LDP 2015 : Carnet de route #20
C'est avec la violoncelliste Hannah Marshall que Jacques Demierre et Urs Leimgruber ont donné, le 7 octobre dernier avant un duo Brötzmann / Noble, un concert aux Instants Chavirés, certes déplacés au Théâtre Berthelot de Montreuil...
7 octobre, Montreuil, France
Instants Chavirés (au Théâtre Berthelot)
Im Frühjahr 2000 bietet mir Thierry Schaeffer vom Instants Chavirés in Co-Produktion mit Dominique Répécaud von Musique Action Vandouevre-les-Nancy eine Carte Blanche für ein neues Projekt an. Zu diesem Anlass formiere ich das Trio zusammen mit Barre Phillips und Jacques Demierre zum ersten Mal. Im April 2000 spielen wir im Instants Chavirés in Montreuil und am CCAM in Vandoeuvre-les-Nancy. Seitdem existiert das Trio Leimgruber-Demierre-Phillips. Seitdem hat die Gruppe weltweit mehrere hundert Konzerte gespielt. Während dieser Zeit sind fünf verschiedene CD’s entstanden, die die Musik des Trios auf diversen Labels dokumentiert.
Nach mehr als 15 Jahren findet nun heute zu diesem langjährigen Bestehen des Trios ein Doppel-Konzert zusammen mit dem Duo Peter Brötzmann und Steve Noble im Théâtre Berthelot in Montreuil statt.
Im grossen Theater Saal eröffnen wir mit dem Video von Barre Phillips das Konzert. Im dritten Teil spielt das Trio mit Jacques Demierre, Hannah Marshall und mir zum Video zusammen mit Barre. Anschliessend spielt das Trio einen langen Set mit verschiedenen Sequenzen - zwischen Stille und Explosion. Viele Freunde und Liebhaber der freien Improvisation sind da. Die trockene Sprechakustik des Theatersaals fordert uns Musiker bis über die Grenzen. Nach einer Pause spielt Peter Brötzmann und Steve Noble im Duo einen krafvollen und epischen Dialog. Das Publikum ist begeistert.
U.L.
Si les deux derniers feuillets du Carnet de route sont traversés par une interview autour de l’expérience du sonore - et le feuillet suivant le sera également - la rencontre avec un nouvel instrument, un nouveau piano, ne relève pas moins d’une situation conversationnelle. Dès mon entrée sur le plateau, en le découvrant, je m’engage dans une conversation avec le Bösendorfer numéro 34460, Wien, du théâtre Berthelot de Montreuil, en ayant comme interlocuteur un objet sonore total. J’écoute son discours clair, porteur du sens pianistique traditionnel, mais je cherche aussi à mettre à jour toute la masse des événements sonores “parasites”, son accent viennois, ses bégaiements, ses moindres soupirs, ses possibles et inévitables hésitations ou autres ratés et bruits...Je vise sa facture et ses dimensions résolument concrètes et matérielles, je recherche autant la fluidité de son discours que les résidus les plus physiques de son expression. Entre l’instrument et le musicien, comme entre le musicien improvisateur et le public, doit s’instaurer un sentiment de confiance, une sorte de micro-société, comme le disait AG précédemment, faite de respect et de partage entre individus qui sont là pour vivre communément quelque chose…
JD- Je pense que la situation est différente, si on parle d’une expérience d’écoute qui va se réaliser, donc par exemple ce qui peut se passer avant les concerts en tant que musicien, on prend possession des lieux, on rencontre les techniciens, on regarde comment est le piano, on bouge un peu les instruments en fonction de l’acoustique du lieu, on s’accorde en fonction du lieu, on se positionne, on joue un peu ensemble, on tâte le terrain, on essaie de toucher légèrement les conditions de l’expérience sonore à venir, sans les toucher rééllement, bien sûr car il manque une condition fondamentale, le public, il manque un certain nombre d’oreilles qui vont participer à leur manière à cette performance. C’est pour moi une seule et même performance où tout le monde est réuni, mais impossible de savoir ce qui va se passer, je ne suis pas alpiniste, mais je me sens tester la roche, voir si c’est friable, ici oui, là non, on dirait que ça va tenir, mais cela va-t-il tenir un quart d’heure ou vingt minutes, ou au contraire cela va-t-il céder après le premier son? En anglais on dit sound check, on vérifie le son, en français on dit plutôt balance, avec cette idée d’équilibre, de s’équilibrer soi-même et avec le lieu, et de l’autre côté, avec la vérification, le contrôle, il a cette idée de mettre à l’épreuve le lieu afin d’y voir ce qu’on peut y faire, de s’assurer d’une certaine réalité purement physique, on sait qu’on ira plus loin durant le concert, mais il y aura eu ce travail de la mise à l’épreuve des différentes conditions qui vont permettre l’expérience du son. Sans qu’on puisse évidemment prévoir quoi que ce soit…l’expérience du son en amont nous échappe et en aval elle nous échappe aussi, puisqu’elle n’existe plus, elle n’est plus dans ce temps là, l’expérience du son est une chose complète en tant que telle, elle n’a pas besoin d’être expliquée…évidemment on cherche toujours à comprendre comment elle se situe dans un contexte plus large… Ce qui me paraît intéressant grâce à l’observation, c’est de voir comment le contexte se retrouve modifié par sa propre mise à l’épreuve dans le cadre d’une expérience d’écoute, le contexte s’en est-il trouvé réellement changé? Le public, les musiciens ont-ils modifié leur manière d’écouter? Il s’est passé quelque chose mais on ne sait pas ce qui s’est passé, à travers cette mise à l’épreuve sonore on ne peut ensuite que constater sur nous les traces de cette expérience, comme si nous étions nos propres paléo-anthropologues, on va retrouver des traces, mais sans jamais arriver à reconstituer la totalité de cette expérience sonore, on va retrouver des traces à partir desquelles on va éventuellement pouvoir recontruire d’autres expériences sonores, et faire passer ces traces qui sont en aval d’une expérience vers l’amont d’une expérience future. Mais si l’expérience en tant que telle paraît irréductible, je ne la crois pas fermée ou inatteignable…
AG- …elle se suffit à elle-même…
JD- Je crois surtout qu’elle n’est pas dans la dualité, au moment du jeu la distance est abolie, si on se voit jouer, c’est qu’on est en dehors du jeu, on devient deux, comme si on parlait en même temps de ce que l’on est en train de faire, l’expérience du son est une expérience dont on ne se souvient pas entièrement, par exemple, sur un concert de 45 minutes, on ne garde pas en mémoire la totalité de l’expérience sonore, je pourrais citer certains passages qui se seront peut-être davantage marqués en moi, sans que je sache bien pourquoi d’ailleurs, mais cette expérience du son existe dans un état de non dualité et dès qu’on en parle on entre dans la dualité et on quitte le domaine de l’expérience…on y est d’une certaine manière obligé car on pointe simultanément soi-même et l’expérience alors que dans l’expérience, soi-même et l’expérience ne font qu’un… (à suivre)
J.D.
Photo : Jacques Demierre
> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE
Creative Sources Expéditives
Wind Trio : Old School New School No School (Creative Sources, 2011)
C’est en refusant les clichés du genre que Joao Pedro Viegas (clarinettes basse & soprano), Paulo Chagas (flûtes, hautbois, clarinette sopranino) et Paulo Curado (flûte, saxophones alto & soprano) fidélisent quelques traits singuliers. En s’éloignant de l’unisson, en brûlant les politesses, en ne répondant pas aux appels insistants de l’un, en contractant leurs souffles, les voici dérivant en des désordres tumultueux. Parfois, se souvenant que l’étreinte possède quelque charme, nous les retrouvons jacassant sans discontinuer. Soit une manière de ne rien rejeter des possibles s’offrant à eux. (lb)
Watt : Alter Egos (Creative Sources, 2012)
Dans la nervosité assumée qui est la leur, Watt (Ian Smith, Hannah Marshall, Stephen Flinn) ne jure que par le hors-piste. Esquivant les bosses, faisant l’apologie du grognement, se séparant plus que ne s’alliant, ils activent et réactivent leurs bibelots résonnants. Parfois, se surprennent à exhumer les vieilles recettes du jazz pour, rapidement, réorganiser – ou plutôt désorganiser – leur vive et raclée quincaillerie. Bref : n’en font qu’à leur tête. (lb)
Andreas Willers, Christian Marien, Meinrad Kneer : Nulli Secundus (Creative Sources, 2012)
L’improvisation d’Andreas Willers (guitares), Christian Marien (batterie) et Meinrad Kneer (contrebasse) est franche, directe, farouche. La matière se trouve d’emblée et, sans recherche ni hésitation, poursuit sa route avec obstination. La grande qualité du guitariste réside dans les matières qu’il crée et entretient : sonorités insolites voire sidérantes à la guitare électrique ; espaces déliés à l’acoustique. Ici, le trio transforme un lent bruissement en une entêtante vibration; ailleurs, on ne jure que par le soubresaut et la ruade. En n’isolant jamais une source et en ne brisant jamais sa course, Willers, Marien et Kneer font de leur minimal royaume un continent aux foudroyantes vertus. (lb)
IKB Ensemble : Monochrome bleu sans titre (Creative Sources, 2012)
D'Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Miguel Mira, Rogero Silva, Bruno Parrinha, Eduardo Chagas, Nuno Torres, Pedro Sousa, Abdul Moimême, Carlos Santos, Ricardo Guerreiro, Nuno Morao, Monsieur Trinité et José Oliveira, on n’oubliera pas de sitôt la lente suspension. Ici, chacun frôle son propre effacement sans jamais s’y résoudre. L’instrument s’oublie mais pas la douceur qui s’y déploie. Le temps s’arrête, n’a plus aucune prise avec la réalité. Le songe se révèle, intense et irradiant. (lb)
Christophe Berthet : Malval (Creative Sources, 2012)
Dans la solitude de la chapelle de Malval (Genève), Christophe Berthet part à la chasse aux sons. En trouve quelques-uns, les assemble. Multiphoniques ici, harmoniques ailleurs, techniques étendues toujours : le souffle s’ouvre à un horizon craquelé. Le chant-appel de Berthet n’est pas de carapace mais de réceptivité. Il s’ouvre en de larges étendues : stagnantes à l’alto, plus causantes au soprano. Parfois, invite le son à disparaître. Parfois, le met en suspension. Et jamais ne lui obstrue les passages secrets déposés malicieusement ici et là. (lb)
Bleak House : Dark Poetry (Creative Sources, 2012)
Saluant Dickens, la maison « bleak » du trio norvégien de Dag-Filip Roaldsnes (piano), Kim-Erik Pedersen (saxophone alto) et Tore T. Sandbakken (batterie) promet une poésie « dark » au travers des quatorze pièces brèves de cet album enregistré début 2010... et se tient joliment, parfois un peu littéralement, à ce programme : mélodies suspendues, belle écoute aérée (Trio for Morton Feldman), combinaisons de timbres, mais aussi un penchant pour le méditatif... que le groupe sait heureusement circonscrire à temps – une vraie qualité quand les ambiances frisent trop le romantisme. (gt)
Insub Meta Orchestra : Archive #1 (Insubordinations, 2012)
45 musiciens (Christian Müller, Christophe Berthet, Christoph Schiller, Cyril Bondi, Florence Melnotte, Hannah Marshall, Patricia Bosshard, Rodolphe Loubatière…) s’ouvrent à la menace. Approfondissent la ligne, réduisent son isolement, diffèrent le chaos, font l’éloge des choses souterraines.
Dans cet atelier, une sourde respiration ouvre les débats. La machinerie, maintenant, s’active et délivre ses vifs roulis. Un court et impressionnant crescendo surgit. La cassure intimide la ligne mais échoue à la briser totalement. Et c’est précisément, cette ligne qui fait office de lien et assure sa dense continuité aux cinq conductions de ce disque.
Fondé en septembre 2010, l’Insub Meta Orchestra signe ici son premier enregistrement (disponible en CD ou en téléchargement gratuit). La menace est à prendre au sérieux.
EN ECOUTE >>> Punkte und Flächen >>> Miroir
Insub Meta Orchestra : Archive #1 (Insubordinations netlabel)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD / Téléchargement libre : 01/ Punkle und Flächen 02/ Et si… 03/ The Living Dust 04/ Miroir 05/ Lava Underground 06/ Set Sail, Finally
Luc Bouquet © Le son du grisli
Tony Marsh : Quartet Improvisations (Psi, 2011)
Au début, cloitrés ans la désormais célèbre St. Peter’s Whitstable, ils tâtonnent, refusent la séparation, rejettent que se désigne ou s’impose une forme. Tout au plus, remarque-t-on l’engouement du percussionniste à englober sa résonnance dans les filatures des trois autres.
Sans se désunir, apparaissent maintenant des envies d’émancipation. Ces guides où s’implorent quelque mélodie ancestrale et où se diffusent quelque souple pulsion rythmique, n’irritent en rien l’unité du quartet. Mieux : permettent que s’y approchent de douces violences ou que s’y déposent quelque peuplé silence. Magnifiques d’intensité sont donc ici Mesdames Alison Blunt, Hannah Marshall et Messieurs Tony Marsh, Neil Metcalfe.
Tony Marsh : Quartet Improvisation (Psi / Orkhêstra International)
Enreistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Quartet 112-5 02/ Quartet 101-1 03/ Quartet 103-3 04/ Quartet 204-7 05/ Quartet 102-2 06/ Quartet 207-9 07/ Quartet 203-6 08/ Quartet 208-10 09/ Quartet 206-8 10/ Quartet 111-4 11/ Quartet 209-11 12/ Quartet 209-12
Luc Bouquet © Le son du grisli
Veryan Weston, Ingrid Laubrock, Hannah Marshall : Haste (Emanem, 2012)
L’échec pourrait être vertigineux à décrypter, commenter ou argumenter la musique d’Haste. Tant de choses, ici, qui passent, s’incrustent (ou pas), s’ajoutent, se multiplient – mais jamais ne se divisent ou se soustraient –, s’interpellent, dévalent. Le haché, la courbe, la tension, l’attente, la vitesse, la perte : nous savons et nous y revenons toujours. Eux et nous.
Leur responsabilité est grande de faire de l’incertain une certitude, d’être entiers, soudés et jamais engrillagés. Libres sont leurs choix : raccourcir le trajet, partager (ou pas) l’harmonie, s’éteindre dans l’agonie ou sectionner le nerf. Voilà, nous n’écrirons rien sur le piano de Veryan Weston, les saxophones d’Ingrid Laubrock, le violoncelle d’Hannah Marshall. Ici, une certitude, une seule : nous savons, vous savez, ils savent. Une singulière histoire de pluriels en quelque sorte.
Veryan Weston, Ingrid Laubrock, Hannah Marshall : Haste (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Sleeping Down Hill 02/ Leaning Up 03/ Courtesy of None
Luc Bouquet © Le son du grisli
Sol 6 : Sol 6 (Red Note, 2010)
Quelque chose serait donc en marche depuis Roof (en passant par la case, malheureusement achevée, Four Walls) et qui se poursuivrait avec Sol 6. On peut donc sans trop se tromper parler de continuité, d’un sillon creusé et sans cesse redéfini par le bouillonnant Luc Ex.
Ici, la parité est parfaite : trois musiciennes (Mandy Drummond, Ingrid Laubrock, Hannah Marshall) et trois musiciens (Tony Buck, Veryan Weston, Luc Ex), toutes et tous unis pour que s’agitent de vifs dialogues. Rares sont les effets de masse et les formules, les plus souvent utilisées, vont du duo au quartet en passant plus volontiers par le trio. Ainsi, s’élaborent un alphabet du débordement contagieux, sérieusement millimétré permettant au sextet de croiser héroïquement les compositions de Charles Ives, Erik Satie, Burt Bacharach, Luc Ex aux improvisations presque secrètes du combo. Presque secrètes car difficiles à localiser mais jamais perdues ou laissées à l’abandon dans ce vaste océan rugueux qu’est Sol 6.
Après avoir passé par tellement de sentiers (le jazz, l’improvisation, le rock, le contemporain) et de saveurs (le chaos, la douceur, l’obsession), Sol 6 s’enfuit brutalement sur une Miniature 2, tranchée nette. Peut-être une manière de nous dire que tout est toujours à recommencer, à reconquérir.
Sol 6, Autistic African Samba. Courtesy of Orkhêstra International
Sol 6 : Sol 6 (Red Note / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Some Things Must Stay 02/ And the World Might Bb After All 03/ Uncaged 04/ The Cage 05/ Miniature 1 06/ Brain Boilingly Obvious 1 07/ Chanson hollandaise 08/ Leg Room in the 1st Class 09/ Amputation in Economy 10/ Nood 11/ Close to You 12/ Brain Boilingly Obvious 2 13/ Sick Eagle 14/ Autistic African Samba 15/ Brain Boilingly Obvious 3 16/ Insecurity 17/ Miniature 2
Luc Bouquet © Le son du grisli