, Denley peut éclater : la musique n’est plus atmosphérique, trois individualités s’y expriment avant de retourner à la rengaine commune. On y verra l’effet du bel art de Zach qui, au son de cymbales qui grincent et cinglent même, ramène le trio sur le chemin qu’il connaît et refait sans cesse avec bonheur : celui de la flâneuse pulsation chromatique.



tempo

Mural : Tempo
Sofa
Enregistrement : 27 avril 2013. Edition : 2015.
3 CD : CD1 : 01/ Second Hour – CD2 : 01/ Third Hour – CD3 : 01/ Fourth Hour
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Burkhard Beins, John Butcher, Mark Wastell : Membrane (Confront) / Beins, Malatesta, Vorfeld, Wolfarth, Zach : Glück (Mikroton)

burkhard beins john butcher mark wastell membrane

« Un pour tous et tous pour un », écrit John Eyles à l’intérieur de la boîte Confront pour évoquer l’esprit de cet enregistrement de concert (Café OTO, 13 avril 2014). Les trois musiciens impliqués accordèrent là autant de pratiques instrumentales amplifiées : Burkhard Beins à la grosse caisse de concert et au synthétiseur analogique, John Butcher* aux saxophones ténor et soprano et Mark Wastell au gong.

Les deux improvisations débutent sur quelques frappes en résonance – peut-être est-ce là leur seul point commun. Car la première va bientôt sur le rythme d’un pouls régulier, les notes de saxophone y sont endurantes et dans le même temps timides, quand l’électronique s’y fait une place en douce. Le jeu sur clefs de Butcher presse un peu le discours, que le trio prolongera en seconde plage. Alors, le saxophoniste (au soprano) accentue, appuie – sur l’instant : incruste ses notes –, auquel ses partenaires opposent des inspirations soudaines valant aspirations. C’est un souffle d’artifices dans lequel John Butcher s’inscrit.

Burkhard Beins, John Butcher, Mark Wastell : Membrane (Confront / Metamkine)
Enregistrement : 13 avril 2014. Edition : 2014.
CD : 01-02/ Membrane
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



beins malatesta vorfeld wolfarth zach glück

Si la ligne qu’ils forment est courbe sur la droite, la somme de ces batteurs à plat (Burkhard Beins, Enrico Malatesta, Michael Vorfeld*, Christian Wolfarth et Ingar Zach) n’en est pas moins directe : c’est qu’il s’agit de défendre un art percussif qui de l’acoustique a fait son affaire. On oubliera bien vite les premiers grincements, puisque les peaux et les cymbales grondent au gré d’un passage de témoins auquel se livrent quatre percussionnistes de premier plan. Oubliée la ligne, c’est au premier plan que tournent bientôt les aigus et les graves ; et c’est sur des compositions de Beins, Wolfarth et Zach, qu’éclate la cohérence de cette somme de percussions suspendues. Quitte à brouiller les pistes.

Burkhard Beins, Enrico Malatesta, Michael Vorfeld, Christian Wolfarth, Ingar Zach : Glück: Contemporary Percussion Music (Mikroton / Metamkine)
Enregistrement : 31 mars au 2 avril 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Glück 02/ Adapt/Oppose 14/1-a 03/ Floaters 04/ Adapt/Oppose 14/1-B
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

densités* Ce vendredi 23 octobre, John Butcher donnera un concert avec le trio Kimmig-Studder-Zimmerlin dans le cadre du festival Densités. Le lendemain, Michael Vorfeld jouera, pour Densités toujours, des lumières de son Light Bulb Music


Ingar Zach, Miguel Angel Tolosa : Loner (Sofa, 2015) / Huntsville : Pond (Hubro, 2015)

ingar zach miguel angel tolosa loner

Loner a été enregistré en différents endroits d’Europe, sur une période de dix années (2004-2014). On y entend Ingar Zach (percussions, électronique et field recordings), Miguel Angel Tolosa (électronique, field recordings et guitare électrique) et, sur un titre, Alessandra Rombolá (flûte).

Enveloppant les graves de la gran cassa, Tolosa anime quelques chimères qu’Offwall fera tourner longtemps. Mais un retour d’ampli (semble-t-il) menace, et gangrène maintenant le ballet. Si elle maintient le pouls à un rythme régulier, l’électricité change la donne au point d’avaler le chant des coups portés aux percussions pour les changer en grisailles.

Réverbérés, ces coups prendront leur revanche sur Dormont, autre réussite de l’enregistrement. Cette fois, c’est Zach qui lève quelques rumeurs capables de tourner antienne. C’est d’ailleurs en transformant tous les murmures en mélodies dont il est impossible de retenir l’air que le percussionniste, une fois de plus, fait impression.

Ingar Zach, Miguel Angel Tolosa : Loner (Sofa)
Edition : 2015.
CD : 01/ Offwall 02/ Whirlwords 03/ Dormont 04/ Astoneaged
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

huntsville pond

On aurait peut-être tort de voir en Huntsville – sur Pond, en tout cas, qui fait mieux que tous les disques qui l’ont précédé – ce projet facile qui permettrait à ses membres (Ivar Grydeland, Tonny Kluften et Ingar Zach) d’espérer conquérir un public plus large que celui qui est, d’ordinaire, le leur. C’est qu’à la danse minimaliste, et de synthèse, d’(ER), le trio oppose là trois plages de petite expérimentation. Moins « évidentes », certes, mais stériles, aussi.  

Huntsville : Pond (Hubro)
Enregistrement : juin 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ (ER) 02/ (ING) 03/ (AGE) 04/ (OK)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

le son du grisli

festival météo le son du grisli

Ingar Zach et Ivar Grydeland joueront aux côtés de Xavier Charles et Christian Wallumrod, Dans les arbres, au festival Météo : le 26 août, au Noumatrouff.

 


Labfield : Bucket of Songs (Hubro, 2015)

labfield bucket of songs

Derrière Labfield, dont c’est le troisième CD, il y a trois musiciens connus de nos fidèles (que j’imagine infidèles de temps à autre) lecteurs : David Stackenäs (guitare), Giuseppe Ielasi (guitare, electronics) et Ingar Zach (percussions). Ce qui devrait suffire aux présentations !

Ce qui surprendra par contre peut-être comme moi nos infidèles lecteurs, c’est ce seau (cette pelletée ?) de chansons (qui démarrent ceci étant par des belles cordes gonflantes) qui en appelle de temps en temps à l'aide d'une invitée, Mariam Wallentin – note : la voix a été posée en 2013 sur des enregistrements datés de 2000, 2011 et 2013. Question style, le trio part dans tous les sens : ambiances électrogènes, joutes pseudo-africaines à la Hebden-Reid, néo-folk expérimental, balladisme à couronnes de fleurs…

Ce qui surprendra encore plus c’est que malgré sa diversité le CD fatigue bien vite avant de nous rebuter rien-que-ça. L’apothéose dans ce médiator qui égrène mollement une guitare folk sous des vocalises chagrines. Preuve que le format chanson n’est pas toujours bon conseiller.

Labfield : Bucket of Songs (Hubro)
Enregistrement : 2009-2013. Edition : 2015.
CD / LP / DL : 01/ Ragged Line Reversed 02/ Page 55 03/ Temporary Reasons 04/ Bucket of Songs 05/ Intensive Course in Bad Manners 06/ The Boy Who Never Remembered to Forget 07/ Straight A’s In Constant Sorrow 08/ Members Crossed 09/ Last Passacaglia
Pierre Cécile © Le son du grisli



Looper : ųatter (Monotype, 2013)

looper matter

Redire que Looper est ce trio formé de trois des plus remarquables improvisateurs d’hier (déjà), du jour (sûrement) et de demain (sans doute) : Martin Küchen, Nikos Veliotis et Ingar Zach. Noter aussi que Looper est ce cœur fragile que l’on entend battre sur le début de ųatter, vinyle dont la pochette – juxtaposition d’images, tirées d’une vidéo de Veliotis, qui nous propulse en salle d’opération – pour lui nous fait craindre le pire, mais dont la musique, du même, atteste l’endurance et même la force subtile.

Il faudra pour cela fondre d’abord tous les matériaux : saxophone alto, violoncelle, percussions et radio. L’opération est délicate, dans tous les sens du terme, qui ajoute à sa propre rumeur les chants d’instruments lustrés avec application : claire et grosse caisses effleurées, saxophone réservé, violoncelle maniaque. Au rapport, ce-dernier l’emporte donc et dessine, d’un archet amplifié, la ligne de laquelle le groupe ne déviera plus. Jonchées d’inquiétudes, celle-là, et de graves impératifs. Malgré les unes et les autres, sur sa ligne le trio danse : en appelle à l’accident, s’en remet au péril.

écoute le son du grisliLooper
Alignement

Looper : ųatter (Monotype / Metamkine)
Edition : 2013.
LP : 01/ Slow 02/ In Flamen 03/ Alignement 04/ Our Meal
Guillaume Belhomme © Le son du grilsi


Dans les arbres : Canopée (ECM, 2012)

dans les arbres canopée

De retour : Dans les arbres s’installe en Canopée. L’élévation est lente, qui des musiciens ou de leurs notes atteignent les premiers le sommet ? Là, ce sont des tapis de verts sombres et des résonances étouffées, des champs de brume à perte de vue sur lesquels il faut évoluer avec délicatesse.

Cela n’empêche pas Ingar Zach et Xavier Charles de s’élancer les premiers, Ivar Grydeland et Christian Wallumrød suivant bientôt. Alors, il est temps d’improviser : d’astreintes en soubresauts, les musiciens progressent et derrière eux s’élèvent des rumeurs en fumées dans lesquelles on distingue ici des cordes-racines, là des volatiles encore jamais identifiés, et des bêtes qui, à terre, traînent et râlent en espérant la chute.

Dans les hauteurs, le quartette épie, inspecte, relève : le paysage est dense et sa musique doit l’être tout autant. Un relief à gravir, les instruments s’y emmêlent, et puis Zach marque le pas : régulier, il insiste et électrise les tensions inhérentes au risque : la fin du voyage est majestueuse, qui raconte la fumée, l’émanation, la vapeur, la buée, l’éther, le vertigo, l’immatériel, les cimes, la brume et la transparence. Désormais fondus sur disque.

Dans les arbres : Canopée (ECM / Universal)
Enregistrement : Juin 2010-avril 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ La fumée 02/ L’émanation 03/ La vapeur 04/ La buée 05/ L’éther 06/ Le vertigo 07/ L’immatériel 08/ Les cimes 09/ La brume 10/ La transparence
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

flashcode

Dans les arbres se produira ce vendredi 28 septembre à Paris, église Saint-Merri, dans le cadre du Crack Festival.


Ingar Zach, Frédéric Blondy, Eivind Lønning, Espen Reinertsen : Paris, 30 mai 2014

ingar zach frédéric blondy streifenjunko église saint-merry

Carré magique : à Saint-Merry, le taulier et pianiste (in- et outside) Fred Blondy avait déjà invité Ingar Zach à jouer (avec Xavier Charles) dans le cadre de l'excellent festival automnal Crack. Le percussionniste norvégien revient cette fois avec Streifenjunko, duo soufflant composé de ses  jeunes compatriotes Eivind Lønning (trompette) et Espen Reinertsen (saxophone ténor). Deux jours de résidence ont suffi à ce quatuor pour trouver ses marques, les inscrire dans le temps et l'espace d'un concert, et prendre son envol.
 
Une première pièce s'organise autour des sons d'allure spectrale que tirent Blondy et Zach des cordes graves du piano et du corps de la grosse caisse. Lønning et Reinersten, séparés par Zach,  insinuent leurs boucles dans ce tissu. Lorsque Blondy s'assoit au clavier, les canvas feldmaniens de Why Patterns? ne sont pas loin.
 
Après la pause, changement de registre. Carré fou : sous la baguette de Zach, place à l'éclatement, aux interjections, aux clusters et aux frappes sèches. Aucune dispersion cependant, aucune déperdition, tout est tenu – sauf la gestuelle de Blondy, qui danse avec son piano en frappant des agrégats de silence aussi fort qu'un Jerry Lee Lewis « étendu ».
 
Cette seconde pièce, par un processus mystérieux, se transmuera en une ample ad libitum aux sonorités profondes et douces, suspendu loin au-dessus de l'abstraction, dans une espèce d'immatériel glorieux, peint en quatre dimensions : carré blanc.

Ingar Zach, Frédéric Blondy, Eivind Lønning, Espen Reinertsen, Paris, Eglise Saint-Merry, 30 mai 2014
Claude-Marin Herbert © Le son du grisli


Interview de Nikos Veliotis

interview de nikos veliotis au son du grisli

L’archet de Nikos Veliotis en dit peut-être plus long que Veliotis lui-même : sur disques récents, il sculpte des drones en solitaire (Folklor Invalid), les emmêle sous cape de Mohammad (Som Sakrifis) ou encore se porte, avec un aplomb supérieur, au chevet du cœur fragile de Looper (ųatter). Adepte des notes longues et suspendues, Veliotis se répand ici en phrases brèves, mais instructives quand même…  

... Difficile de dire quel est mon premier souvenir de musique. Peut-être l’un des sons sortis du vieux (et beau) poste de radio de l’appartement de mon grand-père… Mon grand-père avait l’habitude d’enregistrer sur un magnétophone à bandes, qu’il pouvait actionner en ma présence. Par-dessus, il récitait sa propre poésie, des choses de ce genre…

Le violoncelle a-t-il été ton premier instrument ? Non, on m’a d’abord enseigné le piano classique, mais je n’ai jamais obtenu aucun diplôme. J’ai commencé le violoncelle assez tard, à l’âge de vingt-et-un ans. J’ai choisi cet instrument parce que j’en aimais beaucoup le timbre. Au début, j’ai dû me battre pour sortir quelques sons, d’autant qu’à l’âge que j’avais j’ai dû redoubler d’efforts pour apprendre les bases de l’instrument… Mes premières expériences avec le violoncelle ont fait avec la nécessité de gagner ma vie en tant que « violoncelliste classique » et mes toutes premières expérimentations, avec un son de violoncelle tout sauf classique, lui.

Quels musiciens écoutais-tu à cette époque ? Surtout Xenakis, au début. Xenakis et de la pop.

Quand et de quelle manière as-tu découvert les musiciens qui te restent chers aujourd’hui ? Je crois que j’ai toujours gardé les oreilles ouvertes aux choses « différentes », puis ensuite à celles qui sonnent « faux ». Par « différent », je veux parler de ces choses qui sortent de la norme. Par « faux », j’entends parler de cette expression artistique qui prend en compte, implique et embrasse tout à la fois, l’ « erreur » comme une esthétique valable. Par exemple, l’usage du non-vibrato absolu chez Xenakis (que j’adore et qui a été pour moi une grande influence) est un bon exemple de « différent » et de « faux » à la fois ! Et puis dans la musique pop aussi… un chanteur « terriblement faux » est-il un chanteur chantant faux ou un créateur micro-tonal ? Tout dépend de l’écoute de chacun.

Lorsque tu enregistres Folklor Invalid, par exemple, as-tu en tête cette différenciation « différent » / « faux » ? Peux-tu à ce propos me parler de cette pièce, et de la différence que tu fais entre penser la musique seul et l’élaborer accompagné ? Cette idée « différent » / « faux » est toujours là, oui. C’est ma façon d’écouter des sons et de faire de la musique. Il y a beaucoup de choses qui pourraient facilement paraître « fausses » dans Folklor Invalid, mais je ne rentrerai pas dans les détails. Je dirais simplement qu’elle contente mon amour pour les drones autant que mon amour de la pop… Travailler seul t’octroie un contrôle absolu sur le son. Mais la musique en groupe permet aussi la surprise !

Tes premières expérimentations ont été faites en solo ? Au début, oui, je faisais ça de mon côté la plupart du temps, pas même en solo puisque je ne donnais pas encore de concert ; plus tard, j’ai rencontré Rhodri Davies et nous avons formé CRANC avec Angharad Davies, un groupe qui existe toujours et reste actif. 

Comment s’est faite cette rencontre ?J’ai rencontré Rhodri et Angharad quand j’habitais Londres. Nous avions la même façon de penser la musique, ce qui est encore le cas aujourd’hui même si chacun de nous a évolué durant ces quatorze années de collaboration sous le nom de CRANC.

cranc filip  cranc

Combien de temps es-tu resté à Londres et quelles autres relations y as-tu nouées ? J’ai vécu deux années là-bas. Ça a été un plaisir d’apprendre à connaître le cercle expérimental de Londres et je crois y avoir en effet noué quelques relations. En dehors de Rhodri et de Mark Wastell, qui s’occupait (et s’occupe encore) du label Confront, j’ai aussi rencontré John Bisset, qui organisait à l’époque les concerts « 2:13 ». Plus tard, j’ai organisé sous le même nom une série de concerts et un petit festival à Athènes.

Parlant de « cercle expérimental », as-tu l’impression de faire partie d’une « scène » d’improvisateurs, qu’ils soient dits « libres » ou « réductionnistes »… ? Je ne crois pas appartenir à aucune scène. Je vis à Athènes, en Grèce, donc assez éloigné de tout… Maintenant, connaissant ces « étiquettes », je ne pense pas non plus que ma musique réponde aux idiomes de l’improvisation libre ou de ce que l’on appelle le réductionnisme. C’est en tout cas ce que je ressens…

Tu as cependant parlé plus tôt d’une « façon de penser la musique » que tu peux partager avec d’autres. Comment la décrirais-tu ? Disons qu’elle a à voir avec le choix d’un matériau sonore et avec la manière dont on traite ce matériau sur l’instant. Cette idée peut paraître simpliste mais elle peut être étendue à de nombreux domaines, comme celui du « goût » ou encore celui de la politique…

Les collaborations que compte ta discographie (prenons, pour exemples, tes enregistrements avec David Grubbs, Klaus Filip ou Dan Warburton) ont donné des résultats assez divers. Existerait-il, malgré tout, un point commun à ces disques ? Le point commun des collaborations que tu cites serait inévitablement « moi ». Ma touche sonore, telle qu’elle est. Après, l’interaction fait le reste et mène en effet à différents résultats.

Prenons un exemple… Lorsque tu rejoins Fred Vand Hove dans le FIN Trio J’ai rencontré Fred à un concert à Athènes, ensuite nous nous sommes revus à Anvers où je jouais avec CRANC, qui était plus ou moins ma seule autre collaboration à l’époque.

As-tu écouté beaucoup d’improvisation libre, disons, « historique », et cela a-t-il influencé ton travail ? Pas vraiment, je suis désolé d’avoir à avouer que je suis bien ignorant en la matière. C’est sans doute une influence mais pas une des principales. Certains des éléments de cette époque me touchent tout de même, notamment l’énergie à fort comme à bas volume.

looper mass  looper

On retrouve, à fort et à bas volume, cette énergie dans Looper, que tu composes avec Martin Küchen et Ingar Zach. Quelle est l’histoire de cette formation et quelle est la raison d’être des vidéos que tu réalises pour elle ? Ont-elles une influence sur la musique ou la musique une influence sur elles ? C’est toujours la même histoire : on visite des villes, on joue, on joue ensemble et puis on décide de former un groupe stable. Pour ce qui est des vidéos, je les envisage indépendamment du son. Pour moi, son et images sont deux flots (quasiment parallèles) d’informations qui doivent interagir dans l’esprit du spectateur.

Ecoutes-tu les autres projets de Martin et d’Ingar ? Ressens-tu, lorsque tu joues, et comme dans CRANC peut-être, une communion spéciale, si ce n’est rare ?Il va sans dire que nous écoutons tous les trois les différents projets de chacun. C’est une façon de maintenir les liens qui nous unissent. Et il va sans dire aussi que pour jouer avec d’autres il est nécessaire de ressentir cette communion spéciale, tout simplement parce que je fais de la musique en hédoniste avant tout. C’est pourquoi, ça doit être agréable à chaque fois !

A ce propos, la crise économique qui touche la Grèce a-t-elle un impact sur ton travail ? Beaucoup disent ce genre de crise « inspirante »… Je dois préciser que je n’ai pas attendu la crise pour être inspiré… Mais il est vrai que cette crise a déclenché un surplus d’activité artistique et bien que cela soit évidemment positif, c’est aussi assez décevant. Ainsi, lorsque la crise aura passée, toute cette activité cessera-t-elle sous prétexte que la vie sera plus facile ? En tant que musicien expérimental, je ne cesse de vivre dans la crise.

Un grand ouvrage « de crise » est celui qui a pour nom Cello Powder. Comment as-tu pensé ce projet ? Il y a deux versants à Cello Powder… Le premier est l’enregistrement : la palette sonore du violoncelle a été divisée en une centaine de quart de tons. Chacun de ces quarts de tons a été enregistré pendant une heure, pendant laquelle son volume et son timbre changeait (du doux au très fort et du ton d’origine au bruit, et retour en arrière). Le résultat représente une centaine d’heure de drones mixée sur une seule plage que j’ai appelé « The Complete Works for Cello » et qui a été tiré à une centaine d’exemplaires sur CD. Le second versant de Cello Powder a été sa performance : le violoncelle que j'ai utilisé pour l’enregistrement a été détruit (changé en poudre) en public, le 21 mars 2009 à l’INSTAL Festival de Glasgow. Pour ce faire, j’ai utilisé divers outils et appareils domestiques (hache, scie, déchiqueteuse, blender…) près d’enceintes qui jouaient l’enregistrement de « The Complete Works for Cello ». J’ai rempli quelques bocaux de cette poudre, que j’ai numérotés et vendus.

Sur Folklore Invalid, tu joues aussi de drones, jusqu’à les mener à composer une pièce qui peut suggérer le noise ou le metal. Es-tu d’accord avec ça ? S’ils existent, quels sont tes liens avec le noise ? Oui, je suis d’accord. Il y a bien des éléments du metal, c’est vrai. Quant au noise, j’en écoute mais pas autant que j’écoute de metal…

On retrouve ce « côté sombre », pour le dire simplement, chez Mohammad, qui sort ces jours-ci Som Sakrifis. Peux-tu me parler de cette association et de son état d’esprit ? Je n’ai pas grand-chose à dire de Mohammad. Notre histoire, à ILIOS, Coti et moi, remonte à une vingtaine d’années, et elle a toujours été motivée par notre désir commun de travailler ensemble, ce qui a longtemps été difficile pour des raisons pratiques (nous n’habitions pas la même ville). Quand nous nous sommes enfin retrouvés à Athènes tous ensemble, nous avons enfin pu démarrer notre projet. C’était en 2009 ou 2010. Je ne sais pas si nous avons un « état d’esprit » arrêté. Ensemble, nous ne faisons que continuer d’explorer…

Enfin, à ceux qui ne connaîtraient pas ton travail, quels disques recommanderais-tu ? Aucune idée… Je recommanderais tout !

Nikos Veliotis, propos recueillis en décembre 2013.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Mural : Live at the Rothko Chapel (Rothko Chapel, 2011)

mural_live_at_the_rothko_chapel

Comme quoi, le hasard… Pour Nectars of Emergence, j’avais écrit que Mural entamait une ascension du « Mont Rothko ». Cela se confirme avec Live at the Rothko Chapel, où Mural refait l’intérieur du lieu cher à Morton Feldman.

Jim Denley (instruments à vent), Kim Myhr (guitare acoustique) et Ingar Zach (grosse caisse) se posent donc dans la chapelle. Ils réfléchissent. Le premier choisit de débiter des phrases tranchantes, le deuxième de bercer mollement ses camarades, le troisième de faire battre le cœur de Doom and Promise. Et son cœur bat si bien qu’il fait vibrer une corde, puis deux, etc. Une ronde se forme, maintenue en vie par le trio qui l’enveloppe sans arrêt de graves et de chaleur.

Comme la lumière qui l’atteint peut faire changer la vision qu’on a d’une toile, l’acoustique de la Rotkho Chapel fait varier la musique. Avec la résonance, les accords s’affaissent, les clefs claquent moins fort et la peau du tambour expie. Tout semble chuter mais à un moment les souffles les arpèges et les frottements refont surface. Tout simplement par ce que cette chapelle est une cathédrale. Elle accélère l’ascension des notes qui se multiplient par leur vibration. Il ne suffit même par d’avoir la foi (en Mural) pour s’en convaincre.

Mural : Live at the Rothko Chapel (Rothko Chapel / Metamkine)
Enregistrement : 4 mars 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Doom and Promise
Héctor Cabrero © Le son du grisli



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